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vuide avec peine, il se boursouffle, & ce boursoufflement comprimant les vaisseaux du bas-ventre, le sang est déterminé vers la tête.

2°. Les liqueurs fermentées endorment, parce qu’elles contiennent des principes qui se raréfient beaucoup ; ces principes en occupant beaucoup d’espace, dilatent les arteres du cerveau, & les compriment par conséquent.

3°. Les remedes qui appaisent la douleur, nous procurent un doux sommeil ; mais nous ne parlons ici que d’une douleur continuelle & longue ; il faut regarder cette douleur comme un long travail qui agite le corps & le cerveau, & qui produit une insomnie ; dès que la cause de cette insomnie vient à cesser, on est saisi du sommeil, comme après une insomnie ordinaire, & après un travail fatiguant ; l’ame par les lois qui l’unissent avec le corps, ne sauroit sentir la douleur, qu’elle ne cause de l’agitation dans le cerveau ; mais quand la douleur cesse, les fibres du cerveau étant relâchées, n’empêchent plus par leur agitation, que la compression ne produise le sommeil ; d’ailleurs, quand on souffre, les arteres du cerveau sont plus pleines, & quand la douleur cesse, cette plénitude produit la compression dont nous venons de parler ; on voit par-là que des remedes contraires pourront faire dormir : quand le lait aigri a causé des convulsions & des coliques aux enfans, les absorbans se chargent de l’acide, & produisent le sommeil ; dans les grandes maladies dont la chaleur est le principe, les remedes rafraîchissans seront des somniferes.

4°. La grande chaleur jette dans l’assoupissement ; la raréfaction qu’elle cause dans les liqueurs, l’évaporation des parties les plus fluides du sang, le relâchement qu’elle produit dans les fibres, doivent nécessairement produire le sommeil : le froid peut occasionner la même chose, parce qu’en arrêtant la transpiration, il cause une plénitude qui comprime le cerveau.

5°. La tranquilité de l’esprit procure le sommeil, car le cerveau n’est pas alors agité par l’ame ; ainsi abandonné, pour ainsi dire, à lui-même, il peut s’affaisser, puisqu’il ne résiste pas à la compression ; c’est surtout en calmant l’esprit que le murmure des ruisseaux nous assoupit : ce bruit sourd & uniforme attire notre attention sans nous agiter, & par-là éloigne de notre esprit les pensées qui pourroient nous troubler ; on doit dire la même chose des sons des instrumens qui produisent cet effet.

6°. Tout ce qui peut empêcher le sang de se rendre au cerveau, doit nécessairement assoupir ; car alors les fibres deviennent flasques, & s’affaissent ; de-là vient que les grandes évacuations sont suivies du sommeil.

7°. Tous les accidens qui peuvent causer une compression dans le cerveau, doivent endormir ; aussi les observations nous apprennent-elles que les abscès, les liqueurs extravasées, les contusions, les enfoncemens du crâne, produisent un assoupissement.

8°. Pour ce qui est des assoupissemens qui tirent leur origine des mouvemens sympathiques, ils peuvent venir de la plénitude, ou des compressions que causent ces mouvemens dans le cerveau.

9°. Enfin, il faut convenir qu’il y a des especes de sommeil dont on ne peut rendre raison.

De même que tout ce qui comprime le cerveau & s’oppose au passage du suc nerveux dans les nerfs, amene le sommeil ; tout ce qui produira un effet contraire nous tiendra dans une situation opposée à l’assoupissement ; les passions, la douleur, les matieres âcres & volatiles nous mettent toujours dans un état où les fibres se trouvent agitées. Pour les matieres âcres & volatiles, on voit aisément qu’elles peuvent produire cette agitation ; mais quant aux maladies de

l’esprit, l’Etre qui tient l’ame & le corps dans une dépendance mutuelle, peut seul nous apprendre la maniere dont le cerveau se trouble quand l’ame est agitée : quoi qu’il en soit, l’effet des passions est toujours un mouvement dans le cerveau ; ce mouvement fait couler le suc nerveux, & empêche que le cerveau ne soit comprimé par les vaisseaux, on ne s’affaisse de lui-même. Boerhaave, Haller, de Sénac. (D. J.)

