L’Encyclopédie/1re édition/TEMS

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TEMS, s. m. (Métaphysique.) succession de phénomenes dans l’univers, ou mode de durée marqué par certaines périodes & mesures, & principalement par le mouvement & par la révolution apparente du soleil. Voyez Mode & Durée.

Voici les différentes opinions des philosophes sur le tems.

M. Locke observe que l’idée du tems en général s’acquiert en considérant quelque partie d’une durée infinie, divisée par des mesures périodiques ; & l’idée de quelque tems particulier ou de longueur de durée, comme est un jour, un heure, &c. s’acquiert d’abord en remarquant certains corps qui se meuvent suivant des périodes régulieres, &, à ce qu’il semble, également distantes les unes des autres.

Comme nous pouvons nous représenter ou répéter tant que nous voulons ces longueurs ou mesures de tems, nous pouvons aussi nous imaginer une durée, dans laquelle rien ne se passe ou n’existe réellement, &c. c’est ainsi que nous nous formons l’idée de ce qu’on appelle lendemain, année prochaine, &c.

Quelques-uns des philosophes modernes définissent le tems ; la durée d’une chose dont l’existence n’est point sans commencement, ni sans fin ; ce qui distingue le tems de l’éternité. Voyez Éternité.

Aristote & les Péripatéticiens définissent le tems, numerus motûs secundum priùs & posteriùs ; ou une multitude de parties de mouvement qui passent & se succedent les unes des autres dans un flux continuel, & qui ont rapport ensemble entant que les unes sont antérieures & les autres postérieures.

Il s’en suivroit de-là que le tems n’est autre chose que le mouvement lui-même, ou du-moins la durée du mouvement, considéré comme ayant plusieurs parties, dont les unes succedent continuellement aux autres ; mais, suivant ce principe, le tems ou la durée temporelle n’auroient pas lieu par rapport aux corps qui ne sont point en mouvement ; cependant personne ne peut nier que ces corps n’existent dans le tems, ou qu’ils n’ayent une durée successive.

Pour éviter cet inconvénient, les Epicuriens & les Corpusculaires définissent le tems, une sorte de flux ou de succession différent du mouvement, & consistant dans une infinité de parties qui se succedent continuellement & immédiatement les unes aux autres ; mais d’autres philosophes rejettent cette notion, comme établissant un être éternel indépendant de Dieu : en effet, comment concevoir un tems avant l’existence de choses qui soient susceptibles de flux ou de succession ? & d’ailleurs il faudroit dire ce que c’est que ce flux, si c’est une substance ou un accident.

Plusieurs philosophes distinguent le tems comme on distingue le lieu, en tems absolu & en tems relatif. Voyez Lieu.

Le tems absolu est le tems considéré en lui-même, sans aucun rapport aux corps, ni à leurs mouvemens ; ce tems s’écoule également, c’est-à-dire qu’il ne va jamais ni plus vîte, ni plus lentement, mais que tous les degrés de son écoulement, si on peut parler ainsi, sont égaux ou invariables.

Le tems relatif ou apparent est la mesure de quelque durée, rendue sensible par le moyen du mouvement. Comme le flux égal & uniforme du tems n’affecte point nos sens, & que dans ce flux il n’y a rien qui puisse nous faire connoître immédiatement le tems même, il faut de nécessité avoir recours à quelque mouvement, par lequel nous puissions déterminer la quantité du tems, en comparant les parties du tems à celles de l’espace que le mobile parcourt. C’est pourquoi, comme nous jugeons, que les tems sont égaux, quand ils s’écoulent pendant qu’un corps qui est en mouvement uniforme parcourt des espaces égaux, de même nous jugeons que les tems sont égaux quand ils s’écoulent pendant que le soleil, la lune & les autres luminaires célestes achevent leurs révolutions ordinaires, qui, à nos sens, paroissent uniformes. Voyez Mouvement & Uniforme.

Mais comme l’écoulement du tems ne peut être accéleré ni retardé, au-lieu que tous les corps se meuvent tantôt plus vîte, & tantôt plus doucement, & que peut-être il n’y a point de mouvement parfaitement uniforme dans la nature, quelques auteurs croient qu’on ne peut conclure que le tems absolu est quelque chose de réellement & effectivement distingué du mouvement : car en supposant pour un moment, que les cieux & les astres eussent été sans mouvement depuis la création, s’en suit-il de-là que le cours du tems auroit été arrêté ou interrompu ? & la durée de cet état de repos n’auroit-elle point été égale au tems qui s’est écoulé depuis la création ?

Comme le tems absolu est une quantité qui coule d’une maniere uniforme & qui est très-simple de sa nature, les Mathématiciens le représentent à l’imagination par les plus simples grandeurs sensibles, & en particulier par des lignes droites & par des cercles, avec lesquels le tems absolu paroît avoir beaucoup d’analogie pour ce qui regarde la succession, la similitude des parties, &c.

A la vérité, il n’est pas absolument nécessaire de mesurer le tems par le mouvement ; car le retour constant & périodique d’une chose qui arrive ou se manifeste par intervalles également éloignés les uns des autres, comme par exemple, l’épanouissement d’une plante, &c. peuvent faire la même chose. En effet, M. Locke fait mention d’un peuple de l’Amérique, lequel a coutume de compter les années par l’arrivée & par le départ des oiseaux. Chambers.

Voici ce que pense sur la notion du tems M. Formey dans l’article qu’il nous a communiqué sur ce sujet. Il en est, dit-il, à-peu-près de la notion du tems comme de celle de l’espace. On est partagé sur la réalité. Cependant il y a beaucoup moins de partisans du tems réel, que de l’espace réel, & l’on convient assez généralement que la durée n’est que l’ordre des choses successives entant qu’elles se succedent, en faisant abstraction de toute autre qualité interne que de la simple succession. Ce qui fait naître la succession confuse & imaginaire du tems, comme de quelque chose qui existe indépendamment des êtres successifs, c’est la possibilité idéale.

On se figure le tems comme un être composé de parties continues & successives, qui coule uniformément, qui subsiste indépendamment des choses qui existent dans le tems qui a été dans un flux continuel de toute éternité & qui continuera de même. Mais cette notion du tems conduit aux mêmes difficultés que celle de l’espace absolu, c’est-à-dire que, selon cette notion, le tems seroit un être nécessaire, immuable, éternel, subsistant par lui-même, & que par conséquent tous les attributs de Dieu lui conviendroient. C’est ce que nous avons déja observé.

Par la possibilité idéale du tems, nous pouvons effectivement concevoir une succession antérieure à la succession réelle, pendant laquelle il se seroit écoulé un tems assignable. C’est de cette idée qu’on se forme du tems qu’est venue la fameuse question que M. Clarke faisoit à M. Leibnitz, pourquoi Dieu n’avoit pas créé le monde six mille ans plutôt ou plus tard ? M. Leibnitz n’eut pas de peine à renverser cette objection du docteur anglois, & son opinion sur la nature du tems par le principe de la raison suffisante ; il n’eut besoin pour y parvenir que de l’objection même de M. Clarke sur la création. Car si le tems est un être absolu qui consiste dans un flux uniforme, la question pourquoi Dieu n’a pas créé le monde six mille ans plutôt ou plus tard devient réelle, & force à reconnoître qu’il est arrivé quelque chose sans raison suffisante. En effet, la même succession des êtres de l’univers étant conservée, Dieu pouvoit faire commencer le monde plutôt ou plus tard, sans causer le moindre dérangement. Or, puisque tous les instans sont égaux, quand on ne fait attention qu’à la simple succession, il n’y a rien en eux qui eût pû faire préférer l’un à l’autre, dès qu’aucune diversité ne seroit parvenue dans le monde par ce choix ; ainsi un instant auroit été choisi par Dieu préférablement à un autre, pour donner l’existence à ce monde sans raison suffisante ; ce qu’on ne peut point admettre.

Le tems n’est donc qu’un être abstrait qui n’est rien hors des choses, & qui n’est point par conséquent susceptible des propriétés que l’imagination lui attribue : voici comment nous arrivons à sa notion. Lorsque nous faisons attention à la succession continue de plusieurs êtres, & que nous nous représentons l’existence du premier A distincte de celle du second B, & celle du second B distincte de celle du troisieme C, & ainsi de suite, & que nous remarquons que deux n’existent jamais ensemble ; mais que A ayant cessé d’exister, B lui succede aussi-tôt, que B ayant cessé, C lui succede, &c. nous nous formons la notion de cet être que nous appellons tems ; & entant que nous rapportons l’existence d’un être permanent à ces êtres successifs, nous disons qu’il a duré un certain tems.

On dit donc qu’un être dure, lorsqu’il co-existe à plusieurs autres êtres successifs dans une suite continue. Ainsi la durée d’un être devient explicable & commensurable par l’existence successive de plusieurs autres êtres ; car on prend l’existence d’un seul de ces êtres successifs pour un, celle de deux pour deux, & ainsi des autres ; & comme l’être qui dure leur coexiste à tous, son existence devient commensurable par l’existence de tous ces êtres successifs. On dit, par exemple, qu’un corps emploie du tems à parcourir un espace, parce qu’on distingue l’existence de ce corps dans un seul point, de son existence dans tout autre point ; & on remarque que ce corps ne sauroit exister dans le second point, sans avoir cessé d’exister dans le premier, & que l’existence dans le second point suit immédiatement l’existence dans le premier. Et en tant qu’on assemble ces diverses existences & qu’on les considere comme faisant un, on dit que ce corps emploie du tems pour parcourir une ligne. Ainsi le tems n’est rien de réel dans les choses qui durent ; mais c’est un simple mode ou rapport extérieur, qui dépend uniquement de l’esprit, en tant qu’il compare la durée des êtres avec le mouvement du soleil, & des autres corps extérieurs, ou avec la succession de nos idées. Car lorsqu’on fait attention à l’enchaînement des idées de notre ame, on se représente en même tems le nombre de toutes ces idées qui se succedent ; & de ces deux idées, savoir de l’ordre de leur succession & de leur nombre, on se forme une troisieme idée, qui nous représente le tems comme une grandeur qui s’augmente continuellement.

L’esprit ne considere donc dans la notion abstraite du tems, que les êtres en général ; & abstraction faite de toutes les déterminations que ces êtres peuvent avoir, on ajoute seulement à cette idée générale, qu’on en a retenu celle de leur non-co-existence, c’est-à-dire, que le premier & le second ne peuvent point exister ensemble, mais que le second suit le premier immédiatement, & sans qu’on en puisse faire exister un autre entre deux, faisant encore ici abstraction des raisons internes, & des causes qui les font succéder l’un à l’autre. De cette maniere l’on se forme un être idéal, que l’on fait consister dans un flux uniforme, & qui doit être semblable dans toutes ses parties.

Cet être abstrait doit nous paroître indépendant des choses existantes, & subsistant par lui-même. Car puisque nous pouvons distinguer la maniere successive d’exister des êtres, de leurs déterminations internes, & des causes qui font naître cette succession, nous devons regarder le tems à part comme un être constitué hors des choses, capable de subsister sans elles. Et comme nous pouvons aussi rendre à ces déterminations générales les déterminations particulieres, qui en font des êtres d’une certaine espece, il nous doit sembler que nous faisons exister quelque chose dans cet être successif qui n’existoit point auparavant, & que nous pouvons de nouveau l’ôter sans détruire cet être. Le tems doit aussi nécessairement être considéré comme continu ; car si deux êtres successifs A & B ne sont pas censés continus dans leur succession, on en pourra placer un ou plusieurs entre deux, qui existeront après que A aura existé, & avant que B existe. Or par-là même on admet un tems entre l’existence successive d’A & de B. Ainsi on doit considérer le tems comme continu. Toutes ces notions peuvent avoir leur usage, quand il ne s’agit que de la grandeur de la durée & de composer les durées de plusieurs êtres ensemble. Comme dans la Géométrie on n’est occupé que de ces sortes de considérations, on peut fort bien mettre alors la notion imaginaire à la place de la notion réelle. Mais il faut bien se garder dans la Métaphysique & dans la Physique de faire la même substitution ; car alors on tomberoit dans les difficultés de faire de la durée un être éternel, & de lui donner tous les attributs de Dieu.

Le tems n’est donc autre chose que l’ordre des êtres successifs, & on s’en forme une idée en tant qu’on ne considere que l’ordre de leur succession. Ainsi il n’y a point de tems sans des êtres véritables & successifs, rangés dans une suite continue ; & il y a du tems, aussi-tôt qu’il existe de tels êtres. Mais cette ressemblance dans la maniere de se succéder des êtres, & cet ordre qui naît de leur succession, ne sont pas ces choses elles-mêmes.

Il en est du tems comme du nombre, qui n’est pas les choses nombrées, & du lieu, qui n’est pas les choses placées dans ce lieu : le nombre n’est qu’un aggrégé des mêmes unités, & chaque chose devient une unité, quand on considere le tout simplement comme un être ; ainsi le nombre n’est qu’une relation d’un être considéré à l’égard de tous ; & quoiqu’il soit différent des choses nombrées, cependant il n’existe actuellement qu’en tant qu’il existe des choses qu’on peut réduire comme des unités sous la même classe. Ces choses posées, on pose un nombre, & quand on les ôte, il n’y en a plus. De même le tems, qui n’est que l’ordre des successions continues, ne sauroit exister, à-moins qu’il n’existe des choses dans une suite continue ; ainsi il y a du tems lorsque ces choses sont, & on l’ôte, quand on ôte ces choses ; & cependant il est, comme le nombre, différent de ces choses qui se suivent dans une suite continue. Cette comparaison du tems & du nombre peut servir à se former la véritable notion du tems, & à comprendre que le tems, de même que l’espace, n’est rien d’absolu hors des choses.

Quant à Dieu, on ne peut pas dire qu’il est dans le tems, car il n’y a point de succession en lui, puisqu’il ne peut lui arriver de changement. Dieu est toujours le même, & ne varie point dans sa nature. Comme il est hors du monde, c’est-à-dire, qu’il n’est point lié avec les êtres dont l’union constitue le monde, il ne co-existe point aux êtres successifs comme les créatures. Ainsi sa durée ne peut se mesurer par celle des êtres successifs ; car quoique Dieu continue d’exister pendant le tems, comme le tems n’est que l’ordre de la succession des êtres, & que cette succession est immuable par rapport à Dieu, auquel toutes les choses avec tous leurs changemens sont présentes à la fois, Dieu n’existe point dans le tems. Dieu est à la fois tout ce qu’il peut être, au lieu que les créatures ne peuvent subir que successivement les états dont elles sont susceptibles.

Le tems actuel n’étant qu’un ordre successif dans une suite continue, on ne peut admettre de portion du tems, qu’en tant qu’il y a eu des choses réelles qui ont existé & cessé d’exister ; car l’existence successive fait le tems, & un être qui co-existe au moindre changement actuel dans la nature, a duré le petit tems actuel ; & les moindres changemens, par exemple, les mouvemens des plus petits animaux, désignent les plus petites parties actuelles du tems dont nous puissions nous appercevoir.

On représente ordinairement le tems par le mouvement uniforme d’un point qui décrit une ligne droite, & on le mesure aussi par le mouvement uniforme d’un objet. Le point est l’état successif, présent successivement à différens points, & engendrant par sa fluxion une succession continue, à laquelle nous attachons l’idée du tems. Le mouvement uniforme d’un objet mesure le tems ; car lorsque ce mouvement a lieu, le mobile parcourt, par exemple, un pié dans le même tems, dans lequel il en a parcouru un premier pié : donc la durée des choses qui co-existent au mobile pendant qu’il parcourt un pié, étant prise pour un, la durée de celles qui coexisteront à son mouvement pendant qu’il parcourra deux piés sera deux, & ainsi de suite ; ensorte que par-là le tems devient commensurable, puisqu’on peut assigner la raison d’une durée à une autre durée qu’on avoit prise pour l’unité ; ainsi dans les horloges l’aiguille se meut uniformément dans un cercle, & la douzieme partie de la circonférence de ce cercle fait unité, & l’on mesure le tems avec cette unité, en disant deux heures, trois heures, &c. De même on prend une année pour un, parce que les révolutions du soleil dans l’écliptique sont égales, au-moins sensiblement, & on s’en sert pour mesurer d’autres durées par rapport à cette unité. On connoît les efforts que les Astronomes ont faits pour trouver un mouvement uniforme qui les mît à portée d’en mesurer exactement le tems, & c’est ce que M. Huyghens a trouvé par le moyen des pendules. Voyez Pendule, &c.

Comme ce sont nos idées qui nous représentent les êtres successifs, la notion du tems naît de la succession de nos idées, & non du mouvement des corps extérieurs ; car nous aurions une notion du tems, quand même il n’existeroit autre chose que notre ame, & en tant que les choses qui existent hors de nous sont conformes aux idées de notre ame qui les représentent, elles existent dans le tems.

Le mouvement est si loin de nous donner par lui-même l’idée de la durée, comme quelques philosophes l’ont prétendu, que nous n’acquérons même l’idée du mouvement, que par la réflexion que nous faisons sur les idées successives, que le corps qui se meut excite dans notre esprit par sa co-existence successive aux différens êtres qui l’environnent. Voilà pourquoi nous n’avons point l’idée du mouvement, en regardant la lune ou l’aiguille d’une montre, quoique l’une & l’autre soit en mouvement ; car ce mouvement est si lent, que le mobile paroît dans ce même point pendant que nous avons une longue succession d’idées. Le tems bien loin d’être la même chose que le mouvement, n’en dépend donc à aucun égard. Tant qu’il y aura des êtres dont l’existence se succédera, il y aura nécessairement un tems, soit que les êtres se meuvent ou qu’ils soient en repos.

Il n’y a point de mesure du tems exactement juste. Chacun a sa mesure propre du tems dans la promptitude ou la lenteur avec laquelle ses idées se succedent, & c’est de ces différentes vîtesses en diverses personnes, ou dans la même en divers tems, que naissent ces façons de parler, j’ai trouvé le tems bien long ou bien court ; car le tems nous paroît long, lorsque les idées se succedent lentement dans notre esprit, & au contraire. Les mesures du tems sont arbitraires, & peuvent varier chez les différens peuples ; la seule qui soit universelle, c’est l’instant. Lisez sur la mesure du tems les écrits de Messieurs Leibnitz & Clarke, dans le recueil de diverses pieces, publié par M. des Maizaux ; le tome I. chap. vj. des institutions de physique de Madame du Châtelet ; & les paragraphes 569. 587. de l’ontologie de M. Wolf. Article de M. Formey.

Quelques auteurs distinguent le tems en astronomique & civil.

Le tems astronomique est celui qui se mesure purement & simplement par le mouvement des corps célestes.

Le tems civil n’est autre chose que le tems astronomique, accommodé aux usages de la société civile, & divisé en années, mois, jours, &c. Voyez Jour, Semaine, Mois, Année, &c. Voyez aussi Almanach, Calendrier, &c.

Le tems fait l’objet de la chronologie. Voyez Chronologie.

On distingue aussi dans l’Astronomie le tems vrai ou apparent, & le tems moyen ; on en peut voir l’explication à l’article Équation du tems. Chambers.

Tems, s. m. (Gramm.) les Grammairiens, si l’on veut juger de leurs idées par les dénominations qui les désignent, semblent n’avoir eu jusqu’à présent que des notions bien confuses des tems en général & de leurs différentes especes. Pour ne pas suivre en aveugle le torrent de la multitude, & pour n’en adopter les décisions qu’en connoissance de cause, qu’il me soit permis de recourir ici au flambeau de la Métaphysique ; elle seule peut indiquer toutes les idées comprises dans la nature des tems, & les différences qui peuvent en constituer les especes : quand elle aura prononcé sur les points de vue possibles, il ne s’agira plus que de les reconnoître dans les usages connus des langues, soit en les considérant d’une maniere générale, soit en les examinant dans les différens modes du verbe.

Art. I. Notion générale des tems. Selon M. de Gamaches (dissert. I. de son Astronomie physique) que l’on peut en ce point regarder comme l’organe de toute l’école cartésienne, le tems est la succession même attachée à l’existence de la créature. Si cette notion du tems a quelque défaut d’exactitude, il faut pourtant avouer qu’elle tient de bien près à la vérité, puisque l’existence successive des êtres est la seule mesure du tems qui soit à notre portée, comme le tems devient à son tour la mesure de l’existence successive.

Cette mobilité successive de l’existence ou du tems, nous la fixons en quelque sorte, pour la rendre commensurable, en y établissant des points fixes caractérisés par quelques faits particuliers : de même que nous parvenons à soumettre à nos mesures & à nos calculs l’étendue intellectuelle, quelque impalpable qu’elle soit, en y établissant des points fixes caractérisés par quelque corps palpable & sensible.

On donne à ces points fixes de la succession de l’existence ou du tems, le nom d’époques (du grec ἐποχὴ, venu de ἐπέχειν, morari, arrêter), parce que ce sont des instans dont on arrête, en quelque maniere, la rapide mobilité, pour en faire comme des lieux de repos, d’où l’on observe, pour ainsi dire, ce qui co-existe, ce qui précede & ce qui suit. On appelle période, une portion du tems dont le commencement & la fin sont déterminés par des époques : de περὶ, circum, & ὁδὸς, via ; parce qu’une portion de tems bornée de toutes parts, est comme un espace autour duquel on peut tourner.

Après ces notions préliminaires & fondamentales, il semble que l’on peut dire qu’en général les tems sont les formes du verbe, qui expriment les différens rapports d’existence aux diverses époques que l’on peut envisager dans la durée.

Je dis d’abord que ce sont les formes du verbe, afin de comprendre dans cette définition, non-seulement les simples inflexions consacrées à cet usage, mais encore toutes les locutions qui y sont destinées exclusivement, & qui auroient pu être remplacées par des terminaisons ; ensorte qu’elle peut convenir également à ce qu’on appelle des tems simples, des tems composés ou surcomposés, & même à quantité d’idiotismes qui ont une destination analogue, comme en françois, je viens d’entrer, j’allois sortir, le monde doit finir, &c.

J’ajoute que ces formes expriment les différens rapports d’existence aux diverses époques que l’on peut envisager dans la durée : par-là après avoir indiqué le matériel des tems, j’en caractérise la signification, dans laquelle il y a deux choses à considérer, savoir les rapports d’existence à une époque, & l’époque qui est le terme de comparaison.

§. I. Premiere division générale des Tems. L’existence peut avoir, en général, trois sortes de rapports à l’époque de comparaison : rapport de simultanéité, lorsque l’existence est coïncidente avec l’époque ; rapport d’antériorité, lorsque l’existence précede l’époque ; & rapport de postériorité, lorsque l’existence succede à l’époque. De-là trois especes générales de tems, les présens, les prétérits & les futurs.

Les présens sont les formes du verbe, qui expriment la simultanéité d’existence à l’égard de l’époque de comparaison. On leur donne le nom de présens, parce qu’ils désignent une existence, qui, dans le tems même de l’époque, est réellement présente, puisqu’elle est simultanée avec l’époque.

Les prétérits sont les formes du verbe, qui expriment l’antériorité d’existence à l’égard de l’époque de comparaison. On leur donne le nom de prétérits, parce qu’ils désignent une existence, qui, dans le tems même de l’époque, est déja passée (præterita), puisqu’elle est antérieure à l’époque.

Les futurs sont les formes du verbe, qui expriment la postériorité d’existence à l’égard de l’époque de comparaison. On leur donne le nom de futurs, parce qu’ils désignent une existence, qui, dans le tems même de l’époque, est encore à venir (futura), puisqu’elle est postérieure à l’époque.

C’est véritablement du point de l’époque qu’il faut envisager les autres parties de la durée successive pour apprécier l’existence ; parce que l’époque est le point d’observation : ce qui co-existe est présent, ce qui précede est passé ou prétérit, ce qui suit est avenir ou futur. Rien donc de plus heureux que les dénominations ordinaires pour désigner les idées que l’on vient de développer ; rien de plus analogue que ces idées, pour expliquer d’une maniere plausible les termes que l’on vient de définir.

L’idée de simultanéité caractérise très-bien les présens ; celle d’antériorité est le caractere exact des prétérits ; & l’idée de postériorité offre nettement la différence des futurs.

