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re sur la flote athénienne, qu’il avoit défaite entierement à Aigospotamos. A l’aîle gauche du temple d’airain, il y avoit une chapelle consacrée aux muses, parce que les Lacédémoniens marchoient à l’ennemi, non au son de la trompette, mais au son des flutes & de la lyre.

Derriere le temple, étoit la chapelle de Vénus Aréa ; l’on y voyoit des statues de bois aussi anciennes qu’il y en eût dans toute la Grece ; à l’aîle droite, on voyoit un Jupiter en bronze, qui étoit de toutes les statues de bronze, la plus ancienne ; ce n’étoit point un ouvrage d’une seule & même fabrique ; il avoit été fait successivement, & par pieces ; ensuite ces pieces avoient été si bien enchassées, si bien jointes ensemble avec des clous, qu’elles faisoient un tout fort solide. A l’égard de cette statue de Jupiter, les Lacédémoniens soutenoient que c’étoit Léarque, de Rhégium, qui l’avoit faite ; selon quelques uns, c’étoit un éleve de Dipoene & de Scyllis ; & selon d’autres, de Dédale même.

De ce côté-là, étoit un endroit appellé Scenoma, où l’on trouvoit le portrait d’une femme ; les Lacédémoniens disoient que c’étoit Euryléonis, qui s’étoit rendue célebre pour avoir conduit un char à deux chevaux dans la carriere, & remporté le prix aux jeux olympiques. A l’autel même du temple de Minerve, il y avoit deux statues de ce Pausanias, qui commandoit l’armée de Lacédémone au combat de Platée ; on disoit que ce même Pausanias, se voyant atteint & convaincu de trahison, avoit été le seul qui se fût réfugié à l’autel de Minerve Chalciæcos, & qui n’y eût pas trouvé sa sureté ; la raison qu’on en rapportoit, c’est que Pausanias ayant quelque tems auparavant commis un meurtre, il n’avoit jamais pu s’en faire purifier. Dans le tems que ce prince commandoit l’armée navale des Lacédémoniens & de leurs alliés, sur l’Hélespont, il devint amoureux d’une jeune Bysantine : ceux qui avoient ordre de l’introduire dans sa chambre, y étant entrés sur le commencement de la nuit, le trouverent déja endormi ; Cléonice, c’étoit le nom de la jeune personne, en approchant de son lit, renversa par mégarde une lampe qui étoit allumée : à ce bruit, Pausanias se reveille en sursaut ; & comme il étoit dans des agitations continuelles, à cause du dessein qu’il avoit formé de trahir sa patrie, se croyant découvert, il se leve, prend son cimeterre, en frappe sa maîtresse, & la jette morte à ses piés. C’est-là le meurtre dont il n’avoit jamais pû se purifier, quelques supplications, quelque expédient qû’il eût employé. Envain s’étoit-il adressé à Jupiter Phyxius : envain étoit-il allé à Phigalée, en Arcadie, pour implorer le secours de ces gens qui sçavoient évoquer les ames des morts : tout cela lui avoit été inutile, & il avoit payé enfin à Dieu, & à Cléonice, la peine de son crime. Les Lacédémoniens, par ordre exprès de l’oracle de Delphes, avoient depuis érigé deux statues en bronze à ce prince, & avoient rendu une espece de culte au genie Epidote, dans la pensée que ce génie appaiseroit la déesse.

Après ces statues, on en voyoit une autre de Vénus, surnommée Ambologera, c’est-à-dire Vénus qui éloigne la vieillesse ; celle-ci avoit été aussi érigée par l’avis de l’oracle ; ensuite étoient les statues du Sommeil & de la Mort, qui sont freres, au rapport d’Homère, dans l’Iliade. Si de-là on passoit dans la rue Alpia, on trouvoit le temple de Minerve, dite Ophthalmitis, comme qui diroit Minerve qui conserve les yeux : on disoit que c’étoit Lycurgue même, qui avoit consacré ce temple sous ce titre à Minerve, en mémoire de ce que dans une émeute, ayant eu un œil crevé par Alcandre, à qui ses lois ne plaisoient pas, il avoit été sauvé, en ce lieu-là, par le peuple, sans le secours duquel il auroit peut-être perdu l’autre œil, & la vie même.

