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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 15.djvu/578

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& la gloire. Le respect & la considération sont pour ces ministres & ces magistrats qui, ne trouvant que le travail après le travail, veillent nuit & jour pour le bonheur de l’empire ».

Observations de M. P***. Mais comment un philosophe, un législateur, un sage, a-t-il pu supposer dans le royaume une profession qui ne gagnât, qui ne méritât que de l’argent, & qui fût exclue par état de toute autre sorte de récompense ? &c. &c. &c. Un financier ne sera sans doute ni recompensé, ni respecté, ni consideré comme un Turenne, un Colbert, un Seguier… Les services qu’il rend, les sacrifices qu’il fait, les vertus qu’il montre, ne sont ni de la même nature, ni du même prix ; mais peut-on, mais doit-on décemment, équitablement, raisonnablement en conclure qu’ils n’ont aucune sorte de valeur & de réalité ? & lorsqu’un homme de finance, tel qu’on vient de le peindre, & que l’on conçoit qu’il doit être, vient justifier l’idée que l’on en donne, sa capacité ne rend elle pas à l’état des services essentiels ? son désintéressement ne fait-il pas des sacrifices ? & sa vertu ne donne-t-elle pas des exemples à suivre, à ceux-même qui veulent le dégrader ?

Il est certain (& l’on doit en convenir en ami de la vérité), il est certain que l’on a vu dans cette profession des gens dont l’esprit, dont les mœurs, dont la conduite ont mérité qu’on répandît sur eux à pleine mains, le sel du sarcasme & de la plaisanterie ; & ce qui devoit les toucher encore plus, l’amertume des reproches les mieux fondés. Mais ce corps est-il le seul qui présente des membres à retrancher ? & refusera-t-on à la noblesse, au ministere, à la magistrature, les éloges, les récompenses, & les distinctions qu’ils méritent, parce qu’on a vu quelquefois en défaut dans le militaire le courage ; dans le ministere les grandes vues ; dans la magistrature le savoir & l’intégrité ? On reclameroit avec raison contre cette injustice. La finance n’a-t-elle pas autant à se plaindre de l’Esprit des lois ? & ne doit-elle pas le faire avec d’autant plus de force, que l’auteur ayant plus de mérite & de célébrité, est aussi plus dangereux pour les opinions qu’il veut accréditer. Le moindre reproche que l’on puisse faire en cette occasion à cet écrivain, dont la mémoire sera toujours chere à la nation, c’est d’avoir donné pour assertion générale, une observation personnelle & particuliere à quelques financiers, & qui n’empêche pas que le plus grand nombre ne desire, ne recherche, ne mérite, & n’obtienne la sorte de récompense & de gloire, de respect & de considération qui lui est propre.

Réponse. Quel autre lot une ame libre & vraie pouvoit-elle assigner à une profession qui ne travaille que pour amasser de l’argent, qui n’a d’autre émulation que celle de grossir sa fortune, & qui tourne toute son industrie du côté des richesses ? Si les services qu’elle rend sont la levée des tributs ; s’il est démontré qu’elle ne fait de sacrifices que ceux dont elle obtient un retour usuraire ; si les vertus qu’elle montre consistent à exécuter fidellement ses traités, qui peut sans aveuglement lui décerner d’autre récompense que la richesse ? Cette récompense est proportionnée à la nature de ses soins, elle n’a aucun titre pour en exiger d’autres ; lui en assigner de différentes, ce seroit confondre les principes, malheureusement ils ne sont que trop confondus dans le fait : car les cœurs nobles sont rares, & les vils flatteurs sont communs ; ils sont venus à bout de faire évanouir les distinctions. La capacité du financier ne s’exerce que pour sa propre utilité : son desintéressement est un être de raison : & sa vertu, si elle donne des exemples à suivre, est celle du particulier, & non pas celle de son état.

