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ditionnel passé, comme j’aurois fait. Le P. Buffier les rapporte aussi à l’indicatif, & il les appelle tems incertains ; mais il est évident que c’est confondre un mode qui n’exprime l’existence que d’une maniere conditionnelle, avec un autre qui l’exprime d’une maniere absolue, ainsi que le premier de ces grammairiens le reconnoît lui-même par la dénomination de conditionnel : ces deux modes, à la vérité, conviennent en ce qu’ils sont directs, mais ils different en ce que l’un est pur, & l’autre mixte ; ce qui doit empêcher qu’on ne les confonde : c’est de même parce que l’indicatif & l’impératif sont également directs, que les grammairiens hébreux ont regardé l’impératif comme un simple tems de l’indicatif ; mais c’est parce que l’indicatif est pur, & l’impératif mixte, que les autres grammairiens distinguent ces deux modes. La raison qu’ils ont eu à cet égard, est la même dans le cas présent ; ils doivent donc en tirer la même conséquence : quelque frappante qu’elle soit, je ne sache pourtant aucun grammairien étranger qui l’ait appliquée aux conjugaisons des verbes de sa langue ; & par rapport à la nôtre, il n’y a que M. l’abbé Girard qui l’ait sentie & réduite en pratique, sans même avoir déterminé à suivre ses traces, aucun des grammairiens qui ont écrit depuis l’édition de ses vrais principes ; comme s’ils trouvoient plus honorable d’errer à la suite des anciens que l’on ne fait que copier, que d’adopter une vérité mise au jour par un moderne que l’on craint de reconnoître pour maître.

D’autres grammairiens ont rapporté au mode subjonctif, les tems de celui-ci : l’abbé Régnier appelle l’un premier futur, comme je ferois, & l’autre second futur composé, comme j’aurois fait. La Touche les place de même au subjonctif, qu’il appelle conjonctif ; je ferois, selon lui, en est un second imparfait, ou l’imparfait conditionnel ; j’aurois fait, en est le second plusque parfait, ou le plusque parfait conditionnel. C’est la méthode de la plûpart de nos rudimentaires latins, qui traduisent ce qu’ils appellent l’imparfait & le plusque parfait du subjonctif : facerem, que je fisse, ou je ferois ; fecissem, que j’eusse fait, ou j’aurois fait. C’est une erreur évidente, que j’ai démontrée au mot Subjonctif, n. 1. & c’est confondre un mode direct avec un oblique.

Cette méprise vient, comme tant d’autres, d’une application gauche de la grammaire latine à la langue françoise ; dans les cas où nous disons je ferois, j’aurois fait, les latinistes ont vu que communément ils doivent dire facerem, fecissem ; de même que quand ils ont à rendre nos expressions je fisse, j’eusse fait ; & comme ils n’ont pas osé imaginer que nos langues modernes pussent avoir d’autres modes ou d’autres tems que la latine, ils n’ont pu en conclure autre chose, sinon que nous rendons de deux manieres l’imparfait & le plusque-parfait du subjonctif latin.

Mais examinons cette conséquence. Tout le monde conviendra sans doute, que je ferois & je fisse, ne sont pas synonymes, puisque je ferois est direct & conditionnel, & que je fisse est oblique & absolu : or il n’est pas possible qu’un seul & unique mot d’une autre langue, réponde à deux significations si différentes entre elles dans la nôtre, à moins qu’on ne suppose cette langue absolument barbare & informe. Je sais bien qu’on objectera que les latins se servent des mêmes tems du subjonctif, & pour les phrases que nous regardons comme obliques ou subjonctives, & pour celles que nous regardons comme directes & conditionnelles ; & je conviens moi-même de la vérité du fait ; mais cela ne se fait qu’au moyen d’une ellipse, dont le supplément ramene toujours les tems dont il s’agit, à la signification du subjonctif : illud si scissem, ad id litteras meas accommodassem ; Cic. c’est-à-dire analytiquement, si res fuerat ita ut scissem illud, res ita ut accommodassem ad id meas litteras ;

