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les secours de l’art. Kaw Boërhaave raconte « qu’un vieillard nommé Monroo, par une sympathie contractée depuis l’enfance, ne pouvoit regarder personne dont il ne fût obligé d’imiter tous les mouvemens corporels ; ce pantomime singulier portoit l’imitation jusqu’à rendre scrupuleusement les plus légers mouvemens des yeux, des levres, des mains, des piés, &c. Il se couvroit & se découvroit la tête, suivant qu’il le voyoit faire aux autres, avec une liberté & une facilité surprenantes ; lorsqu’on essayoit de lui ôter l’usage d’une main, tandis qu’il gesticuloit de l’autre, il se débattoit avec des efforts extraordinaires, & la raison qu’il en donnoit, c’est qu’il y étoit forcé par la douleur qu’il ressentoit au cerveau & au cœur. Enfin ce pauvre homme, en conséquence de son incommodité, n’alloit jamais dans les rues que les yeux bandés ; & lorsqu’il lui arrivoit de s’entretenir avec ses amis, c’étoit en observant la précaution de leur tourner le dos ». Voyez Kaw Boërhaave de impetum faciente, seu enormon Hippocrat. pag. 345. On peut consulter sur les autres affections accidentelles tous les livres de pratique. Voyez encore le synop. medic. de Allen, tom. I. page 12, où il est parlé d’un théologien nommé Bulgin, au territoire de Sommerset, lequel fut attaqué à l’âge de 34 ans, d’une fievre intermittente quotidienne qui lui dura tout le reste de sa vie, c’est-à-dire, 60 ans encore, n’étant mort qu’à l’âge de 94. Locke fait encore mention dans son ouvrage admirable sur l’entendement humain, d’un homme qui ayant été parfaitement guéri de la rage par une opération extrèmement sensible, se reconnut obligé toute sa vie à celui qui lui avoit rendu ce service, qu’il regardoit comme le plus grand qu’il pût jamais recevoir ; mais malgré tout ce que la reconnoissance & la raison pouvoient lui suggérer, il ne put jamais souffrir la vue de l’opérateur ; son image lui rappelloit toujours l’idée de l’extrème douleur qu’il avoit endurée par ses mains, idée qu’il ne lui étoit pas possible de supporter, tant elle faisoit de violentes impressions sur son esprit ; nous dirons, nous, sur son ame sensitive. Voyez Locke, pag.

Qui ne sait combien les charmes de la musique sont puissans sur certains sujets ? Qui ne connoit pas l’effet de la beauté sur l’ame sensitive ? Enfin qui ne s’est pas quelquefois senti épris de prédilection ou d’intérêt, à la simple vue, pour une personne plutôt que pour une autre qui avoit plus de droits, suivant la raison, à nos sentimens ? Tout cela est une disposition dans les organes, une affaire de goût dans l’ame sensitive qui s’affecte de telle ou telle maniere, sans qu’on s’en doute : ce sont-là les nœuds secrets qui nous lient, qui nous entraînent vers les objets, & que les Péripatéticiens n’avoient pas tant de tort de mettre au rang de leurs qualités occultes.

Les habitudes particulieres à certains organes ou districts de la sensibilité offrent encore des variétés remarquables ; telle personne, par exemple, ne sauroit passer l’heure accoutumée des repas, sans ressentir tous les tourmens de la faim ; tel autre s’endort & se réveille constamment à la même heure tous les jours ; les sécrétions & excrétions se font dans certains tempéramens régulierement dans le même ordre, &c. & certes il y auroit beaucoup de danger pour ces personnes ainsi coutumieres, à s’écarter de ces habitudes qui sont devenues chez elle une seconde nature, suivant l’axiome vulgaire. Les tems des paroximes dans certaines maladies sont également subordonnés aux mêmes lois d’habitude de la part de la sensibilité ; nous croyons inutile d’en rapporter des exemples.

