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dorure différente sous laquelle doit passer l’espolin qui contient cette même dorure, on ne pense pas même qu’il soit jamais possible de surmonter cet obstacle, ce qui seroit cependant d’une grande conséquence, si on pouvoit le vaincre, mais jusqu’à présent, il n’y a que la broche ou les doubles corps qui puissent produire cette perfection.

Il ne s’est fabriqué à Lyon qu’environ 12 aunes jusqu’à ce jour, de l’étoffe faite dans ce genre ; on pense bien que dès que cette invention sera connue, il s’en fera d’autres ; mais il n’y en a encore qu’un métier de monté ; cette façon de guillocher la dorure a été suivie bien-tôt d’une autre, qui n’est pas moins belle. On a dit que les parties qui n’étoient pas tirées au coup de lame, ne contenoient que le quart de la chaîne, attendu que les trois lisses de fond que l’ouvrier faisoit lever, levoient également les trois autres quarts de cette même chaîne, ce qui faisoit que le fond formoit par ce même quart restant une espece de gaze. Or, comme cette figure de gaze a déja été connue dans les tissus en lame qui se sont faits l’endroit dessus, pour la fabrication desquels on ne fait que lire le fond, & que quand il est tiré on fait baisser trois lisses du rabat, les parties qui ne sont pas tirées faisant la figure, la partie tirée ne contenant que le quart de la chaîne, la dorure qui se trouvoit dessous faisant, par la dorure qu’elle contenoit, une espece de gaze, la partie qui n’étoit pas tirée, & qui faisoit la figure, lioit la dorure avec les quatre lisses de poil, ainsi qu’il se pratique, c’est-à-dire, que cette dorure qui n’auroit pas pu être liée, s’il n’y avoit pas eu un poil, l’étoit au moyen d’une des quatre lisses de liage que l’ouvrier faisoit lever successivement à chaque coup de lame qu’il passoit. On a donc voulu que ce coup dont la partie forme la gaze fît une figure différente, & voici ce qui a été imaginé pour faire que cette gaze imitât parfaitement le toilé, qui ordinairement dans toutes les étoffes doit environner la figure de la lame, puisqu’il fait le fond de l’étoffe.

On monte le métier à l’ordinaire en gros-de-tours, & on y ajoute un poil de 20 portées, ce qui fait deux fils chaque maille de corps indépendamment des 4 fils doubles de la chaîne. On fait lever la moitié du poil au coup de fond ; & au coup de lame guilloché, on fait baisser tout le poil ; de façon que ces deux fils de poil qui sont passés dans chaque maille du corps, forment un second liage, lequel avec le fil double de la lisse, qui seule reste baissée sur ce coup, fait un frisé aussi parfait, que s’il étoit préparé sur le rouet à filer l’or ou l’argent.

Il paroît que ce n’est pas assez de dire que la lame passée, & qui se trouve liée par deux fils de poil & un de chaîne, paroît être un frisé parfait ; il faut donner une explication qui établisse la certitude d’un fait aussi singulier. Il est peu de personnes qui ne sachent que le frisé or ou argent qui s’emploie dans les étoffes de fabrique, n’est autre chose qu’une espece de cordonnet tout soie, qui se prépare & se fait sur le rouet à filer, lorsque ce cordonnet est achevé on le remet sur le rouet où on le fait couvrir par la lame comme les autres filés, après quoi on l’emploie, l’ayant levé, dans l’étoffe.

Ce frisé or ou argent n’a jamais autant de brillant que le filé uni ordinaire, attendu la quantité de soie dont il est composé, & le grain dont il est formé, ce qui fait que la lame ne sauroit être couchée dessus aussi uniment que sur un filé ; cette quantité de soie, la position de la lame sur le grain, tantôt à droite, tantôt à gauche, forme cette variation qui en diminue l’éclat. Or, dans l’étoffe guillochée, dont le fond forme la gaze, & où le quart de la chaîne lie la lame, la distance qui se trouve d’un fil à l’autre sur la même lisse, qui est de trois fils doubles ou simples, est

