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monique des sons, que parmi tous les sons possibles il n’y en a qu’un très-petit nombre qui puissent être admis dans un bon système de musique ; car tous ceux qui ne forment pas des consonances avec les sons fondamentaux, ou qui ne naissent pas médiatement ou immédiatement des différences de ces consonances, doivent être proscrits du système ; voilà pourquoi quelque parfait que puisse être aujourd’hui notre système de musique, il est pourtant borné à 12 sons seulement dans l’étendue d’une octave, desquels douze toutes les autres octaves ne contiennent que des répliques. Que si l’on veut compter toutes ces répliques pour autant de sons différens, en les multipliant par le nombre d’octaves auquel est bornée l’étendue des sons sensibles, on trouvera 96 en tout pour le plus grand nombre de sons praticables dans notre musique sur un même son fondamental.

On ne pourroit pas évaluer avec la même précision le nombre de sons praticables dans l’ancienne musique : car les Grecs formoient, pour ainsi dire, autant de système de musique qu’ils avoient de manieres différentes d’accorder leurs tétracordes. Il paroît par la lecture de leurs traités de musique, que le nombre de ces manieres étoit grand, & peut-être indéterminé. Or chaque accord particulier changeoit les sons de la moitié du système, c’est-à-dire, des deux cordes mobiles de chaque tétracorde. Ainsi l’on voit bien ce qu’ils avoient de sons dans une seule maniere d’accord, c’est-à-dire, seize seulement ; mais on ne peut pas calculer au juste combien ce nombre devoit se multiplier dans tous les changemens de mode, & dans toutes les modifications de chaque genre, qui introduisoient de nouveaux sons.

Par rapport à leurs tétracordes, les Grecs distinguoient les sons en deux classes générales ; savoir, les sons stables & permanens, dont l’accord ne changeoit jamais, & qui étoient au nombre de huit ; & les sons mobiles, dont l’accord changeoit avec le genre & avec l’espece du genre : ceux-ci étoient aussi au nombre de huit, & même de neuf & de dix, parce qu’il y en avoit qui se confondoient quelquefois avec quelques-uns des précédens, & quelquefois s’en séparoient ; ces sons mobiles étoient les deux moyens de chacun des cinq tétracordes. Les huits sons immuables étoient les deux extrèmes de chaque tétracorde, & la corde proslambanomene. Voyez tous ces mots.

Ils divisoient de-rechef les sons stables en deux especes, dont l’une s’appelloit soni apieni, & contenoit trois sons ; savoir, la proslambanomene, la nete synnéménon, & la nete hyperboleon. L’autre espece s’appelloit soni baripieni, & contenoit cinq sons, l’hypate hypaton, l’hypate meson, la mese, la paramese, & la nite drezeugnumenon. Voyez ces mots.

Les sons mobiles se subdivisoient pareillement en soni mesopieni, qui étoient cinq en nombre ; savoir, le second & montant de chaque tétracorde, & en cinq autres sons appellés soni oxipieni, qui étoient le troisieme en montant de chaque tétracorde. Voyez Tétracorde, Système, Genre, &c.

A l’égard des douze sons du système moderne, l’accord n’en change jamais, & ils sont tous immobiles. Brossard prétend qu’ils sont tous mobiles, fondé sur ce qu’ils peuvent être altérés par dièse ou par bémol ; mais autre chose est de substituer un son à un autre, & autre chose d’en changer l’accord. (S)

Sons harmoniques, ou Sons flutés, sont une qualité singuliere de sons qu’on tire de certains instrumens à corde, tels que le violon & le violoncelle, par un mouvement particulier de l’archet, & en appuyant très-peu le doigt sur certaines divisions de la corde. Ces sons sont fort différens, pour le degré & pour le timbre, de ce qu’ils seroient si l’on appuyoit tout-à-fait le doigt. Ainsi ils donneront la

quinte quand ils devroient donner la tierce, la tierce quand ils devroient donner la quarte, &c. & pour le timbre, ils sont beaucoup plus doux que ceux qu’on tire à plein de la même corde, en la faisant porter sur la touche ; c’est pourquoi on les a appellés sons flûtés. Il faut pour en bien juger, avoir entendu M. Mondonville tirer sur son violon, ou le sieur Bertaud sur son violoncelle, une suite de ces beaux sons. En glissant même le doigt légerement de l’aigu au grave, depuis le milieu d’une corde qu’on touche en même tems de l’archet, on entend distinctement une succession de ces mêmes sons du grave à l’aigu, qui étonne fort ceux qui n’en connoissent pas la théorie.

Le principe sur lequel est fondée la regle des sons harmoniques, est qu’une corde étant divisée en deux parties commensurables entre elles, & par conséquent avec la corde entiere, si l’obstacle qu’on mettra au point de division, n’empêche qu’imparfaitement la communication des vibrations d’une partie à l’autre ; toutes les fois qu’on fera sonner la corde dans cet état, elle rendra non le son de la corde entiere, mais celui de la plus petite partie si elle mesure l’autre, ou si elle ne la mesure pas, le son de la plus grande aliquote commune à ces deux parties. Qu’on divise donc une corde 6 en deux parties 4 & 2, le son harmonique résonnera par la longueur de la petite partie 2 qui est aliquote de la grande partie 4 ; mais si la corde 5 est divisée selon 2 & 3, comme la petite partie ne mesure pas la grande, le son harmonique ne résonnera que selon la moitié 1 de la petite partie ; laquelle moitié est la plus grande commune mesure des deux parties 3 & 2, & de toute la corde

Au moyen de cette loi qui a été trouvée sur les expériences faites par M. Sauveur à l’académie des Sciences, & avant lui par Wallis, tout le merveilleux disparoît : avec un calcul très-simple, on assigne pour chaque degré le son harmonique qui lui répond : & quant au doigt glissé le long de la corde, on n’y voit plus qu’une suite de sons harmoniques, qui se succedent rapidement dans l’ordre qu’ils doivent avoir selon celui des divisions sur lesquelles on passe successivement le doigt.

Voici une table de ces sons qui peut en faciliter la recherche à ceux qui desirent de les pratiquer. Cette table indique les sons que rendroient les divisions de l’instrument touchées à plein, & les sons flûtés qu’on peut tirer de ces mêmes divisions touchées harmoniquement.

Table des sons harmoniques. La corde entiere à vuide, donne l’unisson.

La tierce mineure, donne la dix-neuvieme ou la double octave de la quinte.

La tierce majeure, donne la dix-septieme ou la double octave de la tierce majeure.

La quarte, donne la double octave.

La quinte, donne la douzieme, ou l’octave de la même quinte.

La sixte mineure, donne la triple octave.

La sixte majeure, donne la dix-septieme majeure, ou la double octave de la tierce.

L’octave, donne l’octave.

Après la premiere octave, c’est-à-dire, depuis le milieu de la corde jusque vers le chevalet, où l’on retrouve les mêmes sons harmoniques répétés dans le même ordre sur les mêmes divisions 1, c’est-à-dire, la dix-neuvieme sur la dixieme mineure ; la dix-septieme sur la dixieme majeure, &c.

Nous n’avons fait dans cette table aucune mention des sons harmoniques relatifs à la seconde & à la septieme ; premierement, parce que les divisions qui les donnent, n’ayant entre elles que des aliquotes fort petites, les sons en deviendroient trop aigus pour être agréables à l’oreille, & trop difficiles à tirer par