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prochée d’eux par la maniere dont on la leur présente ; que le style doit en être concis & clair, les phrases simples & peu recherchées, les périodes courtes & peu compliquées.

L’histoire de Joseph la plus intéressante & la plus instructive de toutes pour les enfans, la plus favorable au développement des premiers germes de vertu qui sont dans leurs cœurs, & la plus propre à mettre dans leurs ames l’idée heureuse & la conviction utile des attentions perpétuelles de la providence sur les hommes, me semble mériter par tous ces titres, la préférence sur toute autre histoire pour paroître la premiere sous les yeux de l’enfance.

Je voudrois qu’elle fût partagée en plusieurs articles, & que chaque phrase fût en alinea. Ces alinea pris un-à-un, deux à-deux, &c. selon la capacité de chaque enfant, fixeroient naturellement les premieres tâches ; chaque article feroit l’objet d’une répétition totale. Après avoir fait lire à l’enfant un ou deux versets, on lui feroit relire assez pour l’affermir un peu, & on l’exhorteroit à les relire assez en son particulier pour les redire par cœur : ce moyen, en mettant de bonne heure en exercice sa mémoire & l’art de s’en servir, lui procureroit plus promptement l’habitude de lire, par la répétition fréquente de l’acte même. En allant ainsi de tâche en en tâche, on ne manqueroit pas de lui faire reprendre la lecture de tout l’article, quand on seroit à la fin, & de lui faire répeter en entier par cœur, avant que d’entamer le suivant. Quand on seroit parvenu à la fin de toute l’histoire, il seroit bon de la reprendre, en faisant alors de chaque article une seule leçon, & enfin de tous les articles une seule répétition, ou du moins deux répétitions partielles, qui deviendroient elles-mêmes la matiere d’une répétition totale, tant pour la lecture que pour la récitation.

Qu’il me soit permis d’analyser ici cette histoire telle que je pense qu’il la faudroit. I. La haine des enfans de Jacob contre leur frere Joseph ; ils le vendent à des marchands qui vont en Egypte, & font croire à leur pere qu’une bête l’a devoré. II. Joseph chez Putiphar, puis en prison ; il est établi sur tous les autres prisonniers. III. Ses prédictions au grand échanson & au grand pannetier du roi. IV. Il explique les songes du roi. V. Années d’abondance & de stérilité ; premier voyage des enfans de Jacob en Egypte. VI. Second voyage. VII. Joseph reconnu par ses freres. VIII. Etablissement de la maison de Jacob en Egypte.

Après l’histoire de Joseph, imprimée, comme je l’ai dit, sous deux formes différentes mises en parallele ; on pourroit ajouter quelqu’autre chose, seulement sous la forme ordinaire, afin d’accoutumer les enfans à lire sans trouver les syllabes décomposées. Mais il faut que cette addition tourne encore au profit des jeunes lecteurs, & soit relative à leurs besoins les plus pressans. Les notions des sons, des articulations, des voyelles constantes, des variables, soit orales, soit nasales ; des consonnes labiales, linguales, & gutturales, des dentales, des sifflantes, des liquides, des mouillées, des nasales, des foibles & des fortes mises en parallele ; des syllabes physiques, artificielles, usuelles : les noms & les usages des accens, de la cédile, de l’apostrophe, du tiret : les noms des ponctuations, & la mesure des poses qu’elles indiquent : voilà, si je ne me trompe, ce qui doit faire la matiere de cette addition. Ce sont les principes immédiats de l’art de la lecture, qui seront plus intelligibles après les premiers essais, & qui contribueront à la perfection des suivans ; pourvu que le style en soit aussi assujetti aux petites lumieres de l’enfance, & qu’on les fasse lire & apprendre aux jeunes éleves avec les mêmes précautions que l’histoire de Joseph.

Un syllabaire, bien exécuté dans son détail, est

un ouvrage d’autant plus digne d’un citoyen vraiment philosophe, que le public même qu’il serviroit lui en tiendroit moins de compte : parce qu’en effet plus habet operis quàm ostentationis. Quintil.

SYLLABE, s. f. M. Duclos, dans ses remarques sur le ch. iij. de la I. partie de la grammaire générale, distingue la syllabe physique de la syllabe usuelle. « Il faut observer, dit-il, que toutes les fois que plusieurs consonnes de suite se font sentir dans un mot, il y a autant de syllabes réelles (ou physiques), qu’il y a des consonnes qui se font entendre, quoiqu’il n’y ait point de voyelle écrite à la suite de chaque consonne ; la prononciation suppléant alors un e muet, la syllabe devient réelle pour l’oreille, au lieu que les syllabes d’usage ne se comptent que par le nombre des voyelles qui se font entendre, & qui s’écrivent… Par exemple, le mot armateur est de trois syllabes d’usage, & de cinq réelles, parce qu’il faut suppléer un e muet après chaque r ; on entend nécessairement a-re-ma-teu-re ».

M. Maillet de Boullay, secrétaire pour les belles-lettres de l’académie royale des belles-lettres, sciences & arts de Rouen, dans le compte qu’il rendit à sa compagnie, des remarques de M. Duclos & du supplément de M. l’abbé Fromant, dit, en anonçant le même chapitre dont je viens de parler : « Nous ne pouvons le mieux commencer, qu’en adoptant la définition de l’abbé Girard, cité par M. Fromant. Suivant cette définition, qui est excellente, & qui nous servira de point fixe, la syllabe est un son simple ou composé, prononcé avec toutes ses articulations, par une seule impulsion de voix. Examinons sur ce principe le système adopté par M. Duclos. »

Qu’il me soit permis de faire observer à M. du Boullay, qu’il commence sa critique par une vraie pétition de principe : adopter d’abord la définition de l’abbé Girard, pour examiner d’après elle le système de M. Duclos, c’est s’étayer d’un préjugé pour en déduire des conséquences qui n’en seront que la répétition sous différentes formes. Ne seroit-on pas aussi bien fondé à adopter d’abord le système de M. Duclos pour juger ensuite de la définition de l’abbé Girard ; ou plutôt ne vaut-il pas mieux commencer par examiner la nature des syllabes en soi, & indépendamment de tout préjugé, pour apprécier ensuite le système de l’un & la définition de l’autre ?

Les élémens de la voix sont de deux sortes, les sons & les articulations. Le son est une simple émission de la voix, dont la forme constitutive dépend de celle du passage que lui prête la bouche. Voyez Son, Gramm. L’articulation est une explosion que reçoit le son, par le mouvement subit & instantanée de quelqu’une des parties mobiles de l’organe. Voyez H. Il est donc de l’essence de l’articulation, de précéder le son qu’elle modifie, parce que le son une fois échapé, n’est plus en la disposition de celui qui parle, pour en recevoir quelque modification que ce puisse être : & l’articulation doit précéder immédiatement le son qu’elle modifie, parce qu’il n’est pas possible que l’expression d’un son soit séparée du son, puisque ce n’est au fond rien autre chose que le son même sortant avec tel degré de vîtesse acquis par telle ou telle cause.

Cette double conséquence, suite nécessaire de la nature des elémens de la voix, me semble démontrer sans réplique.

1°. Que toute articulation est réellement suivie d’un son qu’elle modifie, & auquel elle appartient en propre, sans pouvoir appartenir à aucun son précédent ; & par conséquent que toute consonne est ou suivie ou censée suivie d’une voyelle qu’elle modifie, sans aucun rapport à la voyelle précédente : ainsi, les mots or, dur, qui passent pour n’être que d’une