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rante : la plûpart de ceux qui avoient la pierre, ne trouvoient aucun soulagement : les enfans pouvoient espérer quelque ressource jusqu’à l’âge de quatorze ans ; après cet âge, l’art étoit stérile pour eux.

C’est en France qu’on a d’abord tenté d’étendre ce secours sur tous les âges ; les tentatives effrayerent ; les préjugés des anciens médecins les rendoient suspectes. Selon Hippocrate, les plaies de la vessie étoient mortelles. Germain Collot méprisa enfin cette fausse opinion ; pour tirer la pierre, il imagina une opération nouvelle. Ce cas est célebre dans notre histoire. Voyez l’histoire de Louis XI. par Varillas, page 340. Un archer de Bagnolet (d’autres disent un franc-archier de Meudon) étoit condamné à mort ; heureusement pour lui, il avoit une maladie dangereuse. Le détail n’en est pas bien connu ; l’ignorance des tems l’a obscurci ; la description qu’en ont donnée les historiens, est confuse & contradictoire : on y entrevoit seulement que ce misérable avoit la pierre. Mezeray assure sans fondement que cette pierre étoit dans les reins ; il paroît évident qu’elle étoit dans la vessie. Quoi qu’il en soit, il ne dut la vie qu’à sa pierre. L’opération qui pouvoit le délivrer de ses maux, fit la seule punition des crimes qu’il avoit commis : c’étoit un essai qui paroissoit cruel ; on ne voulut pas même y soumettre ce misérable par la violence ; on le lui proposa comme à un homme libre, & il le choisit. Germain Collot tenta l’opération avec une hardiesse éclairée, & le malade fut parfaitement rétabli en quinze jours. Voyez les recherches historiques sur l’origine, sur les divers états, & sur les progrès de la Chirurgie en France, Paris 1744. La plus ancienne des méthodes connues de faire l’opération de la taille est celle de Celse, à laquelle on a donné le nom de petit appareil. Voici la maniere d’y procéder.

Méthode de Celse ou petit appareil. Un homme robuste & entendu, dit cet auteur, lib. VII. c. xxvj. s’assied sur un siege élevé, & ayant couché l’enfant sur le dos, lui met d’abord ses cuisses sur les genoux ; ensuite lui ayant plié les jambes, il les lui fait écarter avec soin, lui place les mains sur ses jarrets, les lui fait étendre de toutes ses forces, & en même tems les assujettit lui-même en cette situation ; si néanmoins le malade est trop vigoureux pour être contenu par une seule personne, deux hommes robustes s’asseyent sur deux sieges joints ensemble, & tellement attachés qu’ils ne puissent s’écarter. Alors le malade est situé de la même maniere que je viens de le dire, sur les genoux de ces deux hommes, dont l’un lui écarte la jambe gauche, & l’autre la droite, selon qu’ils sont placés, tandis que lui-même embrasse fortement ses jarrêts.

Mais soit qu’il n’y ait qu’un homme qui tienne le malade, ou que deux fassent cette même fonction, les épaules du malade sont soutenues par leur poitrine, ce qui fait que la partie d’entre les îles qui est au-dessus du pubis est tendue sans aucunes rides, & que la vessie occupant pour-lors un moindre espace, on peut saisir la pierre avec plus de facilité ; de plus, on place encore à droite & à gauche deux hommes vigoureux, qui soutiennent & empêchent de chanceler celui ou ceux qui tiennent l’enfant. Ensuite l’opérateur, de qui les ongles sont bien coupés, introduit dans l’anus du malade le plus doucement qu’il lui est possible l’index & le doigt du milieu de la main gauche, après les avoir trempés dans l’huile, tandis qu’il applique légerement les doigts de la main droite sur la région hypogastrique, de peur que les doigts venant à heurter violemment la pierre, la vessie ne se trouvât blessée. Mais il ne s’agit pas ici, comme dans la plûpart des autres opérations, de travailler avec promptitude, il faut principalement s’attacher à opérer avec sûreté ; car lorsque la vessie est une fois blessée, il s’ensuit souvent des tiraillemens & distensions des nerfs qui mettent les malades en dan-