Il n’est pas possible que les tems des verbes expriment autre chose que des rapports d’existence à quelque époque de comparaison ; il est également impossible d’imaginer quelque espece de rapport autre que ceux que l’on vient d’exposer : il ne peut donc en effet y avoir que trois especes générales de tems, & chacune doit être différenciée par l’un de ces trois rapports généraux.

Je dis trois especes générales de Tems, parce que chaque espece peut se soudiviser, & se soudivise réellement en plusieurs branches, dont les caracteres distinctifs dépendent des divers points de vue accessoires qui peuvent se combiner avec les idées générales & fondamentales de ces trois especes primitives.

§. 2. Seconde division générale des Tems. La soudivision la plus générale des tems doit se prendre dans la maniere d’envisager l’époque de comparaison, ou sous un point de vue général & indéterminé, ou sous un point de vue spécial & déterminé.

Sous le premier aspect, les tems des verbes expriment tel ou tel rapport d’existence à une époque quelconque & indéterminée : sous le second aspect, les tems des verbes expriment tel ou tel rapport d’existence à une époque précise & déterminée.

Les noms d’indéfinis & de définis employés ailleurs abusivement par le commun des Grammairiens, me paroissent assez propres à caractériser ces deux différences de tems. On peut donner le nom d’indéfinis à ceux de la premiere espece, parce qu’ils ne tiennent effectivement à aucune époque précise & déterminée, & qu’ils n’expriment en quelque sorte que l’un des trois rapports généraux d’existence, avec abstraction de toute époque de comparaison. Ceux de la seconde espece peuvent être nommés définis, parce qu’ils sont essentiellement relatifs à quelque époque précise & déterminée.

Chacune des trois especes générales de tems est susceptible de cette distinction, parce qu’on peut également considérer & exprimer la simultanéité, l’antériorité & la postériorité, ou avec abstraction de toute époque, ou avec relation à une époque précise & déterminée ; on peut donc distinguer en indéfinis & définis, les présens, les prétérits & les futurs.

Un présent indéfini est une forme du verbe qui exprime la simultanéité d’existence à l’égard d’une époque quelconque ; un présent défini est une forme du verbe qui exprime la simultanéité d’existence à l’égard d’une époque précise & déterminée.

Un prétérit indéfini est une forme du verbe qui exprime l’antériorité d’existence à l’égard d’une époque quelconque ; un prétérit défini est une forme du verbe qui expriment l’antériorité d’existence à l’égard d’une époque précise & déterminée.

Un futur indéfini est une forme du verbe qui exprime la postériorité d’existence à l’égard d’une époque quelconque ; un futur défini est une forme du verbe qui exprime la postériorité d’existence à l’égard d’une époque précise & déterminée.

§. 3. Troisieme division générale des Tems. Il n’y a qu’une maniere de faire abstraction de toute époque, & c’est pour cela qu’il ne peut y avoir qu’un présent, un prétérit & un futur indéfini. Mais il peut y avoir fondement à la soudivision de toutes les especes de tems définis, dans les diverses positions de l’époque précise de comparaison, je veux dire, dans les diverses relations de cette époque à un point fixe de la durée.

Ce point fixe doit être le même pour celui qui parle & pour ceux à qui le discours est transmis, soit de vive voix soit par écrit ; autrement une langue ancienne seroit, si je puis le dire, intraduisible pour les modernes ; le langage d’un peuple seroit incommunicable à un autre peuple, celui même d’un homme seroit inintelligible pour un autre homme, quelque affinité qu’ils eussent d’ailleurs.

Mais dans cette suite infinie d’instans qui se succedent rapidement, & qui nous échappent sans cesse, auquel doit-on s’arrêter, & par quelle raison de préférence se déterminera-t-on pour l’un plutôt que pour l’autre ? Il en est du choix de ce point fondamental, dans la grammaire, comme de celui d’un premier méridien, dans la géographie ; rien de plus naturel que de se déterminer pour le méridien du lieu même où le géographe opere ; rien de plus raisonnable que de se fixer à l’instant même de la production de la parole. C’est en effet celui qui, dans toutes les langues, sert de dernier terme à toutes les relations de tems que l’on a besoin d’exprimer, sous quelque forme que l’on veuille les rendre sensibles.

On peut donc dire que la position de l’époque de comparaison est la relation à l’instant même de l’acte de la parole. Or cette relation peut être aussi ou de simultanéité, ou d’antériorité, ou de postériorité, ce qui peut faire distinguer trois sortes d’époques déterminées : une époque actuelle qui coïncide avec l’acte de la parole : une époque antérieure, qui précede l’acte de la parole : & une époque postérieure, qui suit l’acte de la parole.

De-là la distinction des trois especes de tems définis en trois especes subalternes, qui me semblent ne pouvoir être mieux caractérisées que par les dénominations d’actuel, d’antérieur & de postérieur tirées de la position même de l’époque déterminée qui les différencie.

Un présent défini est donc actuel, antérieur ou postérieur, selon qu’il exprime la simultanéité d’existence à l’égard d’une époque déterminément actuelle, antérieure ou postérieure.

Un prétérit défini est actuel, antérieur ou postérieur, selon qu’il exprime l’antériorité d’existence à l’égard d’une époque déterminément actuelle, antérieure ou postérieure.

Enfin un futur défini est pareillement actuel, antérieur ou postérieur, selon qu’il exprime la postériorité d’existence à l’égard d’une époque déterminément actuelle, antérieure ou postérieure.

Art. II. Conformité du système méthaphysique des Tems avec les usages des langues. On conviendra peut-être que le système que je présente ici, est raisonné, que les dénominations que j’y emploie, en caractérisent très-bien les parties, puisqu’elles désignent toutes les idées partielles qui y sont combinées, & l’ordre même des combinaisons. Mais on a vu s’élever & périr tant de systèmes ingénieux & réguliers, que l’on est aujourd’hui bien fondé à se défier de tous ceux qui se présentent avec les mêmes apparences de régularité ; une belle hypothese n’est souvent qu’une belle fiction ; & celle-ci se trouve si éloignée du langage ordinaire des Grammairiens, soit dans le nombre des tems qu’elle semble admettre, soit dans les noms qu’elle leur assigne, qu’on peut bien la soupçonner d’être purement idéale, & d’avoir assez peu d’analogie avec les usages des langues.

La raison, j’en conviens, autorise ce soupçon ; mais elle exige un examen avant que de passer condamnation. L’expérience est la pierre de touche des systèmes, & c’est aux faits à proscrire ou à justifier les hypothèses.

§. 1. Système des Présens justifié par l’usage des langues. Prenons donc la voie de l’analyse ; & pour ne point nous charger de trop de matiere, ne nous occupons d’abord que de la premiere des trois especes générales de tems, des presens.

I. Il en est un qui est unanimement reconnu pour présent par tous les Grammairiens ; sum, je suis, laudo, je loue, miror, j’admire, &c. Il a dans les langues qui l’admettent, tous les caracteres d’un présent véritablement indéfini, dans le sens que j’ai donné à ce terme.

1°. On l’emploie comme présent actuel ; ainsi quand je dis, par exemple, à quelqu’un, je vous loue d’avoir fait cette action, mon action de louer est exprimée comme coexistante avec l’acte de la parole.

2°. On l’emploie comme présent antérieur. Que l’on dise dans un récit, je le rencontre en chemin, je lui demande où il va, je vois qu’il s’embarrasse ; « en tout cela, où il n’y a que des tems présens, je le rencontre est dit pour je le rencontrai ; je demande pour je demandai ; où il va pour où il alloit ; je vois pour je vis ; & qu’il s’embarrasse pour qu’il s’embarrassoit. » Regnier, gramm. franç. in-12, pag. 343, in-4°. pag. 360. En effet, dans cet exemple les verbes je rencontre, je demande, je vois, désignent mon action de rencontrer, de demander, de voir, comme coexistante dans le période antérieur indiqué par quelqu’autre circonstance du récit ; & les verbes il va, il s’embarrasse, énoncent l’action d’aller & de s’embarrasser comme coexistante avec l’époque indiquée par les verbes précédens je demande & je vois, puisque ce que je demandai, c’est où il alloit dans l’instant même de ma demande, & ce que je vis, c’est qu’il s’embarrassoit dans le moment même que je le voyois. Tous les verbes de cette phrase sont donc réellement employés comme des présens antérieurs, c’est-à-dire, comme exprimant la simultanéité d’existence à l’égard d’une époque antérieure au moment de la parole.

3°. Le même tems s’emploie encore comme présent postérieur. Je pars demain, je fais tantôt mes adieux ; c’est-à-dire, je partirai demain, & je ferai tantôt mes adieux : je pars & je fais énoncent mon action de partir & de faire, comme simultanée avec l’époque nettement désignée par les mots demain & tantôt, qui ne peut être qu’une époque postérieure au moment où je parle.

4°. Enfin l’on trouve ce tems employé avec abstraction de toute époque, ou si l’on veut, avec une égale relation à toutes les époques possibles ; c’est dans ce sens qu’il sert à l’expression des propositions d’éternelle vérité : Dieu est juste, les trois angles d’un triangle sont égaux à deux droits : c’est que ces vérités sont les mêmes dans tous les tems, qu’elles coexistent avec toutes les époques, & le verbe en conséquence, se met à un tems qui exprime la simultanéité d’existence avec abstraction de toute époque, afin de pouvoir être rapporté à toutes ses époques.

Il en est de même des vérités morales qui contiennent en quelque sorte l’histoire de ce qui est arrivé, & la prédiction de ce qui doit arriver. Ainsi dans cette maxime de M. de la Rochefoucault (pensée LV.) la haine pour les favoris n’est autre chose que l’amour de la faveur, le verbe est exprime une simultanéité relative à une époque quelconque, & actuelle, & antérieure, & postérieure.

Le tems auquel on donne communément le nom de présent, est donc un présent indéfini, un tems qui n’étant nullement astreint à aucune époque, peut demeurer dans cette généralité, ou être rapporté indifféremment à toute époque déterminée, pourvu qu’on lui conserve toujours sa signification essentielle & inamissible, je veux dire, la simultanéité d’existence.

Les différens usages que nous venons de remarquer dans le présent indéfini, peuvent nous conduire à reconnoître les présens définis ; & il ne doit point y en avoir d’autres que ceux pour lesquels le présent indéfini lui-même est employé, parce qu’exprimant essentiellement la simultanéité d’existence avec abstraction de toute époque, s’il sort de cette généralité, ce n’est point pour ne plus signifier la simultanéité, ma s c’est pour l’exprimer avec rapport à une époque déterminée. Or

II. Nous avons vu le présent indéfini employé pour le présent actuel, comme quand on dit, je vous loue d’avoir fait cette action ; mais dans ce cas-là même, il n’y a aucun autre tems que l’on puisse substituer à je loue ; & cette observation est commune à toutes les langues dont les verbes se conjuguent par tems.

La conséquence est facile à tirer : c’est qu’aucune langue ne reconnoit dans les verbes de présent actuel proprement dit, & que partout c’est le présent indéfini qui en fait la fonction. La raison en est simple : le présent indéfini ne se rapporte lui-même à aucune époque déterminée ; ce sont les circonstances du discours qui déterminent celle à laquelle on doit le rapporter en chaque occasion ; ici c’est à une époque antérieure ; là, à une époque postérieure ; ailleurs, à toutes les époques possibles. Si donc les circonstances du discours ne designent aucune époque précise, le présent indéfini ne peut plus se rapporter alors qu’à l’instant qui sert essentiellement de dernier terme de comparaison à toutes les relations de tems, c’est-à-dire, à l’instant même de la parole : cet instant dans toutes les autres occurrences n’est que le terme éloigné de la relation ; dans celle-ci, il en est le terme prochain & immédiat, puisqu’il est le seul.

III. Nous avons vu le présent indéfini employé comme présent antérieur, comme dans cette phrase, je le rencontre en chemin, je lui demande où il va, je vois qu’il s’embarrasse ; & dans ces cas, nous trouvons d’autres tems que l’on peut substituer au présent indéfini ; je rencontrai pour je rencontre, je demandai pour je demande, & je vis pour je vois, sont donc des présens antérieurs ; il alloit pour il va, & il s’embarrassoit pour il s’embarrasse, sont encore d’autres présens antérieurs. Ainsi nous voilà forcés à admettre deux sortes de présens antérieurs ; l’un, dont on trouve des exemples dans presque toutes les langues, eram, j’étois, laudabam, je louois, mirabar, j’admirois ; l’autre, qui n’est connu que dans quelques langues modernes de l’Europe, l’italien, l’espagnol & le françois, je fus, je louai, j’admirai.

1°. Voici sur la premiere espece, comment s’explique le plus célebre des grammairiens philosophes, en parlant des tems que j’appelle définis, & qu’il nomme composés dans le sens. « Le premier, dit-il, (gramm. gén. part. II. ch. xiv. édit. de 1660, ch. xv. édit. de 1756), est celui qui marque le passé avec rapport au présent, & on l’a nommé prétérit imparfait, parce qu’il ne marque pas la chose simplement & proprement comme faite, mais comme présente à l’égard d’une chose qui est déja néanmoins passée. Ainsi quand je dis, cum intravit, cæabam, je soupois, lorsqu’il est entré, l’action de souper est bien passée au regard du tems auquel je parle, mais je la marque comme présente au regard de la chose dont je parle, qui est l’entrée d’un tel ».

De l’aveu même de cet auteur, ce tems qu’il nomme prétérit, marque donc la chose comme présente à l’égard d’une autre qui est déja passée. Or quoique cette chose en soi doive être réputée passée à l’égard du tems où l’on parle, vû que ce n’est pas-là le point de vue indiqué par la forme du verbe dont il est question ; il falloit conclure que cette forme marque le présent avec rapport au passé, plutôt que de dire au contraire qu’elle marque le passé avec rapport au présent. Cette inconséquence est dûe à l’habitude de donner à ce tems, sans examen & sur la foi des Grammairiens, le nom abusif de prétérit ; on y trouve aisément une idée d’antériorité que l’on prend pour l’idée principale, & qui semble en effet fixer ce tems dans la classe des prétérits ; on y apperçoit ensuite confusément une idée de simultanéité que l’on croit sécondaire & modificative de la premiere : c’est une méprise, qui à parler exactement, renverse l’ordre des idées, & on le sent bien par l’embarras qui naît de ce désordre ; mais que faire ? Le préjugé prononce que le tems en question est prétérit ; la raison réclame, on la laisse dire, mais on lui donne, pour ainsi dire, acte de son opposition, en donnant à ce prétendu prétérit le nom d’imparfait : dénomination qui caractérise moins l’idée qu’il faut prendre de ce tems, que la maniere dont on l’a envisagé.

2°. Le préjugé paroît encore plus fort sur la seconde espece de présent antérieur ; mais dépouillons-nous de toute préoccupation, & jugeons de la véritable destination de ce tems par les usages des langues qui l’admettent, plutôt que par les dénominations hazardées & peu réfléchies des Grammairiens. Leur unanimité même déja prise en défaut sur le prétendu prétérit imparfait & sur bien d’autres points, a encore ici des caracteres d’incertitude qui la rendent justement suspecte de méprise. En s’accordant pour placer au rang des prétérits je fus, je louai, j’admirai, les uns veulent que ce prétendu prétérit soit défini, & les autres qu’il soit indéfini ou aoriste, termes qui avec un sens très-clair ne paroissent pas appliqués ici d’une maniere trop précise. Laissons-les disputer sur ce qui les divise, & profitons de ce dont ils conviennent sur l’emploi de ce tems ; ils sont à cet égard des témoins irrécusables de sa valeur usuelle. Or en le regardant comme un prétérit, tous les Grammairiens conviennent qu’il n’exprime que les choses passées dans un période de tems antérieur à celui dans lequel on parle.

Cet aveu combiné avec le principe fondamental de la notion des tems, suffit pour décider la question. Il faut considérer dans les tems 1°. une relation générale d’existence à un terme de comparaison, 2°. le terme même de comparaison. C’est en vertu de la relation générale d’existence qu’un tems est présent, prétérit ou futur, selon qu’il exprime la simultanéité, l’anteriorité ou la postériorité d’existence, c’est par la maniere d’envisager le terme, ou sous un point de vue général & indéfini, ou sous un point de vue spécial & déterminé, que ce tems est indéfini ou défini, & c’est par la position déterminée du terme, qu’un tems défini est actuel, antérieur ou postérieur, selon que le terme a lui-même l’un de ces rapports au moment de l’acte de la parole.

Or le tems, dont il s’agit, a pour terme de comparaison, non une époque instantanée, mais un période de tems : ce période, dit-on, doit être antérieur à celui dans lequel on parle ; par conséquent c’est un tems qui est de la classe des définis, & entre ceux-ci il est de l’ordre des tems antérieurs. Il reste donc à déterminer l’espèce générale de rapport que ce tems exprime relativement à ce période antérieur : mais il est evident qu’il exprime la simultanéité d’existence, puisqu’il désigne la chose comme passée dans ce période, & non avant ce période ; je lus hier votre lettre, c’est-à-dire que mon action de lire étoit simultanée avec le jour d’hier. Ce tems est donc en effet un présent antérieur.

On sent bien qu’il differe assez du premier pour n’être pas confondu sous le même nom ; c’est par le terme de comparaison qu’ils different, & c’est delà qu’il convient de tirer la différence de leurs dénominations. Je disois donc que j’étois, je louois, j’admirois sont au présent antérieur simple, & que je fus, je louai j’admirai sont au présent antérieur périodique.

Je ne doute pas que plusieurs ne regardent comun paradoxe, de placer parmi les présens, ce tems que l’on a toujours regardé comme un prétérit. Cette opinion peut néanmoins compter sur le suffrage d’un grand peuple, & trouver un fondement dans une langue plus ancienne que les nôtres. La langue allemande, qui n’a point de présent antérieur périodique, se sert du présent antérieur simple pour exprimer la même idée : ichwar (j’étois ou je fus) ; c’est ainsi qu’on le trouve dans la conjugaison du verbe auxiliaire seyn (être), de la grammaire allemande de M. Gottsched par M. Quand (édit. de Paris, 1754. ch. vij. pag. 4.) ; & l’auteur prévoyant bien que cela peut surprendre, dit expressément dans une note, que l’imparfait exprime en même tems en allemand le prétérit & l’imparfait des françois. Il est aisé de s’en appercevoir dans la maniere de parler des Allemands qui ne sont pas encore assez maîtres de notre langue : presque par-tout où nous employons le présent antérieur périodique, ils se servent du présent antérieur simple, & disent, par exemple, je le trouvois hier en chemin, je lui demandois où il va, je voyois qu’il s’embarrasse, au lieu de dire, je le trouvai hier en chemin, je lui demandai où il alloit, je vis qu’il s’embarrassoit : c’est le germanisme qui perce à-travers les mots françois, & qui dépose que nos verbes je trouvai, je demandai, je vis sont en effet de la même classe que, je trouvois, je demandois, je voyois. Les Allemands, nos voisins & nos contemporains, & peut-être nos peres ou nos freres, en fait de langage, ont mieux saisi l’idée caractéristique de notre présent antérieur périodique, l’idée de simultanéité, que ceux de nos méthodistes françois qui se sont attachés servilement à la grammaire latine, plutôt que de consulter l’usage, à qui seul appartient la législation grammati ale. La langue angloise est encore dans le même cas que l’allemande ; i had (j’avois & j’eus) ; i was (j’étois & je fus). On peut voir la grammaire françoise-angloise de Mauger, pag. 69, 70 ; & la grammaire angloise-françoise de Festeau, pag. 42, 45. (in-8. Bruxelles, 1693.) Au reste je parle ici à ceux qui saisissent les preuves métaphysiques, qui les apprécient, & qui s’en contentent : ceux qui veulent des preuves de fait, & dont la métaphysique n’est peut-être que plus sûre, trouveront plus loin ce qu’ils desirent ; des témoignages, des analogies, des raisons de syntaxe, tout viendra par la suite à l’appui du systême que l’on développe ici.

IV. Continuons & achevons de lutter contre les préjugés, en proposant encore un paradoxe. Nous avons vu le présent indéfini employé pour le présent postérieur, comme dans cette phrase, je pars demain ; dans ce cas nous trouvons un autre tems que l’on peut substituer au présent indéfini, & ce ne peut être que le présent postérieur lui-même : je partirai est donc un présent postérieur. Les gens accoutumés à voir les choses sous un autre aspect & sous un autre nom, vont dire ce que m’a déja dit un homme d’esprit, versé dans la connoissance de plusieurs langues, que je vais faire des présens de tous les tems du verbe. Il faudroit pour cela que je confondisse toutes les idées distinctives des tems, & j’ose me flatter que mes réflexions auront une meilleure issue.

Un présent postérieur doit exprimer la simultanéité d’existence à l’égard d’une époque déterminément postérieure ; & c’est précisément l’usage naturel du tems dont il s’agit ici. Ecoutons encore l’auteur de la grammaire générale. « On auroit pu de même, dit-il (loc. cit.), ajouter un quatrieme tems composé, savoir celui qui eût marqué l’avenir avec rapport au présent… néanmoins dans l’usage on l’a confondu… & en latin même on se sert pour cela de futur simple : cum cænabo, intrabis (vous entrerez quand je souperai) ; par où je marque mon souper comme futur en soi, mais comme présent à l’égard de votre entrée ».

On retrouve encore ici le même défaut que j’ai déja relevé à l’occasion du présent antérieur simple : l’auteur dit que le tems dont il parle, eût marqué l’avenir avec rapport au présent ; & il prouve lui-même qu’il falloit dire qu’il eût marqué le présent avec rapport à l’avenir, puisque, de son aveu, cænabo, dans la phrase qu’il allegue, marque mon souper comme présent à l’égard de votre entrée, qui en soi est à venir. Cænabo (je souperai) est donc un présent postérieur.

Non, dit M. Lancelot ; le présent postérieur n’existe point ; c’est le futur simple qui en fait l’office dans l’occurrence. Si je prenois l’inverse de la thése, & que je dise que le futur n’existe point, mais que le présent postérieur en fait les fonctions ; je crois qu’il seroit difficile de décider d’une maniere raisonnable entre les deux assertions : mais sans recourir à un faux-fuyant qui n’éclairciroit rien, qu’on me dise seulement pourquoi on ne tient aucun compte dans la conjugaison du verbe des tems très-réels cænaturus sum, cænaturus eram, cænaturus ero, qui sont évidemment des futurs ? Or s’il existe d’autres futurs que cænabo, pourquoi refuseroit-on à cænabo la dénomination de présent postérieur, puisqu’il en fait réellement les fonctions.

Ceux qui auront lu l’article Futur, m’objecteront que je suis en contradiction avec moi-même, puisque j’y regarde comme futur le même tems que je nomme ici présent postérieur. J’avoue la contradiction de la doctrine que j’expose ici, avec l’article en question : mais il contient déja le germe qui se développe aujourd’hui. Ce germe, contraint alors par la concurrence des idées de mon collégue, n’a ni pu ni dû se développer avec toute l’aisance que donne une liberté entiere : & l’on ne doit regarder comme à moi, dans cet article, que ce qui peut faire partie de mon système ; je désavoue le reste, ou je le retracte.

§. 2. Système des Prétérits justifié par les usages des langues. Comme nous avons reconnu quatre présens dans notre langue, quoiqu’on n’en trouve que trois dans la plûpart des autres ; nous allons y reconnoître pareillement quatre prétérits, tandis que les autres langues n’en admettent au plus que trois.

I. Le premier, fui (j’ai été), landavi (j’ai loué), miratus sum (j’ai admiré), &c. généralement reconnu pour prétérit, & décoré par tous les grammairiens du nom de prétérit-parfait, a tous les caracteres exigibles d’un prétérit indéfini : & quoiqu’en effet on ne l’employe pas à autant d’usages différens que le présent indéfini, il en a cependant assez pour prouver qu’il renferme fondamentalement l’abstraction de toute époque, ce qui est l’essence des tems indéfinis.

1°. On fait usage de ce prétérit pour désigner le prétérit actuel. J’ai lu l’excellent livre des Tropes, c’est-à-dire, mon action de lire ce livre est antérieure au moment même où je parle. Il y a plus ; aucune langue n’a établi dans ses verbes un prétérit actuel proprement dit ; c’est le prétérit indéfini qui en fait les fonctions, & c’est par la même raison qui fait que le présent indéfini tient lieu de présent actuel, raison, par conséquent, que je ne dois plus répéter.