trop grande pour que cette lame ne donne pas plus de brillant qu’il n’en faut ; pour qu’elle imite un frisé, les deux fils de poil qui se trouvent ajoutés par cette nouvelle invention, lesquels sont séparés par deux fils doubles ou quatre fils simples, forment une seconde couverture qui cache une partie de la lame, le fil de chaîne qui lie la lame étant extrémement tendu, pour que l’étoffe soit fabriquée comme il faut, la resserre de façon qu’elle forme une espece de grain ou cordonnet qui n’ôteroit pas le brillant, si les deux fils de poil qui sont à côté, dont l’un est séparé par un fil de chaîne & l’autre qui le joint, & qui ordinairement ne sont tendus qu’autant qu’il le faut pour tenir la dorure en raison, ne formoient par leur opposition vis-à-vis ou à côté celui qui est extraordinairement tendu, ce grain qui compose le véritable frisé.

La chaîne de l’étoffe est composée de 40 portées doubles, qui valent autant pour la quantité que 80 portées simples. Le poil contient 20 portées simples, ce qui fait tous les deux fils doubles un fil de poil, conséquemment deux fils de poil chaque maille de corps, puisqu’elle contient quatre fils doubles de chaîne ; on comprend aisément que si le poil étoit destiné à lier les dorures ordinaires, qui n’ont pas autant de brillant que la lame, le liage seroit trop serré, & enterreroit la dorure (c’est le terme), il n’y a donc qu’une étoffe de cette espece qui puisse soutenir un poil autant garni, la chaîne, dans toutes les étoffes, doit être extraordinairement tendue pour qu’elle soit fabriquée comme il faut. Le poil ne doit pas être de même dans l’étoffe riche ; c’est précisément ce contraste d’extension qui donne la forme au frisé apparent de l’étoffe dont il s’agit, de laquelle il n’y a encore, au moment que l’on écrit cet ouvrage, qu’un aune de faite, laquelle a été examinée par des commissionnaires connoisseurs qui en ont ordonné sur le champ, attendu la différence du prix, qui est de plus de 15 liv. l’aune en or, & 10 liv. en argent, s’il falloit brocher un frisé quelque fin qu’il pût être.

Il y a un observation très-importante à faire sur l’armure du métier concernant ce genre d’étoffe. On a dit que l’on faisoit baisser tout le poil au coup de la navette de lame, de façon qu’il s’en trouvoit un des deux qui sont passés dans la maille du corps, qui joignoit le quatrieme fil de chaîne qui forme le guilloché, & l’autre en étoit séparé par un fil de chaîne d’une part, & deux de l’autre ; or comme des deux fils de poil qui lient avec celui de chaîne, il y en a un qui a levé au coup de fond, & qui baisse ensuite au coup de lame ; il faut que l’ouvrier ait une grande attention à ne pas faire lever au coup de fond le fil qui joint celui de la chaîne, mais bien celui qui en est séparé par deux fils, attendu que la contrariété qui se trouveroit dans ce fil qui joindroit celui de la chaîne qui lie, lui donnant une pareille extension ayant levé & baissé au coup de fond, ou dans un même coup, feroit un grain très-inégal, ce qui rendroit l’étoffe moins parfaite. On a dit assez souvent qu’il faut faire attention dans l’armure de toutes les étoffes en général, que le fil qui doit lier la dorure, tel qu’il soit, de chaîne ou de poil, ne doit jamais lever aux coups de navette qui forment le fond, afin d’éviter cette contrariété, qui est d’une très-grande conséquence dans toutes les étoffes en général, & qui ne peut passer que dans celle-ci attendu l’effet qu’il produit.

Quoique cette armure paroisse difficile, l’ouvrier en viendra aisément à-bout en laissant la lisse de chaîne qui doit lier lorsqu’il fait lever les trois autres, celle dont le fil joint celui de poil qui n’a pas levé au coup de fond ; la chose est simple, mais nos ouvriers la plûpart ne sont que des machines, même ceux qui veulent se donner pour les plus habiles.