si la chose avoit été de maniere que je l’eusse su, la chose étoit de maniere que j’y eusse adapté ma lettre. On voit même dans la traduction littérale, que je n’ai employé aucun des tems dont il s’agit ici, parce que le tour analytique m’en a épargné le besoin : les latins ont conservé l’empreinte de cette construction, en gardant le subjontif scissem, accommodassem ; mais ils ont abregé par une ellipse, dont le supplément est suffisamment indiqué par ces subjonctifs mêmes, & par le si. Notre usage nous donne ici la même licence, & nous pouvons dire, si je l’eusse su, j’y eusse adapté ma lettre ; mais c’est, comme en latin, une véritable ellipse, puisque j’eusse su, j’eusse adapté sont en effet du mode subjonctif, qui suppose une conjonction, & une proposition principale, dont le verbe doit être à un mode direct ; & ceci prouve que M. Restaut se trompe encore, & n’a pas assez approfondi la différence des mots, quand il rend son prétendu conditionnel passé de l’indicatif par j’aurois, ou j’eusse fait ; c’est confondre le direct & l’oblique.

C’est encore la même chose en latin, mais non pas en françois, lorsqu’il s’agit du tems simple, appellé communément imparfait. Quand Ovide dit, si possem, sanior essem ; c’est au-lieu de dire analytiquement, si res erat ita ut possem, res est ita ut essem sanior ; si la chose étoit de maniere que je pusse, la chose est de maniere que je fusse plus sage. Dans cette traduction littérale, je ne fais encore usage d’aucun tems conditionnel ; j’en suis dispensé par le tour analytique que les latins n’ont fait qu’abréger comme dans le premier exemple ; mais ce que notre usage a autorisé à l’égard de ce premier exemple, il ne l’autorise pas ici, & nous ne pouvons pas dire elliptiquement, si je pusse, je fusse plus sage : c’est l’interdiction de cette ellipse qui nous a mis dans le cas d’adopter ou l’ennuyeuse circonlocution du tour analytique, ou la formation d’un mode exprès ; le goût de la briéveté a décidé notre choix, & nous disons par le mode suppositif, je serois plus sage, si je pouvois ; la nécessité ayant établi ce tems du mode suppositif, l’analogie lui a accordé tous les autres dont il est susceptible ; & quoique nous puissions rendre la premiere phrase latine par le subjonctif, au moyen de l’ellipse, nous pouvons le rendre encore par le suppositif, sans aucune ellipse ; si je l’avois su, j’y aurois adapté ma lettre.

Il arrive souvent aux habitans de nos provinces voisines de l’Espagne, de joindre au si un tems du suppositif : c’est une imitation déplacée de la phrase espagnole qui autorise cet usage ; mais la phrase françoise le rejette, & nous disons, si j’étois, si j’avois été, & non pas, si je serois, si j’aurois été, quoique les Espagnols disent si estuviéra, si uviéra estado.

J’ai mieux aimé donner à ce mode le nom de suppositif, avec M. l’abbé Girard, que celui de conditionnel ; mais la raison de mon choix est fort différente de la sienne ; c’est que la terminaison est semblable à celle des noms des autres modes, & qu’elle annonce la destination de la chose nommée, laquelle est spécifiée par le commencement du mot suppositif, qui sert à la supposition, à l’hypothese ; comme impératif, qui sert au commandement ; subjonctif, qui sert à la subordination des propositions dépendantes ; &c. Tous les adjectifs françois terminés en if & ive, comme les latins en ivus, iva, ivum, ont le même sens, qui est fondé sur l’origine de cette terminaison.

Pour ce qui regarde le détail des tems du suppositif, Voyez Tems. (B. E. R. M.)

Supposition, s. f. (Gram. & Jurisprud.) est lorsque l’on met une chose au-lieu d’une autre, comme une supposition d’un nom pour un autre, ou d’un testament, ou autre acte, ou signature, qui n’est pas véritable.