2°. On emploie fréquemment le prétérit indéfini pour le prétérit postérieur. J’ai fini dans un moment ; si vous avez relu cet ouvrage demain, vous m’en direz votre avis : dans le premier exemple, j’ai fini, énonce l’action de finir comme antérieure à l’époque désignée par ces mots, dans un moment, qui est nécessairement une époque postérieure ; c’est comme si l’on disoit, J’aurai fini dans un moment, ou dans un moment je pourrai dire, J’ai fini : dans le second exemple, vous avez relu, présente l’action de relire comme antérieure à l’époque postérieure indiquée par le mot demain, & c’est comme si l’on disoit, lorsque vous aurez relu demain cet ouvrage, vous m’en direz votre avis, ou lorsque demain vous pourrez dire que vous avez relu, &c.

3°. Le prétérit indéfini est quelquefois employé pour le prétérit antérieur. Que je dise dans un récit : sur les accusations vagues & contradictoires qu’on alléguoit contre lui, je prends sa défense avec feu & avec succès : à peine ai-je parlé, qu’un bruit sourd s’éleve de toutes parts, &c. Dans cet exemple, ai je parlé énonce mon action de parler comme antérieure à l’époque désignée par ces mots, un bruit sourd s’éleve : mais le présent indéfini s’éleve est mis ici pour le présent antérieur périodique s’éleva ; & par conséquent l’époque est réellement antérieure à l’acte de la parole. Ai-je parlé est donc employé pour avois-je parlé, & il énonce en effet l’antériorité de mon action de parler à l’égard d’une époque antérieure elle-même au moment actuel de la parole.

4°. Le prétérit indéfini n’est jamais employé dans le sens totalement indéfini, comme le présent : c’est que les propositions d’éternelle vérité, essentiellement présentes à l’égard de toutes les époques, ne sont ni ne peuvent être antérieures ni postérieures à aucune : & les propositions d’une vérité contingente ont nécessairement des rapports différens aux diverses époques ; rapport de la simultanéité pour l’une, d’antériorité pour l’autre, de postériorité pour une troisieme.

II. Le second de nos prétérits, est le prétérit antérieur simple, fueram (j’avois été), laudaveram (j’avois loué), miratus fueram (j’avois admiré). Les grammairiens ont donné à ce tems le nom de prétérit-plusque parfait, parce qu’ayant nommé parfait le prétérit indéfini, dont le caractere est d’exprimer l’antériorité d’existence, ils ont cru devoir ajouter quelque chose à cette qualification, pour désigner un tems qui exprime l’antériorité d’existence & l’antériorité d’époque.

Mais qu’il me soit permis de remarquer que la dénomination de plusque parfait a tous les vices les plus propres à la faire proscrire. 1°. Elle implique contradiction, parce qu’elle suppose le parfait susceptible de plus ou de moins, quoiqu’il n’y ait rien de mieux que ce qui est parfait. 2°. Elle emporte encore une autre supposition également fausse, savoir qu’il y a quelque perfection dans l’antériorité, quoiqu’elle n’en admette ni plus ni moins que la simultanéité & la postériorité. 3°. Ces considérations donnent lieu de croire que les noms des préterits parfaits & plusque parfaits n’ont été introduits, que pour les distinguer du prétendu prétérit imparfait ; mais comme il a été remarqué plus haut que cette dénomination ne peut servir qu’à désigner l’imperfection des idées des premiers nomenclateurs, il faut porter le même jugement des noms de parfait & de plusque-parfait qui ont le même fondement.

Quoi qu’il en soit, ce second prétérit exprime en effet l’antériorité d’existence à l’égard d’une époque antérieure elle-même à l’acte de la parole ; ainsi quand je dis cænaveram cum intravit, (j’avois soupé lorsqu’il est entré) ; cænaveram, (j’avois soupé), exprime l’antériorité de mon souper à l’égard de l’époque désignée par intravit, (il est entré) ; & cette époque est elle même antérieure au tems où je le dis : cænaveram est donc véritablement un prétérit antérieur simple, ou relatif à une simple époque.

III. En françois, en italien, & en espagnol, on trouve encore un prétérit antérieur périodique, qui est propre à ces langues, & qui differe du précédent par le terme de comparaison, comme le présent antérieur périodique differe du présent antérieur simple ; j’eus été, j’eus loué, j’eus admiré, sont des prétérits antérieurs périodiques ; & pour s’en convaincre, il n’y a qu’à examiner toutes les idées partielles désignées par ces formes des verbes être, louer, admirer, &c.

Quand je dis, par exemple, j’eus soupé hier avant qu’il entrât : il est évident 1°. que j’indique l’antériorité de mon souper, à l’égard de l’entrée dont il est question ; 2°. que cette entrée est elle-même antérieure au tems où je parle, puisqu’elle est annoncée comme simultanée avec le jour d’hier ; 3°. enfin il est certain que l’on ne peut dire j’eus soupé, que pour marquer l’antériorité du souper à l’égard d’une époque prise dans un période antérieur à celui ou l’on parle : il est donc constant que tout verbe, sous cette forme, est au prétérit antérieur périodique.

IV. Enfin nous avons un prétérit postérieur, qui exprime l’antériorité d’existence à l’égard d’une époque postérieure au tems où l’on parle ; comme fuero, (j’aurai été), laudavero, (j’aurai loué), miratus ero, (j’aurai admiré).

« Le troisieme tems composé, dit encore l’auteur de la grammaire générale (loc. cit.) est celui qui marque l’avenir avec rapport au passé, savoir le futur parfait, comme cænavero (j’aurai soupé) ; par où je marque mon action de souper comme future en soi, & comme passée au-regard d’une autre chose à venir qui la doit suivre ; comme quand j’aurai soupé il entrera : cela veut dire que mon souper qui n’est pas encore venu, sera passé lorsque son entrée, qui n’est pas encore venue, sera présente ».

La prévention pour les noms reçus fait toujours illusion à cet auteur ; il est persuadé que le tems dont il parle est un futur, parce que tous les grammairiens s’accordent à lui donner ce nom : c’est pour cela qu’il dit que ce tems marque l’avenir avec rapport au passé : au-lieu qu’il suit de l’exemple même de la grammaire générale, qu’il marque le passé avec rapport à l’avenir. Quelle est en effet l’intention de celui qui dit, quand j’aurai soupé il entrera ? c’est évidemment de fixer le rapport du tems de son souper, au tems de l’entrée de celui dont il parle ; cette entrée est l’époque de comparaison, & le souper est annoncé comme antérieur à cette époque ; c’est l’unique destination de la forme que le verbe prend en cette occurrence, & par conséquent cette forme marque réellement l’antériorité à l’égard d’une époque postérieure au tems de la parole, ou, pour me servir des termes de M. Lancelot, mais d’une maniere conséquente à l’observation, elle marque le passé avec rapport à l’avenir.

Une autre erreur de cet écrivain célebre, est de croire que cænavero, (j’aurai soupé), marque mon action de souper comme future en soi, & comme passée au regard d’une autre chose à venir, qui la doit suivre. Cænavero, & tous les tems pareils des autres verbes, n’expriment absolument que le second de ces deux rapports, & loin d’exprimer le premier, il ne le suppose pas même. En voici la preuve dans un raisonnement d’un auteur qu’on n’accusera pas de mal écrire, ou de ne pas sentir la force des termes de notre langue ; c’est M. Pluche.

« Si le tombeau, dit-il (spectacle de la nature, disc. prél. du tom. VIII. pag. 8 & 9.), est pour lui (l’homme) la fin de tout ; le genre humain se divise en deux parties, dont l’une se livre impunément au crime, l’autre s’attache sans fruit à la vertu… les voluptueux & les fourbes… seront ainsi les seules têtes bien montées, & le Créateur, qui a mis tant d’ordre dans le monde corporel, n’aura établi ni regle ni justice dans la nature intelligente, même après lui avoir inspiré une très-haute idée de la regle & de la justice ».

Des le commencement de ce discours, on trouve une époque postérieure, fixée par un fait hypothétique ; si le tombeau est pour l’homme la fin de tout, c’est-à-dire, en termes clairement relatifs à l’avenir, si le tombeau doit être pour l’homme la fin de tout : quand on ajoute ensuite que le Créateur n’aura établi ni regle ni justice, on veut simplement désigner l’antériorité de cet établissement à l’égard de l’époque hypothétique, & il est constant qu’il ne s’agit point ici de rien statuer sur les actes futurs du Créateur ; mais qu’il est question de conclure, d’après ses actes passés, contre les suppositions absurdes qui tendent à anéantir l’idée de la providence. Le verbe aura établi, n’exprime donc en soi aucune futurition, & l’on auroit même pu dire, le Créateur n’a établi ni regle ni justice ; ce qui exclut entierement & incontestablement l’idée d’avenir ; mais on a préféré avec raison le prétérit postérieur, parce qu’il étoit essentiel de rendre sensible la liaison de cette conséquence, avec l’hypothese de la destruction totale de l’homme, que l’on suppose future ; & que rien ne convient mieux pour cela, que le prétérit postérieur, qui exprime essentiellement relation à une époque postérieure.

§. 3. Système des futurs, justifié par les usages des langues. L’idée de simultanéité, celle d’antériorité, & celle de postériorité, se combinent également avec l’idée du terme de comparaison : de-là autant de formes usuelles pour l’expression des futurs, qu’il y en a de généralement reçues pour la distinction des présens & pour celle des prétérits. Nous devons donc trouver un futur indéfini, un futur antérieur, & un futur postérieur.

I. Le futur indéfini doit exprimer la postériorité d’existence avec abstraction de toute époque de comparaison ; & c’est précisément le caractere des tems latins & françois, futurus sum, (je dois être) ; laudaturus sum, (je dois louer) ; miraturus sum, (je dois admirer) ; &c.

Par exemple dans cette phrase, tout homme doit mourir, qui est l’expression d’une vérité morale, confirmée par l’expérience de tous les tems, ces mots doit mourir, expriment la postériorité de la mort, avec abstraction de toute époque, & dès-là avec relation à toutes les époques ; & c’est comme si l’on disoit, tous les hommes nos prédécesseurs devoient mourir, ceux d’aujourd’hui doivent mourir, & ceux qui nous succéderont devront mourir : ces mots doit mourir, constituent donc ici un vrai futur indéfini.

Ce futur indéfini sert exclusivement à l’expression du futur actuel, de la même maniere, & pour la même raison que le présent & le prétérit actuels n’ont point d’autres formes que celle du présent & du prétérit indéfini : ainsi quand je dis, par exemple, je redoute le jugement que le public doit porter de cet ouvrage ; ces mots, doit porter, marquent évidemment la postériorité de l’action de juger, à l’égard du tems même où je parle, & font par conséquent ici l’office d’un futur actuel : c’est comme si je disois simplement, je redoute le jugement à venir du public sur cet ouvrage.

On trouve quelquefois la même forme employée dans le sens d’un futur postérieur ; par exemple dans cette phrase : si je dois jamais subir un nouvel examen, je m’y préparerai avec soin ; ces mots je dois subir, désignent clairement la postériorité de l’action de subir à l’égard d’une époque postérieure elle-même au tems où je parle, & indiquée par le mot jamais ; ces mots font donc ici l’office de futur postérieur, & c’est comme si je disois s’il est jamais un tems où je devrai subir, &c.

II. Le futur antérieur doit exprimer la postériorité à l’égard d’une époque antérieure à l’acte de la parole ; c’est ce qu’il est aisé de reconnoître dans futurus eram, (je devois être) ; laudaturus eram, (je devois louer) ; miraturus eram, (je devois admirer) ; &c.

Ainsi quand on dit, je Devois hier souper avec vous, l’arrivée de mon frere m’en empêcha ; ces mots, je devois souper, expriment la postériorité de mon souper à l’égard du commencement du jour d’hier, qui est une époque antérieure au tems où je parle ; je devois souper est donc un futur antérieur.

III. Le futur postérieur doit marquer la postériorité à l’égard d’une époque postérieure elle-même à l’acte de la parole ; & il est facile de remarquer cette combinaison d’idées dans futurus ero, (je devrai être) ; laudaturus ero, (je devrai louer) ; miraturus ero, (je devrai admirer) ; &c.

Ainsi quand je dis, lorsque je devrai subir un examen, je m’y préparerai avec soin ; il est évident que mon action de subir l’examen, est désignée ici comme postérieure à un tems à venir désigné par lorsque : je devrai subir est donc en effet un futur postérieur, puisqu’il exprime la postériorité à l’égard d’une époque postérieure elle même à l’acte de la parole.

Art. III. Conformité du système des tems avec les analogies des langues. Qu’il me soit permis de retourner en quelques sorte sur mes pas, pour confirmer, par des observations générales, l’économie du systême des tems, dont je viens de faire l’exposition. Mes premieres remarques tomberont sur l’analogie de la formation des tems, & dans une même langue, & dans des langues différentes ; des analogies adoptées avec une certaine unanimité, doivent avoir un fondement dans la raison même, parce que, comme dit Varron (de ling. lat. VIII. iij.), qui in loquendo consuetudinem, quâ oportet uti, sequitur, non sine ea ratione. Il semble même que ce savant romain n’ait mis aucune différence entre ce qui est analogique, & ce qui est fondé en raison, puis qu’un peu plus haut, il emploie indifféremment les mots ratio & analogia. Sed hi qui in loquendo, dit-il, (Ibid. 1.) partim sequi jubent nos consuetudinem, partim rationem, non tam discrepant ; quod consuetudo & analogia conjunctiores sunt inter se quam hi credunt.

Le grammairien philosophe, car il mérite ce titre, ne portoit ce jugement de l’analogie, qu’après l’avoir examinée & approfondie : il y avoit entrevu le fondement de la division des tems, tel que je l’ai proposée, & il s’en explique d’une maniere si positive & si précise, que je suis extrèmement surpris que personne n’ait songé à faire usage d’une idée qui ne peut que répandre beaucoup de jour sur la génération des tems dans toutes les langues. Voici ses paroles, & elles sont remarquables (Ibid. 56.). Similiter errant qui dicunt ex utrâque parte verba omnia commutare syllabas oportere ; ut in his, pungo, pungam, pupugi ; tundo, tundam, tutudi : dissimilia enim conferunt, verba infecta tùm perfectis. Quòd si imperfecta modo conferrent, omnia verbi principia incommutabilia viderentur ; ut in his pungebam, pungo, pungam : & contrà ex utrâque parte commutabilia, si perfecta ponerent ; ut pupugeram, pupugi, pupugero.

On voit que Varron distingue ici bien nettement les trois tems que je comprends sous le nom général de présens, des trois que je désigne par la dénomination commune de prétérits ; qu’il annonce une analogie commune aux trois tems de chaque espece, mais différente d’une espece à l’autre ; enfin qu’il distingue ces deux especes par des noms différens, donnant aux tems de la premiere le nom d’imparfaits, imperfecta ; & à ceux de la seconde le nom de parfaits, perfecta.

Ce n’est pas par le choix des dénominations que je voudrois juger de la philosophie de cet auteur : avec de l’érudition, de l’esprit, de la sagacité même, il n’avoit pas assez de métaphysique pour débrouiller la complication des idées élémentaires, si je puis parler ainsi, qui constituent le sens total des formes usuelles du verbe ; ce n’étoit pas le ton de son siecle ; mais il étoit observateur attentif, intelligent, patient, scrupuleux même ; & c’est peut-être le meilleur fond sur lequel puisse porter la saine philosophie. Justifions celle de Varron par le développement du principe qu’il vient de nous présenter.

Remarquons d’abord que dans la plûpart des langues, il y a des tems simples & des tems composés.

Les tems simples, sont ceux qui ne consistent qu’en un seul mot, & qui entés tous sur une même racine fondamentale, différent entr’eux par les infléxions & les terminaisons propres à chacun.

Je dis inflexions & terminaisons ; & j’entends par le premier de ces termes, les changemens qui se font dans le corps même du mot avant la derniere syllabe ; & par le second, les changemens de la derniere ou des dernieres syllabes. Voyez Inflexion. Pung-o & pung-am ne different que par les terminaisons, & il en est de même de pupuger-o & pupuger-am : au contraire, pungo & pupugero ne different que par des inflexions, de même que pungam & pupugeram, puisqu’ils ont des racines & des terminaisons communes : enfin, pungam & pupugero different & par les inflexions, & par les terminaisons.

Les tems composés, sont ceux qui résultent de plusieurs mots, dont l’un est un tems simple du verbe même, & le reste est emprunté de quelque verbe auxiliaire.

On entend par verbe auxiliaire, un verbe dont les tems servent à former ceux des autres verbes ; & l’on peut en distinguer deux especes, le naturel & l’usuel.

Le verbe auxiliaire naturel, est celui qui exprime spécialement & essentiellement l’existence, & que l’on connoît ordinairement sous le nom de verbe substantif ; sum en latin, je suis en françois, io sono en italien, yo s’oy en espagnol, ich bin en allemand, εἰμὶ en grec. Je dis que ce verbe est auxiliaire naturel, parce qu’exprimant essentiellement l’existence, il paroît plus naturel d’en employer les tems, que ceux de tout autre verbe, pour marquer les différens rapports d’existence qui caractérisent les tems de tous les verbes.

Le verbe auxiliaire usuel, est celui qui a une signification originelle, toute autre que celle de l’existence, & dont l’usage le dépouille entierement, quand il sert à la formation des tems d’un autre verbe, pour ne lui laisser que celle qui convient aux rapports d’existence qu’il est alors chargé de caractériser. Tels sont, par exemple, en françois, les verbes avoir & devoir, quand on dit, j’ai loué, je devois sortir ; ces verbes perdent alors leur signification originelle ; avoir ne signifie plus possession, mais antériorité ; devoir ne marque plus obligation, mais postériorité. Je dis que ces verbes sont auxiliaires usuels, parce que leur signification primitive ne les ayant pas destinés à cette espece de service, ils n’ont pû y être assujettis que par l’autorité de l’usage, quem penes arbitrium est & jus & norma loquendi. Hor. art. poët. 72.

Les langues modernes de l’Europe font bien plus d’usage des verbes auxiliaires que les langues anciennes ; mais les unes & les autres sont également guidées par le même esprit d’analogie.

§. I. Analogies des tems dans quelques langues modernes de l’Europe. Commençons par reconnoître cet esprit d’analogie dans les trois langues modernes que nous avons déja comparées, la françoise, l’italienne & l’espagnole.

1°. On trouve dans ces trois langues les mêmes tems simples ; & dans l’une, comme dans l’autre, il n’y a de simples, que ceux que je regarde comme des présens.


franç. ital. espagn.
Présent, indéfini. je loue. lode. alabo.
antérieur simple. je louois. lodava. alabava.
antérieur périodique. je louai. lodai. alabé.
postérieur. je louerai. lodéro. alabaré.


2°. Tous les tems où nous avons reconnu pour caractere fondamental & commun, l’idée d’antériorité, & dont, en conséquence, j’ai formé la classe des prétérits, sont composés dans les trois langues ; dans toutes trois, c’est communément le verbe qui signifie originellement possession, quelquefois celui qui exprime fondamentalement l’existence, qui est employé comme auxiliaire des prétérits, & toujours avec le supin ou le participe passif du verbe conjugué.


franç. ital. espagn.
Prétérit, indéfini. j’ai loué. hò lodato. hé alabado.
antérieur simple. j’avois loué. havévo lodato. avia alabado.
antérieur périodique. j’eus loué. hébbi lodato. uve alabado.
postérieur. j’aurai loué. havero lodato. uviere alabado.


3°. Les futurs ont encore leur analogie distinctive dans les trois langues, quoiqu’il y ait quelque différence de l’une à l’autre. Nous nous servons en françois de l’auxiliaire devoir, avec le présent de l’infinitif du verbe que l’on conjugue. Les Espagnols employent le verbe aver (avoir), suivi de la préposition de & de l’infinitif du verbe principal ; tout elliptique qui semble exiger que l’on sous-entende le nom & hado (la destination), ou quelqu’autre semblable. Les Italiens ont adopté le tour françois & plusieurs autres : Castelvetro, dans ses notes sur le bembe (édits de Naples 1714, in-4°. p. 220.) cite, comme expressions synonymes, debbo amare, (je dois aimer), ho ad amare, (j’ai à aimer), ho da amare, (j’ai d’aimer), sono per amare, (je suis pour aimer) ; je crois cependant qu’il y a quelque différence, parce que les langues n’admettent ni mots, ni phrases synonymes, & apparemment le tour italien semblable au nôtre est le seul qui y corresponde exactement.


franç. ital. espagn.
Futur, indéfini. je dois louer. devo lodare. he dealabadar.
antérieur. je devois louer. dovevo lodare. avia dealabadar.
postérieur. je devrai louer. dovero lodare. uvière dealabadar.


§. 2. Analogies des tems dans la langue latine. La langue latine, dont le génie paroît d’ailleurs si différent de celui des trois langues modernes, nous conduit encore aux mêmes conclusions par ses analogies propres ; & l’on peut même dire, qu’elle ajoute quelque chose de plus en faveur de mon système des tems.

I. Chacune des trois especes y est caractérisée par des analogies particulieres, qui sont communes à chacun des tems compris dans la même espece.

1°. Tous ceux dont l’idée caractéristique commune est la simultanéité, & que je comprends, pour cette raison, sous le nom de présens, sont simples en latin, tant à la voix active, qu’à la voix passive ; & ils ont tous une racine immédiate commune.


actif passif
Futur, indéfini. laudo. laudor.
antérieur. laudabam. laudabar.
postérieur. laudabo. laudabor.

2°. Tous les tems que je nomme prétérits, parce que l’idée fondamentale qui leur est commune, est celle d’antériorité, sont encore simples à la voix active ; mais le changement d’inflexions à la racine commune, leur donne une racine immédiate toute différente, & qui caracterise leur analogie propre : d’ailleurs, les tems correspondans de la voix passive sont tous composés de l’auxiliaire naturel & du pretérit du participe passif.


actif passif
Prétérit, indéfini. laudavi. laudatus sum ou fui.
antérieur. laudaveram. laudatus eram ou fueram.
postérieur. laudavero. laudatus ero ou fuero.


3°. Enfin, tous les tems que je nomme futurs, à cause de l’idée de postériorité qui les caractérise, sont composés en latin du verbe auxiliaire naturel & du futur du participe actif, pour la voix active ; ou du futur du participe passif, pour la voix passive.


actif passif
Futur, indéfini. laudavi. laudatus sum.
antérieur. laudaveram. laudatus eram.
postérieur. laudavero. laudatus ero.


II. Nous trouvons dans les verbes de la même langue une autre espece d’analogie, qui semble entrer encore plus spécialement dans les vûes de mon système : voici en quoi elle consiste.

Les présens & les prétérits actifs sont également simples, & ont par conséquent une racine commune, qui est comme le type de la signification propre à chaque verbe : cette racine passe ensuite par différentes métamorphoses, au moyen des additions que l’on y fait, pour ajouter à l’idée propre du verbe les idées accessoires communes à tous les verbes : ainsi laud est la racine commune de tous les tems simples du verbe laudare (louer) ; c’en est le fondement immuable, sur lequel on pose ensuite tous les divers caracteres des idées accessoires communes à tous les verbes.

Ces additions se font de maniere, que les différences de verbe à verbe caractérisent les différentes conjugaisons, mais que les analogies générales se retrouvent par-tout.

Ainsi o ajouté simplement à la racine commune, est le caractere du présent indéfini qui est le premier de tous : cette racine subissant ensuite l’inflexion qui convient à chaque conjugaison, prend un b pour désigner les présens définis, qui different entr’eux par des terminaisons qui dénotent, ou l’antériorité ou la postériorité.


Conjug. Prét. indéf. Prés. ant. Prét. post.
1. laud-o. lauda-b-am. lauda-b-o.
2. doce-o. doce-b-am. doce-b-o.
3. reg-o. rege-b-am. rege-b-o, anciennement
4. expedi-o. expedie-b-am. expedi-b-o, anciennement.


Au reste il ne faut point être surpris de trouver ici regebo pour regam, ni expedibo pour expediam ; on en trouve des exemples dans les auteurs anciens, & il est vraissemblable que l’analogie avoit d’abord introduit expedie-b-o, comme expedie-b-am. Voyez la méthode latine de P. R. remarque sur les verbes, ch. ij. art. 1 des tems.

