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syllabe, sont réellement de deux sons, parce que les sons o & u une fois échapés, ne peuvent plus être modifiés par l’articulation r, & qu’il faut supposer ensuite le moins sensible des sons, que nous appellons e muet, comme s’il y avoit o-re, du-re.

2°. Que si l’on trouve de-suite deux ou trois articulations dans un même mot, il n’y a que la derniere qui puisse tomber sur la voyelle suivante, parce qu’elle est la seule qui la précede immédiatement ; & les autres ne peuvent être regardées en rigueur que comme des explosions d’autant d’e muets inutiles à écrire parce qu’il est impossible de ne pas les exprimer, mais aussi réels que toutes les voyelles écrites : ainsi, le mot françois scribe, qui passe dans l’usage ordinaire pour un mot de deux syllabes, a réellement quatre sons, parce que les deux premieres articulations s & k supposent chacune un e muet à leur suite, comme s’il y avoit se-ke-ri-be ; il y a pareillement quatre sons physiques dans le mot sphinx, qui passe pour n’être que d’une syllabe, parce que la lettre finale x est double, qu’elle équivaut à s, k, & que chacune de ces articulations composantes suppose après elle l’e muet, comme s’il y avoit se-phinke-se.

Que ces e muets ne soient supprimés dans l’orthographe, que parce qu’il est impossible de ne pas les faire sentir quoique non écrits, j’en trouve la preuve non-seulement dans la rapidité excessive avec laquelle on les prononce, mais encore dans des faits orthographiques, si je puis parler ainsi. 1°. Nous avons plusieurs mots terminés en ment, dont la terminaison étoit autrefois précédée d’un e muet pur, lequel n’étoit sensible que par l’alongement de la voyelle dont il étoit lui-même précédé, comme ralliement, éternuement, enrouement, &c. aujourd’hui on supprime ces e muets dans l’orthographe, quoiqu’ils produisent toujours l’alongement de la voyelle précédente, & l’on se contente, afin d’éviter l’équivoque, de marquer la voyelle longue d’un accent circonflexe, ralliment, éternûment, enroûment. 2°. Cela n’est pas seulement arrivé après les voyelles, on l’a fait encore entre deux consonnes, & le mot que nous écrivons aujourd’hui soupçon, je le trouve écrit souspeçon avec l’e muet, dans le livre de la précellence du langage françois, par H. Estiene, (édit. 1579.) Or il est évident que c’est la même chose pour la prononciation, d’écrire soupeçon ou soupçon, pourvu que l’on passe sur l’e muet écrit, avec autant de rapidité que sur celui que l’organe met naturellement entre p & ç, quoiqu’il n’y soit point écrit.

Cette rapidité, en quelque sorte inappréciable de l’e muet ou scheva, qui suit toujours une consonne qui n’a pas immédiatement après soi une autre voyelle, est précisément ce qui a donné lieu de croire qu’en effet la consonne appartenoit ou à la voyelle précédente, ou à la suivante, quoiqu’elle en soit séparée : c’est ainsi que le mot âcre se divise communément en deux parties, que l’on appelle aussi syllabes, savoir a-cre, & que l’on apporte également les deux articulations k & r à l’e muet final : au contraire, quoique l’on coupe aussi le mot arme en deux syllabes, qui sont ar-me, on rapporte l’articulation r à la voyelle a qui précede, & l’articulation m à l’e muet qui suit : pareillement on regarde le mot or comme n’ayant qu’une syllabe, parce qu’on rapporte à la voyelle o l’articulation r, faute de voir dans l’écriture & d’entendre sensiblement dans la prononciation, une autre voyelle qui vienne après & que l’articulation puisse modifier.

Il est donc bien établi, par la nature même des élémens de la voix, combinée avec l’usage ordinaire de la parole, qu’il est indispensable de distinguer en effet les syllabes physiques des syllabes artificielles,

& de prendre des unes & des autres les idées qu’en donne, sous un autre nom, l’habile secrétaire de l’académie françoise : par-là son systême se trouve justifié & solidement établi, indépendamment de toutes les définitions imaginables.

Celle de l’abbé Girard va même se trouver fausse d’après ce systême, loin de pouvoir servir à le combattre. C’est, dit-il, (vrais princip. tom. l. disc. I. pag. 12.) un son, simple ou composé, prononcé avec toutes ses articulations, par une seule impulsion de voix. Il suppose donc que le même son peut recevoir plusieurs articulations, & il dit positivement, pag. 11, que la voyelle a quelquefois plusieurs consonnes attachées à son service, & qu’elle peut les avoir à sa tête ou à sa suite : c’est précisément ce qui est démontré faux à ceux qui examinent les choses en rigueur ; cela ne peut se dire que des syllabes usuelles tout au plus, & encore ne paroît-il pas trop raisonnable de partager comme on fait les syllabes d’un mot, lorsqu’il renferme deux consonnes de suite entre deux voyelles. Dans le mot armé, par exemple, on attache r à la premiere syllabe, & m à la seconde, & l’on ne fait guere d’exception à cette regle, si ce n’est lorsque la seconde consonne est l’une des deux liquides l ou r, comme dans â-cre, ai-gle.

« Pour moi, dit M. Harduin, secretaire perpétuel de l’académie d’Arras, rem. div. sur la prononc. pag. 56. je ne vois pas que cette distinction soit appuyée sur une raison valable ; & il me paroîtroît beaucoup plus régulier que le mot armé s’épellât a-rmé… Il n’y a aucun partage sensible dans la prononciation de rmé ; & au contraire on ne sauroit prononcer ar, sans qu’il y ait un partage assez marqué : l’e féminin qu’on est obligé de suppléer pour prononcer l’r, se fait bien moins sentir & dure bien moins dans rmé que dans ar. En un mot, chaque son sur lequel on s’arrête d’une maniere un peu sensible, me paroît former & terminer une syllabe ; d’où je conclus qu’on fait distinctement trois syllabes en épellant ar-mé, au lieu qu’on n’en fait pas distinctement plus de deux, en épellant a-rmé. Ce qui se pratique dans le chant peut servir à éclaircir ma pensée. Supposons une tenue de plusieurs mesures sur la premiere syllabe du mot charme ; n’est-il pas certain qu’elle se fixe uniquement sur l’a, sans toucher en aucune maniere à l’r, quoique dans les paroles mises en musique, il soit d’usage d’écrire cette r immédiatement après l’a, & qu’elle se trouve ainsi séparée de l’m par un espace considérable ? N’est-il pas évident, nonobstant cette séparation dans l’écriture, que l’assemblage des lettres rme se prononce entierement sous la note qui suit la tenue ?

Une chose semble encore prouver que la premiere consonne est plus liée avec la consonne suivante qu’avec la voyelle précédente, à laquelle, par conséquent, on ne devroit pas l’unir dans la composition des syllabes : c’est que cette voyelle & cette premiere consonne n’ont l’une sur l’autre aucune influence directe, tandis que le voisinage des deux consonnes altere quelquefois l’articulation ordinaire de la premiere ou de la seconde. Dans le mot obtus, quoiqu’on y prononce foiblement un e féminin après le b, il arrive que le b contraint par la proximité du t, se change indispensablement en p, & on prononce effectivement optus.... Ainsi l’antipathie même qu’il y a entre les consonnes b, t, [ parce que l’une est foible & l’autre forte ], sert à faire voir que dans obtus elles sont plus unies l’une à l’autre, que la premiere ne l’est avec l’o qui la précede.

J’ajoute que la méthode commune me fournit elle-même des armes qui favorisent mon opinion. Car, 1°. j’ai déja fait remarquer que, selon cette