Mais si ces habitudes constantes sont communément des déterminations invincibles pour l’exercice de la sensibilité dans les organes ; il est aussi des cas

où par la raison des contraires ces habitudes anéantissent absolument cet exercice dans ces mêmes organes. Un chevalier romain (Julius Viator) datoit l’abstinence dans laquelle il vivoit, de toute boisson, d’une maladie chronique dans le traitement de laquelle les médecins lui avoient interdit entierement le boire.

Cette habitude des organes va plus loin encore, puisqu’elle se proroge au-delà de la vie ; on a vu des viperes à qui on avoit coupé la tête & enlevé les entrailles, on a vu, dis-je, ces troncs de viperes aller se cacher sous un amas de pierres où l’animal avoit coutume de se réfugier. Voyez Perault, essai phys. Boyle rapporte que les mouches s’accouplent & font des œufs, après qu’on leur a coupé la tête. Rien de si commun que des exemples de cette nature.

De-là peut être encore ce mouvement animal toujours fondé sur l’habitude de notre sensibilité, renouvellée par son instinct en présence d’un objet qui nous est cher, & qu’un changement dans les traits déguise à nos habitudes intellectuelles ; telle est la situation d’une mere tendre en présence d’un fils qu’elle ne reconnoit pas encore, & vers lequel cependant son ame sensitive semble vouloir s’envoler : situation qu’on attribue d’ordinaire à ce qu’on appelle la force du sang. Ainsi Mérope, après avoir interrogé le jeune inconnu qu’on lui a amené, s’écrie :

. . . . Hélas ! tandis qu’il m’a parlé,
Sa voix m’attendrissoit, tout mon cœur s’est troublé.
Cresfonte… ô ciel !… j’ai cru… que j’en rougis de honte !
Oui j’ai cru démêler quelques traits de Cresfonte.

Act. II. scen. II.

La théorie des convulsions, des spasmes, &c. ne présente pas moins de singularités dont l’explication découle naturellement de la même source, c’est-à-dire, des affections des parties nerveuses, en conséquence de leur sensibilité, sans qu’il soit besoin de recourir à des desséchemens & aridités des nerfs, ou à des stimulus causés par des acrimonies. Car enfin, si le premier cas avoit lieu, un vieillard, ainsi que l’observe Vauhelmont, devroit être tout racourci par un spasme continuel. Voyez de lithiasi. Et dans le second, c’est-à-dire, dans le système des acrimonies, tous les visceres devroient s’en ressentir ; les plus délicats sur-tout, ou les plus mols, comme le cerveau, seroient anéantis de spasmes ou de contractures ; mais au contraire on voit bien souvent que ces spasmes n’affectent qu’un seul organe, ou partie même de cet organe : ainsi dans quelques angines on remarque qu’il n’y a qu’un côté de la gorge de pris ; dans les hydropisies, ou les icteres commençans, avant même qu’il y ait le moindre signe d’épanchement dans le bas-ventre, il arrive quelquefois de ces tractures dans un seul côté du ventre, & en conséquence des duretés de ce même côté, souvent encore il s’est vu œdemes de tout le côté droit du corps, occasionnés par une affection au foie. Les paralysies, quelles singularités n’offrent-elles pas en ce genre ? Il semble que le corps soit divisé naturellement en deux parties qui se rencontrent ou se joignent dans le milieu ou dans l’axe. Voyez Bordeu, recherches sur le pouls. Il arrive encore que la sensibilité plus ou moins agacée dans certains endroits des productions nerveuses que dans d’autres, peut faire çà & là, dans le même organe, de petits points de constriction qui laisseront entr’eux des espaces, si vous voulez, comme des mailles ; ces particularités se rencontrent plus ordinairement dans l’estomac ; on a également vu sur des pleurétiques la plevre détachée en certains endroits de la surface des côtes ; sans doute que ces décolemens de la plevre se trouvoient dans les points qui répondent aux fibrilles nerveuses distribuées dans