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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 15.djvu/332

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peut ouvrir les tuyaux secrétoires, il faut observer que le sang qui se jette en plus grande quantité dans les visceres de l’abdomen, gonfle les arteres ; ce gonflement comprime les tuyaux secrétoires, qui alors ne peuvent plus recevoir la liqueur qu’ils ont accoutumé de filtrer ; mais les tuyaux secrétoires de la peau ne sont pas comprimés de même, parce qu’ils n’appuient extérieurement que contre l’air ; d’ailleurs, ils ne sont pour la plûpart que les extrémités des arteres ou des pores ; ainsi rien ne sauroit empêcher que les liqueurs ne continuent leur chemin par ces ouvertures. Ajoutez que la chaleur est plus grande quand nous dormons, & que nous sommes bien couverts : or cette chaleur produit la raréfaction, & la raréfaction est suivie d’une transpiration plus abondante.

2°. Les parties se nourrissent mieux durant le sommeil, car d’abord il se dissipe moins de substance grossiere, puisque les muscles sont dans l’inaction, & de plus, ce repos qui regne dans le corps, fait que les parties qui nourrissent peuvent se mieux appliquer aux parties solides, car elles ne trouvent pas d’obstacles dans le mouvement que les muscles quand ils agissent, impriment à ces parties que doit réparer le suc nourricier. Tandis que les obstacles diminuent la force qui fait l’application du suc nourricier aux parties solides augmente, car c’est l’action du cœur ; & par cette action plus forte du cœur, le chyle se change en lymphe & en sang plus facilement : enfin les vésicules qui renfermoient la graisse, & qui étoient vuidées par l’action des muscles, se remplissent peu-à-peu de nouvelle huile, & c’est même le principal effet du sommeil : tout en un mot se répare à cause de ce mouvement doux & uniforme que nous éprouvons en dormant ; au contraire, tout se détruit & se vuide dans notre corps, par les veilles.

3°. Durant le sommeil, le suc nerveux se filtre peu-à-peu & coule dans ses réservoirs ; & enfin après sept à huit heures de repos, il s’en trouve une assez grande quantité pour remonter notre machine.

4°. Ce qui se perd par la transpiration qui arrive durant le sommeil, c’est surtout la partie aqueuse des alimens & de notre sang ; le mouvement modéré qui regne alors dans notre corps, ne peut détacher que peu de parties huileuses & grossiéres, au-contraire, il attache davantage ces sortes de parties, comme nous l’avons dit ; mais dans le tems que nous veillons, l’action des muscles fait évaporer les matieres plus épaisses qui sont dans le tissu des parties solides. De-là il suit que quand nous dormons, nous n’avons pas besoin de manger, comme quand nous veillons ; cela paroîtra encore plus clairement, si l’on fait réflexion que le suc nerveux destiné aux muscles ne se perd pas, puisqu’il n’y est pas envoyé, & que tout se remplit & se répare. On peut donc être long-tems sans prendre des alimens, pourvu qu’on dorme ; & si l’on veille & que l’on agisse, il faudra souvent manger. On peut ajouter à tout cela, que le sentiment étant émoussé durant le sommeil, les fibres de l’estomac ne sont donc pas si sensibles aux impressions de la faim.

5°. Les fibres du cerveau des enfans sont fort molles, elles s’affaisseront donc, ou elles se gonfleront plutôt que celles des vieillards dans lesquels elles se desséchent : de-là vient que les enfans dorment plus que les adultes & les vieillards ; peut-être que le repos du fœtus dans le sein de la mere vient de la même source ; il y a cependant une autre cause dans le fœtus, c’est que les objets ne font impression ni sur ses yeux, ni sur ses oreilles ; or, dès que les sens sont tranquilles ou sans action, on est disposé au sommeil ; enfin le sang est partagé entre le placenta & le fœtus ; il y a donc moins de mouvement, & par conséquent plus de repos : ajoutez encore que les fibres molles des enfans n’ont pas assez de force

pour diviser les matieres épaisses qui sont dans les vaisseaux ; il doit donc se former plus aisément une plénitude dans leur cerveau, & la compression causée par cette plénitude, produira le sommeil.

6°. Si l’on dort trop long-tems, la transpiration s’arrête, on a la tête pesante, on est sans force ; la raison en est peut-être de ce que la partie aqueuse qui se dissipe presque seule durant le sommeil, prive le sang de véhicule, & que les parties grossieres doivent former des engorgemens partout : la transpiration doit donc cesser en même tems. Pour ce qui regarde la tête, les vaisseaux se gonflent toujours quand on dort, & enfin par un long sommeil le gonflement devient si grand, que les vaisseaux capillaires sont comprimés avec les veines par les grosses arteres, le sang ne pourra donc pas revenir avec la même facilité, & ce sera une nécessité qu’on ait la tête pesante ; mais cette compression qui empêche le sang de revenir, arrête encore le suc nerveux à l’origine des nerfs, ainsi ce suc ne pourra pas couler dans les extrémités, & on se trouvera sans force, faute du suc nécessaire pour mouvoir les muscles ; enfin les battemens des vaisseaux causeront par leurs secousses des impressions désagréables qui reveilleront en sursaut, & qui nous empêcheront de dormir tranquillement,

7°. Pour la graisse, il est évident qu’elle doit se ramasser en plus grande quantité dans ceux qui dorment trop long-tems : car comme il ne se fait pas de dissipation de la substance grossiere par la transpiration, c’est une nécessité que les vésicules huileuses se remplissent davantage.

8°. Quand on s’éveille, on baille, on étend les bras, on est plus agile, on a plus de vivacité d’esprit ; comme le suc nerveux n’a pas coulé dans les muscles durant le sommeil, toutes leurs fibres sont languissantes, il faut donc les contracter tous pour ouvrir le passage au suc nerveux qui s’est filtré dans le cerveau, ou pour l’appeller dans ces parties. De plus, le mouvement du sang étoit languissant dans les muscles, il faut hâter son cours ; or cela se fait par la contraction où ils entrent quand on étend les membres : le bâillement vient de la même cause, comme on le peut voir à l’article de ce mot : ce suc nerveux qui entre dans les muscles, & qui s’est ramassé en grande quantité, fait qu’on est plus agile. Quant à la vivacité d’esprit, l’Etre suprême a voulu qu’elle dépendit du mouvement des liqueurs dans le cerveau : or ce mouvement est beaucoup plus aisé quand il s’est ramassé une grande quantité de suc nerveux, & que les fibres ne sont plus engourdies, ou qu’elles ont repris leur tension, & c’est ce qui arrive durant le sommeil.

La conjecture tirée de la compression du cerveau, que nous venons de préférer aux autres, pour expliquer les phénomenes que présente le sommeil, semble être confirmée par l’action des causes qui nous assoupissent.

1°. Les alimens pris avec excès, & surtout les viandes solides & tenaces prises en grande quantité, nous font dormir ; cela vient de ce que les alimens peu aisés à se diviser, forment une liqueur épaisse, qui ne peut pas aisément passer par les extrémités artérielles du cerveau ; par-là elles occasionnent un engorgement qui cause une compression.

D’ailleurs ces matieres, comme elles sont tenaces, arrêtent la transpiration, ainsi que Sanctorius l’a remarqué ; de-là il suit qu’il y aura dans le cerveau une plénitude, & par conséquent une compression : en général, les vaisseaux sont plus remplis quand on a mangé, & la plénitude est plus grande quand les arteres se vuident plus difficilement ; or cette difficulté est plus grande quand les alimens sont tenaces ; enfin, quand le ventricule est plein de ces alimens, il se