Plus loin étoit le temple d’Ammon, car il paroît que les Lacédémoniens étoient, de tous les Grecs, ceux qui recouroient le plus volontiers à l’oracle de la Lybie : on dit même que Lysander, assiégeant la ville d’Aphytis, près de Pallène, eut durant la nuit une apparition du dieu Ammon, qui lui conseilla, comme une chose également avantageuse, à lui & à Lacédémone, de laisser les assiégés en paix ; conseil auquel il déféra si bien, qu’il leva le siege, & qu’il porta ensuite les Lacédémoniens à honorer Ammon, encore plus qu’ils ne faisoient ; ce qui est de certain, c’est que les Aphitéens revéroient ce dieu comme les Lybiens mêmes.

Si quelqu’un trouve un peu longue cette description de Sparte, par Pausanias, je prie ce quelqu’un de se rappeller qu’il n’y a pas jusqu’aux portes & aux clés des anciens Spartiates, que l’histoire n’ait décrites. Comment vous imagineriez-vous qu’étoient faites leurs portes, dit joliment M. de la Guilletiere ? croiriez-vous que les étoiles en eussent formé les traits ? vous les trouverez cependant dans la constellation de Cassiopée. Après que vous aurez démêlé, dans un jour serein, l’étoile méridionale qui est à la tête, & la septentrionale qui est à la chaise, remarquez bien les deux autres qui sont situées entre celles-là ; toutes les quatre vous traceront la peinture d’une porte des Lacédémoniens, coupée par le milieu, & qui s’ouvre des deux côtés. C’est Théon qui nous l’apprend dans ses commentaires sur Aratus ; ceux qui ne peuvent s’élever jusqu’au ciel, trouveront dans les figures de Bayerus, celles des portes des Spartiates.

Pour leurs clés, il faut bien en reconnoître la célébrité malgré nous. Ménandre, Suidas, & Plaute, en conviennent de bonne foi. Je sais qu’Aristophane dit qu’elles avoient trois dents, qu’elles étoient dangereuses, & propres à crocheter ; mais les traits odieux d’un satyrique, qui ne cherche qu’à faire bassement sa cour au peuple d’Athènes, dont il avoit tous les vices, sont peu propres à nous séduire. Ce poëte, plein d’imaginations où régnoient la méchanceté de son naturel, ne pouvoit attaquer les Spartiates sur leur courage & sur leurs vertus ; il ne lui restoit que leurs clés à ridiculiser. (Le chevalier de Jaucourt.)

Après avoir conservé la ville des Spartiates au milieu de ses ruines, transmettons à la postérité la mémoire de ses lois, le plus bel éloge qu’on puisse faire de son législateur.

On ne considere ordinairement Lycurgue que comme le fondateur d’un état purement militaire, & le peuple de Sparte, que comme un peuple qui ne savoit qu’obéir, souffrir, & mourir. Peut-être faudroit-il voir dans Lycurgue celui de tous les philosophes qui a le mieux connu la nature humaine, celui, sur-tout, qui a le mieux vu jusqu’à quel point les lois, l’éducation, la société, pouvoient changer l’homme, & comment on pouvoit le rendre heureux en lui donnant des habitudes qui semblent opposées à son instinct & à sa nature.

Il faudroit voir dans Lycurgue, l’esprit le plus profond & le plus conséquent qui ait peut-être jamais été, & qui a formé le système de législation le mieux combiné, le mieux lié qu’on ait connu jusqu’à présent.

Quelques unes de ses lois ont été généralement censurées, mais si on les avoit considerées dans leur rapport avec le système général, on ne les auroit qu’admirées ; lorsqu’on saisit bien son plan, on ne voit aucune de ses lois qui n’entre nécessairement dans ce plan, & qui ne contribue à la perfection de l’ordre qu’il vouloit établir.

Il avoit à réformer un peuple séditieux, féroce, & foible ; il falloit mettre ce peuple en état de ré-