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ne goûtent plus que les spectacles mensongers qui ont rapport à l’ame, les opéras, les comédies, les tragédies, les pantomimes. Mais une chose certaine, c’est que dans toute espece de spectacles, on veut être ému, touché, agité ou par le plaisir de l’épanouissement du cœur, ou par son déchirement, espece de plaisir ; quand les acteurs nous laissent immobiles, on a regret à la tranquillité qu’on emporte, & on est indigné de ce qu’ils n’ont pas pu troubler notre repos.

C’est le même attrait d’émotion qui fait aimer les inquiétudes & les alarmes que causent les périls où l’on voit d’autres hommes exposés, sans avoir part à leurs dangers. Il est touchant, dit Lucrece, de nat. rer. lib. II. de considérer du rivage un vaisseau luttant contre les vagues qui le veulent engloutir, comme de regarder une bataille d’une hauteur d’où l’on voit en sûreté la mêlée.

Suave mari magno turbantibus æquora ventis
E terrâ alterius magnam spectare laborem ;
Suave etiam belli certamina magna tueri
Per campos instructa tui sine parte pericli.

Personne n’ignore la dépense excessive des Grecs & des Romains en fait de spectacles, & sur-tout de ceux qui tendoient à exciter l’attrait de l’émotion. La représentation de trois tragédies de Sophocle couta plus aux Athéniens que la guerre du Péloponnèse. On sait les dépenses immenses des Romains pour élever des théatres, des amphithéatres & des cirques, même dans les villes des provinces. Quelques-uns de ces bâtimens qui subsistent encore dans leur entier, sont les monumens les plus précieux de l’architecture antique. On admire même les ruines de ceux qui sont tombés. L’histoire romaine est encore remplie de faits qui prouvent la passion démesurée du peuple pour les spectacles, & que les princes & les particuliers faisoient des frais immenses pour la contenter. Je ne parlerai cependant ici que du payement des acteurs. Æsopus, célebre comédien tragique & le contemporain de Cicéron, laissa en mourant à ce fils, dont Horace & Pline font mention comme d’un fameux dissipateur, une succession de cinq millions qu’il avoit amassés à jouer la comédie. Le comédien Roscius, l’ami de Cicéron, avoit par an plus de cent mille francs de gages. Il faut même qu’on eût augmenté les appointemens depuis l’état que Pline en avoit vu dressé, puisque Macrobé dit que ce comédien touchoit des deniers publics près de neuf cens francs par jour, & que cette somme étoit pour lui seul : il n’en partageoit rien avec sa troupe.

Voilà comment la république romaine payoit les gens de théatre. L’histoire dit que Jules César donna vingt mille écus à Laberius, pour engager ce poëte à jouer lui-même dans une piece qu’il avoit composée. Nous trouverions bien d’autres profusions sous les autres empereurs. Enfin Marc-Aurele, qui souvent est désigné par la dénomination d’Antonin le philosophe, ordonna que les acteurs qui jouroient dans les spectacles que certains magistrats étoient tenus de donner au peuple, ne pourroient point exiger plus de cinq pieces d’or par représentation, & que celui qui en faisoit les frais ne pourroit pas leur donner plus du double. Ces pieces d’or étoient à-peu-près de la valeur de nos louis, de trente au marc, & qui ont cours pour vingt-quatre francs. Tite-Live finit sa dissertation sur l’origine & le progrès des représentations théatrales à Rome, par dire qu’un divertissement, dont les commencemens avoient été peu de chose, étoit dégénéré en des spectacles si somptueux, que les royaumes les plus riches auroient eu peine à en soutenir la dépense.

Quant aux beaux arts qui préparent les lieux de

la scene des spectacles, c’étoit une chose magnifique chez les Romains. L’architecture, après avoir formé ces lieux, les embellissoit par le secours de la peinture & de la sculpture. Comme les dieux habitent dans l’olympe, les rois dans des palais, le citoyen dans sa maison, & que le berger est assis à l’ombre des bois, c’est aux arts qu’il appartient de représenter toutes ces choses avec goût dans les endroits destinés aux spectacles. Ovide ne pouvoit rendre le palais du soleil trop brillant, ni Milton le jardin d’Eden trop délicieux : mais si cette magnificence est au-dessus des forces des rois, il faut avouer d’un autre côté que nos décorations sont fort mesquines, & que nos lieux de spectacles, dont les entrées ressemblent à celles des prisons, offrent une perspective des plus ignobles. (Le Chevalier de Jaucourt.)

SPECTATEUR, est une personne qui assiste à un spectacle. Voyez Spectacle.

Chez les Romains, spectateurs, spectatores, signifioient plus particulierement une sorte de gladiateurs qui avoient obtenu leur congé, & qui étoient souvent gagés pour assister comme spectateurs aux combats de gladiateurs, &c. dont on régaloit le peuple. Voyez Gladiateur.

SPECTRE, s. m. (Métaphysique.) on appelle spectres certaines substances spirituelles, qui se font voir ou entendre aux hommes. Quelques-uns ont cru que c’étoient des ames des défunts qui reviennent & se montrent sur la terre. C’étoit le sentiment des Platoniciens, comme on le peut voir dans le Phédon de Platon, dans Porphyre, &c. En général l’opinion touchant l’existence des spectres étoit assez commune dans le paganisme. On avoit même établi des fêtes & des solemnités pour les ames des morts, afin qu’elles ne s’avisassent pas d’effrayer les hommes par leurs apparitions. Les cabalistes & les rabbins parmi les Juifs n’étoient pas moins pour les spectres. Il faut dire la même chose des Turcs, & même de presque toutes les sectes de la religion chrétienne. Les preuves que les partisans de cette opinion en donnent, sont des exemples ou profanes ou tirés de l’Ecriture-sainte. Baronius raconte un fait, dont il croit que personne ne peut douter : c’est la fameuse apparition de Marsilius Ficinus à son ami Michael Mercato. Ces deux amis étoient convenus que celui qui mourroit le premier ; reviendroit pour instruire l’autre de la vérité des choses de l’autre vie. Quelque tems après, Mercato étant occupé à méditer sur quelque chose, entendit tout-d’un-coup une voix qui l’appelloit : c’étoii son ami Ficinus qu’il vit monté sur un cheval blanc, mais qui disparut dans le moment que l’autre l’appella par son nom.

La seconde opinion sur l’essence des spectres est celle de ceux qui croient que ce ne sont point les ames qui reviennent, mais une troisieme partie dont l’homme est composé. C’est-là l’opinion de Théophraste, Paracelse, & tous ceux qui croient que l’homme est composé de trois parties ; savoir de l’ame, du corps & de l’esprit. Selon lui, chacune de ses parties s’en retourne après la mort à l’endroit d’où elle étoit sortie. L’ame qui vient de Dieu, s’en retourne à Dieu. Le corps qui est composé de deux élémens inférieurs, la terre & l’eau, s’en retourne à la terre, & la troisieme partie, qui est l’esprit, étant tirée des deux élémens supérieurs l’air & le feu, s’en retourne dans l’air, où avec le tems elle est dissoute comme le corps ; & c’est cet esprit, & non pas l’ame, qui se mêle des apparitions. Théophraste ajoute qu’il se fait voir ordinairement dans les lieux & auprès des choses qui avoient le plus frappé la personne qu’il animoit ; parce qu’il lui en étoit resté des impressions extrèmement fortes.

La troisieme opinion est celle qui attribue les apparitions aux esprits élémentaires. Paracelse & quel-