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sent pour des reglemens funestes pour l’avenir ».

Observations. On ne connoît en finances, comme en d’autres matieres, que deux sortes de lois ; les lois faites, & les lois à faire : il faut être exact à faire exécuter les unes, il faut être reservé pour accorder les autres. Ces principes sont incontestables, mais conviennent-ils à la régie plus qu’à la ferme ? le fermier va, dit-on, trop loin sur les lois à faire ; mais le régisseur ne se relâche-t-il pas trop sur les lois qui sont faites ? on craint que l’ennemi ne s’introduise par la breche, & l’on ne s’apperçoit pas que l’on a laissé la porte ouverte.

Réponses. Il a déja été prouvé que l’inéxactitude à faire observer les lois anciennes ne peut, dans aucun cas, être aussi funeste que l’avarice, qui chaque jour en obtient de nouvelles. Le fermier abuse également des unes & des autres : il interprete cruellement celles qui sont faites, il en propose sans cesse d’analogues à son avidité, de façon qu’il corrompt tout, le passé & le présent.

Septieme principe de M. de Montesquieu. « Comme celui qui a l’argent est toujours le maître de l’autre, le traitant se rend despotique sur le prince même ; il n’est pas législateur, mais il le force à donner des lois ».

Observations. Le prince a tout l’argent qu’il doit avoir, quand il fait un bail raisonnable & bien entendu. Il laissera sans doute aux fermiers qui se chargent d’une somme considérable, fixe, indépendante des événemens par rapport au roi, un profit proportionné aux fruits qu’ils doivent équitablement attendre & recueillir de leurs frais, de leurs avances, de leurs risques & de leurs travaux.

Le prétendu despotisme du fermier n’a point de réalité : la dénomination du traitant manque de justesse ; on s’est fait illusion sur l’espece de crédit dont il jouit effectivement, il a celui des ressources, & le gouvernement sait en profiter ; il ne sera jamais despotique quand il sera question de faire des lois, mais il reconnoîtra toujours un maître, quand il s’agira de venir au secours de la nation, avec la fortune même qu’il aura acquise légitimement :

Réponses. Peut-on parler des risques que court le fermier, & des travaux qu’il essuie ? Ne le voit-on pas au moindre danger solliciter une indemnité ? est-ce là se charger des événemens ? Pour son travail, il le remet à des commis, & son opulence est d’autant plus scandaleuse, qu’elle est le prix de l’oisiveté : ses avances, au moyen de l’intérêt qu’elles lui valent, sont plutôt une charge ruineuse, qu’une ressource réelle pour l’état.

Je ne vois pas pourquoi la dénomination de traitant manque de justesse ; elle convient à des gens qui traitent avec le roi pour ses revenus. Ce nom n’a pas par lui-même une acception odieuse ; il ne la reçoit que par l’abus que ceux qui le portent font de leurs traités.

Une compagnie qui ne prête qu’à un fort intérêt, qui ne donne d’une main que pour qu’on lui laisse la liberté de saisir de l’autre des droits plus onéreux, qui répete que les moyens qu’elle fournit, dépendent du succès de ses engagemens, & que ce succès tient à tel ou tel réglement, doit forcer le prince à lui accorder toutes les lois qu’elle desire. Elle est donc bien loin de la générosité patriotique qu’on s’efforce de lui attribuer ; elle est donc despotique : les expédiens qu’elle fournit, sont donc funestes à ceux qui les reçoivent, & n’ont d’utilité que celle que trouve un homme obéré, dans la bourse d’un usurier.

Huitieme principe de M. de Montesquieu. « Dans la république les revenus de l’état sont presque toujours en régie ; l’établissement contraire fut un grand vice du gouvernement de Rome. Dans les états despotiques où la régie est établie, les peu-

ples sont infiniment plus heureux ; témoins la Perse & la Chine. Les plus malheureux sont ceux où

le prince donne à ferme ses ports de mer & ses villes de commerce. L’histoire des monarchies est pleine de maux faits par les traitans ».

Observations. Ce seroit un examen fort long, très difficile, & peut-être assez inutile à faire dans l’espece présente, que de discuter & d’approfondir la question de savoir ce qui convient mieux, de la ferme ou de la régie relativement aux différentes sortes de gouvernement. Il est certain qu’en tout tems, en tous lieux, & chez toutes les nations, il faudra dans l’établissement des impositions, se tenir extrèmement en reserve sur les nouveautés, & qu’il faudra veiller dans la perception, à ce que tout rentre exactement dans le trésor public, ou, si l’on veut, dans celui du souverain.

Reste à savoir quel est le moyen le plus convenable, de la ferme ou de la régie, de procurer le plus sûrement & le plus doucement le plus d’argent. C’est sur quoi l’on pourroit ajouter bien des réflexions à celles qu’on vient de faire ; & c’est aussi sur quoi les sentimens peuvent être partagés sans blesser en aucune façon la gloire ou les intérêts de l’état ; mais ce qu’on ne peut faire sans les compromettre, ce seroit d’imaginer que l’on pût tirer d’une régie tous les avantages apparens qu’elle présente, sans la suivre, & la surveiller avec la plus grande attention : & certainement le même degré d’attention mis en usage pour les fermes, auroit la même utilité présente, sans compter pour certaines conjonctures, la ressource toujours prête que l’on trouve, & souvent à peu de frais, dans l’opulence & le crédit des citoyens enrichis.

Réponses. Il me semble qu’on ne pouvoit mieux s’y prendre pour débarrasser cette question des difficultés qui à force d’être généralisées, deviendroient insolubles, que de rassembler des faits & d’en tirer des conséquences. L’expérience est un guide sûr, les inductions qui en naissent ne trompent point ; il n’étoit point inutile d’y avoir recours : cette méthode étoit nécessaire pour jetter un jour satisfaisant sur une matiere obscure. Pour détruire l’opinion de M. de M… il falloit lui opposer des résultats historiques, contraires à ceux qu’il présente, nous montrer les revenus publics affermés dans quelque état que ce fût, & ce même état redoutable au-dehors, florissant au-dedans, & ne cherchant d’autre gloire que la félicité du peuple : il falloit, en combattant un grand homme, user du scepticisme décent, qui doit être le partage de ceux qui ne pensent pas comme lui : il falloit, dans un examen qui tient au bien de sa patrie, procéder avec l’impartialité d’un citoyen : il falloit que la prévention se tût : il falloit enfin sentir que peu de mots tracés sur un objet, par un génie vigoureux, étoient le fruit d’une méditation profonde ; qu’ils ne pouvoient être attaqués qu’avec un esprit patriotique, & non pas avec un esprit de finance ; qu’un critique devoit user d’une extrême circonspection sur la nature des preuves, & d’une bonne foi décidée dans le choix des raisonnemens.

Les défauts que l’on remarque dans la composition de cet article, reparoissent au mot financier, où l’on poursuit encore le respectable auteur de l’Esprit des lois.

« Financier, homme qui manie les finances, c’est-à-dire les deniers du roi, qui est dans les fermes de sa majesté, quæstorius ærarii collector ».

Principe de M. de Montesquieu. « Il y a un lot pour chaque profession ; le lot de ceux qui levent les tributs est la richesse ; & les recompenses de ces richesses, sont les richesses mêmes. La gloire & l’honneur sont pour cette noblesse qui ne connoît, qui ne voit, qui ne sent de vrai bien, que l’honneur