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L’ensuple ou rouleau de derriere est percé aussi à un des bouts, comme celui de devant ; & lorsqu’il est question de donner l’extension à la chaîne, on passe dans une des quatre entrées que forment les deux trous de part en part, une cheville de bois de la longueur de trois piés & demi au moins, à l’aide de laquelle on donne l’extension nécessaire pour la fabrication, en attachant la cheville par le bout à une corde placée perpendiculairement à l’estaze du métier, au-dessus de l’endroit où ce même bout se trouve.

Cette façon de tenir la chaîne tendue n’est susceptible d’aucun inconvénient ; au contraire, par le moyen de la cheville de derriere, on ne lui donne que l’extension qu’elle demande ; ce qui n’arrive pas avec la bascule qui, selon l’humide ou le sec, laisse courir le rouleau ou ensuple de derriere plus ou moins, suivant les grandes ou petites secousses que la chaîne reçoit par la tire, toujours pesante dans le damas, & cause l’inégalité qui se trouve dans les étoffes façonnées de cette espece ; elle empêche le froissement ou grippure qui se trouve dans les damas de Lyon, parce qu’elle retient toujours la chaîne dans cette même égalité d’extension qui lui est nécessaire pour la perfection de l’étoffe ; les secousses qu’elle reçoit ne la faisant ni lâcher, ni tirer plus qu’il ne faut, elle fait même que l’étoffe reçoit une espece d’apprêt pendant la fabrication, qui ne se voit que dans les damas de Gènes, ou autres fabriqués de la même maniere.

Quoiqu’on n’ait pas fait mention de la quantité de brins dont l’organsin, pour faire le damas, est composé, on pense bien que ceux qui sont faits avec un organsin à trois brins, doivent être plus beaux que ceux faits avec un organsin qui n’en contient que deux, par conséquent on ne dira rien de plus sur cet article.

La façon dont on vient de démontrer la différence qui se trouve dans la fabrication des damas d’Italie, & dans celle des damas qui sont fabriqués en France, de même que celle qui se trouve dans la quantité & qualité des soies dont les uns & les autres sont composés est si sensible, qu’il n’est personne qui ne convienne que dès que les fabriquans de France voudront se conformer à la maxime des Italiens, ils feront des étoffes aussi parfaites que celles qui sont travaillées par les montagnards de Gènes.

Tout ce que les fabriquans de France pourroient opposer à ce qui vient d’être dit en ce qui concerne le damas, & ce qui a été dit précédemment concernant le velours, est qu’étant obligés de tirer du Piémont les organsins propres à faire les chaînes de semblables étoffes pour qu’elles soient parfaites, les droits de sortie, les frais de transport, les droits d’entrée dans le royaume, la provision des commissionaires qui vendent pour le compte des négocians piémontois, leur faisant revenir la soie infiniment plus chere qu’aux Génois & autres italiens, il s’ensuit que l’étoffe fabriquée leur reviendroit également à un prix qui les mettroit hors d’état d’en faire le commerce.

Observation concernant ce dernier article qui demande un examen très-scrupuleux.
Un ballot d’organsin de cent trente-six livres poids de Piémont, qui font cent huit livres poids de Lyon, paye pour la sortie du pays 105 liv. argent de Piémont, qui font cent vingt-six livres argent de France, ci 126 l.
Pour voiturer de Turin à Lyon, 10
Pour la douane à l’entrée du royaume, 70
Le commissionnaire de Lyon qui vend pour le compte du marchand piémontois, exige ordinairement quatre pour cent de provision pour demeurer du croire, ce qui fait qu’en supposant le prix de la soie à vingt-cinq livres la livre, la provision monte à cent livres sur un ballot, ci 100 l.
Les ballots d’organsin que l’on tire du Piémont, ne passent point par la condition publique[1], attendu que cette précaution est contre l’intérêt du propriétaire, ce qui fait qu’il n’en est pas un qui ne fasse une diminution de 3, 4, 5, 6 livres, même jusqu’à 7 ; on la réduit ici à trois livres & demie, tant pour les uns que pour les autres, ce qui fait quatre-vingt-sept livres dix sols, ci 87 l. 10 s.

Total, 393 l. 10 s.

Le ballot d’organsin teint ne rend au plus que soixante-quinze livres, ce qui fait que la soie teinte revient à 5 liv. 5 s. plus chere aux François qu’aux Italiens, attendu qu’ils sont obligés de payer les droits du quart de la soie, qui s’en va en fumée dans les opérations de la teinture, & que les droits qui se perçoivent en France n’équivalent pas sur les étoffes étrangeres aux frais que les fabriquans françois sont obligés de supporter, ce qui fait que l’étranger peut donner sa marchandise à meilleur prix que le fabriquant françois.

Si les fabriquans françois achetoient eux-mêmes en Piémont les soies qu’ils emploient, ils gagneroient & les frais de commission & les diminutions qui se trouvent sur les ballots ; en les faisant conditionner, la loi étant telle que le négociant piémontois ne sauroit le refuser ; & que dans l’article qui est contenu dans cette loi, il est précisément stipulé que dans le cas où l’acheteur & le vendeur seroient convenus que la soie ne passeroit pas à la condition publique, dans le cas de contestation pour l’humidité ou autre défectuosité, le consulat de Turin n’en prendroit aucune connoissance, ce qui n’est pas de même quand la soie y a passé.

Il faudroit des fonds trop considérables pour acheter comptant les soies qu’ils emploient, vendre leurs marchandises pour terme, payer les façons, &c. les soies se vendant ordinairement à Lyon pour dix-huit mois de terme, d’ailleurs les marchands de soie de Lyon sont obligés de faire des grosses avances à ceux du Piémont dans le tems du tirage des soies, tant pour l’achat des cocons dans les campagnes qui ne se fait que comptant, que pour le payement des femmes qui tirent la soie, & autres frais. Les Anglois & Holdois fournissent des fonds quelquefois deux années d’avance, parce qu’ils en tirent plus que nous, attendu qu’ils n’en cueillent point.

Des étoffes riches en 800. Les étoffes qui se font depuis peu en 800, sont assez singulieres pour qu’elles méritent de tenir place dans les mémoires de la fabrique d’étoffes de soie, or & argent.

Les étoffes en 800 ordinaires n’ont point de répétition, parce que si elles en avoient, il faudroit nécessairement 800 cordes de rame, 800 arcades & 800 cordes de semple, ce qui donneroit 1600 mail-

  1. La condition publique est une chambre établie à Turin, pour y mettre les soies lorsque l’acheteur en convient avec le vendeur. Cette chambre contient quatre cheminées, dans lesquelles on fait un feu modéré pendant toute l’année, excepté dans les mois de Mai, Juin, Juillet & Août. Dans cette chambre, on sépare la soie par matteaux, qui contiennent quatre à cinq écheveaux chacun ; on les passe dans des ficelles, lesquelles sont suspendues dans le milieu ; & le ballot ayant été pesé avant que d’y être porté, on laisse la soie vingt-quatre heures ; après quoi on la repese : si le ballot a diminué de deux livres & demie, il est reporté une seconde fois, & enfin si à la troisieme la diminution se trouve encore de même, pour lors il est confisqué. Comme personne n’est forcé de porter la soie à la condition publique, les propriétaires de celles qui sont envoyées à Lyon n’ont garde de faire passer les leurs par une épreuve de cette sorte.