Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 15.djvu/828

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parce qu’on se servira du terme d’armer les poils en taffetas, dans les étoffes riches dont nous parlerons, de même que de les armer en raz de saint Maur, dans les occasions où il sera nécessaire.

Démonstration de l’armure des taffetas.

Les fils sont passés dans la maille du taffetas, comme il est démontré ailleurs.

Il est établi par cette démonstration, que la premiere lisse répond à la troisieme, & la seconde à la quatrieme, & qu’il se trouve toujours un fil entre les lisses qui se rapportent, ou qui doivent lever ensemble, ce qui fait que suivant l’armure, & le passage, ou remettage des fils, chacun doit lever alternativement, & l’étoffe doit être de même façon dessus que dessous ; ce qui ne sauroit être de même dans les satins, soit à cinq lisses, soit à huit, où la trame dominera toujours à l’envers, n’étant couverte ou arrêtée que par la cinquieme ou huitieme partie de la chaine. Par la même raison, si la trame se montre plus d’un côté que d’autre, ou domine d’un côté, suivant les termes de l’art, il faut que le côté opposé soit dominé par la chaîne, comme la partie qui garnit davantage.

Tous les taffetas, sous quelque dénomination qu’ils puissent être, sont montés & travaillés comme il vient d’être démontré ; est-ce un taffetas noir, tramé d’organsin, il sera nommé taffetas lustré ; est-il chiné par la chaine, c’est un taffetas flambé ; a-t-il d’aunes de large, ou une aune, c’est une laise ; a-t-il de large, & de couleur, c’est un taffetas d’Angleterre ; a-t-il demi-aune de large, & des bandes de différentes couleurs, c’est un taffetas rayé ; a-t-il soixante portées & tramé à deux bouts, c’est un taffetas à la bonne femme ; est-il tramé à un bout, & de large, c’est un taffetas mince ; a-t-il demi-aune, & cinquante-quatre portées, c’est la même chose ; est-il très-mince, c’est un armoisin ; est-il tramé de coton, c’est une toulousine ; la chaîne est-elle teinte par parties, c’est un taffetas flambé ; est-elle tramée de fil blanc, c’est une bourre ; est-il à chaîne & trame crue, c’est une gase ; a-t-il un poil de couleur, c’est un simpleté ; en a-t-il deux, c’est un doubleté ; en a-t-il trois, c’est un tripleté ; a-t-il une chaîne double & tramée à trois bouts, c’est un petit gros-de-tours ; est-il tramé à cinq, c’est la même chose ; est-il tramé à huit bouts, c’est un gros-de-naple ; est-il tramé à douze bouts, c’est un poulx de soie ; la chaîne est-elle d’un grand nombre de fils, c’est une moire. Enfin le taffetas, & le gros-de-tours n’ayant d’autre différence que l’un est à chaîne double, & a moins de portées ; & l’autre à chaine simple ; on donne autant de noms à ces étoffes, qu’il y a de portées, de largeurs différentes, & de brins de fil à la trame, quoique le tout ne soit que taffetas.

Taffetas façonnés. On donne le nom de taffetas fa-

çonnés à tous les taffetas brochés, soit en soie, soit

en dorure, soit dorure & soie. Ces taffetas sont distingués des gros-de-tours, & par la trame, & par le liage.

Un taffetas broché doit recevoir deux coups de trame, chaque fois qu’on passe les espolins, ou qu’on broche les lacs, de façon que la trame doit être fine, afin que les croisures des deux duites, ou des deux coups passés, n’empêchent pas la jonction de la dorure & de la soie. Le liage d’ailleurs doit être de trois à quatre, par conséquent doit se trouver toujours sur la même lisse, ce qui fait que l’ouvrier doit toujours avoir soin de faire lever au premier coup de navette, la lisse sur laquelle se trouve le liage, afin qu’elle baisse au second, & que le fil qui doit baisser pour lier, ne se trouve pas contrarié, étant nécessaire de répéter que dans toutes les étoffes en général, il est d’une nécessité indispensable que le fil qui doit lier ou la dorure ou la soie, n’ait point levé au coup qui a précédé le broché ; ce qui gâteroit totalement l’étoffe, & la rendroit invendable, à quelque prix qu’on voulût la donner.

Il est inutile de faire la démonstration de l’armure du taffetas, qui est de deux marches à l’ordinaire pour la navette, & quatre marches pour le liage. Elle est d’ailleurs suffisamment expliquée.

Il se fabrique actuellement à Lyon des taffetas lisérés ou rebordés & cannelés. Le liséré est celui dont une navette particuliere passe sous un lac tiré qui forme des mosaïques, des feuilles, des tiges, même des fruits, & dont la trame est de la couleur de la chaîne ou d’une nuance qui en approche. Le taffetas rebordé est celui dont la trame qui est ordinairement obscure sert à former le terne dans les fleurs, les feuilles & les fruits nuancés. Le taffetas cannelé est celui dont une portée de la couleur de la chaîne ne travaillant que par intervalle, forme un cannelé qui s’exécute en ne faisant lever le poil que tous les quatre coups une fois. Il se fait encore des taffetas cannelés à bandes. Ces bandes sont composées d’une certaine quantité de portées ombrées & dispersées dans des parties séparées de la chaîne, suivant le goût du fabriquant. Les portées ombrées sont ourdies d’une quantité de fils de différentes couleurs dans la bande, commençant par un fil brun d’un côté, finit de l’autre par un fil très-clair, en suivant une dégradation très-exactement menagée. Il y a aussi des taffetas unis, rayés & ombrés.

On a dit plusieurs fois que la chaîne du taffetas étoit composée de quarante portées doubles, ainsi que celle du gros-de-tour, ce qui vaut autant pour la quantité de fils que quatre-vingt portées simples. Or comme dans le taffetas liséré ou rebordé l’organsin est un peu plus fin que dans le gros-de-tour, & que la navette qui passe pour l’une de ces deux couleurs, principalement celle qui reborde, est garnie d’une trame différente pour la couleur de celle de la chaîne, & que cette chaîne n’est passée que sur quatre lisses ; si l’on passoit la trame sur une des quatre lisses levées qui contient le quart de la chaîne, il arriveroit que la trame transpireroit (c’est le terme) au-travers du fond de l’étoffe, c’est-à dire que si la chaîne étoit d’une couleur claire, elle noirciroit le fond ; on a trouvé le moyen pour parer à cet inconvénient de monter le métier d’une autre façon.

On ourdit la chaîne avec un fil double & un fil simple, ce qui ne compose à la fin de l’ourdissage que quarante portées, moitié doubles & moitié simples, ou pour la quantité des fils soixante portées ; on ourdit ensuite avec la même soie un poil ou une seconde chaîne de vingt portées simples, lesquelles avec les soixante composent la quantité ordinaire de quatre-vingt portées simples, qui cependant ne font ensemble que la même quantité de quarante portées doubles.