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Les crises ou l’excrétion ne sont aussi qu’un appareil extraordinaire de toute l’ame sensitive prête à livrer combat, comme le disent les anciens, ou bien les efforts brusques & redoublés de toutes les parties sensibles, pour le rétablissement de l’exercice œconomique de la sensibilité, & l’expulsion des matieres qui l’embarrassent ou qui lui sont nuisibles. Ces trois phases, ces trois états, vous les trouverez dans toutes les maladies, & le médecin sage n’a rien de mieux à faire qu’à observer ces trois tems, & à détourner les accidens qui les empêchent de s’écouler. Pour cet effet on ne sauroit trop étudier la sémeïotique des anciens, & les connoissances non moins utiles que peut fournir la doctrine des modernes sur le pouls. Voyez Pouls.

Nous ne pouvons ici que donner des généralités ; l’inflammation qu’est-elle autre chose qu’un nouveau centre de sensibilité qui s’établit autour de quelque obstacle contre lequel il semble que l’ame sensitive dresse ou érige les vaisseaux de la partie, qui admettent alors plus de sang, en même tems que la vibration des fibrilles nerveuses rayonne l’obstacle ? Or cet obstacle c’est le noyau inflammatoire qu’accompagnent la douleur, la tension, la tumeur, la rougeur, &c. Telle est l’épine de Vanhelmont, image simple qui rend la nature, & qui par-là mérite d’être le modele de toutes les théories de ce genre. Voyez Inflammation.

L’irritation des parties sensibles explique également les causes des bonnes & des mauvaises suppurations. Il est tout naturel de penser qu’une partie irritée jusqu’à un certain point ne sauroit bien préparer les sucs qui y abordent, puisqu’elle n’est plus au ton naturel de la vie, & que ces sucs de plus en plus viciés par l’état des solides, ajoutent encore à cette irritation ; mais une fois ce ton restitué à la partie, son action sur les humeurs est telle qu’elles en deviennent de plus en plus douces & assimilables à sa substance : ce qui produit insensiblement la cicatrice, &c.

Enfin, quant à ce qui regarde les médicamens, on est prévenu sans doute que le goût, la disposition particuliere, & l’irritation des organes en conséquence de leur sensibilité, doit en spécifier les vertus & diriger les effets : ce qui renferme l’explication de ce qu’on appelle la vertu élective des remedes, c’est-à-dire, pourquoi, par exemple, les cantharides affectent constamment les voies urinaires, l’émétique affecte l’estomac, &c.

La théorie des centres, de leurs départemens & de la circulation des forces de l’ame sensitive, donne en même tems la raison qui fait qu’un médicament à peine avalé emporte sur le champ un mal de tête, &c. Elle explique encore les admirables effets des vésicatoires, des ustions, des synapismes, des ventouses & autres semblables remedes si vantés par les vrais maîtres de l’art, dont toute l’action consiste à établir des centres artificiels dans la partie sur laquelle on les applique, & d’y attirer une dérivation salutaire de sensibilité, de forces & d’humeurs.

Consultez sur tout ceci les différens ouvrages de M. Bordeu, médecin des facultés de Montpellier & de Paris.

Il résulte de l’idée que nous venons de donner de l’œconomie animale, que tout étant borné dans le corps à l’activité de cette ame sensible, tant dans l’état de santé que dans l’état de maladie, & la marche de toutes les fonctions, soit dans l’état naturel, soit dans l’état de maladie, étant marquée par des tems & des périodes qui doivent nécessairement avoir leurs cours, & qu’on ne peut changer, il en résulte, dis-je, que les secours qu’on a à espérer des remedes, se réduisent à bien peu de chose. Il n’est que trop vrai en effet que la plûpart des remedes ne tien-

nent pas ce que des enthousiastes leur font promettre,

quoiqu’en fait de médicamens, il faut avouer qu’il s’en trouve qui maniés par un médecin habile, & combinés avec une diette convenable, font quelquefois des merveilles ; mais ces remedes sont en très-petit nombre ; & quant à la saignée, on peut ajouter, 1°. que dans beaucoup de maladies aiguës la matiere morbifique résidant dans le tissu spongieux ou cellulaire des parties, les saignées dont l’indication est le plus ordinairement fondée chez les modernes sur la théorie de la circulation, ne sauroient entrer dans le traitement de ces maladies ; 2°. le corps animal étant un composé de solides & de fluides, qui sont les uns à l’égard des autres dans une réciprocité absolue de besoins & d’utilité, on peut en inférer que des saignées multipliées dans une maladie doivent être aux fluides ce que la mutilation est aux solides. En vain prétendroit-on justifier l’abus de ce remede par des théories & des exemples, en imaginant même d’avoir à combattre dans les humeurs une dépravation qui équivaudroit à l’état de gangrene dans les parties solides d’un membre ; l’on ne voit pas à quoi serviroient quelques poëlettes de sang, le vice gangreneux étant supposé infecter toute la masse des fluides. Ce n’est pas cependant que la saignée ne produise d’admirables effets, lorsqu’elle est placée à-propos, par exemple, au commencement des maladies aigues ou dans le tems d’irritation, suivant la pratique des anciens, dans la suppression des regles & d’autres hémorrhagies habituelles, dans certaines douleurs vives, dans une chaleur, une lourdeur excessive du corps, &c. Mais dans tous ces cas même il n’est permis d’user de ce remede que très-modérément, parcâ manu, à titre d’adjuvant, adjuvans, & jamais à titre de curatif, comme lorsqu’on applique des émolliens sur un abscès pour en aider la maturation, qu’on fait des scarifications à une partie, qu’on emploie les vésicatoires, &c. Car le corps est le même à l’intérieur qu’à l’extérieur. Voyez là-dessus un excellent ouvrage intitulé, les abus de la saignée démontrés, &c.

Effets particuliers de la sensibilité. Nous croyons avoir suffisamment établi l’influx admirable du principe sensitif dans les trois états de la vie, de la santé & de la maladie. Il est pourtant encore des dispositions ou affections nerveuses singulieres qui, comme autant de bisarreries dans la sensibilité, augmentent son histoire de quelques autres phénomenes.

Ces dispositions ou affections nerveuses tenant, suivant nos principes, à des concepts dans l’ame sensitive, nous en reconnoissons, comme dans l’histoire des maladies, d’originaires & d’accidentels, qui peuvent se rapporter plus ou moins aux trois états dont nous venons de parler. On doit placer parmi les premiers quelques antipathies, sympathies, & autres incommodités dont il n’est pas toujours prudent d’entreprendre la curation, étant identifiées avec la vie, & comme autant de constitutions irrégulieres. Ainsi Pline rapporte d’après Valere Maxime, que le poëte Antipater sidonien avoit la fievre chaque année, le jour de sa naissance. Voyez hist. natur. lib. VII. pag. 407. Schenckius fournit de pareils exemples dans le livre VI. de ses observat. médic. On a vu des personnes qui ont eu habituellement la fievre durant toute leur vie, & qui n’ont pas laissé que de parvenir à une vieillesse très-avancée ; tel a été l’illustre Mecène.

Quant aux concepts accidentels, il y en a qu’on peut regarder comme de fortes habitudes nerveuses dégénérées en tempéramens, & qu’il faut traiter avec la même circonspection que les premiers. D’autres sont dûs aux impressions fâcheuses de quelque maladie grave qui a été mal jugée, ou interrompue dans sa marche, ou reconnoissent pour cause quelqu’autre accident : ceux-ci admettent le plus souvent