La terminaison i ajoutée à la racine commune modifiée par l’inflexion qui convient en propre à chaque verbe, caractérise le premier des prétérits, le prétérit indéfini. Cette terminaison est remplacée par l’inflexion er dans les prétérits définis, qui sont distingués l’un de l’autre par des terminaisons qui dénotent ou l’antériorité ou la postériorité.


Conjug. Prét. indéf. Prét. ant. Prét. post.
1. laudav-i. laudav-er-am. laudav-er-o.
2. docu-i. docu-er-am. docu-er-o.
3. rex-i. rex-er-am. rex-er-o.
4. expediv-i. expediv-er-am. expediv-er-o.


Il résulte de tout ce qui vient d’être remarqué.

1°. Qu’en retranchant la terminaison du présent indéfini, il reste la racine commune des présens définis ; & qu’en retranchant la terminaison du prétérit indéfini, il reste pareillement une racine commune aux prétérits définis.

2°. Que les deux tems que je nomme présens définis ont une inflexion commune b, qui leur est exclusivement propre, & qui indique dans ces deux tems une idée commune, laquelle est évidemment la simultanéité relative à une époque déterminée.

3°. Qu’il en est de même de l’inflexion er, commune aux deux tems que j’appelle préterits définis ; qu’elle indique dans ces deux tems une idée commune, qui est l’antériorité relative à une époque déterminée.

4°. Que ces conclusions sont fondées sur ce que ces inflexions caractéristiques modifient, ou la racine qui naît du présent indéfini, ou celle qui vient du prétérit défini, après en avoir retranché simplement la terminaison.

5°. Que l’antériorité ou la postériorité de l’époque étant la derniere des idées élémentaires renfermées dans la signification des tems définis, elle y est indiquée par la terminaison même ; que l’antériorité, soit des présens, soit des prétérits, y est désignée par am, lauda-b-am, laudav-er-am ; & que la postériorité y est indiquée par o, lauda-b-o, laudav-er-o.

L’espece de parallelisme que j’établis ici entre les présens & les prétérits, que je dis également indéfinis ou définis, antérieurs ou postérieurs, se confirme encore par un autre usage qui est une espece d’anomalie : c’est que novi, memini, & autres pareils, servent également au présent & au prétérit indéfini ; noveram,

memineram, pour le présent & le prétérit antérieur ; novero, meminero, pour le présent & le prétérit postérieur. Rien ne prouve mieux, ce me semble, l’analogie commune que j’ai indiquée entre ces tems, & la destination que j’y ai établie : il en résulte effectivement, que le présent est au prétérit, précisément comme ce qu’on appelle imparfait est au tems que l’on nomme plusqueparfait ; & comme celui que l’on nomme ordinairement futur, est à celui que les anciens appelloient futur du subjonctif, & que la Grammaire générale nomme futur parfait : or le plusqueparfait & le futur parfait sont évidemment des especes de prétérits ; donc l’imparfait & le prétendu futur sont en effet des especes de présens, comme je l’ai avancé.

III. La langue latine est dans l’usage de n’employer dans les conjugaisons que l’auxiliaire naturel, ce qui donne aussi le développement naturel des idées élémentaires de chacun des tems composés. Examinons d’abord les futurs du verbe actif ;

Futur indéfini, laudaturus, a, um, sum ;
Futur antérieur, laudaturus, a, um, eram ;
Futur postérieur, laudaturus, a, um, ero.

On voit que le futur du participe est commun à ces trois tems ; ce qui annonce une idée commune aux trois. Mais laudaturus, a, um est adjectif, &, comme on le sait, il s’accorde en genre, en nombre, & en cas avec le sujet du verbe ; c’est qu’il en exprime le rapport à l’action qui constitue la signification propre du verbe.

On voit d’autre part les présens du verbe auxiliaire, servir à la distinction de ces trois tems. Le présent indéfini, sum, fait envisager la futurition exprimée par le participe, dans le sens indéfini & sans rapport à aucune époque déterminée ; ce qui, dans l’occurrence, la fait rapporter à une époque actuelle ; laudaturus nunc sum.

Le présent antérieur, eram, fait rapporter la futurition du participe à une époque déterminément antérieure, d’où cette futurition pouvoit être envisagée comme actuelle : laudaturus eram, c’est-à-dire, poteram tunc dicere, laudaturus nunc sum.

C’est à proportion la même chose du présent postérieur, ero ; il rapporte la futurition du participe à une époque déterminément postérieure, d’où elle pourra être envisagée comme actuelle : laudaturus ero, c’est-à-dire, potero tunc dicere, laudaturus nunc sum.

C’est pour les préterits la même analyse & la même décomposition ; on le voit sensiblement dans ceux des verbes déponens :

Prétérit indéfini, precatus sum ;
Prétérit antérieur, precatus eram ;
Prétérit postérieur, precatus ero.

Le prétérit du participe, commun aux trois tems, & assujetti à s’accorder en genre, en nombre, & en cas avec le sujet, exprime l’état par rapport à l’action qui fait la signification propre du verbe, état d’antériorité qui devient dès-lors le caractere commun des trois tems.

Les trois présens du verbe auxiliaire sont pareillement relatifs aux différens aspects de l’époque. Precatus sum doit quelquefois être pris dans le sens indéfini ; d’autres fois dans le sens actuel, precatus nunc sum. Precatus eram, c’est-à-dire, tunc poteram dicere, precatus nunc sum. Et precatus ero, c’est tunc potero dicere, precatus nunc sum.

Quoique les présens soient simples dans tous les verbes latins, cependant l’analyse précédente des futurs & des prétérits nous indique comment on peut décomposer & interpréter les présens.

Precor, c’est-à-dire, sum precans, ou nunc sum precans.

Precabar, c’est-à-dire, eram precans, ou tunc poteteram dicere, nunc sum precans.

Precabor, c’est-à-dire, ero precans, ou tunc potero dicere, nunc sum precans.

On voit donc encore ici l’idée de simultanéité commune à ces trois tems, & désignée par le présent du participe ; cette idée est ensuite modifiée par les divers aspects de l’époque, lesquels sont désignés par les divers présens du verbe auxiliaire.

Toutes les especes d’analogies, prises dans diverses langues, ramenent donc constamment les tems du verbe à la même classification qui a été indiquée par le développement métaphysique des idées comprises dans la signification de ces formes. Ceux qui connoissent, dans l’étude des langues, le prix de l’analogie, sentent toute la force que donne à mon système cette heureuse concordance de l’analogie avec la métaphysique, & avoueront aisément que c’étoit à juste titre que Varron confondoit l’analogie & la raison.

Seroit-ce en effet le hasard qui reproduiroit si constamment & qui assortiroit si heureusement des analogies si précises & si marquées, dans des langues d’ailleurs très-différentes ? Il est bien plus raisonnable & plus sûr d’y reconnoître le sceau du génie supérieur qui préside à l’art de la parole, qui dirige l’esprit particulier de chaque langue, & qui, en abandonnant au gré des nations les couleurs dont elles peignent la pensée, s’est réservé le dessein du tableau, parce qu’il doit toujours être le même, comme la pensée qui en est l’original ; & je ne doute pas qu’on ne retrouve dans telle autre langue formée, où l’on en voudra faire l’épreuve, les mêmes analogies ou d’autres équivalentes également propres à confirmer mon système.

Art. IV. Conformité du système des tems avec les vues de la syntaxe. Voici des considérations d’une autre-espece, mais également concluantes.

I. Si l’on conserve aux tems leurs anciennes dénominations, & que l’on en juge par les idées que ces dénominations présentent naturellement, il faut en convenir, les censeurs de notre langue en jugent raisonnablement ; & en examinant les divers emplois des tems, M. l’abbé Regnier a bien fait d’écrire en titre que l’usage confond quelquefois les tems des verbes, (gram. fr. in-12. p. 342. & suiv. in-4°. p. 359.) & d’assurer en effet que le présent a quelquefois la signification du futur, d’autres fois celle du prétérit, & que le prétérit à son tour est quelquefois employé pour le futur.

Mais ces étonnantes permutations ne peuvent qu’apporter beaucoup de confusion dans le discours, & faire obstacle à l’institution même de la parole. Cette faculté n’a été donnée à l’homme que pour la manifestation de ses pensées ; & cette manifestation ne peut se faire que par une exposition claire, débarrassée de toute équivoque &, à plus forte raison, de toute contradiction. Cependant rien de plus contradictoire que d’employer le même mot pour exprimer des idées aussi incommutables & même aussi opposées que celles qui caractérisent les différentes especes de tems.

Si au-contraire on distingue avec moi les trois especes générales de tems en indéfinis & définis, & ceux-ci en antérieurs & postérieurs, toute contradiction disparoît. Quand on dit, je demande pour je demandai, où il va pour où il alloit, je pars pour je partirai, le présent indéfini est employé selon sa destination naturelle : ce tems fait essentiellement abstraction de tout terme de comparaison déterminé ; il peut donc se rapporter, suivant l’occurrence, tantôt à un terme & tantôt à un autre, & devenir en conséquence, actuel, antérieur ou postérieur, selon l’exigence des cas.

Il en est de même du prétérit indéfini ; ce n’est point le détourner de sa signification naturelle, que de dire, par exemple, j’ai bientôt fait pour j’aurai bientôt fait : ce tems est essentiellement indépendant de tout terme de comparaison ; de-là la possibilité de le rapporter à tous les termes possibles de comparaison, selon les besoins de la parole.

Ce choix des tems indéfinis au lieu des définis, n’est pourtant pas arbitraire : il n’a lieu que quand il convient de rendre en quelque sorte plus sensible le rapport général d’existence, que le terme de comparaison ; distinction délicate, que tout esprit n’est pas en état de discerner & de sentir.

C’est pour cela que l’usage du présent indéfini est si fréquent dans les récits, sur-tout quand on se propose de les rendre intéressans ; c’est en lier plus essentiellement les parties en un seul tout, par l’idée de co-existance rendue, pour ainsi dire, plus saillante par l’usage perpétuel du présent indéfini, qui n’indique que cette idée, & qui fait abstraction de celle du terme.

Cette maniere simple de rendre raison des différens emplois d’un même tems, doit paroître, à ceux qui veulent être éclairés & qui aiment des solutions raisonnables, plus satisfaisante & plus lumineuse que l’énallage, nom mystérieux sous lequel se cache pompeusement l’ignorance de l’analogie, & qui ne peut pas être plus utile dans la Grammaire, que ne l’étoit dans la Physique les qualités occultes du périparétisme. Pour détruire le prestige, il ne faut que traduire en françois ce mot grec d’origine, & voir quel profit on en tire quand il est dépouillé de cet air scientifique qu’il tient de sa source. Est-on plus éclairé, quand on a dit que je pars, par exemple, est mis pour je partirai par un changement ? car voilà ce que signifie le mot énallage. Ajoutons ces réflexions à celles de M. du Marsais, & concluons avec ce grammairien raisonnable (voyez Enallage), que « l’énallage est une prétendue figure de construction, que les grammairiens qui raisonnent ne connoissent point, mais que les grammatistes célebrent ».

II. Il suit évidemment des observations précédentes, que les notions que j’ai données des tems sont un moyen sûr de conciliation entre les langues, qui, pour exprimer la même chose, emploient constamment des tems différens. Par exemple, nous disons en françois, si je le trouve, je le lui dirai ; les Italiens se le trovero, glie lo dirò. Selon les idées ordinaires, la langue italienne est en regle, & la langue françoise autorise une faute contre les principes de la Grammaire générale, en admettant un présent au lieu d’un futur. Mais si l’on consulte la saine philosophie, il n’y a dans notre tour ni figure, ni abus ; il est naturel & vrai : les Italiens se servent du présent postérieur, qui convient en effet au point de vue particulier que l’on veut rendre ; & nous, nous employons le présent indéfini, parce qu’indépendant par nature de toute époque, il peut s’adapter à toutes les époques, & conséquemment à une époque postérieure.

Mille autres idiotismes pareils s’interpréteroient aussi aisément & avec autant de vérité par les mêmes principes. Le succès en démontre donc la justesse, & met en évidence la témérité de ceux qui taxent hardiment les usages des langues de bisarrerie, de caprice, de confusion, d’inconséquence, de contradiction. Il est plus sage, je l’ai déjà dit ailleurs, & je le répete ici ; il est plus sage de se défier de ses propres lumieres, que de juger irrégulier ce dont on ne voit pas la régularité.

Art. V. De quelques divisions des tems, particulieres à la langue françoise. Si je bornois ici mes réflexions sur la nature & le nombre des tems, bien des lecteurs s’en contenteroient peut-être, parce qu’en effet j’ai à-peu-près examiné ceux qui sont d’un usage plus universel. Mais notre langue en a adopté quelques-uns qui lui sont propres, & qui dès-lors méritent d’être également approfondis, moins encore parce qu’ils nous appartiennent, que parce que la réalité de ces tems dans une langue en prouve la possibilité dans toutes, & que la sphere d’un système philosophique doit comprendre tous les possibles.

§. 1. Des tems prochains & éloignés. Sous le rapport de simultanéité, l’existence est coincidente avec l’époque ; mais sous les deux autres rapports, d’antériorité & de postériorité, l’existence est séparée de l’époque par une distance, que l’on peut envisager d’une maniere vague & générale, ou d’une maniere spéciale & précise ; ce qui peut faire distinguer les prétérits & les futurs en deux classes.

Dans l’une de ces classes, on considéreroit la distance d’une maniere vague & indéterminée, ou plutôt on y considéreroit l’antériorité ou la postériorité sans aucun égard à la distance, & conséquemment avec abstraction de toute distance déterminée. Pour ne point multiplier les dénominations, on pourroit conserver aux tems de cette classe les noms simples de prétérits ou de futurs, parce qu’on n’y exprime effectivement que l’antériorité ou la postériorité ; tels sont les prétérits & les futurs que nous avons vus jusqu’ici.

Dans la seconde classe, on considéreroit la distance d’une maniere précise & déterminée. Mais il n’est pas possible de donner à cette détermination la précision numérique ; ce seroit introduire dans les langues une multitude infinie de formes, plus embarrassantes pour la mémoire qu’utiles pour l’expression, qui a d’ailleurs mille autres ressources pour rendre la précision numérique même, quand il est nécessaire. La distance à l’époque ne peut donc être déterminée dans les tems du verbe, que par les caracteres généraux d’éloignement ou de proximité relativement à l’époque : de-là la distinction des tems de cette seconde classe, en éloignés & en prochains.

Les prétérits ou les futurs éloignés, seroient des formes qui exprimeroient l’antériorité ou la postériorité d’existence, avec l’idée accessoire d’une grande distance à l’égard de l’époque de comparaison. Sous cet aspect, les prétérits & les futurs pourroient être, comme les autres, indéfinis, antérieurs & postérieurs. Telles seroient, par exemple, les formes du verbe lire qui signifieroient l’antériorité éloignée que nous rendons par ces phrases : Il y a long-tems que j’ai lu, il y avoit long-tems que j’avois lu, il y aura long-tems que j’aurai lu ; ou la postériorité éloignée que nous exprimons par celles-ci : je dois être longtems sans lire, je devois être long-tems sans lire, je devrai être long-tems sans lire.

Je ne sache pas qu’aucune langue ait admis des formes exclusivement propres à exprimer cette espece de tems ; mais, comme je l’ai déjà observé, la seule possibilité suffit pour en rendre l’examen nécessaire dans une analyse exacte.

Les prétérits ou les futurs prochains, seroient des formes qui exprimeroient l’antériorité ou la postériorité d’existence, avec l’idée accessoire d’une courte distance à l’égard de l’époque de comparaison. Sous ce nouvel aspect, les prétérits & les futurs peuvent encore être indéfinis, antérieurs & postérieurs. Telles seroient, par exemple, les formes du verbe lire, qui signifieroient l’antériorité prochaine que les Latins rendent par ces phrases : Vix legi, vix legeram, vix legero ; ou la postériorité prochaine que les Latins expriment par celles-ci : jamjam lecturus sum, jamjam lecturus eram, jamjam lecturus ero.

La langue françoise qui paroît n’avoir tenu aucun compte des tems éloignés, n’a pas négligé de même les tems prochains : elle en reconnoît trois dans l’ordre des prétérits, & deux dans l’ordre des futurs ; & chacune de ces deux especes de tems prochains est distinguée des autres tems de la même classe par son analogie particuliere.

Les prétérits prochains sont composés du verbe auxiliaire venir, & du présent de l’infinitif du verbe conjugué, à la suite de la préposition de. Le verbe auxiliaire ne signifie plus alors le transport d’un lieu en un autre, comme quand il est employé selon sa destination originelle ; ses tems ne servent plus qu’à marquer la proximité de l’antériorité, & le point-de-vûe particulier sous lequel on envisage l’époque de comparaison.

Le présent indéfini du verbe venir sert à composer le prétérit indéfini prochain du verbe conjugué : je viens d’être, je viens de louer, je viens d’admirer, &c.

Le présent antérieur du verbe venir sert à composer le prétérit antérieur prochain du verbe conjugué : je venois d’être, je venois de louer, je venois d’admirer, &c.

Le présent postérieur du verbe venir sert à composer le prétérit postérieur prochain du verbe conjugué : je viendrai d’être, je viendrai de louer, je viendrai d’admirer, &c.

Depuis quelque tems on dit en italien, io vengo di lodare, io venivo di lodare, &c. cette expression est un gallicisme qui a été blâmé par M. l’abbé Fontanini ; mais l’autorité de l’usage l’a enfin consacrée dans la langue italienne ; & la voilà pourvue, comme la nôtre, des prétérits prochains.

Les futurs prochains sont composés du verbe auxiliaire aller, suivi simplement du présent de l’infinitif du verbe conjugué. Le verbe auxiliaire perd encore ici sa signification originelle, pour ne plus marquer que la proximité de la futurition ; & ses divers présens désignent les divers points-de-vûe sous lesquels on envisage l’époque de comparaison.

Le présent indéfini du verbe aller sert à composer le futur indéfini prochain du verbe conjugué : je vais être, je vais louer, je vais admirer, &c.

Le présent antérieur du verbe aller sert à composer le futur antérieur prochain du verbe conjugué : j’allois être, j’allois louer, j’allois admirer, &c.

Quand je dis que notre langue n’a point admis de tems éloignés, ni de futurs postérieurs prochains, je ne veux pas dire qu’elle soit privée de tous les moyens d’exprimer ces différens points de-vûe ; il ne lui faut qu’un adverbe, un tour de phrase, pour subvenir à tout. Je veux dire qu’elle n’a autorisé pour cela, dans ses verbes, aucune forme simple, ni aucune forme composée résultante de l’association d’un verbe auxiliaire qui se dépouille de sa signification originelle, pour marquer uniquement l’antériorité ou la postériorité d’existence éloignée, ou la postériorité d’existence prochaine à l’égard d’une époque postérieure. Je fais cette remarque, afin d’éviter toute équivoque & d’être entendu ; & je vais y en ajouter une seconde pour la même raison.

Quoique j’aye avancé que les verbes auxiliaires usuels perdent sous cet aspect leur signification originelle ; le choix de l’usage qui les a autorisés à faire ces fonctions, est pourtant fondé sur la signification même de ces verbes. Le verbe venir, par exemple, suppose une existence antérieure dans le lieu d’où l’on vient ; & dans le moment qu’on en vient, il n’y a pas long-tems qu’on y étoit : voilà précisement la raison du choix de ce verbe, pour servir à l’expression des prétérits prochains. Pareillement le verbe aller indique la postériorité d’existence dans le lieu où l’on va ; dans le tems qu’on y va, on est dans l’intention d’y être bientôt : voilà encore la justification de la préférence donnée à ce verbe pour désigner les futurs prochains. On justifieroit par des inductions à-peu-près pareilles, les usages des verbes auxiliaires avoir & devoir, pour désigner d’une maniere générale l’antériorité & la postériorité d’existence. Mais il n’en demeure pas moins vrai que tous ces verbes, devenus auxiliaires, perdent réellement leur signification primitive & fondamentale, & qu’ils n’en retiennent que des idées accessoires & éloignées, qui en sont plutôt l’appanage que le fonds.

§. 2. Des tems positifs & comparatifs. Pour ne rien omettre de tout ce qui peut appartenir à la langue françoise, il me reste encore à examiner quelques tems qui y sont quelquefois usités quoique rarement, parce qu’ils y sont rarement nécessaires. C’est ainsi qu’en parle M. l’abbé de Dangeau, l’un de nos premiers grammairiens qui les ait observés & nommés. Opusc. sur la langue franq. page 177. 178. Il les appelle tems surcomposés, & il en donne le tableau pour les verbes qu’il nomme actifs, neutres-actifs & neutres-passifs. Ibid. Tables E. N. Q. page 128. 142. 148. Tels sont ces tems : j’ai eu chanté, j’avois eu marché, j’aurai été arrivé.

Je commencerai par observer que la dénomination de tems surcomposés est trop générale, pour exciter dans l’esprit aucune idée précise, & conséquemment pour figurer dans un système vraiment philosophique.

J’ajouterai en second lieu, que cette dénomination n’a aucune conformité avec les lois que le simple bon sens prescrit sur la formation des noms techniques. Ces noms, autant qu’il est possible, doivent indiquer la nature de l’objet : c’est la regle que j’ai tâché de suivre à l’égard des dénominations que les besoins de mon système m’ont paru exiger ; & c’est celle dont l’observation paroît le plus sensiblement dans la nomenclature des sciences & des arts. Or il est évident que le nom de surcomposés n’indique absolument rien de la nature des tems auxquels on le donne, & qu’il ne tombe que sur la forme extérieure de ces tems, laquelle est absolument accidentelle. Il peut donc être utile, pour la génération des tems, de remarquer cette propriété dans ceux que l’usage y a soumis ; mais en faire comme le caractere distinctif, c’est une méprise, & peut-être une erreur de logique.

Je remarquerai en troisieme lieu, que les relations d’existence qui caractérisent les tems dont il s’agit ici, sont bien différentes de celles des tems moins composés que nous avons vus jusqu’à présent : j’ai eu aimé, j’avois eu entendu, j’aurois eu dit, sont par-là très différens des tems moins composés, j’ai aimé, j’avois entendu, j’aurois dit. Or nous avons des tems surcomposés qui répondent exactement à ces derniers quant aux relations d’existence ; ce sont ceux de la voix passive, j’ai été aimé, j’avois été entendu, j’aurois été dit. Ainsi la dénomination de surcomposés comprendroit des tems qui exprimeroient des relations d’existence tout-à-fait différentes, & deviendroit par-là très-équivoque ; ce qui est le plus grand vice d’une nomenclature, & sur-tout d’une nomenclature technique.

Une quatrieme remarque encore plus considérable, c’est que les tables de conjugaison proposées par M. l’abbé de Dangeau, semblent insinuer que les verbes qu’il nomme pronominaux, n’admettent point de tems surcomposés ; & il le dit nettement dans l’explication qu’il donne ensuite de ses tables. « Les parties surcomposées des verbes se trouvent, dit-il, (Opusc. page 210.) dans les neutres-passifs, & on dit, quand il a été arrivé : elles ne se trouvent point dans les verbes pronominaux neutrisés ; on dit bien, après m’être promené, mais on ne peut pas dire, après que je m’ai été promené long-tems ». conviens qu’avec cette sorte de verbes on ne peut pas employer les tems composés du verbe auxiliaire être, ni dire, je m’ai été souvenu, comme on diroit j’ai été arrivé : mais de ce que l’usage n’a point autorisé cette formation des tems surcomposés, il ne s’ensuit point du tout qu’il n’en ait autorisé aucune autre.

