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devoit arriver à son frere & à sa postérité, eurent aussi leur accomplissement.

On rencontre dans les auteurs plusieurs exemples de cette espece ; Bullengerus en a recueilli une partie dans le traité qu’il a composé sur ce sujet ; mais ceux que l’on vient de rapporter suffisent pour montrer jusqu’où peut aller la superstition humaine. (D. J.)

Sorts des saints, (Divinat. des Chrétiens.) sortes sanctorum, espece de divination qui vers le troisieme siecle s’est introduite chez les Chrétiens à l’imitation de celles qu’on nommoit parmi les payens, sortes homericæ, sortes virgilianæ.

Elle consistoit à ouvrir au hasard les livres sacrés, dans l’espérance d’y trouver quelques lumieres sur le parti qu’ils avoient à suivre dans telles & telles circonstances ; d’y apprendre, si le succès des événemens qui les intéressoient, seroit heureux ou malheureux, & ce qu’ils devoient craindre ou espérer du caractere, de la conduite, & du gouvernement des personnes auxquelles ils étoient soumis.

L’usage avoit établi deux manieres de consulter la volonté de Dieu par cette voie : la premiere étoit, comme on vient de le dire, d’ouvrir au hasard quelques livres de l’Ecriture-sainte, après avoir imploré auparavant le secours du ciel par des jeûnes, des prieres, & d’autres pratiques religieuses. Dans la seconde qui étoit beaucoup plus simple, on se contentoit de regarder comme un conseil sur ce qu’on avoit à faire, ou comme un présage du bon ou du mauvais succès de l’entreprise qu’on méditoit, les premieres paroles du livre de l’Ecriture, qu’on chantoit dans le moment où celui qui se proposoit d’interroger le ciel par cette maniere, entroit dans une église.

Saint Augustin dans son épître à Januarius, ne paroît condamner cette pratique qu’au sujet des affaires mondaines ; cependant il aime encore mieux qu’on en fasse usage pour les choses de ce siecle, que de consulter les démons.

S. Grégoire évêque de Tours, nous a fait connoître d’une maniere assez particuliere les cérémonies religieuses, avec lesquelles on consultoit les sorts des saints. Les exemples qu’il en donne, & le sien propre, justifient que cette pratique étoit fort commune de son tems, & qu’il ne la desapprouvoit pas.

On en jugera par ce qu’il raconte de lui-même en ces termes : « Leudaste comte de Tours, qui cherchoit à me perdre dans l’esprit de la reine Frédegonde, étant venu à Tours avec de mauvais desseins contre moi ; frappé du danger qui me menaçoit, je me retirai fort triste dans mon oratoire ; j’y pris les pseaumes de David, pour voir si à leur ouverture, je n’y trouverois rien d’où je pusse tirer quelque consolation, & j’en eus une très-grande de ce verset, que le hasard me présenta : Il les fit marcher avec espérance & sans crainte, pendant que la mer enveloppoit leurs ennemis. En effet, ajoute-t-il, Leudaste n’osa rien entreprendre contre ma personne ; car ce comte étant parti de Tours le même jour, & la barque sur laquelle il étoit monté ayant fait naufrage, il auroit été noyé s’il n’avoit pas su nager ».

Ce qu’il rapporte de Meroüée fils de Chilpéric, mérite de trouver place ici, parce qu’on y voit quelles étoient les pratiques de religion auxquelles on avoit recours pour se rendre le ciel favorable, avant que de consulter les sorts des saints, & pour mieux s’assurer de la vérité de la réponse qu’on y cherchoit.

