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moëlle alongée, & communique avec des rameaux des intercostales & des lombaires. Voyez Intercostal, Lombaire, &c.

SPINELLE, adj. (Gram. Joaillerie.) on dit rubis spinelle (Voyez l’article Rubis), lorsqu’il est de couleur de vinaigre ou de pelure d’oignon. Quoiqu’il ait la dureté du rubis balai, il n’en a pas le prix.

SPINEUSES, s. m. (Mythol.) dieu qui présidoit au défrichement des ronces & des épines.

SPINHUYS, s. m. (Hist. mod. Econom. politique.) ce mot est hollandois, & signifie maison ou l’on file ; on donne ce nom en Hollande à des maisons de force établies dans presque toutes les villes, dans lesquelles on renferme les femmes de mauvaise vie, qui ont attiré l’attention de la police ; on les y occupe à filer & à différens autres travaux convenables à leur sexe ; on ne leur épargne point les corrections, lorsqu’elles manquent à remplir la tâche qui leur est imposée. Ces sortes de maisons sont ordinairement sous la direction de deux échevins, qui nomment un inspecteur & une inspectrice, qui leur rendent compte.

SPINOSA, philosophie de, (Hist. de la philos.) Benoît Spinosa, juif de naissance, & puis déserteur du judaïsme, & enfin athée, étoit d’Amsterdam. Il a été un athée de système, & d’une méthode toute nouvelle, quoique le fond de sa doctrine lui fût commun avec plusieurs autres philosophes anciens & modernes, européens & orientaux. Il est le premier qui ait reduit en système l’athéïsme, & qui en ait fait un corps de doctrine lié & tissu, selon la méthode des géométres ; mais d’ailleurs son sentiment n’est pas nouveau. Il y a long-tems que l’on a cru que tout l’univers n’est qu’une substance, & que Dieu & le monde ne sont qu’un seul être. Il n’est pas sûr que Straton, philosophe péripatéticien, ait eu la même opinion, parce qu’on ne sait pas s’il enseignoit que l’univers ou la nature fût un être simple & une substance unique. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il ne reconnoissoit d’autre dieu que la nature. Comme il se moquoit des atomes & du vuide d’Epicure, on pourroit s’imaginer qu’il n’admettoit point de distinction entre les parties de l’univers ; mais cette conséquence n’est point nécessaire. On peut seulement conclure que son opinion s’approche infiniment plus du spinosisme que le système des atomes. On a même lieu de croire qu’il n’enseignoit pas, comme faisoient les atomistes, que le monde fût un ouvrage nouveau, & produit par le hazard ; mais qu’il enseignoit, comme font les spinosistes, que la nature l’a produit nécessairement & de toute éternité.

Le dogme de l’ame du monde, qui a été si commun parmi les anciens, & qui faisoit la partie principale du système des stoïciens, est, dans le fond, celui de Spinosa ; cela paroîtroit plus clairement, si des auteurs géometres l’avoient expliqué. Mais comme les écrits où il en est fait mention, tiennent plus de la méthode des rhétoriciens, que de la méthode dogmatique ; & qu’au contraire Spinosa s’est attaché à la précision, sans se servir du langage figuré, qui nous dérobe si souvent les idées justes d’un corps de doctrine : de-là vient que nous trouvons plusieurs différences capitales entre son système & celui de l’ame du monde. Ceux qui voudroient soutenir que le spinosisme est mieux lié, devroient aussi soutenir qu’il ne contient pas tant d’orthodoxie ; car les stoïciens n’ôtoient pas à Dieu la providence : ils réunissoient en lui la connoissance de toutes choses ; au lieu que Spinosa ne lui attribue que des connoissances séparées & très-bornées. Lisez ces paroles de Seneque : « Eundem quem nos, jovem intelligunt, custodem, rectoremque universi, animum ac spiritum, mundani hujus operis dominum & artificem, cui nomem omne convenit. Vis illum fatum vocare ? Non errabis : hic est ex quo suspensa sunt omnia,

causa causarum. Vis illum providentiam dicere ? Recte dicis. Est enim cujus consilio huic mundo providetur. Vis illum naturam vocare ? Non peccabis. Est enim ex quo nata sunt omnia, cujus spiritu vivimus. Vis illum vocare mundum ? Non falleris. Ipse est enim totum quod vides, totus suis partibus inditur, & se sustinens vi suâ. Quæst. natur. lib. XI. cap. xlv ». Et ailleurs il parle ainsi : « Quid est autem, cur non existimes in eo divini aliquid existere, qui Dei par est ? Totum hoc quo continemur, & unum est & Deus, & socii ejus sumus & membra. Epist. 92 ».