On dit, après que j’ai eu parlé, verbe qui prend l’auxiliaire avoir ; après que j’ai été arrivé, verbe qui prend l’auxiliaire être ; l’un & l’autre sans la répétition du pronom personnel : mais il est constant que d’après les mêmes points-de-vûe que l’on marque dans ces deux exemples, on peut avoir besoin de les désigner aussi quand le verbe est pronominal ou réflechi ; & il n’est guere moins sûr que l’analogie du langage n’aura pas privé cette sorte de verbe d’une forme qu’elle a établie dans tous les autres. De même que l’on dit, dès que j’ai eu chanté, je suis parti pour vous voir (c’est un exemple du savant académicien) ; dès que j’ai été sorti, vous êtes arrivé : pourquoi ne diroit-on pas dans le même sens, & avec autant de clarté, de précision, & peut-être de fondement, dès que je me suis eu informé, je vous ai écrit ? Au-lieu donc de dire, après que je m’ai été promené long-tems, expression justement condamnée par M. de Dangeau, on dira, après que je me suis eu promené long-tems, ou après m’être eu promené long-tems.

Il est vrai que je ne garantirois pas qu’on trouvât dans nos bons écrivains des exemples de cette formation : mais je ne désespererois pas non plus d’y en rencontrer quelques-uns, sur-tout dans les comiques, dans les épistolaires, & dans les auteurs de romans ; & je suis bien assuré que tous les jours, dans les conversations des puristes les plus rigoureux, on entend de pareilles expressions sans en être choqué, ce qui est la marque la plus certaine qu’elles sont dans l’analogie de notre langue. Si elles ne sont pas encore dans le langage écrit, elles méritent du moins de n’en être pas rejettées : tout les y réclame, les intérêts de cette précision philosophique, qui est un des caracteres de notre langue ; & ceux mêmes de la langue, qu’on ne sauroit trop enrichir dès qu’on peut le faire sans contredire les usages analogiques.

Mais, me dira-t-on, l’analogie même n’est pas trop observée ici : les verbes simples qui se conjuguent avec l’auxiliaire avoir, prennent un tems composé de cet auxiliaire, pour former leurs tems surcomposés ; j’ai eu chanté, j’aurois eu chanté, &c. les verbes simples qui se conjuguent avec l’auxiliaire être, prennent un tems composé de cet auxiliaire, pour former leurs tems surcomposés ; j’ai été arrivé, j’aurois été arrivé, &c. au contraire les tems surcomposés des verbes pronominaux prennent un tems simple du verbe être avec le supin du verbe avoir ; ce qui est ou paroît du-moins être une véritable anomalie.

Je réponds qu’il faut prendre garde de regarder comme anomalie, ce qui n’est en effet qu’une différence nécessaire dans l’analogie. Le verbe aimer fait j’ai aimé, j’ai eu aimé : s’il devient pronominal, il fera je me suis aimé ou aimée, au premier de ces deux tems où il n’est plus question du supin, mais du participe : mais quant au second, il faudra donc pareillement substituer le participe au supin, & pour ce qui est de l’auxiliaire avoir, il doit, à cause du double pronom personnel, se conjuguer lui-même par le secours de l’auxiliaire être ; je me suis eu, comme je me suis aimé ; mais ce supin du verbe avoir ne change point, & demeure indéclinable, parce que son véritable complément est le participe aimé dont il est suivi, voyez Participe. Ainsi aimer fera très-analogiquement je me suis ou aimé ou aimée.

Mais quelle est enfin la nature de ces tems, que nous ne connoissons que sous le nom de prétérits surcomposés ? L’un des deux auxiliaires y caractérise, comme dans les autres, l’antériorité ; le second, si nos procédés sont analogiques, doit désigner encore un autre rapport d’antériorité, dont l’idée est accessoire à l’égard de la premiere qui est fondamentale. L’antériorité fondamentale est relative à l’époque que l’on envisage primitivement ; & l’antériorité accessoire est relative à un autre événement mis en comparaison avec celui qui est directement exprimé par le verbe, sous la relation commune à la même époque primitive. Quand je dis, par exemple, dès que j’ai eu chanté, je suis parti pour vous voir ; l’existance de mon chant & celle de mon départ sont également présentées comme antérieures au moment où je parle ; voilà la relation commune à une même époque primitive, & c’est la relation de l’antériorité fondamentale : mais l’existence de mon chant est encore comparée à celle de mon départ, & le tour particulier j’ai eu chanté sert à marquer que l’existence de mon chant est encore antérieure à celle de mon départ, & c’est l’antériorité accessoire.

C’est donc cette antériorité accessoire, qui distingue des prétérits ordinaires ceux dont il est ici question ; & la dénomination qui leur convient doit indiquer, s’il est possible, ce caractere qui les différencie des autres. Mais comme l’antériorité fondamentale de l’existence est déjà exprimée par le nom de prétérit, & celle de l’époque par l’épithete d’antérieur ; il est difficile de marquer une troisieme fois la même idée, sans courir les risques de tomber dans une sorte de battologie : pour l’éviter, je donnerois à ces tems le nom de prétérits comparatifs, afin d’indiquer que l’antériorité fondamentale, qui constitue la nature commune de tous les prétérits, est mise en comparaison avec une autre antériorité accessoire ; car les choses composées doivent être homogènes. Or il y a quatre prétérits comparatifs.

1. Le prétérit indéfini comparatif, comme j’ai eu chanté.

2. Le prétérit antérieur simple comparatif, comme j’avois eu chanté.

3. Le prétérit antérieur périodique comparatif, comme j’eus eus chanté.

4. Le prétérit postérieur comparatif, comme j’aurai eu chanté.

Il me semble que les prétérits qui ne sont point comparatifs, sont suffisamment distingués de ceux qui le sont, par la suppression de l’épithete, même de comparatifs ; car c’est être en danger de se payer de paroles, que de multiplier les noms sans nécessité. Mais d’autre part, on court risque de n’adopter que des idées confuses, quand on n’en attache pas les caracteres distinctifs à un assez grand nombre de dénominations : & cette remarque me détermineroit assez à appeller positifs tous les prétérits qui ne sont pas comparatifs, sur-tout dans les occurrences où l’on parleroit des uns, relativement aux autres. Je vais me servir de cette distinction dans une derniere remarque sur l’usage des prétérits comparatifs.

Ils ne peuvent jamais entrer que dans une proposition qui est membre d’une période explicite ou implicite : explicite ; j’ai eu lu tout ce livre avant que vous en eussiez lu la moitié : implicite ; j’ai eu lu tout ce livre avant vous, c’est-à-dire, avant que vous l’eussiez lu. Or c’est une regle indubitable qu’on ne doit se servir d’un prétérit comparatif, que quand le verbe de l’autre membre de la comparaison est à un prétérit positif de même nom ; parce que les termes comparés, comme je l’ai dit cent fois, doivent être homogenes. Ainsi l’on dira ; quand j’ai eu chanté, je suis sorti ; si j’avois eu chanté, je serois sorti avec vous ; Quand nous aurons été sortis, ils auront renoué la partie, &c. Ce seroit une faute d’en user autrement, & de dire, par exemple, si j’avois eu chanté, je sortirois, &c.

Art. VI. Des tems considérés dans les modes. Les verbes se divisent en plusieurs modes qui répondent aux différens aspects sous lesquels on peut envisager la signification formelle des verbes, voyez Mode. On retrouve dans chaque mode la distinction des tems, parce qu’elle tient à la nature indestructible du verbe, (voyez Verbe.) Mais cette distinction reçoit d’un mode à l’autre des différences si marquées, que cela mérite une attention particuliere. Les observations que je vais faire à ce sujet, ne tomberont que sur nos verbes françois, afin d’éviter les embarras qui naîtroient d’une comparaison trop compliquée ; ceux qui m’auront entendu, & qui connoîtront d’autres langues, sauront bien y appliquer mon système, & reconnoître les parties qui en auront été adoptées ou rejettées par les différens usages de ces idiomes.

Nous avons six modes en françois : l’indicatif, l’impératif, le suppositif, le subjonctif, l’infinitif & le participe, (voyez ces mots)  : c’est l’ordre que je vais suivre dans cet article.

§. 1. Des tems de l’indicatif. Il semble que l’indicatif soit le mode le plus naturel & le plus nécessaire : lui seul exprime directement & purement la proposition principale ; & c’est pour cela que Scaliger le qualifie solus modus aptus scientiis, solus pater veritatis (de caus. L. L. cap. cxvj.) Aussi est-ce le seul mode qui admette toutes les especes de tems autorisées dans chaque langue. Ainsi il ne s’agit, pour faire connoître au lecteur le mode indicatif, que de mettre sous ses yeux le système figuré des tems que je viens d’analyser. Je mettrai en parallele trois verbes ; l’un simple, empruntant l’auxiliaire avoir ; le second également simple, mais se servant de l’auxiliaire naturel être ; enfin le troisieme pronominal, & pour cela même différent des deux autres dans la formation de ses prétérits comparatifs. Ces trois verbes seront chanter, arriver, se révolter.


SYSTÉME DES TEMS DE L’INDICATIF.
I. II. III.
PRÉSENS indéfini. je chante. j’arrive. je me révolte.
définis. antérieurs. simple. je chantois. j’arrivois. je me révoltois.
périodique. je chantai. j’arrivai. je me révoltai.
postérieur. je chanterai. j’arriverai. je me révolterai.
PRÉTÉRITS. Positifs. indéfini. j’ai. chanté. je fuis. arrivé ou vée. je me fuis. révolté ou tée.
définis. antérieurs. simple. j’avois j’étois. je m’étois.
périodique. j’eus. je fus. je me fus.
postérieur. j’aurai eu. j’aurai été. je me ferai eu.
Comparatifs. indéfini. j’ai eu. chanté. j’ai été. arrivé ou vée. je me fais eu. révolté ou tée.
défini. antérieur. simple j’avois eu. j’avois été. je m’étois eu.
périodique. j’eûs eu. j’eus été. je me fus eu.
postérieur. je me ferai eu. j’aurais été. je me ferai eu.
Prochains. indéfini. je viens. de chanter. je viens. d’arriver. je viens. de me révolter.
défini. antérieur. je venois. je venois. je venois.
postérieur. je viendrai. je viendrai. je viendrai.
FUTURS. Positifs indéfini. je dois. chanter. je dois. arriver. je dois. me révolter.
définis. antérieur. je devois. je devois. je devois.
postérieur. je devrais. je devrais. je devrais.
Prochains. indéfini je vais. chanter. je vais. arriver. je vais. me révolter.
défini, antérieur. j’allois. j’allois. j’allois.


§. 2. Des tems de l’impératif. J’ai déja prouvé que notre impératif a deux tems ; que le premier est un présent postérieur, & le second, un prétérit postérieur, (voyez Impératif.) J’avoue ici, que malgré tous mes efforts contre les préjugés de la vieille routine, je n’ai pas dissipé toute l’illusion de la maxime d’Apollon. (lib. I. cap. xxx.), qu’on ne commande pas les choses présentes ni les passées. Je pensois que ce qui avoit trompé ce grammairien, c’est que le rapport de postériorité étoit essentiel au mode impératif : je ne le croi plus maintenant, & voici ce qui me fait changer d’avis. L’impératif est un mode qui ajoute à la signification principale du verbe, l’idée accessoire de la volonté de celui qui parle : or cette volonté peut être un commandement absolu, un desir, une permission, un conseil, un simple acquiescement. Si la volonté de celui qui parle est un commandement, un desir, une permission, un conseil ; tout cela est nécessairement relatif à une époque postérieure, parce qu’il n’est possible de commander, de desirer, de permettre, de conseiller que relativement à l’avenir : mais si la volonté de celui qui parle est un simple acquiescement, il peut se rapporter indifféremment à toutes les époques, parce qu’on peut également acquiescer à ce qui est actuel, antérieur ou postérieur à l’égard du moment où l’on s’en explique.

Un domestique, par exemple, dit à son maître qu’il a gardé la maison, qu’il n’est pas sorti, qu’il ne s’est pas enyvré ; mais son maître, piqué de ce que néanmoins il n’a pas fait ce qu’il lui avoit ordonné, lui répond : aye garde la maison, ne sois pas sorti, ne te sois pas enyvré, que m’importe, si tu n’as pas fait ce que je voulois. Il est évident 1°. que ces expressions aye gardé, ne sois pas sorti, ne te sois pas enyvré, sont à l’impératif, puisqu’elles indiquent l’acquiescement du maître aux assertions du domestique : 2°. qu’elles sont au prétérit actuel, puisqu’elles énoncent l’existence des attributs qui y sont énoncés, comme antérieurs au moment même où l’on parle ; & le maître auroit pu dire, tu as gardé la maison, tu n’es pas sorti, tu ne t’es pas enyvré, que m’importe, &c.

Le prétérit de notre impératif peut donc être rapporté à différentes époques, & par conséquent il est indéfini. C’est d’après cette correction que je vais présenter ici le système des tems de ce mode, un peu autrement que je n’ai fait à l’article qui en traite expressément. Ceux qui ne se rétractent jamais, ne donnent pas pour cela des décisions plus sûres ; ils ont quelquefois moins de bonne foi.


SYSTÈME DES TEMS DE L’IMPERATIF.
I. II. III.
Présent postérieur. chante. arrive. révolte-toi.
Prétérit indéfini. aie chanté. sois arrivé ou vée. *


Les verbes pronominaux n’ont pas le prétérit indéfini à l’impératif, si ce n’est avec ne pas, comme dans l’exemple ci-dessus, ne te sois pas enyvré ; mais on ne diroit pas sans négation, te sois enyvré ; il faudroit prendre un autre tour. On pourroit peut-être croire que ce seroit un impératif, si on disoit, te soistu enyvré pour la derniere fois ! Mais l’inversion du pronom subjectif tu nous avertit ici d’une ellipse, & c’est celle de la conjonction que & du verbe optatif je desire, je desire que tu te sois enyvré, ce qui marque le subjonctif : (voyez Subjonctif.) d’ailleurs le pronom subjectif n’est jamais exprimé avec nos impératifs, & c’est même ce qui en constitue principalement la forme distinctive. (Voyez Impératif.)

§. 3. Des tems du suppositif. Nous avons dans ce mode un tems simple, comme les présens de l’indicatif ; je chanterois, j’arriverois, je me révolterois : nous en avons un qui est composé d’un tems simple de l’auxiliaire avoir, ou de l’auxiliaire être, comme les prétérits positifs de l’indicatif ; j’aurois chanté, je serois arrivé en vie, je me serois révolté ou tée : un autre tems est surcomposé, comme les prétérits comparatifs de l’indicatif, j’aurois eu chanté, j’aurois été arrivé ou vée, je me serois révolté ou tée : un autre emprunte l’auxiliaire venir, comme les prétérits prochains de l’indicatif ; je viendrois de chanter, d’arriver, de me dérober : enfin, il en est un qui se sert de l’auxiliaire devoir, comme les futurs positifs de l’indicatif ; je devrois chanter, arriver, me révolter. L’analogie, qui dans les cas réellement semblables, établit toujours les usages des langues sur les mêmes principes, nous porte à ranger ces tems du suppositif dans les mêmes classes que ceux de l’indicatif auxquels ils sont analogues dans leur formation. Voilà sur quoi est formé le


SYSTÈME DES TEMS DU SUPPOSITIF.
I. II. III.
Présent. je chanterois. j’arriverois. je me révolterois.
Prétérits positif. j’aurois chanté. je serois arrivé ou vée. je me serois révolté ou tée.
comparatif. j’aurois eu chanté. j’aurois été arrivé ou vée. je me serois eu révolté ou tée.
prochain. je viendrois de chanter. je viendrois d’arriver. je viendrois de me révolter.
Futur. je devrois chanter. je devrois arriver. je devrois me révolter.


Achevons d’établir par des exemples détaillés, ce qui n’est encore qu’une conclusion générale de l’analogie ; & reconnoissons, par l’analyse de l’usage, la vraie nature de chacun de ces tems.

1°. Le présent du suppositif est indéfini ; il en a les caracteres, puisqu’étant rapporté tantôt à une époque, & tantôt à une autre, il ne tient effectivement à aucune époque précise & déterminée.

Si Clément VII. eût traité Henri VIII. avec plus de modération, la religion catholique seroit encore aujourd’hui dominante en Angleterre. Il est évident par l’adverbe aujourd’hui, que seroit est employé dans cette phrase comme présent actuel.

En peignant dans un récit le desespoir d’un homme lâche, on peut dire : Il s’arrache les cheveux, il se jette à terre, il se releve, il blasphème contre le ciel, il déteste la vie qu’il en a reçue, il mourroit s’il avoit le courage de se donner la mort. Il est certain que tout ce que l’on peint ici est antérieur au moment où l’on parle ; il s’arrache, il se jette, il se releve, il blasphème, il déteste, sont dits pour il s’arrachoit, il se jettoit, il se relevoit, il blasphémoit, il détestoit, qui sont des présents antérieurs, & qui dans l’instant dont on rappelle le souvenir, pouvoient être employés comme des présents actuels : mais il en est de même du verbe il mourroit ; on pouvoit l’employer alors dans le sens actuel, & on l’emploie ici dans le sens antérieur comme les verbes précédens, dont il ne differe que par l’idée accessoire d’hypothèse qui caractérise le mode suppositif.

Si ma voiture étoit prête, je partirois demain : l’adverbe demain exprime si nettement une époque postérieure, qu’on ne peut pas douter que le verbe je partirois ne soit employé ici comme présent postérieur.

2°. Le prétérit positif est pareillement indéfini, puisqu’on peut pareillement le rapporter à diverses époques, selon la diversité des occurrences.

Les Romains auroient conservé l’empire de la terre, s’ils avoient conservé leurs anciennes vertus ; c’est-à-dire, que nous pourrions dire aujourd’hui, les Romains ont conservé, &c. Or, le verbe ont conservé étant rapporté à aujourd’hui, qui exprime une époque actuelle, est employé comme prétérit actuel : par conséquent il faut dire la même chose du verbe auroient conservé, qui a ici le même sens, si ce n’est qu’il ne l’énonce qu’avec l’idée accessoire d’hypothèse, au lieu que l’on dit ont conservé d’une maniere absolue & indépendante de toute supposition.

J’aurois fini cet ouvrage à la fin du mois prochain, si des affaires urgentes ne m’avoient détourné : le prétérit positif j’aurois fini est relatif ici à l’époque désignée par ces mots, la fin du mois prochain, qui est certainement une époque postérieure ; & c’est comme si l’on disoit, je pourrois dire à la fin du mois prochain, j’ai fini, &c. j’aurois fini est donc employé dans cette phrase comme prétérit postérieur.

3°. Ce qui est prouvé du prétérit positif, est également vrai du prétérit comparatif ; il peut dans différentes phrases se rapporter à différentes époques ; il est indéfini.

Quand j’aurois eu pris toutes mes mesures avant l’arrivée du ministre, je ne pouvois réussir sans votre crédit. Il y a ici deux événemens présentés comme antérieurs au moment de la parole, la précaution d’avoir pris toutes les mesures, & l’arrivée du ministre ; c’est pourquoi j’aurois eu pris est employé ici comme prétérit actuel, parce qu’il énonce la chose comme antérieure au moment de la parole : il est comparatif, afin d’indiquer encore l’antériorité des mesures prises à l’égard de l’arrivée du ministre, laquelle est également antérieure à l’époque actuelle. C’est comme si l’on disoit, quand à l’arrivée du ministre, (qui est au prétérit actuel, puisqu’elle est actuellement passée), j’aurois pu dire, (autre prétérit également actuel), j’ai pris toutes mes mesures, (prétérit rapporté immédiatement à l’époque de l’arrivée du ministre, & par comparaison à l’époque actuelle).

Si on lui avoit donné le commandement, j’étois sûr qu’il auroit eu repris toutes nos villes avant que les ennemis pussent se montrer ; c’est-à-dire, je pouvois dire avec certitude, il aura repris toutes nos villes, &c. Or il aura repris est vraiment le prétérit postérieur de l’indicatif ; il auroit eu repris est donc employé comme prétérit postérieur, puisqu’il renferme le même sens.

4°. Pour ce qui concerne le prétérit prochain, il est encore indéfini, & on peut l’employer avec rélation à différentes époques.

Quelqu’un veut tirer de ce que je viens de rentrer, une conséquence que je desavoue, & je lui dis : quand je viendrois de rentrer, cela ne prouve rien. Il est évident que ces mots je viendrois de rentrer, sont immédiatement rélatifs au moment où je parle, & que par conséquent c’est un prétérit prochain actuel ; c’est comme si je disois, j’avoue que actuellement, mais cela ne prouve rien.

Voici le même tems rapporté à une autre époque, quand je dis : allez chez mon frere, & quand il viendroit de rentrer, amenez-le ici. Le verbe amenez est certainement ici au présent postérieur, & il est clair que ces mots, il viendroit de rentrer, expriment un événement antérieur à l’époque énoncée par amenez, qui est postérieure ; par conséquent il viendroit de rentrer est ici un prétérit postérieur.

5°. Enfin, le futur positif est également indéfini, puisqu’il sert aussi avec relation à diverses époques, comme on va le voir dans ces exemples.

Quand je ne devrois pas vivre long-tems, je veux cependant améliorer cette terre ; c’est-à-dire, quand je serois sûr que je ne dois pas vivre : or je dois vivre est évidemment le futur positif indéfini de l’indicatif, employé ici avec relation à une époque actuelle ; & il ne prend la place de je devrois vivre, qu’autant que je devrois vivre, est également rapporté à une époque actuelle ; c’est donc ici un futur actuel.

Nous lui avons souvent entendu dire qu’il vouloit aller à ce siége, quand même il y devroit périr ; c’est-à-dire, quand même il seroit sûr qu’il y devoit périr : or il devoit périr est le futur positif antérieur de l’indicatif, & puisqu’il tient ici la place de il devroit périr, c’est que il devroit périr, est employé dans le même sens, & que c’est ici un futur antérieur.

Tous les tems du suppositif sont donc indéfinis ; on vient de le prouver en détail de chacun en particulier : en voici une preuve générale. Les tems en eux-mêmes sont susceptibles partout des mêmes divisions que nous avons vues à l’indicatif, à-moins que l’idée accessoire qui constitue la nature d’un mode, ne soit opposée à quelques-uns des points de vue de ces divisions, comme on l’a vu pour les tems de l’impératif. Mais l’idée d’hypothese & de supposition, qui distingue de tous les autres le mode suppositif, s’accorde très-bien avec toutes les manieres d’envisager les tems ; rien n’y répugne. Cependant l’usage de notre langue n’a admis qu’une seule forme pour chacune des especes qui sont soudivisées dans l’indicatif par les diverses manieres d’envisager l’époque : il est donc nécessaire que cette forme unique, dans chaque espece de suppositif, ne tienne à aucune époque déterminée, afin que dans l’occurrence elle puisse être rapportée à l’une ou à l’autre selon les besoins de l’élocution ; c’est-à-dire, que chacun des tems du suppositif doit être indéfini.

Cette propriété, dont j’ai cru indispensable d’établir la théorie, je n’ai pas cru devoir l’indiquer dans la nomenclature des tems du suppositif ; parce qu’elle est commune à tous les tems, & que les dénominations techniques ne doivent se charger que des épithetes nécessaires à la distinction des especes comprises sous un même genre.

§. IV. Des tems du subjonctif. Nous avons au subjonctif les mêmes classes générales de tems qu’à l’indicatif ; des présens, des prétérits & des futurs. Les prétérits y sont pareillement soudivisés en positifs, comparatifs & prochains ; & les futurs, en positifs & prochains. Toutes ces especes sont analogues, dans leur formation, aux especes correspondantes de l’indicatif & des autres modes : les présens y sont simples ; les prétérits positifs sont composés d’un tems simple de l’un des deux auxiliaires avoir ou être ; les comparatifs sont surcomposés des mêmes auxiliaires, & les prochains empruntent le verbe venir : les futurs positifs prennent l’auxiliaire devoir ; & les prochains, l’auxiliaire aller.


