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N’aime point le trouble qui regne chez les grands ; il n’y a rien dans le texte qui indique cette idée ; c’est une interpollation qui énerve le texte au-lieu de l’enrichir, & peut-être est-ce une fausseté.

Non fastidit n’est pas rendu par il se plaît : le poëte va au-devant des préjugés qui regardent avec dédain l’état de médiocrité ; ceux qui pensent ainsi s’imaginent qu’on ne peut pas y dormir tranquilement, & Horace les contredit, en reprenant négativement ce qu’ils pourroient dire positivement, non fastidit : cette négation est également nécessaire dans toutes les traductions ; c’est un trait caractéristique de l’original.

Les petites maisons de bergers : l’usage de notre langue a attaché à petites maisons, quand il n’y a point de complément, l’idée d’un hôpital pour les fous ; & quand ces mots sont suivis d’un complément, l’idée d’un lieu destiné aux folies criminelles des riches libertins : d’ailleurs le latin humiles domos dit autre chose que petites maisons ; le mot humiles peint ce qui a coutume d’exciter le mépris de ceux qui ne jugent que par les apparences, & il est ici en opposition avec non fastidit ; l’adjectif petit ne fait pas le même contraste.

Virorum agrestium, ne signifie pas seulement les bergers, mais en général tous ceux qui habitent & cultivent la campagne, les habitans de la campagne. Je sais bien que l’on peut, par la synecdoque même, nommer l’espece pour le genre ; mais ce n’est pas dans la traduction d’un texte qui exprime le genre, & qui peut être rendu fidélement sans forcer le génie de la langue dans laquelle on le traduit.

L’ombre d’un ruisseau ; c’est un véritable barbarisme, les ruisseaux n’ont pas d’ombre : umbrosam ripam signifie un rivage couvert d’ombre : au-surplus il n’est ici question ni de ruisseau, ni de riviere, ni de fleuve ; c’est effacer l’original que de le surcharger sans besoin.

Zephyris agitata Tempe : il n’y a dans ce texte aucune idée d’arbres ; il s’agit de tout ce qui est dans ces campagnes, arbres, arbrisseaux, herbes, fleurs, ruisseaux, troupeaux, habitans, &c. La copie doit présenter cette généralité de l’original. Il me semble aussi, que si notre langue ne nous permet pas de conserver la synecdoque de l’original, parce que Tempé n’entre plus dans le système de nos idées voluptueuses, nous devons du-moins en conserver tout ce qu’il est possible, en employant le singulier pour le pluriel ; ce sera substituer la synecdoque du nombre à celle de l’espece, & dans le même sens, du moins par le plus.

Voici donc la traduction que j’ose opposer à celle de M. du Marsais. « Le sommeil tranquille ne dédaigne ni les humbles chaumieres des habitans de la campagne, ni un rivage couvert d’ombre, ni une plaine délicieuse perpétuellement caressée par les zéphyres ».]

Le mot de corps & le mot d’ame (c’est M. du Marsais qui continue), se prennent aussi quelquefois séparément pour tout l’homme : on dit populairement, sur-tout dans les provinces, ce corps-là pour cet homme-là ; voilà un plaisant corps, pour dire un plaisant personnage. On dit aussi qu’il y a cent mille ames dans une ville, c’est-à-dire cent mille habitans. Omnes animæ domûs Jacob (Genes. xlvj. 27.) toutes les personnes de la famille de Jacob. Genuit sexdecim animas, (ibid. 18.) il eut seize enfans.

III. Synecdoque dans le nombre ; c’est lorsqu’on met un singulier pour un pluriel, ou un pluriel pour un singulier.

1°. Le Germain révolté, c’est-à-dire, les Germains, les Allemands. L’ennemi vient à nous, c’est-à-dire, les ennemis. Dans les historiens latins on trouve souvent pedes pour pedites, le fantassin pour les fantassins, l’infanterie.

2°. Le pluriel pour le singulier. Souvent dans le style sérieux on dit nous au-lieu de je ; & de même, il est écrit dans les prophetes, c’est-à-dire, dans un livre de quelqu’un des prophetes ; quod dictum est per prophetas. Matt. ij. 23.

3°. Un nombre certain pour un nombre incertain. Il me l’a dit dix fois, vingt fois, cent fois, mille fois, c’est-à-dire, plusieurs fois.

4°. Souvent pour faire un compte rond, on ajoute ou l’on retranche ce qui empêche que le compte ne soit rond : ainsi on dit, la version des septante, aulieu de dire la version des soixante & douze interpretes, qui, selon les peres de l’Eglise, traduisirent l’Ecriture-sainte en grec, à la priere de Ptolémée Philadelphe, roi d’Egypte, environ 300 ans avant Jesus-Christ. Vous voyez que c’est toujours ou le plus pour le moins, ou au contraire le moins pour le plus.

IV. La partie pour le tout, & le tout pour la partie. Ainsi la tête se prend quelquefois pour tout l’homme : c’est ainsi qu’on dit communément, on a paye tant par tête, c’est-à-dire, tant pour chaque personne ; une tête si chere, c’est à-dire, une personne si précieuse, si fort aimée.

Les poëtes disent, après quelques moissons, quelques étés, quelques hivers, c’est-à-dire, après quelques années.

L’onde, dans le sens propre, signifie une vague, un flot ; cependant les poetes prennent ce mot ou pour la mer, ou pour l’eau d’une riviere, ou pour la riviere même. Quinault, Isis, act. I. sc. 3.

Vous juriez autrefois que cette onde rebelle
Se feroit vers sa source une route nouvelle,
Plutôt qu’on ne verroit votre cœur dégagé :
Voyez couler ces flots dans cette vaste plaine ;
C’est le même penchant qui toujours les entraîne ;
Leur cours ne change point, & vous avez changé.

Dans les poëtes latins, la poupe ou la proue d’un vaisseau se prennent pour tout le vaisseau. On dit en françois cent voiles, pour dire cent vaisseaux Tectum (le toit) se prend en latin pour toute la maison. Æneam in regia ducit tecta, elle mene Enée dans son palais. Æn. I. 635.

La porte, & même le seuil de la porte, se prennent aussi en latin pour toute la maison, tout le palais, tout le temple. C’est peut-être par cette espece de synecdoque qu’on peut donner un sens raisonnable à ces vers de Virgile. Æn. I. 509.

Tum foribus divoe, mediâ tesiudine templi,
Septa armis, solioque altè subnixa resedit.

Si Didon étoit assise à la porte du temple, foribus divæ, comment pouvoit-elle être assise en même tems sous le milieu de la voûte, mediâ testudine ? C’est que par foribus divæ, il faut entendre d’abord en général le temple ; elle vint au temple, & se plaça sous la voûte.

[Ne pourroit-on pas dire aussi que Didon étoit assise au milieu du temple & aux portes de la déesse, c’est-à-dire, de son sanctuaire ? Cette explication est toute simple, & de l’autre part la figure est tirée de bien loin.

Lorsqu’un citoyen romain étoit fait esclave, ses biens appartenoient à ses héritiers ; mais s’il revenoit dans sa patrie, il rentroit dans la possession & jouissance de tous ses biens : ce droit, qui est une espece de droit de retour, s’appelloit en latin, jus postliminii ; de post (après), & de limen (le seuil de la porte, l’entrée).

Porte, par synecdoque & par antanomase, signifie aussi la cour du grand-seigneur, de l’empereur turc. On dit, faire un traité avec la porte, c’est-à-dire, avec la cour ottomane. C’est une façon de parler qui nous vient des Turcs : ils nomment porte par excellence, la porte du serrail ; c’est le palais du sultan ou