Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 15.djvu/829

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au-lieu de quatre lisses pour passer la chaîne à l’ordinaire, on en met six pour faire cette étoffe, deux desquelles sont destinées pour les fils doubles de la chaîne, les quatre autres servent à y passer les fils simples de la premiere chaîne & ceux du poil ; de façon qu’au remettage le premier fil étant un fil double passé dans la lisse, viennent ensuite le fil simple de la chaîne & celui du poil qui sont passés sur deux lisses différentes, ensuite un fil double qui est suivi de deux autres fils simples passés comme les premiers, qui remplissent les six mailles des six lisses qui composent le course ou les six mailles des six lisses.

Pour travailler l’étoffe, on fait lever au premier coup de navette les quatre lisses qui contiennent les fils simples, & au second coup les deux lisses qui contiennent les fils doubles, & baisser à chaque coup pour le rabat les lisses qui se rapportent à celles qui ne levent pas. Les deux coups de navette étant passés, l’on fait lever une des quatre lisses simples, & on passe la rebordure ou liséré. On comprend aisément qu’une lisse simple ne contenant que la huitieme partie de la chaîne, les sept huitiemes qui restent empêchent que la trame obscure ne noircisse le fond. Il se trouve un second avantage dans cette façon de monter le métier, qui est que le liage étant pris sur une des quatre lisses simples, la dorure ou la soie ne se trouve jamais liée par un fil double comme dans les autres taffetas ou gros-de-tours qui ne sauroient lier que par un fil double ; ce qui n’est pas aussi beau que par un fil simple. L’on entend les gros-de-tours & taffetas qui n’ont point de poil pour lier la figure, qui est comprise par le broché, le rebordé ou le liséré.

Les taffetas cannelés sont montés comme les gros-de-tours de semblable espece. Dans les uns le poil qui fait le cannelé n’est passé que dans le corps ; dans les autres, il est passé dans le corps & dans les lisses. Pour faire le cannelé dans les taffetas dont le poil n’est passé que dans le corps, on fait lire le fond qui doit être peint sur le dessein par une barre qui est peinte tous les quatriemes lacs ; & comme ce poil n’a point travaillé pendant trois coups en tirant le fond, tout le poil étant levé, on passe un coup de navette entre le poil levé & la partie de la chaîne qui est baissée, ce qui arrête le poil au-travers de la piece & forme le cannelé.

A l’égard de ceux dont le poil est passé dans les lisses, au-lieu de faire tirer le fond pour le lier, on fait lever au quatrieme coup toutes les lisses dans lesquelles le poil est passé, & on passe la navette pour qu’il soit arrêté par la trame.

Les taffetas cannelés ombrés sont fabriqués comme les précédens, avec cette différence néanmoins que les bandes ombrées doivent être passées dans les lisses à jour. On a expliqué la façon de faire ces lisses dans le détail qui contient la méthode de faire les moires à bandes satinées, ainsi on ne la répétera pas.

On fait encore des taffetas avec un liage à l’angloise pour lier des parties brochées qui ne font qu’un fond, dans lequel fond on broche des nuances de différente façon ; ce liage qui n’a peut-être jamais été connu en Angleterre, n’est autre chose que deux lisses de liage passées à l’ordinaire comme dans les autres taffetas qui forme une espece de gaze, & qui ne vaudroit rien pour les autres nuances qui composent des fleurs, des feuilles & des fruits, mais qui fait très-bien dans cette espece de fond, qui ordinairement fait bande, ou droite, ou en forme de S.

Taffetas simpletés, doubletés & tripletés. Dans les taffetas de cette espece, la chaîne n’est point passée dans le corps. On appelle taffetas simpleté celui qui n’a qu’un seul corps dans lequel est passé le poil, qui seul se tire & fait la figure.