SYSTÈME DES TEMS DU SUBJONCTIF.
I. II. III.
PRÉSENS, indéfini. que je chante. j’arrive. je me révolte.
défini antérieur. je chantâsse. j’arrivâsse. je me révoltâsse.
PRÉTÉRITS, Positifs, indéfini. j’aye chanté. je sois arrivé
ou
vée.
je me sois révolté
ou
tée.
défini antérieur. j’eûsse je fûsse je me fûsse
Comparatifs, indéfini. j’aye eu chanté. j’aye été arrivé
ou
vée.
je me sois eu révolté ou tée.
défini antérieur. j’eûsse eu j’eûsse été je me fûsse eu
Prochains, indéfini. je vienne de chanter. je vienne d’arriver. je vienne de me révolter.
défini antérieur. je vînsse de je vînsse je vînsse de me
FUTURS, Positifs, indéfini. je doive chanter. je doive arriver. je doive me révolter.
défini antérieur. je dûsse je dûsse je dûsse me
Prochains, indéfini. j’aille chanter. j’aille arriver. j’aille me révolter.
défini antérieur. j’allâsse j’allâsse j’allâsse me

Il n’y a que deux tems dans chaque classe ; & je nomme le premier indéfini, & le second défini antérieur : c’est que le premier est destiné par l’usage à exprimer le rapport d’existence, qui lui convient, à l’égard d’une époque envisagée comme actuelle par comparaison, ou avec un présent actuel, ou avec un présent postérieur ; au lieu que le second n’exprime le rapport qui lui convient, qu’à l’égard d’une époque envisagée comme actuelle, par comparaison avec un présent antérieur. En voici la preuve dans une suite systématique d’exemples comparés, dont le second, énoncé par le mode & dans le sens indicatif, sert perpétuellement de réponse au premier, qui est énoncé dans le sens subjonctif.

Sens subjonctif. Sens indicatif.
PRÉSENS. indéfini, actuel. Je ne crois pas. que vous entendiez j’entends.
postérieur. je ne croirai pas que vous entendiez. j’entendrai.
défini, antérieur. je ne croyois pas que vous entendissiez. j’entendois.
PRÉTÉRITS. positifs. indéfini, actuel. je ne crois pas que vous ayez entendu. j’ai entendu.
postérieur. je n croirai pas que vous ayez entendu. j’aurai entendu.
défini, antérieur, je ne crois pas que vous eûssiez entendu. j’avois entendu.
comparatifs. indéfini, actuel. je ne crois pas que vous ayez eu fini longtems avant moi. j’ai eu fini longtems avant vous.
postérieur. je ne croirai pas que vous ayez eu fini longtems avant moi. j’aurai eu fini longtems avant vous.
défini, antérieur. je ne croyois pas que vous ayez eûssiez fini longtems avant moi. j’avois eu fini longtems avant vous.
prochains. indéfini, actuel. je ne crois pas que vous veniez d’arriver. je viens d’arriver.
postérieur. je ne croirai pas que vous veniez d’arriver. je viendrai d’arriver.
défini, antérieur. je ne croyois pas que vous vinssiez d’arriver. je venois d’arriver.
FUTURS. positifs. indéfini, actuel. je ne crois pas que vous deviez sortir la semaine prochaine. je dois sortir la semaine prochaine.
postérieur. je ne croirai pas que vous devriez sortir la semaine prochaine. je devrai sortir la semaine prochaine.
indéfini, antérieur. je ne croyois pas que vous dûssiez sortir la semaine prochaine. je devois sortir la semaine prochaine.
prochains. indéfini, actuel. je ne crois pas que vous alliez sortir. je vais sortir.
postérieur. je ne croirai pas que vous alliez sortir. je serai sur le point de sortir.
défini, antérieur. je ne croyois pas que vous allâssiez sortir. j’allois sortir.


Les présens du subjonctif, que vous entendiez ; que vous entendissiez, dans les exemples précédens, expriment la simultanéité d’existence à l’égard d’une époque qui est actuelle, relativement au moment marqué par l’un des présens du verbe principal, je ne crois pas, je ne croirai pas, je ne croyois pas : & c’est à l’égard d’une époque semblablement déterminée à l’actualité, que les prétérits du subjonctif, dans chacune des trois classes, expriment l’antériorité d’existence, & que les futurs des deux classes expriment la postériorité d’existence. Je vais rendre sensible cette remarque qui est importante, en l’appliquant aux trois exemples des prétérits positifs.

1o. Je ne crois pas que vous ayez entendu, c’est-à-dire, je crois que vous n’avez pas entendu : or vous avez entendu exprime l’antériorité d’existence, à l’égard d’une époque qui est actuelle, relativement au moment déterminé par le présent actuel du verbe principal je crois, qui est le moment même de la parole.

2o. Je ne croirai pas que vous ayez entendu, c’est-à-dire, je pourrai dire, je crois que vous n’avez pas entendu : or vous avez entendu exprime ici l’antériorité d’existence, à l’égard d’une époque qui est actuelle, relativement au moment déterminé par je crois, qui, dans l’exemple, est envisagé comme postérieur ; je croirai, ou je pourrai dire, je crois.

3o. Je ne croyois pas que vous eussiez entendu, c’est-à-dire, je pouvois dire, je crois que vous n’avez pas entendu : or vous avez entendu exprime encore l’antériorité d’existence, à l’égard d’une époque qui est actuelle, relativement au moment déterminé par je crois, qui dans cet exemple, est envisagé comme antérieur ; je croyois, ou je pourrai dire, je crois.

Les développemens que je viens de donner sur ces trois exemples, suffiront à tout homme intelligent, pour lui faire appercevoir comment on pourroit expliquer chacun des autres, & démontrer que chacun des tems du subjonctif y est rapporté à une époque actuelle, relativement au moment déterminé par le présent du verbe principal. Mais à l’égard du premier tems de chaque classe, l’actualité de l’époque de comparaison peut être également relative, ou à un présent actuel, ou à un présent postérieur, comme on le voit dans ces mêmes exemples ; & c’est par cette considération seulement que je regarde ces tems comme indéfinis : je regarde au contraire les autres comme définis, parce que l’actualité de l’époque de comparaison y est nécessairement & exclusivement relative à un présent antérieur ; & c’est aussi pour cela que je les qualifie tous d’antérieurs.

Ainsi le moment déterminé par l’un des présens du verbe principal, est pour les tems du subjonctif, ce que le seul moment de la parole est pour les tems de l’indicatif ; c’est le terme immédiat des relations qui fixent l’époque de comparaison. A l’indicatif, les tems expriment des rapports d’existence à une époque dont la position est fixée relativement au moment de la parole : au subjonctif ils expriment des rapports d’existence à une époque dont la position est fixée relativement au moment déterminé par l’un des présens du verbe principal.

Or ce moment déterminé par l’un des présens du verbe principal, peut avoir lui-même diverses relations au moment de la parole, puisqu’il peut être, ou actuel, ou antérieur, ou postérieur. Le rapport d’existence au moment de la parole, qui est exprimé par un tems du subjonctif, est donc bien plus composé que celui qui est exprimé par un tems de l’indicatif : celui de l’indicatif est composé de deux rapports, rapport d’existence à l’époque, & rapport de l’époque au moment de la parole : celui du subjonctif est composé de trois ; rapport d’existence à une époque, rapport de cette époque au moment déterminé par l’un des présens du verbe principal, & rapport de ce moment principal à celui de la parole.

Quand j’ai déclaré & nommé indéfini le premier de chacune des six classes de tems qui constituent le subjonctif, & que j’ai donné au second la qualification & le nom de défini antérieur ; je ne considérois dans ces tems que les deux premiers rapports élémentaires, celui de l’existence à l’époque, & celui de l’époque au moment principal. J’ai dû en agir ainsi, pour parvenir à fixer les caracteres différentiels, & les dénominations distinctives des deux tems de chaque classe : car si l’on considere tout à la fois les trois rapports élémentaires, l’indétermination devient générale, & tous les tems sont indéfinis.

Par exemple, celui que j’appelle présent défini antérieur peut, au fonds, exprimer la simultanéité d’existence, à l’égard d’une époque, ou actuelle, ou antérieure, ou postérieure. Je vais le montrer dans trois exemples, où le même mot françois sera traduit exactement en latin par trois tems différens qui indiqueront sans équivoque l’actualité, l’antériorité, & la postériorité de l’époque envisagée dans le même tems françois.

1°. Quand je parlai hier au chimiste, je ne croyois pas que vous entendissiez ; (audire te non existimabam.)

2°. Je ne crois pas que vous entendissiez hier ce que je vous dis, puisque vous n’avez pas suivi mon conseil ; (audivisse te non existimo.)

3°. Votre surdité étoit si grande, que je ne croyois pas que vous entendissiez jamais ; (ut te unquam auditurum esse non existimarem.)

Dans le premier cas, vous entendissiez est relatif à une époque actuelle, & il est rendu par le présent audire ; dans le second cas, l’époque est antérieure, & vous entendissiez est traduit par le prétérit audivisse ; dans le troisieme enfin, il est rendu par le futur auditurum esse, parce que l’époque est postérieure : ce qui n’empêche pas que dans chacun des trois cas, vous entendissiez n’exprime réellement la simultanéité d’existence à l’égard de l’époque, & ne soit par conséquent un vrai présent.

Ce que je viens d’observer sur le présent antérieur, se vérifieroit de même sur les trois prétérits & les deux futurs antérieurs ; mais il est inutile d’établir par trop d’exemples, ce qui d’ailleurs est connu & avoué de tous les Grammairiens, quoiqu’en d’autres termes. « Le subjonctif, dit l’auteur de la Méthode latine de P. R. (Rem. sur les verbes, ch. II. §. iij.) marque toujours une signification indépendante & comme suivante de quelque chose : c’est pourquoi dans tous ses tems, il participe souvent de l’avenir ». Je ne sais pas si cet auteur voyoit en effet, dans la dépendance de la signification du subjonctif, l’indétermination des tems de ce mode ; mais il la voyoit du-moins comme un fait, puisqu’il en recherche ici la cause : & cela suffit aux vûes que j’ai en le citant. Vossius, (Anal. III. xv.) est de même avis sur les tems du subjonctif latin ; ainsi que l’abbé Régnier, (Gramm. fr. in-12. pag. 344. in-4. pag. 361.) sur les tems du subjonctif françois.

Mais indépendamment de toutes les autorités, chacun peut aisément vérifier qu’il n’y a pas un seul tems à notre subjonctif, qui ne soit réellement indéfini, quand on les rapporte sur-tout au moment de la parole : & c’est un principe qu’il faut saisir dans toute son étendue, si l’on veut être en état de traduire bien exactement d’une langue dans une autre, & de rendre selon les usages de l’une ce qui est exprimé dans l’autre, sous une forme quelquefois bien différente.

§. V. Des tems de l’infinitif. J’ai déja suffisamment établi ailleurs contre l’opinion de Sanctius & de ses partisans, que la distinction des tems n’est pas moins réelle à l’infinitif qu’aux autres modes. (Voyez Infinitif.) On va voir ici que l’erreur de ces Grammairiens n’est venue que de l’indétermination de l’époque de comparaison, dans chacun de ces tems, qui tous sont essentiellement indéfinis. Il y en a cinq dans l’infinitif de nos verbes françois, dont voici l’exposition systématique.


SYSTÈME DES TEMS DE L’INFINITIF.
I. II. III.
Présent. chanter. arriver. se révolter.
Prétérits positif. avoir chanté. être arrivé ou vée. s’être révolté ou tée.
comparatif. avoir eu chanté. avoir été arrivé ou vée. s’être eu révolté ou tée.
prochain. venir de chanter. venir d’arriver. venir de se révolter.
Futur. devoir chanter. devoir arriver. devoir se révolter.


Je ne donne à aucun de ces tems le nom d’indéfini, parce que cette dénomination convenant à tous, ne sauroit être distinctive pour aucun dans le mode infinitif.

Le présent est indéfini, parce qu’il exprime la simultanéité d’existence à l’égard d’une époque quelconque. L’homme veut être heureux ; cette maxime d’éternelle vérité, puisqu’elle tient à l’essence de l’homme qui est immuable comme tous les autres, est vraie pour tous les tems ; & l’infinitif être se rapporte ici à toutes les époques. Enfin je puis vous embrasser ; le présent embrasser exprime ici la simultanéité d’existence à l’égard d’une époque actuelle, comme si l’on disoit, je puis vous embrasser actuellement. Quand je voulus parler ; le présent parler est relatif ici à une époque antérieure au moment de la parole, c’est un présent antérieur. Quand je pourrai sortir ; le présent sortir est ici postérieur, parce qu’il est relatif à une époque postérieure, au moment de la parole.

Après les détails que j’ai donnés sur la distinction des différentes especes de tems en général, je crois pouvoir me dispenser ici de prouver de chacun des tems de l’infinitif, ce que je viens de prouver du présent : tout le monde en fera aisément l’application. Mais je dois faire observer que c’est en effet l’indétermination de l’époque qui a fait penser à Sanctius, que le présent de l’infinitif n’étoit pas un vrai présent, ni le prétérit un vrai prétérit, que l’un & l’autre étoit de tous les tems. In reliquum, dit-il, (Min. I. xiv.) infiniti verbi tempora confusa sunt, & à verbo personali temporis significationem mutuantur : ut cupio legere seu legisse, præsentis est ; cupivi legere seu legisse, prætiriti ; cupiam legere seu legisse, futuri. In passivâ verò, amari, legi, audiri, sine discrimine omnibus deserviunt ; ut voluit diligi ; vult diligi ; cupiet diligi. Ce grammairien confond évidemment la position de l’époque & la relation d’existence : dans chacun des tems de l’infinitif, l’époque est indéfinie, & en conséquence elle y est envisagée, ou d’une maniere générale, ou d’une maniere particuliere, quelquefois comme actuelle, d’autres fois comme antérieure, & souvent comme postérieure ; c’est ce qu’a vu Sanctius : mais la relation de l’existence à l’époque, qui constitue l’essence des tems, est invariable dans chacun ; c’est toujours la simultanéité pour le présent, l’antériorité pour les prétérits, & la postériorité pour les futurs ; c’est ce que n’a pas distingué le grammairien espagnol.

§. VI. Des tems du participe. Il faut dire la même chose des tems du participe, dont j’ai établi ailleurs la distinction, contre l’opinion du même grammairien & de ses sectateurs. Ainsi je me contenterai de présenter ici le système entier des tems du participe, par rapport à notre langue.

SYSTEME DES TEMS DU PARTICIPE.
I. II. III.
Présent. chantant. arrivant. me révoltant.
Prétérits positif. ayant chanté. êtant arrivé ou vée. m’étant révolté ou tée.
comparatif. ayant eu chanté. ayant été arrivé ou vée. m’étant révolté ou tée.
prochain. venant de chanter. venant d’arriver. venant de me révolter.
Futur. devant chanter. devant arriver. devant me révolter.


Art. VII. Observations générales. Après une exposition si détaillée & des discussions si longues sur la nature des tems, sur les différentes especes qui en constituent le système, & sur les caracteres qui les différencient, bien des gens pourront croire que j’ai trop insisté sur un objet qui peut leur paroître minutieux, & que le fruit qu’on en peut tirer n’est pas proportionné à la peine qu’il faut prendre pour démêler nettement toutes les distinctions delicates que j’ai assignées. Le savant Vossius, qui n’a guere écrit sur les tems que ce qui avoit été dit cent fois avant lui, & que tout le monde avouoit, a craint lui-même qu’on ne lui fît cette objection, & il y a répondu en se couvrant du voile de l’autorité des anciens (Anal. III. xiij.) Si ce grammairien à cru courir en effet quelque risque, en exposant simplement ce qui étoit reçu, & qui faisoit d’ailleurs une partie essentielle de son système de Grammaire ; que n’aura-t-on pas à dire contre un système qui renverse en effet la plûpart des idées les plus communes & les plus accréditées, qui exige absolument une nomenclature toute neuve, & qui au premier aspect ressemble plus aux entreprises séditieuses d’un hardi novateur, qu’aux méditations paisibles d’un philosophe modeste ?

Mais j’observerai, 1°. que la nouveauté d’un système ne sauroit être une raison suffisante pour la rejetter, parce qu’autrement les hommes une fois engagés dans l’erreur ne pourroient plus en sortir, & que la sphere de leurs lumieres n’auroit jamais pu s’étendre au point où nous la voyons aujourd’hui, s’ils avoient toujours regardé la nouveauté comme un signe de faux. Que l’on soit en garde contre les opinions nouvelles, & que l’on n’y acquiesce qu’en vertu des preuves qui les étayent ; à la bonne heure, c’est un conseil que suggere la plus saine logique : mais par une conséquence nécessaire, elle autorise en même tems ceux qui proposent ces nouvelles opinions, à prévenir & à détruire toutes les impressions des anciens préjugés par les détails les plus propres à justifier ce qu’ils mettent en-avant.

2°. Si l’on prend garde à la maniere dont j’ai procédé dans mes recherches sur la nature des tems, un lecteur équitable s’appercevra aisément que je n’ai songé qu’à trouver la vérité sur une matiere qui ne me semble pas encore avoir subi l’examen de la philosophie. Si ce qui avoit été répété jusqu’ici par tous les Grammairiens s’étoit trouvé au résultat de l’analyse qui m’a servi de guide, je l’aurois exposé sans détour, & démontré sans apprêt. Mais cette analyse, suivie avec le plus grand scrupule, m’a montré, dans la décomposition des tems usités chez les différens peuples de la terre, des idées élémentaires qu’on n’avoit pas assez démêlées jusqu’à présent ; dans la nomenclature ancienne, des imperfections d’autant plus grandes qu’elles étoient tout-à-fait contraires à la vérité ; dans tout le système enfin, un desordre, une confusion, des incertitudes qui m’ont paru m’autoriser suffisamment à exposer sans ménagement ce qui m’a semblé être plus conforme à la vérité, plus satisfaisant pour l’esprit, plus marqué au coin de la bonne analogie. Amicus Aristoteles, amicus Plato ; magis amica veritas.


3°. Ce n’est pas juger des choses avec équité, que de regarder comme minutieuse la doctrine des tems : il ne peut y avoir rien que d’important dans tout ce qui appartient à l’art de la parole, qui differe si peu de l’art de penser, de l’art d’être homme.

« Quoique les questions de Grammaire paroissent peu de chose à la plûpart des hommes, & qu’ils les regardent avec dédain, comme des objets de l’enfance, de l’oisiveté, ou du pédantisme ; il est certain cependant qu’elles sont très-importantes à certains égards, & très-dignes de l’attention des esprits les plus délicats & les plus solides. La Grammaire a une liaison immédiate avec la construction des idées ; ensorte que plusieurs questions de Grammaire sont de vraies questions de logique, même de métaphysique ». Ainsi s’exprime l’abbé des Fontaines, au commencement de la préface de son Racine vengé : & cet avis, dont la vérité est sensible pour tous ceux qui ont un peu approfondi la Grammaire, étoit, comme on va le voir, celui de Vossius, & celui des plus grands hommes de l’antiquité.

Majoris nunc apud me sunt judicia augustæ antiquitatis ; quæ existimabat, ab horum notitiâ non multa modò Poetarum aut Historicorum loca lucem fænerare, sed & gravissimas juris controversiat. Hæc propter nec Q. Scoevolæ pater, nec Brutus Maniliusque, nec Nigidius figulus, Romanorum post Varonem doctissimus, disquirere gravabantur utrùm vox surreptum erit an post facta an ante facta valeat, hoc est, futurine an præteriti sit temporis, quando in veteri lege Atiniâ legitur ; quod surreptum erit, ejus rei æterna autoritas esto, nec puduit Agellium hâc de re caput integrum contexere xvij. atticarum noctium libro. Apud eumdem, cap. ij. libri XVIII. legimus, inter saturnalitias quæstiones eam fuisse postremam ; scripserim, venerim, legerim, cujus temporis verba sint, praeteriti, an futuri, an utriusque. Quamobrem eos mirari satis non possum, qui hujusmodi sibi à pueris cognitissima fuisse parùm prudenter aut pudenter adserunt ; cum in iis olim hesitârint viri excellentes, & quidem Romani, suæ sine dubio linguæ scientissimi. Voss. Anal. III. xiij.

Ce que dit ici Vossius à l’égard de la langue latine, peut s’appliquer avec trop de fondement à la langue françoise, dont le fond est si peu connu de la plûpart même de ceux qui la parlent le mieux, parce qu’accoutumés à suivre en cela l’usage du grand monde comme à en suivre les modes dans leurs habillemens, ils ne réfléchissent pas plus sur les fondemens de l’usage de la parole que sur ceux de la mode dans les vêtemens. Que dis-je ? il se trouve même des gens de lettres, qui osent s’élever contre leur propre langue, la taxer d’anomalie, de caprice, de bisarrerie, & en donner pour preuves les bornes des connoissances où ils sont parvenus à cet égard.

« En lisant nos Grammairiens, dit l’auteur des jugemens sur quelques ouvrages nouveaux, (tom. IX. pag. 73.) il est fâcheux de sentir, malgré soi, diminuer son estime pour la langue françoise, où l’on ne voit presque aucune analogie, où tout est bisarre pour l’expression comme pour la prononciation, & sans cause ; où l’on n’apperçoit ni principes, ni regles, ni uniformité ; où enfin tout paroît avoir été dicté par un capricieux génie. En vérité, dit-il ailleurs (Racine vengé. Iphig. II. v. 46.) l’étude de la grammaire françoise inspire un peu la tentation de mépriser notre langue ».

Je pourrois sans doute détruire cette calomnie par une foule d’observations victorieuses, pour faire avec succès l’apologie d’une langue, déjà assez vengée des nationaux qui ont la maladresse de la mépriser, par l’acueil honorable qu’on lui fait dans toutes les cours étrangeres, je n’aurois qu’à ouvrir les chefs-d’œuvre qui ont fixé l’époque de sa gloire, & faire voir avec quelle facilité & avec quel succès elle s’y prête à tous les caracteres, naïveté, justesse, clarté, précision, délicatesse, pathétique, sublime, harmonie, &c. Mais pour ne pas trop m’écarter de mon sujet, je me contenterai de rappeller ici l’harmonie analogique des tems, telle que nous l’avons observée dans notre langue : tous les présens y sont simples ; les prétérits positifs y sont composés d’un tems simple du même auxiliaire avoir ou être ; les comparatifs y sont doublement composés ; les prochains y prennent l’auxiliaire venir ; les futurs positifs y empruntent constamment le secours de l’auxiliaire devoir ; & les prochains, celui de l’auxiliaire aller : & cette analogie est vraie dans tous les verbes de la langue, & dans tous les modes de chaque verbe. Ce qu’on lui a reproché comme un défaut, d’employer les mêmes tems, ici avec relation à une époque, & là avec relation à une autre, loin de la deshonorer, devient au contraire, à la faveur du nouveau système, une preuve d’abondance & un moyen de rendre avec une justesse rigoureuse les idées les plus précises : c’est en effet la destination des tems indéfinis, qui, faisant abstraction de toute époque de comparaison, fixent plus particulierement l’attention sur la relation de l’existence à l’epoque, comme on l’a vû en son lieu.

Mais ne sera-t-il tenu aucun compte à notre langue de cette foule de prétérits & de futurs, ignorés dans la langue latine, au prix de laquelle on la regarde comme pauvre ? Les regardera-t-on encore comme des bisarreries, comme des effets sans causes, comme des expressions dépourvues de sens, comme des superfluités introduites par un luxe aveugle & inutile aux vues de l’élocution ? La langue italienne, en imitant à la lettre nos prétérits prochains, se sera-t-elle donc chargée d’une pure battologie ?

J’avouerai cependant à l’abbé des Fontaines, qu’à juger de notre langue par la maniere dont le système est exposé dans nos grammaires, on pourroit bien conclure comme il a fait lui-même. Mais cette conclusion est-elle supportable à qui a lû Bossuet, Bourdaloue, la Bruyere, la Fontaine, Racine, Boileau, Pascal, &c. &c. &c. Voilà d’où il faut partir, & l’on conclura avec bien plus de vérité, que le désordre, l’anomalie, les bisarreries sont dans nos grammaires, & que nos Grammairiens n’ont pas encore saisi avec assez de justesse, ni approfondi dans un détail suffisant le méchanisme & le génie de notre langue. Comment peut-on lui voir produire tant de merveilles sous différentes plumes, quoiqu’elle ait dans nos grammaires un air maussade, irrégulier & barbare ; & cependant ne pas soupçonner le moins du monde l’exactitude de nos Grammairiens, mais invectiver contre la langue même de la maniere la plus indécente & la plus injuste ?

C’est que toutes les fois qu’un seul homme voudra tenir un tribunal pour y juger les ouvrages de tous les genres de littérature, & faire seul ce qui ne doit & ne peut être bien exécuté que par une société assez nombreuse de gens de lettres choisis avec soin ; il n’aura jamais le loisir de rien approfondir ; il sera toujours pressé de décider d’après des vues superficielles ; il portera souvent des jugemens iniques & faux, & alterera ou détruira entierement les principes du goût, & le goût même des bonnes études, dans ceux qui auront le malheur de prendre confiance en lui, & de juger de ses lumieres par l’assurance de son ton, & par l’audace de son entreprise.