Lisez ainsi le discours de Caton, dans le IV. liv. de la Pharsale, & sur-tout considérez-y ces trois vers.

Est-ne Dei sedes nisi terra & pontus & aer,
Et cœlum & virtus ? Superos quid quærimus ultra ?
Jupiter est quodcumque vides, quocumque moveris.

Pour revenir à Spinosa, tout le monde convient qu’il avoit des mœurs, sobre, modéré, pacifique, désintéressé, même généreux ; son cœur n’étoit taché d’aucun de ces vices qui déshonorent. Cela est étrange ; mais au fond il ne faut pas plus s’en étonner, que de voir des gens qui vivent très-mal, quoiqu’ils aient une pleine persuasion de l’Evangile ; ce que l’attrait du plaisir ne fit point dans Spinosa ; la bonté & l’équité naturelles le firent. De son obscure retraite sortit d’abord l’ouvrage qu’il intitula, traité théologico-politique, parce qu’il y envisage la religion en elle-même, & par rapport à son exercice, eu égard au gouvernement civil. Comme la certitude de la révélation est le fondement de la foi ; les premiers efforts de Spinosa sont contre les prophetes. Il tente tout pour affoiblir l’idée que nous avons d’eux, & que nous puisons dans leurs prophéties. Il borne à la science des mœurs tout le mérite des prophetes. Il ne veut pas qu’ils aient bien connu la nature & les perfections de l’Etre souverain. Si nous l’en croyons, ils n’en savoient pas plus, & peut-être qu’ils n’en savoient pas tant que nous.

Moïse, par exemple, imaginoit un Dieu jaloux, complaisant & vindicatif, ce qui s’accorde mal avec l’idée que nous devons avoir de la divinité. A l’égard des miracles, dont le récit est si fréquent dans les Ecritures, il a trouvé qu’ils n’étoient pas véritables. Les prodiges, selon lui, sont impossibles ; ils dérangeroient l’ordre de la nature, & ce dérangement est contradictoire. Enfin pour nous affranchir tout-d’un-coup & pour nous mettre à l’aise, il détruit par un chapitre seul toute l’autorité des anciennes Ecritures. Elles ne sont pas des auteurs dont elles portent les noms, ainsi le pentateuque ne sera plus de Moïse, mais une compilation de vieux mémoires mal dirigés par Esdras. Les autres livres sacrés n’auront pas une origine plus respectable.

Spinosa avoit étonné & scandalisé l’Europe par une théologie qui n’avoit de fondement que l’autorité de sa parole. Il ne s’égara pas à demi. Son premier ouvrage n’étoit que l’essai de ses forces. Il alla bien plus loin dans un second. Cet autre écrit est sa morale, où donnant carriere à ses méditations philosophiques, il plongea son lecteur dans le sein de l’athéisme. C’est principalement à ce monstre de hardiesse, qu’il doit le grand nom qu’il s’est fait parmi les incrédules de nos jours. Il n’est pas vrai que ses sectateurs soient en grand nombre. Très-peu de personnes sont soupçonnées d’adherer à sa doctrine, & parmi ceux que l’on en soupçonne, il y en a peu qui l’aient étudié, & entre ceux-ci il y en a peu qui l’aient comprise, & qui soient capables d’en tracer le vrai plan, & de développer le fil de ses principes. Les plus sinceres avouent que Spinosa est incompréhensible, que sa philosophie sur-tout est pour eux une énigme perpétuelle, & qu’enfin s’ils se rangent de son parti, c’est qu’il nie avec intrépidité ce qu’eux-mêmes avoient un penchant secret à ne pas croire.