M. de Montesquieu étoit trop integre & trop instruit, pour avoir rejetté les exceptions ; il les admet-

toit telles qu’elles sont, c’est-à-dire dans le sens contraire

à celui que son contradicteur indique : son principe, loin d’en être affoibli, en recevoit une nouvelle force : il y comprenoit, dans l’exception, non des gens dépravés, ineptes & méprisables, mais des hommes éclairés, justes, & bienfaisans ; ce qui est conforme à l’opinion générale, & à celle que les éditeurs de l’Encyclopédie ont établie dans la note qu’ils ont mise à la fin de cet article. La différence des autres corps à celui des financiers est sensible : dans les premiers, quelques membres isolés manquent à leur devoir & sont flétris ; dans l’autre c’est le petit nombre seul qui mérite l’estime ; & cela, parce que là l’esprit général est celui de l’honneur, & qu’ici l’esprit général est celui de la vexation. Il y a plus ; dans l’espece présente, la nature même de la chose résiste à une meilleure constitution. M. P *** en peignant le financier tel qu’il devoit être selon ses principes, s’est attaché à une chimere, qu’aucun effort de la part du ministere ne pourroit réaliser : la grande fortune est le fléau de la vertu, & ne la souffre point avec elle ? « Comment seriez-vous homme de bien, vous qui n’ayant pas eu de bien de votre pere, possédez de si grands trésors » ? Cette question d’un romain à Sylla, ne peut dans l’application souffrir de replique. Quel est l’homme qui ait la tête assez froide & le cœur assez pur, pour conjurer la séduction des richesses ? Elles énervent le courage, avilissent l’ame, concentrent dans l’individu l’affection qu’il auroit étendue sur ses semblables. Le cœur endurci, les mœurs sont bien-tôt corrompues ; le vice infecte également l’extrème misere, comme l’extrème opulence : le pauvre a par-tout sur le riche l’inestimable avantage de ne pouvoir faire le mal avec la même facilité.

Considérations sur la finance. Qu’il soit permis de terminer l’examen que nous venons de faire, par quelques réflexions qui y sont analogues. Elles seront peu nombreuses, parce qu’il est difficile de présenter des idées neuves sur une matiere agitée depuis quelque tems par tant d’écrivains, & qu’il est rebutant de ne prendre la plume, que pour transcrire des volumes qui ont jusqu’ici causé plus d’ennui que de réforme.

I. Ce n’est point une médiocre preuve & une petite utilité de cet esprit philosophique qui doit son progrès à la persécution, que la quantité d’ouvrages sur l’Agriculture, le Commerce, & la Finance ; mémoires, journaux, feuilles hebdomadaires, gazettes, livres de toute espece ; on feroit aujourd’hui un recueil immense de tout ce qui s’imprime sur l’administration politique. Plusieurs moralistes se sont élevés contre le françois que l’amour de la nouveauté & la manie de l’imitation jettent tout d’un côté, & qui n’a pas un goût qui ne se tourne en passion. Mais ils ne comprennent pas que pour qu’il y ait assez dans de certains genres, il faut qu’il y ait trop ; qu’il n’y a presque pas de mauvais écrit qui ne renferme quelque vue saine, quelque répétition qui ne grave un objet important dans la mémoire, & quelque paradoxe qui ne force à réfléchir. Les faiseurs de systèmes ont engagé les vrais observateurs à tenter des expériences : enfin, il est heureux qu’on discoure sur les choses utiles, parce qu’à force d’en dire, on s’excite à en faire.

II. N’y a-t-il pas dans l’abbé de Saint-Pierre & dans M. de M… ces deux grands rêveurs, des idées excellentes ? J’ai déjà dit ce que je pensois du dernier : mais, ce que je n’ai point remarqué, c’est que son intention bien reconnue étant d’encourager l’Agriculture, il n’en charge pas moins son produit de tout le fardeau des impositions : sa taxe porte sur les besoins réels qu’il veut favoriser, & l’exemption sur