4°. A s’en tenir à la nomenclature ordinaire, au catalogue reçu, & à l’ordre commun des tems, notre langue n’est pas la seule à laquelle on puisse reprocher l’anomalie ; elles sont toutes dans ce cas, & il est même difficile d’assigner les tems qui se répondent exactement dans les divers idiomes, ou de déterminer précisément le vrai sens de chaque tems dans une seule langue. J’ouvre la Méthode grecque de P. R. à la page 120 (édition de 1754), & j’y trouve sous le nom de futur premier, τίσω, & sous le nom de futur second, τίω, tous deux traduits en latin par honorabo : le premier aoriste est ἔτισα, le second ἔτιον ; & le prétérit parfait τέτικα ; tous trois rendus par le même mot latin honoravi. Est-il croyable que des mots si différens dans leur formation, & distingués par des dénominations différentes, soient destinés à signifier absolument la même idée totale que désigne le seul mot latin honorabo, ou le seul mot honoravi ? Il faut donc reconnoître des synonymes parfaits nonobstant les raisons les plus pressantes de ne les regarder dans les langues que comme un superflu embarrassant & contraire au génie de la parole. Voyez Synonymes. Je sais bien que l’on dira que les Latins n’ayant pas les mêmes tems que les Grecs, il n’est pas possible de rendre avec toute la fidélité les uns par les autres, du-moins dans le tableau des conjugaisons : mais je répondrai qu’on ne doit point en ce cas entreprendre une traduction qui est nécessairement infidelle, & que l’on doit faire connoître la véritable valeur des tems, par de bonnes définitions qui contiennent exactement toutes les idées élémentaires qui leur sont communes, & celles qui les différencient, à-peu-près comme je l’ai fait à l’égard des tems de notre langue. Mais cette méthode, la seule qui puisse conserver surement la signification précise de chaque tems, exige indispensablement un système & une nomenclature toute différente : si cette espece d’innovation a quelques inconvéniens, ils ne seront que momentanés, & ils sont rachetés par des avantages bien plus considérables.

Les grammairiens auront peine à se faire un nouveau langage ; mais elle n’est que pour eux, cette peine, qui doit au fond être comptée pour rien dès qu’il s’agit des intérêts de la vérité : leurs successeurs l’entendront sans peine, parce qu’ils n’auront point de préjugés contraires ; & ils l’entendront plus aisément que celui qui est reçu aujourd’hui, parce que le nouveau langage sera plus vrai, plus expressif, plus énergique. La fidélité de la transmission des idées d’une langue en une autre, la facilité du systême des conjugaisons fondée sur une analogie admirable & universelle, l’introduction aux langues débarrassée par-là d’une foule d’embarras & d’obstacles, sont, si je ne me trompe, autant de motifs favorables aux vues que je présente. Je passe à quelques objections particulieres qui me viennent de bonne main.

La société littéraire d’Arras m’ayant fait l’honneur de m’inscrire sur ses registres comme associé honoraire, le 4 Février 1758 ; je crus devoir lui payer mon tribut académique, en lui communiquant les principales idées du système que je viens d’exposer, & que je présentai sous le titre d’Essai d’analyse sur le verbe. M. Harduin, secrétaire perpétuel de cette compagnie, & connu dans la république des lettres comme un grammairien du premier ordre, écrivit le 27 Octobre suivant, ce qu’il en pensoit, à M. Bauvin, notre confrere & notre ami commun. Après quelques éloges dont je suis plus redevable à sa politesse qu’à toute autre cause, & quelques observations pleines de sagesse & de vérité ; il termine ainsi ce qui me regarde : « J’ai peine à croire que ce systême puisse s’accorder en tout avec le méchanisme des langues connues. Il m’est venu à ce sujet beaucoup de réfléxions dont j’ai jetté plusieurs sur le papier ; mais j’ignore quand je pourrai avoir le loisir de les mettre en ordre. En attendant, voici quelques remarques sur les prétérits, que j’avois depuis long-tems dans la tête, mais qui n’ont été rédigées qu’à l’occasion de l’écrit de M. Beauzée. Je serois bien aise de savoir ce qu’il en pense. S’il les trouve justes, je ne conçois pas qu’il puisse persister à regarder notre aoriste françois, comme un présent ; (je l’appelle présent antérieur périodique) ; à moins qu’il ne dise aussi que notre prétérit absolu (celui que je nomme prétérit indéfini positif) exprime plus souvent une chose présente qu’une chose passée ».

Trop flatté du desir que montre M. Harduin de savoir ce que je pense de ses remarques sur nos prétérits, je suis bien aise moi-même de déclarer publiquement, que je les regarde comme les observations d’un homme qui sait bien voir, talent très-rare, parce qu’il exige dans l’esprit une attention forte, une sagacité exquise, un jugement droit, qualités rarement portées au degré convenable, & plus rarement encore réunies dans un même sujet.

Au reste que M. Harduin ait peine à croire que mon système puisse s’accorder en tout avec le méchanisme des langues connues ; je n’en suis point surpris, puisque je n’oserois moi-même l’assûrer : il faudroit, pour cela, les connoître toutes, & il s’en faut beaucoup que j’aye cet avantage. Mais je l’ai vu s’accorder parfaitement avec les usages du latin, du françois, de l’espagnol, de l’italien ; on m’assûre qu’il peut s’accorder de même avec ceux de l’allemand & de l’anglois : il fait découvrir dans toutes ces langues, une analogie bien plus étendue & plus réguliere que ne faisoit l’ancien système ; & cela même me fait espérer que les savans & les étrangers qui voudront se donner la peine d’en faire l’application aux verbes des idiomes qui leur sont naturels ou qui sont l’objet de leurs études, y trouveront la même concordance, le même esprit d’analogie, la même facilité à rendre la valeur des tems usuels. Je les prie même, avec la plus grande instance, d’en faire l’essai, parce que plus on trouvera de ressemblance dans les principes des langues qui paroissent diviser les hommes, plus on facilitera les moyens de la communication universelle des idées, & conséquemment des secours mutuels qu’ils se doivent, comme membres d’une même société formée par l’auteur même de la nature.

Les réfléxions de M. Harduin sur cette matiere, quoique tournées peut-être contre mes vues, ne manqueront pas du-moins de répandre beaucoup de lumiere sur le fond de la chose : ce n’est que de cette sorte qu’il réflechit ; & il est à desirer qu’il trouve bientôt cet utile loisir qui doit nous valoir le précis de ses pensées à cet égard. En attendant, je vais tâcher de concilier ici mon systême avec ses observations sur nos prétérits.

« Il est de principe, dit-il, qu’on doit se servir du prétérit absolu, c’est-à-dire, de celui dans la composition duquel entre un verbe auxiliaire, lorsque le fait dont on parle se rapporte à un période de tems ou l’on est encore ; ainsi il faut nécessairement dire, telle bataille s’est donnée dans ce siecle-ci : j’ai vu mon frere cette année : je lui ai parlé aujourd’hui ; & l’on s’exprimeroit mal, en disant avec l’aoriste, telle bataille se donna dans ce siecle-ci : je vis mon frere cette année : je lui parlai aujourd’hui ».

C’est que dans les premieres phrases, on exprime ce qu’on a effectivement dessein d’exprimer, l’antériorité d’existence à l’égard d’une époque actuelle ; ce qui exige les prétérits dont on y fait usage : dans les dernieres on exprimeroit toute autre chose, la simultanéité d’existence à l’égard d’un période de tems antérieur à celui dans lequel on parle ; ce qui exige en effet un présent antérieur périodique, mais qui n’est pas ce qu’on se propose ici.

M. Harduin demande si ce n’est pas abusivement que nous avons fixé les périodes antérieurs qui précédent le jour où l’on parle, puisque dans ce même jour, les diverses heures qui le composent, la matinée, l’après-midi, la soirée, sont autant de périodes qui se succedent ; d’où il conclut que comme on dit, je le vis hier, on pourroit dire aussi, je le vis ce matin, quand la matinée est finie à l’instant où l’on parle.

C’est arbitrairement sans doute, que nous n’avons aucun égard aux périodes compris dans le jour même où l’on parle ; & la preuve en est, que ce que l’on appelle ici aoriste, ou prétérit indéfini, se prend quelquefois, dans la langue italienne, en parlant du jour même où nous sommes ; io la viddi sto mane. (je le vis ce matin). L’auteur de la Méthode italienne, qui fait cette remarque, (Part. II. ch. iij. §. 4. pag. 86.) observe en même tems que cela est rare, même dans l’italien. Mais quelque arbitraire que soit la pratique des Italiens & la nôtre, on ne peut jamais la regarder comme abusive, parce que ce qui est fixé par l’usage n’est jamais contraire à l’usage, ni par conséquent abusif.

« Plusieurs grammairiens, continue M. Harduin ; & c’est proprement ici que commence le fort de son objection contre mon système des tems : plusieurs grammairiens font entendre, par la maniere dont ils s’énoncent sur cette matiere, que le prétérit absolu & l’aoriste ont chacun une destination tellement propre, qu’il n’est jamais permis de mettre l’un à la place de l’autre. Cette opinion me paroît contredite par l’usage, suivant lequel on peut toujours substituer le prétérit absolu à l’aoriste, quoiqu’on ne puisse pas toujours substituer l’aoriste au prétérit absolu ». Ici l’auteur indique avec beaucoup de justesse & de précision les cas où l’on ne doit se servir que du prétérit absolu, sans pouvoir lui substituer l’aoriste ; puis il continue ainsi : « Mais hors les cas que je viens d’indiquer, on a la liberté du choix entre l’aoriste & le prétérit absolu. Ainsi on peut dire, je le vis hier, ou bien, je l’ai vu hier au moment de son départ ».

C’est que, hors les cas indiqués, il est presque toujours indifférent de présenter la chose dont il s’agit, ou comme antérieure au moment où l’on parle, ou comme simultanée avec un période antérieur à ce moment de la parole, parce que quæ sunt eadem uni tertio, sunt eadem inter se, comme on le dit dans le langage de l’école. S’il est donc quelquefois permis de choisir entre le prétérit indéfini positif & le présent antérieur périodique, c’est que l’idée d’antériorité, qui est alors la principale, est également marquée par l’un & par l’autre de ces tems, quoiqu’elle soit diversement combinée dans chacun d’eux ; & c’est pour la même raison que, suivant une derniere remarque de M. Harduin, « il y a des occasions où l’imparfait même (c’est-à-dire le présent antérieur simple) entre en concurrence avec l’aoriste & le prétérit absolu, & qu’il est à-peu-près égal de dire, César fut un grand homme, ou César a été un grand homme, ou enfin César étoit un grand homme » : l’antériorité est également marquée par ces trois tems, & c’est la seule chose que l’on veut exprimer dans ces phrases.

Mais cette espece de synonymie ne prouve point, comme M. Harduin semble le prétendre, que ces tems aient une même destination, ni qu’ils soient de la même classe, & qu’ils ne different entr’eux que par de très légeres nuances. Il en est de l’usage & de diverses significations de ces tems, comme de l’emploi & des différens sens, par exemple, des adjectifs fameux, illustre, célebre, renommé : tous ces mots marquent la réputation, & l’on pourra peut-être s’en servir indistinctement lorsqu’on n’aura pas besoin de marquer rien de plus précis, mais il faudra choisir, pour peu que l’on veuille mettre de précision dans cette idée primitive. (Voyez les Synonymes françois). M. Harduin lui-même, en assignant les cas où il faut employer le prétérit qu’il appelle absolu, plutôt que le tems qu’il nomme aoriste, fournit une preuve suffisante que chacune de ces formes a une destination exclusivement propre, & que je puis adopter toutes ses observations pratiques comme vraies, sans cesser de regarder ce qu’il appelle notre aoriste comme un présent, & sans être forcé de convenir que notre prétérit exprime plus souvent une chose présente qu’une chose passée. (B. E. R. M.)

Tems, (Critiq. sacrée.) ce mot signifie proprement la durée qui s’écoule depuis un terme jusqu’à un autre ; mais il se prend aussi dans plusieurs autres sens ; 1°. pour une partie de l’année (Gen. j. 14.) 2°. pour l’espace d’un an ; les saints du pays, dit Daniel, vij. 25. tomberont entre les mains de ce puissant roi pour un tems, des tems, & la moitié d’un tems, ad tempus, tempora, & dimidium temporis ; ces expressions hébraïques signifient les trois ans & demi que durerent les persécutions d’Antiochus contre les Juifs : tempus fait un an, tempora deux ans, dimidium temporis une demi-année ; 3°. ce mot signifie l’arrivée de quelqu’un, (Is. xiv. 1.) 4°. le moment favorable & passager de faire quelque chose ; pendant que nous en avons le tems, faisons du bien à tous, Galat. vj. 10.

Racheter le tems, dans Daniel, c’est gagner du tems ; comme les mages consultés par Nabuchodonosor, qui lui demandoient du tems pour expliquer son songe ; mais racheter le tems dans saint Paul, Eph. v. 16. ἐξαγοράζομαι τὸν καιρόν, c’est laisser passer le tems de la colere des méchans, & attendre avec prudence des circonstances plus heureuses.

Le tems de quelqu’un, c’est le moment où il reçoit la punition de son crime, Ezech. xxi. 3.

Les tems des siecles passés (Tite j. 2.] sont ceux qui ont précédé la venue de Jesus-Christ.

Les tems d’ignorance, χρόνος τῆς ἀγνοίας, sont ceux qui ont précédé les lumieres du christianisme, par rapport au culte de la divinité. Saint Paul annonce, Actes xvij. 30. que Dieu, après avoir dissimulé ces tems, veut maintenant que toutes les nations s’amendent, c’est-à-dire qu’on ne rende plus de culte aux idoles. (D. J.)

Tems, (Mytholog.) on personnifia, on divinisa le tems avec ses parties ; Saturne en étoit ordinairement le symbole. On représentoit le tems avec des aîles, pour marquer la rapidité avec laquelle il passe, & avec une faux, pour signifier ses ravages. Le tems étoit divisé en plusieurs parties ; le siecle, la génération ou espace de trente ans, le lustre, l’année, les saisons, les mois, les jours & les heures ; & chacune de ces parties avoit sa figure particuliere en hommes ou en femmes, suivant que leurs noms étoient masculins ou féminins ; on portoit même leurs images dans les cérémonies religieuses. (D. J.)

Tems, se dit aussi de l’état ou disposition de l’atmosphere, par rapport à l’humidité ou à la sécheresse, au froid ou au chaud, au vent ou au calme, à la pluie, à la grêle, &c. Voyez Atmosphere, Pluie, Chaleur, Vent, Grêle, &c.

Comme c’est dans l’atmosphere que toutes les plantes & tous les animaux vivent, & que l’air est suivant toutes les apparences le plus grand principe des productions animales & végétales (voyez Air.), ainsi que des changemens qui leur arrivent, il n’y a rien en Physique qui nous intéresse plus immédiatement que l’état de l’air. En effet, tout ce qui a vie n’est qu’un assemblage de vaisseaux dont les liqueurs sont conservées en mouvement par la pression de l’atmosphere ; & toutes les altérations qui arrivent ou à la densité ou à la chaleur, ou à la pureté de l’air, doivent nécessairement en produire sur tout ce qui y vit.

Toutes ces altérations immenses, mais régulieres, qu’un petit changement dans le tems produit, peuvent être aisément connues à l’aide d’un tube plein de mercure ou d’esprit-de-vin, ou avec un bout de corde, ainsi que tout le monde le sait par l’usage des thermometres, barometres & hygrometres. Voyez Barometre, Thermometre, Hygrometre, &c. Et c’est en partie notre inattention, & en partie le défaut d’uniformité de notre genre de vie, qui nous empêche de nous appercevoir de toutes les altérations & de tous les changemens qui arrivent aux tubes, cordes & fibres dont notre corps est composé.

Il est certain qu’une grande partie des animaux a beaucoup plus de sensibilité & de délicatesse que les hommes sur les changemens de tems. Ce n’est pas qu’ils aient d’autres moyens ou d’autres organes que nous ; mais c’est que leurs vaisseaux, leurs fibres étant en comparaison de ceux des hommes, dans un état permanent, les changemens extérieurs produisent en eux des changemens intérieurs proportionnels. Leurs vaisseaux ne sont proprement que des barometres, &c. affectés seulement par les causes extérieures ; au lieu que les nôtres recevant des impressions du dedans aussi-bien que du dehors, il arrive que plusieurs de ces impressions nuisent ou empêchent l’effet des autres.

Il n’y a rien dont nous soyons plus éloignés que d’une bonne théorie de l’état de l’air. Mais on ne sauroit y parvenir sans une suite complette d’observations. Lorsque nous aurons eu des registres tenus exactement dans différens lieux de la terre, & pendant une longue suite d’années, nous serons peut-être en état de déterminer les directions, la force & les limites du vent, la constitution de l’air apporté par le vent, la relation qui est entre l’état du ciel de différens climats, & les différens états du ciel dans le même lieu ; & peut-être nous saurons prédire alors les chaleurs excessives, les pluies, la gelée, les sécheresses, les famines, les pestes, & autres maladies épidémiques. Ces sortes d’observations s’appellent du nom général d’observations météorologiques. Voyez Météorologiques.

Erasme Bartolin a fait des observations météorologiques jour par jour pour l’année 1571. M. W. Merle en a fait de pareilles à Oxford pendant les sept années 1337, 1338, 1339, 1340, 1341, 1342, 1343. Le docteur Plot au même lieu pour l’année 1684. M. Hillier au cap Corse pour les années 1686, 1687. M. Hunt, &c. au college de Gresham pour les années 1695, 1696. M. Derham à Upminster, dans la province d’Essex pour les années 1691, 1692, 1697, 1698, 1699, 1703, 1705, 1707. M. Townley, dans la province de Lancastre, pour les années 1698, 1699, 1700, 1701. M. Hocke, à Oats, dans la province d’Essex, en 1692. Le docteur Scheuchzer à Zuric en 1708 ; & le docteur Tilly à Pise la même année. Voyez Transactions philosophiques.

Nous joindrons ici la forme des observations de M. Derham, pour servir d’échantillon d’un journal de cette nature, en faisant remarque qu’il dénote la force des vents par les chiffres 0, 1, 2, 3, &c. & les quantités d’eau de pluie reçues dans un tonneau en livres & en centiemes.

Observations météorologiques. Octobre 1697.
Jours. Heur. Tems. Vent. Barom. Pluie.
27 7 Beau. S. O. 2 29 37 1 52
12 Pluvieux. S. O. par O. 5 29 34
9 Orageux. 0 29 88 0 29

Afin de faire voir un essai de l’usage de ces sortes d’observations, nous ajouterons quelques remarques générales tirées de celles de M. Derham.

1°. Les tems lourds font monter le mercure aussi bien que les vents du nord ; ce qui, suivant M. Derham, vient de l’augmentation de poids que l’air reçoit par les vapeurs dont il est chargé alors. Voyez Brouillard. M. Derham remarque qu’il en est de même dans les tems de bruine. Voyez Bruine.

2°. Le froid & la chaleur commencent & finissent à-peu-près dans le même tems en Angleterre & en Suisse, & même toutes les températures d’air un peu remarquables lorsqu’elles durent quelque tems.

3°. Les jours de froid remarquables pendant le mois de Juin 1708 en Suisse, précédoient communément ceux d’Angleterre d’environ 5 jours ou plus, & les chaleurs remarquables des mois suivans commencerent à diminuer dans les deux pays à-peu-près dans le même tems, seulement un peu plutôt en Angleterre qu’en Suisse.

4°. Le barometre est toujours plus bas à Zurich qu’à Upminster, quelquefois d’un pouce, quelquefois de deux, mais communément d’un demi pouce ; ce qui peut s’expliquer en supposant Zurich plus élevé que Upminster.

5°. La quantité de pluie qui tombe en Suisse & en Italie est plus grande que celle qui tombe dans la province d’Essex, quoique dans cette province il pleuve plus souvent ou qu’il y ait plus de jours pluvieux que dans la Suisse. Voici la proportion des pluies d’une année entiere en différens lieux, tirée d’assez bonnes observations. A Zurich la hauteur moyenne de la pluie tombée pendant un an étoit de pouces anglois ; à Pise  ; à Paris 23 ; à Lisle en Flandre  ; à Townley dans la province de Lancastre  ; à Upminster . Voyez Pluie.

6°. Le froid contribue considérablement à la pluie, vraissemblablement à cause qu’il condense les vapeurs suspendues & les précipite ; ensorte que les saisons les plus froides & les mois les plus froids sont en général suivis des mois les plus pluvieux, & les étés froids sont toujours les plus humides.

7°. Les sommets glacés des hautes montagnes agissent non-seulement sur les lieux voisins, par les froids, les neiges, les pluies, &c. qu’ils y produisent, mais encore sur des pays assez éloignés, témoin les Alpes, dont l’effet agit jusqu’en Angleterre ; car le froid extraordinaire du mois de Décembre 1708, & les relâchemens qu’il eut ayant été apperçus en Italie & en Suisse quelques jours avant qu’en Angleterre, doivent, suivant M. Derham, avoir passé de l’un à l’autre.

Depuis un certain nombre d’années, on fait par toute l’Europe les observations météorologiques avec une grande exactitude. La société royale de Londres adressa il y a environ vingt ans, un écrit circulaire à tous les savans pour les y exhorter. Il y avoit déja long-tems que l’on les faisoit dans l’académie royale des Sciences de Paris. Dès avant 1688, quelques-uns de ses membres avoient observé pendant plusieurs années, la quantité d’eau de pluie & de neige qu’il tombe tous les ans, soit à Paris, soit à Dijon ; ce qui s’en évapore, & ce qui s’en imbibe dans la terre à plus ou moins de profondeur, comme on en peut juger par quelques ouvrages fort antérieurs, touchant l’origine des fontaines & des rivieres, & sur-tout par le Traité du mouvement des eaux, de M. Mariotte. Mais il est certain qu’en 1688, la compagnie résolut de mettre ces observations en regle.

M. Perrault donna le dessein d’une machine propre à cet usage, & M. Sedileau se chargea des observations. Après M. Sedileau, ce fut M. de la Hire, &c. & enfin, elles ont été continuées jusqu’à aujourd’hui sans interruption. On y joignit bientôt les observations du barometre & du thermometre, le plus grand chaud & le plus grand froid qu’il fait chaque année, chaque saison, chaque jour, & avec les circonstances qui y répondent, les déclinaisons de l’aiguille aimantée, & dans ce siecle les apparitions de l’aurore boréale.

Pronostics du tems. Nous ne voulons point entretenir ici le lecteur de ces vaines & arbitraires observations du peuple. Nous abandonnons cette foule de prédictions qui ont été établies en partie par la ruse, & en partie par la crédulité des gens de la campagne ; elles n’ont aucun rapport naturel & nécessaire que nous connoissions avec les choses en elles-mêmes. Telles sont les prédictions de la pluie & du vent qu’on tire du mouvement qui est parmi les oiseaux aquatiques pour se rassembler vers la terre, & les oiseaux terrestres vers l’eau ; qu’on conclut encore, lorsque les oiseaux élaguent leurs plumes, que les oies crient, que les corneilles vont en troupe, que les hirondelles volent bas & geroillent, que les paons crient, que les cerfs se battent, que les renards & les loups heurlent, que les poissons jouent, que les fourmis & les abeilles se tiennent renfermées, que les taupes jettent de la terre, que les vers de terre se traînent, &c.

Nous n’offrirons rien de cette nature, mais ce qui peut être fondé en quelque maniere sur la nature des choses, ce qui peut jetter quelque lumiere sur la cause & les circonstances de la température de l’air, ou du-moins aider à découvrir quelques-uns de ses effets sensibles.

