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qui est moins indiquée par le mot même que par sa combinaison avec les autres qui constituent la phrase. C’est pourquoi l’on dit également le sens d’un mot, & le sens d’une phrase ; au lieu qu’on ne dit pas de même la signification ou l’acception d’une phrase. (B. E. R. M.)

Sens, (Métaphysique.) sens est une faculté de l’ame, par laquelle elle apperçoit les objets extérieurs, moyennant quelque action ou impression faite en certaines parties du corps, que l’on appelle les organes des sens, qui communiquent cette impression au cerveau.

Quelques-uns prennent le mot sens dans une plus grande étendue ; ils le définissent une faculté par laquelle l’ame apperçoit les idées ou les images des objets, soit qu’elles lui viennent de dehors, par l’impression des objets mêmes, soit qu’elles soient occasionnées par quelque action de l’ame sur elle-même.

En considerant sous ce point de vûe le mot sens, on en doit distinguer de deux especes, d’extérieurs & d’intérieurs ; qui correspondent aux deux différentes manieres dont les images des objets que nous appercevons, sont occasionnées & présentées à l’esprit, soit immédiatement du dehors, c’est-à-dire, par les cinq sens extérieurs, l’ouie, la vûe, le goût, le tact, & l’odorat ; soit immédiatement du dedans, c’est-à-dire, par les sens internes, tels que l’imagination, la mémoire, l’attention, &c. auxquelles on peut joindre la faim, la soif, la douleur, &c.

Les sens extérieurs sont des moyens par lesquels l’ame a la perception ou prend connoissance des objets extérieurs. Ces moyens peuvent être considérés tant du côté de l’esprit, que du côté du corps. Les moyens du côté de l’esprit sont toujours les mêmes : c’est toujours la même faculté par laquelle on voit, on entend. Les moyens du côté du corps sont aussi différens, que les différens objets qu’il nous importe d’appercevoir. De-là ces differens organes du sentiment ; chacun desquels est constitué de maniere à donner à l’ame quelque représentation & quelque avertissement de l’état des choses extérieures, de leur proximité, de leur convenance, de leur disconvenance, & de leurs autres qualités : & de plus à donner des avis différens, suivant le degré, l’éloignement, ou la proximité du danger ou de l’avantage ; & c’est de-là que viennent les différentes fonctions de ces organes, comme d’entendre, de voir, de sentir ou flairer, de goûter, de toucher.

Un excellent auteur moderne nous donne une notion du sens très-ingénieuse ; selon ses principes, on doit définir le sens une puissance d’appercevoir, ou une puissance de recevoir des idées. En quelques occasions, au lieu de puissance, il aime mieux l’appeller une détermination de l’esprit à recevoir des idées ; il appelle sensations, les idées qui sont ainsi apperçues, ou qui s’élevent dans l’esprit.

Les sens extérieurs sont par conséquent des puissances de recevoir des idées, à la présence des objets extérieurs. En ces occasions on trouve que l’ame est purement passive, & qu’elle n’a point directement la puissance de prévenir la perception ou l’idée, & de la changer ou de la varier à sa réception, pendant tout le tems que le corps continue d’être en état de recevoir les impressions des objets extérieurs.

Quand deux perceptions sont entierement différentes l’une de l’autre, ou qu’elles ne se conviennent que sous l’idée générale de sensation, on désigne par différens sens la puissance qu’a l’ame de recevoir ces différentes perceptions. Ainsi la vue & l’ouie dénotent différentes puissances de recevoir les idées de couleurs & de sons ; & quoique les couleurs comme les sons, ayent entre elles de très-grandes différences ; néanmoins’il y a beaucoup plus de rapport

entre les couleurs les plus opposées, qu’entre une couleur & un son : & c’est pourquoi l’on regarde les couleurs comme des perceptions qui appartiennent à un même sens ; tous les sens semblent avoir des organes distingués, excepté celui du toucher, qui est répandu plus ou moins par tout le corps.

Les sens intérieurs sont des puissances ou des déterminations de l’esprit, qui se repose sur certaines idées qui se présentent à nous, lorsque nous appercevons les objets par les sens extérieurs. Il y en a de deux especes différentes, qui sont distinguées par les différens objets de plaisir, c’est-à-dire, par les formes agréables ou belles des objets naturels, & par des actions belles.

En réfléchissant sur nos sens extérieurs, nous voyons évidemment que nos perceptions de plaisir & de douleur, ne dépendent pas directement de notre volonté. Les objets ne nous plaisent pas comme nous le souhaiterions : il y a des objets, dont la présence nous est nécessairement agréable ; & d’autres qui nous déplaisent malgré nous : & nous ne pouvons, par notre propre volonté, recevoir du plaisir & éloigner le mal, qu’en nous procurant la premiere espece d’objets, & qu’en nous mettant à couvert de la derniere. Par la constitution même de notre nature, l’un est occasion du plaisir, & l’autre du mal-être. En effet, nos perceptions sensitives nous affectent bien ou mal, immédiatement, & sans que nous ayons aucune connoissance du sujet de ce bien ou de ce mal, de la maniere dont cela se fait sentir, & des occasions qui le font naître, sans voir l’utilité ou les inconvéniens, dont l’usage de ces objets peut être la cause dans la suite. La connoissance la plus parfaite de ces choses ne changeroit pas le plaisir ou la douleur de la sensation ; quoique cela pût donner un plaisir qui se fait sentir à la raison, très-distinct du plaisir sensible, ou que cela pût causer une joie distincte, par la considération d’un avantage que l’on pourroit attendre de l’objet, ou exciter un sentiment d’aversion, par l’appréhension du mal.

Il n’y a presque point d’objet, dont notre ame s’occupe, qui ne soit une occasion de bien ou de mal-être : ainsi nous nous trouverons agréablement affectés d’une forme réguliere, d’une piece d’architecture ou de peinture, d’un morceau de musique ; & nous sentons intérieurement que ce plaisir nous vient naturellement de la contemplation de l’idée qui est alors présente à notre esprit, avec toutes ses circonstances ; quoique quelques-unes de ces idées ne renferment rien en elles de ce que nous appellons perception sensible ; & dans celles qui le renferment, le plaisir vient de quelque uniformité, ordre, arrangement ou imitation, & non pas des simples idées de couleur, de son.

Il paroît qu’il s’ensuit de-là, que, quand l’instruction, l’éducation, ou quelque préjugé, nous fait naître des desirs ou des répugnances par rapport à un objet ; ce desir ou cette aversion sont fondés sur l’opinion de quelque perfection ou de quelque défaut, que nous imaginons dans ces qualités. Par conséquent, si quelqu’un privé du sens de la vue, est affecté du desir de beauté, ce desir doit naître de ce qu’il sent quelque régularité dans la figure, quelque grace dans la voix, quelque douceur, quelque mollesse, ou quelques autres qualités, qui ne sont perceptibles que par les sens différens de la vue, sans aucun rapport aux idées de couleur.

Le seul plaisir de sentiment, que nos philosophes semblent considérer, est celui qui accompagne les simples idées de sensation. Mais il y a un très-grand nombre de sentimens agréables, dans ces idées complexes des objets, auxquels nous donnons les noms de beaux & d’harmonieux ; que l’on appelle ces idée de beauté & d’harmonie, des perceptions des sens