ger de mort. D’abord il faut chercher la pierre vers

le col de la vessie ; & lorsqu’elle s’y trouve, l’opération en est moins laborieuse. C’est ce qui m’a fait dire qu’il ne falloit en venir à l’opération, que lorsqu’on est assuré par des signes certains que la pierre est ainsi placée ; mais si la pierre ne se trouve pas vers le col de la vessie, ou qu’elle soit placée plus avant, il faut d’un côté passer les doigts de la main gauche jusqu’au fond de la vessie, tandis que la main droite continue d’appuyer sur l’hypogastre jusqu’à ce que la pierre y soit parvenue. La pierre une fois trouvée, ce qui ne peut manquer d’arriver en suivant la méthode prescrite, il faut la faire descendre avec d’autant plus de précaution, qu’elle est plus ou moins petite, ou plus ou moins polie, de peur qu’elle n’échappe, & qu’on ne soit obligé de trop fatiguer la vessie ; c’est pourquoi la main droite posée au-delà de la pierre s’oppose toujours à son retour en arriere, pendant que les deux doigts de la main gauche la poussent en en-bas, jusqu’à ce qu’elle soit arrivée au col de la vessie, vers lequel, si la pierre est de figure oblongue, elle doit être poussée, de façon qu’elle ne sorte point par l’une de ses extrémités ; si elle est plate, de maniere qu’elle sorte transversalement ; la quarrée doit être placée sur deux de ses angles, & celle qui est plus grosse par un de ses bouts, doit sortir par celle de ses extrémités qui est la moins considérable ; à l’égard de la pierre de figure ronde, on sait qu’il importe peu de quelle maniere elle se présente ; si néanmoins elle se trouvoit plus polie par une de ses parties, cette partie la plus lisse doit passer la premiere.

Lorsque la pierre est une fois descendue au col de la vessie, il faut faire à la peau vers l’anus une incision en forme de croissant qui pénetre jusqu’au col de la vessie, & dont les extrémités regardent un peu les cuisses ; ensuite il faut encore faire dans la partie la plus étroite de cette premiere ouverture & sous la peau une seconde incision transversale qui ouvre le col de la vessie, jusqu’à ce que le conduit de l’urine soit assez dilaté, pour que la grandeur de la plaie surpasse celle de la pierre, car ceux qui par la crainte de la fistule, que les Grecs appellent οὐρορυόδα, ne font qu’une petite ouverture, tombent, & même avec plus de danger, dans l’inconvénient qu’ils prétendent éviter, parce que la pierre venant à être tirée avec violence, elle se fait elle-même le chemin qu’on ne lui a pas fait suffisant, & il y a même d’autant plus à craindre, suivant la figure & les asperités de la pierre : de là peuvent naître en effet des hémorragies & des tiraillemens & divulsions dans les nerfs ; & si le malade est assez heureux pour échapper à la mort, il lui reste une fistule qui est beaucoup plus considérable par le déchirement du col, qu’elle ne l’auroit été si on y avoit fait une incision suffisante.

L’ouverture une fois faite, on découvre la pierre dont le corps & la figure sont souvent très-différens ; c’est pourquoi si elle est petite, on la pousse d’un côté avec les doigts, tandis qu’on l’attire de l’autre. Mais si elle se trouve d’un volume considérable, il faut introduire par-dessus la partie supérieure un crochet fait exprès pour cela : ce crochet est mince en son extrémité, & figuré en espece de demi-cercle, applati & mousse, poli du côté qui touche les parois de la plaie, & inégal de celui qui saisit la pierre : dès qu’on l’a introduit, il faut l’incliner à droit & à gauche pour mieux saisir la pierre & s’en rendre le maître, parce que dans le même instant qu’on l’a bien saisie, on penche aussi-tôt le crochet : il est nécessaire de prendre toutes ces précautions, de peur qu’en voulant retirer le crochet, la pierre ne s’échappe au-dedans, & que l’instrument ne heurte contre les levres de la plaie, ce qui seroit cause des inconvéniens dont j’ai déjà parlé.