1°. Lorsque le ciel est sombre, couvert, qu’on est quelque tems de suite sans soleil, ni sans pluie, il devient d’abord beau, & ensuite vilain, c’est-à-dire qu’il commence par devenir clair, & qu’ensuite il tourne à la pluie ; c’est ce que nous apprenons par un journal méteorologique que M. Clarke a tenu pendant trente ans, & que son petit-fils, le savant Samuel Clarke, a laissé à M. Derham. Il assuroit que cette regle lui avoit toujours paru s’observer du moins lorsque le vent étoit tourné à l’orient. Mais M. Derham a observé, que la regle avoit également lieu pour tous les vents ; & la raison, selon lui, en est assez facile à trouver. L’atmosphere est alors rempli de vapeurs, qui sont à la vérité suffisantes pour réfléchir la lumiere du soleil & nous l’intercepter, mais n’ont pas assez de densité pour tomber. Ensorte que tant que ces vapeurs restent dans le même état, le ciel ne change pas, & ces vapeurs y restent quelque tems de suite à cause qu’il fait alors ordinairement une chaleur modérée, & que l’air est fort pesant & propre à les soutenir, ainsi qu’on le peut voir par le barometre qui est communément haut dans ce tems-là. Mais, lorsque le froid approche, il rassemble ces vapeurs par la condensation & en forme des nuages détachés entre lesquels passent les rayons du soleil, jusqu’à ce qu’enfin la condensation de ces vapeurs devient si considérable, qu’elles tombent en pluie.

2°. Un changement dans la chaleur du tems, produit communément un changement dans le vent. Ainsi les vents de nord & de sud, qui sont ordinairement réputés la cause du froid & du chaud, ne sont réellement que les effets du froid & de la chaleur de l’atmosphere. M. Derham assure, qu’il en a tant de confirmations, qu’il ne sauroit en douter. Il est commun, par exemple, de voir qu’un vent chaud du sud se change en un vent froid du nord, lorsqu’il vient à tomber de la neige ou de la grêle, & de même de voir un vent nord & froid régner le matin, dégénérer en sud sur le soir, lorsque la terre est échauffée par la chaleur du soleil, & retourner ensuite au nord ou à l’est, lorsque le froid du soir arrive. Voyez Vent. Chambers. (O)

Tems. Effets du tems sur les plantes. La plûpart des plantes épanouissent leurs fleurs & leurs duvets au soleil, & les resserent sur le soir ou pendant la pluie, principalement lorsqu’elles commencent à fleurir, & que leurs graines sont encore tendres & sensibles. Ce fait est assez visible dans les duvets du dent-de-lion & dans les autres, mais sur-tout dans les fleurs de la pimprenelle, dont l’épanouissement & le resserrement, suivant Gerard, servent aux gens de la campagne à prédire le tems qu’il doit faire le jour suivant, l’épanouissement promettant le beau tems pour le lendemain, & le resserrement annonçant le vilain tems. Ger. herb. lib. II.

Est & alia (arbor in Tylis) similis, foliosior tamen, roseique floris ; quem noctu comprimens, aperire incipit solis exortu, meridie expandit. Incolæ dormire eum dicunt. Plin. Nat. herb. lib. XII. cap. ij.

La tige du trefle, suivant que l’a remarqué milord Bacon, s’enfle à la pluie & s’éleve, ce qui peut être aussi remarqué, quoique moins sensiblement, dans les tiges des autres plantes. Suivant le même auteur, on trouve dans les chaumes une petite fleur rouge qui indique une belle journée, lorsqu’elle s’épanouit du matin.

On conçoit aisément que les changemens qui arrivent dans le tems influent sur les plantes, lorsqu’on imagine qu’elles ne sont autre chose qu’un nombre infini de trachées ou vaisseaux à air, par le moyen desquels elles ont une communication immédiate avec l’air, & partagent son humidité, sa chaleur, &c. ces trachées sont visibles dans la feuille de vigne, dans celle de la scabieuse, &c. Voyez. Plante, Végétaux, &c.

Il suit de-là que tout bois, même le plus dur & le plus compact, s’enfle dans les tems humides, les vapeurs s’insinuant aisément dans ses pores sur-tout lorsque c’est un bois léger & sec. C’est de cette remarque qu’on a tiré ce moyen si singulier, de fendre des roches avec du bois. Voyez Bois.

Voici la méthode qu’on suit dans les carrieres : on taille d’abord une roche en forme de cylindre ; ensuite on divise ce cylindre en plusieurs autres, en faisant des trous de distance en distance dans sa longueur & à différens endroits de son contour. Et l’on remplit ces trous de pieces de bois de saule séché au four. Lorsqu’il survient après un tems humide, ces pieces de bois imbibées de l’humidité de l’air se gonflent, & par l’effet du coin elles fendent la roche en plusieurs pieces.

Tems, (Philos. & Mor.) la philosophie & la morale fournissent une infinité de réflexions sur la durée du tems, la rapidité de sa course, & l’emploi qu’on en doit faire ; mais ces réflexions acquierent encore plus de force, d’éclat, d’agrément & de coloris, quand elles sont revêtues des charmes de la poésie ; c’est ce qu’a fait voir M. Thomas, dans une ode qui a remporté le prix de l’académie Françoise en 1762. Sa beauté nous engage à la transcrire ici toute entiere, pour être un monument durable à la gloire de l’auteur. L’Encyclopédie doit être parée des guirlandes du parnasse, & de tous les fruits des beaux génies qui ont sommeillé sur le sommet du sacré vallon. Voici l’ode dont il s’agit.

Le compas d’Uranie a mesuré l’espace.
O tems, être inconnu que l’ame seule embrasse,
Invincible torrent des siecles & des jours,
Tandis que ton pouvoir m’entraîne dans la tombe,
J’ose, avant que j’y tombe,
M’arrêter un moment pour contempler ton cours.

Qui me dévoilera l’instant qui t’a vû naître ?
Quel œil peut remonter aux sources de ton être ?
Sans doute ton berceau touche à l’éternité.
Quand rien n’étoit encore, enseveli dans l’ombre
De cet abîme sombre,
Ton germe y reposoit, mais sans activité.

Du cahos tout-à-coup les portes s’ébranlerent ;
Des soleils allumés les feux étincelerent,
Tu naquis ; l’éternel te prescrivit ta loi.
Il dit au mouvement, du
tems sois la mesure.
Il dit à la nature,
Le tems sera pour vous, l’éternité pour moi.

Dieu, telle est ton essence : oui, l’océan des âges
Roule au-dessous de toi sur tes frêles ouvrages,
Mais il n’approche pas de ton trône immortel.
Des millions de jours qui l’un l’autre s’effacent,
Des siecles qui s’entassent
Sont comme le néant aux yeux de l’Eternel.

Mais moi, sur cet amas de fange & de poussiere
Envain contre le
tems, je cherche une barriere ;
Son vol impétueux me presse & me poursuit ;
Je n’occupe qu’un point de la vaste étendue ;
Et mon ame éperdue
Sous mes pas chancelans, voit ce point qui s’enfuit.

De la destruction tout m’offre des images.
Mon œil épouvanté ne voit que des ravages ;
Ici de vieux tombeaux que la mousse a couverts ;
Là des murs abattus, des colonnes brisées,
Des villes embrasées,
Par-tout les pas du
tems empreints sur l’univers.

Cieux, terres, élémens, tout est sous sa puissance :
Mais tandis que sa main, dans la nuit du silence,
Du fragile univers sappe les fondemens ;
Sur des aîles de feu loin du monde élancée,
Mon active pensée
Plane sur les débris entassés par le
tems.

Siecles qui n’êtes plus, & vous qui devez naître ;
J’ose vous appeller ; hâtez-vous de paroître :
Au moment où je suis, venez vous réunir.
Je parcours tous les points de l’immense durée,
D’une marche assurée ;
J’enchaîne le présent, je vis dans l’avenir.

Le soleil épuisé dans sa brûlante course
De ses feux par degrés verra tarir la source ;
Et des mondes vieillis les ressorts s’useront.
Ainsi que les rochers qui du haut des montagnes
Roulent dans les campagnes,
Les astres l’un sur l’autre un jour s’écrouleront.

Là de l’éternité commencera l’empire ;
Et dans cet océan, où tout va se détruire,
Le
tems s’engloutira comme un foible ruisseau.
Mais mon ame immortelle aux siecles échappée
Ne sera point frappée,
Et des mondes brisés foulera le tombeau.

Des vastes mers, grand Dieu, tu fixas les limites ?
C’est ainsi que des
tems les bornes sont prescrites.
Quel sera ce moment de l’éternelle nuit ?
Toi seul tu le connois ; tu lui diras d’éclore ;
Mais l’univers l’ignore ;
Ce n’est qu’en périssant qu’il en doit être instruit.

Quand l’airain frémissant autour de vos demeures ;
Mortels, vous avertit de la fuite des heures,
Que ce signal terrible épouvante vos sens.
A ce bruit tout-à-coup mon ame se reveille,
Elle prête l’oreille,
Et croit de la mort même entendre les accens.


Trop aveugles humains, quelle erreur vous enivre !
Vous n’avez qu’un instant pour penser & pour vivre,
Et cet instant qui fuit est pour vous un fardeau.
Avare de ses biens, prodigue de son être,
Dès qu’il peut se connoître,
L’homme appelle la mort & creuse son tombeau.

L’un courbé sous cent ans est mort dès sa naissance,
L’autre engage à prix d’or sa venale existence ;
Celui-ci la tourmente à de pénibles jeux ;
Le riche se délivre au prix de sa fortune
Du
tems qui l’importune ;
C’est en ne vivant pas que l’on croit vivre heureux.

Abjurez, ô mortels, cette erreur insensée.
L’homme vit par son ame, & l’ame est la pensée.
C’est elle qui pour vous doit mesurer le
tems.
Cultivez la sagesse : apprenez l’art suprême
De vivre avec soi-même,
Vous pourrez sans effroi compter tous vos instans.

Si je devois un jour pour de viles richesses
Vendre ma liberté, descendre à des bassesses ;
Si mon cœur par mes sens devoit être amolli ;
O
tems, je te dirois, préviens ma derniere heure ;
Hâte-toi, que je meure !
J’aime mieux n’être pas, que de vivre avili.

Mais si de la vertu les généreuses flâmes
Peuvent de mes écrits passer dans quelques ames ;
Si je puis d’un ami soulager les douleurs ;
S’il est des malheureux dont l’obscure innocence
Languisse sans défense,
Et dont ma foible main doive essuyer les pleurs.

O
tems, suspens ton vol, respecte ma jeunesse,
Que ma mere long-tems témoin de ma tendresse,
Reçoive mes tributs de respect & d’amour !
Et vous, gloire, vertu déesses immortelles,
Que vos brillantes aîles
Sur mes cheveux blanchis se reposent un jour.


(D. J.)

Tems des maladies, (Médec. Patholog.) les Pathologistes prennent ce mot tems dans diverses acceptions en l’appliquant au cours des maladies ; quelquefois ils l’emploient pour mesurer leur durée & en distinguer les jours remarquables ; d’autres fois ils s’en servent pour désigner les périodes & les états différens qu’on y a observés.

Dans la premiere signification, la longueur du tems a donné lieu à la division générale des maladies en aiguës & chroniques ; la durée de celle-ci s’étend au-delà de quarante jours, celles-là sont toujours renfermées dans cet espace de tems limité ; mais elles peuvent varier en durée d’autant de façons qu’on compte de jours différens. Car, suivant les observations répétées, il y a des maladies qui se terminent dans un jour, connues sous le nom d’éphémeres ; d’autres sont décidées dans deux, dans trois, dans quatre, & ainsi de suite jusqu’à quarante. Cependant, suivant ce qui arrive le plus ordinairement, on a distingué quatre ou cinq tems principaux dans la durée des maladies qui en décident la briéveté, (acuties). Dans la premiere classe, on a compris les maladies qui sont terminées dans l’espace de quatre jours, on les a appellées perper-aiguës ; telles sont l’apoplexie, la peste, la sueur angloise, &c. La seconde comprend celles qui durent sept jours, qu’on a nommé très aiguës ou per-aiguës, de ce nombre sont la fievre ardente & les maladies inflammatoires, légitimes, exquises. La troisieme classe renferme les maladies appellées simplement aiguës, qui s’étendent jusqu’à quatorze ou vingt-un jours, comme la plûpart des fievres continues ; enfin les autres, connues sous le nom d’aiguës par décidence, traînent depuis le vingt-unieme jour jusqu’à quelqu’un des jours intermédiaires entre le quarantieme, au-delà duquel, si elles persistent, elle prennent le titre de chroniques ; & dans cette acception, lorsqu’on demande à quel tems le malade est de sa maladie, on répond qu’il est, par exemple, au septieme jour depuis l’invasion de la maladie, tems qu’il est assez difficile de connoître au juste.

En second lieu, les anciens ont distingué trois périodes ou états dans le courant d’une maladie aiguë, qu’ils ont désigné sous le nom de tems. Le premier tems est celui qu’ils ont appellé de crudité, alors la nature & la maladie sont, suivant leur expression, engagées dans le combat, la victoire ne panche d’aucun côté, le trouble est considérable dans la machine, les symptomes sont violens, & les bonnes humeurs sont confondues avec les mauvaises, ou sont crues. M. Bordeu a appellé ce tems tems d’irritation, parce qu’alors le pouls conserve ce caractere ; il est tendu, convulsif, & nullement développé. Le second tems est le tems de coction ; il tire cette dénomination de l’état des humeurs qui sont alors cuites, c’est-à-dire que les mauvaises sont, par les efforts de la nature victorieuse, séparées du sein des bonnes, & disposées à l’excrétion critique, qui doit avoir lieu dans le troisieme tems, qu’on nomme en conséquence tems de crise. Pendant les tems de la coction, les symptomes se calment, les accidens disparoissent, l’harmonie commence à se rétablir, le pouls devient mol, développé & rebondissant, les urines renferment beaucoup de sédiment. Le tems de crise est annoncé par une nouvelle augmentation des symptomes, mais qui est passagere, le pouls prend la modification critique appropriée ; & les évacuations préparées ayant lieu, débarrassent le corps de toutes les humeurs de mauvais caracteres ou superflues, & la machine revient dans son assiette naturelle. Voyez Crudité, Coction, Crise & Pouls. Les modernes ont admis une autre division qui pourroit se réduire à celle des anciens, & qui est bien moins juste, moins avantageuse, & moins exacte ; ils distinguent quatre tems ; 1°. le tems de l’invasion ou le commencement qui comprend le tems qui s’écoule depuis que la maladie a commencé jusqu’à celui où les symptomes augmentent ; 2°. le tems d’augmentation, qui est marqué par la multiplicité & la violence des accidens ; 3°. l’état où les symptomes restent au même point sans augmenter, ni diminuer ; 4°. la déclinaison, tems auquel la maladie commence à baisser & paroît tendre à une issue favorable : ce dernier tems répond à ceux de coction & de crise des anciens, & les trois autres assez inutilement distingués ne sont que le tems de crudité ; lorsque les malades se terminent à la mort, elles ne parcourent pas tous ces périodes, & ne parviennent pas aux derniers tems.

Troisiemement, dans les maladies intermittentes & dans les fievres avec redoublement, on observe deux états, dont l’un est caractérisé par la cessation ou la diminution des symptomes, & l’autre par le retour ou leur augmentation ; on a distingué ces deux états sous le nom de tems, appellant le premier tems de la remission, & l’autre tems de l’accès ou du redoublement ; le médecin, dans le traitement des maladies, ne doit jamais perdre de vue toutes ces distinctions de tems, parce qu’il peut en tirer des lumieres pour leur connoissance & leur pronostic, & sur-tout parce que ces tems exigent des remedes très différens. Voyez Fievre exacerbante, intermittente, Paroxisme, Epilepsie, Goutte, Hystérique, passion, &c.

Il est aussi très-important de faire attention aux tems de l’année, c’est-à-dire aux saisons ; voyez Printems, Automne, Été, Hiver, Saisons, (Médecine) ; & aux tems de la journée, voyez Matin & Soir, (Médecine), parce que les maladies varient dans ces différens tems, & qu’il y a des regles concernant l’administration des remedes, fondées sur leur distinction. (m)

Tems affiné, (Marine.) voyez Affiné.

Tems a perroquet, (Marine.) beau tems où le vent souffle médiocrement, & porte à route. On l’appelle ainsi, parce qu’on ne porte plus la voile de perroquet que dans le beau tems ; parce qu’étant extrèmement élevée, elle donneroit trop de prise au vent, si on la portoit dans de gros tems. Voyez Mature.

Tems de mer ou Gros-Tems, (Marine.) tems de tempête où le vent est très-violent.

Tems embrumé, (Marine.) tems où la mer est couverte de brouillards.

Tems, (Jurisprud.) signifie quelquefois une certaine conjoncture, comme quand on dit en tems de foire.

Tems signifie aussi délai ; il faut intenter le retrait lignager dans l’an & jour, qui est le tems prescrit par la coutume.

Tems d’étude, est l’espace de tems pendant lequel un gradué doit avoir étudié pour obtenir régulierement ses grades. Voyez Étude, Degrés, Grades, Gradués, Université, Bachelier, Licencié, Docteur. (A)

Tems, s. m. en Musique, est en général toute modification du son par rapport à la durée.

On sait ce que peut une succession de sons bien dirigée eu égard au ton ou aux divers degrés du grave à l’aigu & de l’aigu au grave. Mais c’est aux proportions de ces mêmes sons, par rapport à leurs diverses durées du lent au vîte & du vîte au lent, que la musique doit une grande partie de son énergie.

Le tems est l’ame de la musique ; les airs dont la mesure est lente, nous attristent naturellement ; mais un air gai, vif & bien cadencé nous excite à la joie, & à peine nos piés peuvent-ils se retenir de danser. Otez la mesure, détruisez la proportion des tems, les mêmes airs resteront sans charmes & sans force, & deviendront incapables de nous émouvoir, & même de nous plaire : mais le tems a sa force en lui-même, qui ne dépend que de lui, & qui peut subsister sans la diversité des sons. Le tambour nous en offre un exemple, quoique grossier & très-imparfait, vu que le son ne s’y peut soutenir. Voyez Tambour.

On considere le tems en musique ou par rapport à la durée ou au mouvement général d’un air, &, selon ce sens, on dit qu’il est vîte ou lent, voyez Mesure, Mouvement ; ou bien, selon les parties aliquotes de chaque mesure, qui se marquent par des mouvemens de la main ou du pié, & qu’on appelle proprement des tems ; ou enfin selon la valeur ou le tems particulier de chaque note. Voyez Valeur des notes.

Nous avons suffisamment parlé au mot Rhytme des tems de la musique des Grecs ; il nous reste à expliquer ici les tems de la musique moderne.

Nos anciens musiciens ne reconnoissoient que deux especes de mesures ; l’une à trois tems, qu’ils appelloient mesure parfaite ; & l’autre à deux, qu’ils traitoient de mesure imparfaite, & ils appelloient tems, modes ou prolations les signes qu’ils ajoutoient à la clé pour déterminer l’une ou l’autre de ces mesures. Ces signes ne servoient pas à cet unique usage comme aujourd’hui, mais ils fixoient aussi la valeur des notes les unes par rapport aux autres, comme on a déja pu voir aux mots Mode & Prolation, sur la maxime, la longue & la semi-breve. A l’égard de la breve, la maniere de la diviser étoit ce qu’ils appelloient plus précisément tems. Quand le tems étoit parfait, la breve ou quarrée valoit trois rondes ou semi-breves, & ils indiquoient cela par un cercle entier, barré ou non-barré, & quelquefois encore par ce chiffre 3/1.

Quand le tems étoit imparfait, la breve ne valoit que deux rondes, & cela se marquoit par un demi-cercle ou C. Quelquefois ils tournoient le C à rebours ainsi C, & cela marquoit une diminution de moitié sur la valeur de chaque note ; nous indiquons cela aujourd’hui par le C barré, 𝄵 ; & c’est ce que les Italiens appellent tempo alla breve. Quelques-uns ont aussi appellé tems majeur cette mesure du C barré où les notes ne durent que la moitié de leur valeur ordinaire, & tems mineur celle du C plein ou de la mesure ordinaire à quatre tems.

Nous avons bien retenu la mesure triple des anciens ; mais par la plus étrange bisarrerie, de leurs deux manieres de diviser les notes, nous n’avons retenu que la soudouble ; de sorte que toutes les fois qu’il est question de diviser une mesure ou un tems en trois parties égales, nous n’avons aucun signe pour cela, & l’on ne sait guere comment s’y prendre ; il faut recourir à des chiffres & à d’autres misérables expédiens qui montrent bien l’insuffisance des signes. Mais je parlerai de cela plus au-long au mot Triple.

Nous avons ajouté aux anciennes musiques une modification de tems qui est la mesure à quatre ; mais comme elle se peut toujours résoudre en deux mesures à deux tems, on peut dire que nous n’avons que deux tems & trois tems pour parties aliquotes de toutes nos différentes mesures.

Il y a autant de différentes valeurs de tems qu’il y a de sortes de mesures & de différentes modifications de mouvement. Mais quand une fois l’espece de la mesure & du mouvement sont déterminés, toutes les mesures doivent être parfaitement égales, & par conséquent les tems doivent aussi être très-égaux entr’eux : or pour s’assûrer de cette égalité, on marque chaque tems par un mouvement de la main ou du pié ; & sur ces mouvemens, on regle exactement les différentes valeurs des notes selon le caractere de la mesure. C’est une chose très merveilleuse de voir avec quelle précision on vient à bout, à l’aide d’un peu d’habitude, de battre la mesure, de marquer & de suivre les tems avec une si parfaite égalité, qu’il n’y a point de pendule qui surpasse en justesse la main ou le pié d’un bon musicien. Voyez Battre la mesure.

Des divers tems d’une mesure, il y en a de plus sensibles & de plus marqués que les autres, quoique de valeur parfaitement égales ; le tems qui marque davantage s’appelle tems fort, & tems foible celui qui marque moins. M. Rameau appelle cela, après quelques anciens musiciens, tems bon & tems mauvais. Les tems forts sont le premier dans la mesure à deux tems, le premier & le troisieme dans la mesure à trois & dans la mesure à quatre ; à l’égard du second tems, il est toujours foible dans toutes les mesures, & il en est de même du quatrieme dans la mesure à quatre tems.

Si l’on subdivise chaque tems en deux autres parties égales qu’on peut encore appeller tems, on aura de-rechef tems fort pour la premiere moitié, & tems foible pour la reconde, & il n’y a point de parties d’un tems sur laquelle on ne puisse imaginer la même division. Toute note qui commence sur le tems foible & finit sur le tems fort, est une note à contre-tems, & parce qu’elle choque & heurte en quelque maniere la mesure, on l’appelle syncope. Voyez Syncope.

Ces observations sont nécessaires pour apprendre à bien préparer les dissonnances : car toute dissonnance bien préparée doit l’être sur le tems foible & frappée sur le tems fort, excepté cependant dans des suites de cadences évitées, où cette regle, quoiqu’encore indispensable pour la premiere dissonnance, n’est pas également praticable pour toutes les autres. Voyez Dissonnance, Préparer, Syncope. (S)

Tems, en Peinture, c’est un très-petit contour. On dit, entre ces deux contours il y a un tems. On dit encore, ce contour a deux tems ; c’est-à-dire, une si petite sinuosité, qu’elle ne forme pas deux contours distincts.

Tems, on appelle ainsi en termes de Manege, chaque mouvement accompli de quelque allure que ce soit ; quelquefois ce terme se prend à la lettre, & quelquefois il a une signification plus étendue. Par exemple, quand on dit au manege, faire un tems de galop, c’est faire une galopade qui ne dure pas longtems ; mais lorsqu’on va au pas, au trot ou au galop, & qu’on arrête un tems, c’est arrêter presque tout court, & remarcher sur le champ. Arrêter un demi-tems, n’est que suspendre un instant la vitesse & l’allure du cheval pour la reprendre sans arrêter. Tems écoutés, c’est la même chose que soutenus, voyez Soutenus. Un bon homme de cheval doit être attentif à tous les tems du cheval, & les seconder à point nommé ; il ne doit laisser perdre aucun tems, autrement il laisse interrompre, faute d’aide, la cadence du cheval.

Tems, estocade de, (Escrime.) c’est frapper l’ennemi d’une botte dans l’instant qu’il s’occupe de quelque mouvement.

Tems, terme de Vénerie ; on dit revoir de bon tems, lorsque la voie est fraîche & de la nuit.