Les taffetas de cette espece ont un poil ou uni, ou à bandes de différentes couleurs ou ombrées. Le poil uni ou d’une seule couleur fait les fleurs, feuilles ou fruits de même. Les taffetas à bandes de différentes couleurs donnent des fleurs conformes à la disposition de l’ourdissage ; cette disposition doit être marquée sur le dessein pour que l’ourdissage la suive. Les taffetas dont le poil est ombré donnent des fleurs de même dans l’étoffe, mais il faut observer que l’ombrure ou les parties ombrées des fleurs ne peuvent se trouver que sur le côté, & non dans la hauteur de l’étoffe, puisque le poil ombré ne sauroit en former que les côtés, attendu son égalité suivie pendant la longueur de l’ourdissage.

Les taffetas doubletés donnent deux couleurs aux fleurs dans la hauteur de l’étoffe. Dans cette étoffe, il faut deux corps & deux poils, conséquemment le dessein doit être lu deux fois, & disposé de façon qu’une couleur de la fleur soit lue sur le cordage relatif à un corps, & l’autre couleur sur le cordage relatif à l’autre.

Les taffetas tripletés donnent trois couleurs aux fleurs dans la hauteur de l’étoffe, & doivent être lus trois fois ; ce lisage se fait de suite, c’est-à-dire que quand on a lu une couleur une fois seulement, il faut sur le champ passer aux autres avec la même embarbe si le dessein est lu sur un semple ; & s’il est lu au bouton, il faut que le même bouton retienne les trois couleurs lues pour qu’un même lac tire le tout.

On a essayé de faire des quadrupletés, mais la quantité des poils fait que l’étoffe ne peut pas se serrer aisément, attendu que chaque poil doit contenir quarante portées simples pour que les fleurs soient garnies ; cependant comme il arrive que toutes les couleurs ensemble ne sauroient paroître dans la largeur de l’étoffe suivant la disposition du dessein, s’il se trouve disposé tel, pour-lors le fabriquant fait ourdir le poil, de façon qu’il ne met de portées précisément que dans les parties où il voit que la couleur devra paroître, de façon que certains poils n’auront que dix, quinze, vingt portées plus ou moins ; pour-lors il faut que l’ouvrier ait un grand soin de faire plier le poil quand il le met sur l’ensuple de derriere, de façon que chaque partie se trouve à droit ou vis-à-vis des mailles du corps dans lequel elle doit être passée ; c’est pour cela qu’il doit se trouver des vuides lorsque le poil est tendu à proportion de la soie qui manque dans les poils, par la même raison il doit s’en trouver de même dans les corps dès que le dessein est disposé pour cela.

Les taffetas de cette espece ne sauroient être faits à grands desseins, parce que pour un tripleté il faudroit 1200 cordes de rames & de semples, pour un doubleté 800, &c. ils sont tous à 8, 10 & 12 répétitions de fleurs dans la largeur de l’étoffe ; de sorte qu’un dessein sur 100 cordes fera 8 répétitions dans la réduction ordinaire de 800 mailles de corps ; s’il contient 10 répétitions, il faudra 1000 mailles & 500 arcades à cinq arcades chaque corde de rame ; s’il contient 12 répétitions, il faudra 1200 mailles & 600 arcades à 6 chaque corde de rame, pour-lors un tripleté contiendroit 3600 mailles de corps, & un doubleté 2400, ainsi des autres en diminuant à proportion ou en augmentant. Il faut néanmoins observer qu’il n’est pas possible de porter la réduction du taffetas plus haut que 1200 mailles, attendu que ce genre d’étoffe ayant à chaque lac deux coups de navette qui croisent, il seroit impossible de serrer, si elle étoit portée plus haut. Tous les fabriquans sont au fait d’une semblable manœuvre ; il y a d’ailleurs à Lyon des monteurs de métiers pour ces genres d’étoffes, de même que pour les droguets de toute espece, qui lisent les desseins, attachent les cordages, enseignent au dessinateur la distribution de son