« Méroüée, dit Grégoire de Tours, étant disgracié de Chilpéric son pere, se réfugia dans la basilique de saint Martin ; & ne se fiant point à une pythonisse, qui lui avoit prédit que le roi mourroit cette même année & qu’il lui succéderoit, il mit

séparément sur le tombeau du saint, les livres des pseaumes, des rois, & des évangiles ; il veilla toute la nuit auprès du tombeau, & pria saint Martin de lui faire connoître ce qui devoit lui arriver, & s’il régneroit ou non. Ce prince passa les trois jours suivans dans le jeûne, les veilles, & les prieres ; puis s’étant approché du tombeau, il ouvrit d’abord le livre des rois ; & le premier verset portoit ces mots : Comme vous avez abandonné le Seigneur votre Dieu, pour courir après des dieux étrangers, & que vous n’avez pas fait ce qui étoit agréable à ses yeux, il vous a livré entre les mains de vos ennemis. Les passages qui s’offrirent à lui dans le livre des pseaumes, & dans celui des évangiles (passages qu’il seroit inutile de rapporter), ne lui annonçant de même rien que de funeste, il resta long-tems aux piés du tombeau fondant en larmes, & se retira en Austrasie, où il périt malheureusement, trois ans après par les artifices de la reine Frédegonde, sa belle mere ».

Dans cet exemple, on voit que c’est Méroüée qui sans recourir au ministere des clercs de saint Martin de Tours, pose lui-même les livres saints, & les ouvre. Dans celui que l’on va citer toujours d’après le même auteur, on fait intervenir les clercs de l’église, qui joignent leurs prieres à celles du suppliant ; voici comme le même auteur expose ce fait.

« Chramne s’étant révolté contre Clotaire I. & se trouvant à Dijon, les clercs de l’église se mirent en prieres pour demander à Dieu, si le jeune prince réussiroit dans ses desseins, & s’il parviendroit un jour à la couronne. Ils consulterent, comme dans le fait précédent, trois différens livres de l’Ecriture-sainte, avec cette différence, qu’à la place du livre des rois & des pseaumes, ils joignirent ceux du prophete Isaïe, & les épîtres de saint Paul, au livre des Evangiles. A l’ouverture d’Isaïe, ils lurent ces mots : J’arracherai la haie de ma vigne, & elle sera exposée au pillage ; parce qu’au lieu de porter de bons raisins, elle en a produit de mauvais. Les passages des épîtres de saint Paul, & ceux de l’évangile qui se présentoient ensuite, ne parurent pas moins menaçans, & furent regardés comme une prédiction de la mort tragique de ce prince infortuné ».

Non-seulement on employoit les sorts des saints pour se déterminer dans les occasions ordinaires de la vie, mais même dans les élections des évêques, lorsqu’il y avoit partage. La vie de saint Aignan fait foi, que c’est de cette maniere qu’il fut nommé évêque d’Orléans. Saint Euverte qui occupoit le siége de cette ville sur la fin du iv. siecle, se trouvant accablé de vieillesse, & voulant le désigner pour son successeur, le clergé & le peuple s’opposerent vivement à ce choix. Saint Euverte prit la parole, & leur dit : « Si vous voulez un évêque agréable à Dieu, sachez que vous devez mettre Aignan à ma place ». Mais pour leur faire connoître clairement que telle étoit la volonté du Seigneur, après que ce prélat eut indiqué, selon la coutumel un jeûne de trois jours, il fit mettre d’un côté sur l’autel des billets (brevia), & de l’autre, les pseaumes, les épîtres de saint Paul, & les évangiles. Ce que l’historien qu’on vient de citer, appelle ici brevia, étoient comme je l’ai traduit, des billets sur chacun desquels on écrivoit le nom d’un des candidats.

Saint Euverte fit ensuite amener un enfant qui n’avoit point encore l’usage de la parole, & lui commanda de prendre au hasard un de ces billets ; l’enfant ayant obéi, il tira celui qui portoit le nom de saint Aignan, & se mit à lire à haute voix : Aignan est le pontife que Dieu vous a choisi. Mais saint Euverte, continue l’historien, pour satisfaire tout le monde, voulut encore interroger les livres saints ; le