Sommeil, (Mythol.) Homere & Hésiode font le Sommeil fils de l’Erebe & de la Nuit, & frere de la Mort, dont il est la plus parfaite image.

Junon voulant endormir Jupiter, pour l’empêcher de voir ce qui se passoit dans le camp des Grecs & des Troïens, va trouver le Sommeil à Lemnos, son séjour ordinaire, & le prie d’assoupir les yeux trop clairvoyans de son mari, en lui promettant de beaux présens, & l’appellant le roi des dieux & des hommes. Le Sommeil s’en défendit par la crainte de la colere de Jupiter : « Je me souviens, lui dit-il, Iliade, l. XIV. d’une semblable priere que vous me fîtes au sujet d’Hercule : je m’insinuai auprès de Jupiter, je fis couler mes douceurs les plus puissantes dans ses yeux & dans son esprit, & vous profitâtes de ce moment pour persécuter ce héros. Jupiter s’étant éveillé, entra dans une si grande fureur, qu’il me chercha pour me punir ; j’étois perdu sans ressource ; il m’auroit jetté dans les abîmes les plus profonds de la mer, si la Nuit, qui dompte les dieux comme les hommes, ne m’eût sauvé. Je me jettai entre ses bras secourables, & Jupiter, quelque irrité qu’il fût, s’appaisa ; car il n’osoit forcer cet asyle : & vous venez m’exposer au même péril ». Cependant Junon le gagna en lui promettant en mariage la plus jeune des graces.

Ovide établit le domicile du Sommeil au pays des Simmériens, que les anciens croyoient être plongés dans les plus épaisses ténebres. Là est une vaste caverne, dit-il, Métam. l. II. où les rayons du soleil ne pénetrent jamais : toujours environné de nuages sombres & obscurs, à peine y jouit-on de cette foible lumiere, qui laisse douter s’il est jour ou nuit ; jamais les coqs n’y annoncerent le retour de l’aurore ; jamais les chiens ni les oies qui veillent à la garde des maisons, ne troublerent par leurs cris importuns le tranquille repos qui y regne ; nul animal ni féroce, ni domestique, ne s’y fit jamais entendre. Le vent n’y agita jamais ni les feuilles, ni les branches. On n’y entend rien ni querelles, ni murmures ; c’est le séjour de la douce tranquillité. Le seul bruit qu’on y entend, est celui du fleuve d’oubli, qui coulant sur de petits cailloux, fait un doux murmure qui invite au repos. A l’entrée de ce palais naissent des pavots, & une infinité d’autres plantes, dont la nuit ramasse soigneusement les sucs assoupissans, pour les répandre sur la terre. De crainte que la porte ne fasse du bruit en s’ouvrant ou en se fermant, l’antre demeure toujours ouvert, & on n’y voit aucune garde. Au milieu de ce palais est un lit d’ébene couvert d’un rideau noir : c’est-là que répose sur la plume & sur le duvet le tranquille dieu du sommeil

Iris envoyée par Junon, s’étant approchée de ce lit, le Sommeil frappé de l’éclat de ses habits, ouvre ses yeux appesantis, fait un effort pour se relever, & retombe aussi-tôt. Enfin, après avoir laissé souvent tomber son menton sur son estomac, il fait un dernier effort, & s’appuyant sur le coude demande à Iris quel étoit le sujet de son arrivée… Toute cette peinture enchante par la douceur du style & des images ; nos meilleurs poëtes ont fait leurs efforts pour l’imiter ; Garth en Angleterre en a beaucoup approché, témoin les vers suivans.