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complaisance dans un métal qu’il avoit indubitablement engendré, & ne pouvoit manquer d’arrêter ses influences dans une plaque d’or où il voyoit son image empreinte, & qui lui avoit été religieusement consacrée au moment de son lever. Par un raisonnement semblable, la lune produisoit l’argent, & favorisoit de toute l’étendue de son pouvoir les images d’argent auxquelles elle tenoit par les liens de la couleur, de la génération, de la consécration. Bien entendu que Mars se plaisoit à voir ses images, quand elles étoient de fer ; c’étoit-là sans doute le métal favori du dieu des combats. Vénus eut le cuivre, parce qu’il se trouvoit en abondance dans l’île de Chypre dont elle chérissoit le séjour. Le langoureux Saturne fut préposé aux mines de plomb. On ne délibéra pas long-tems sur le lot de Mercure ; un certain rapport d’agilité lui fit donner en partage le vif-argent. Mais en vertu de quoi Jupiter sera-t-il borné à la surintendance de l’étain ? Il étoit incivil de présenter cette commission à un dieu de sa sorte : c’étoit l’avilir ; mais il ne restoit plus que l’étain, force lui fut de s’en contenter. Voilà certes de puissans motifs pour assigner à ces dieux l’inspection sur tel ou tel métal, & une affection singuliere pour les figures qui en sont composées. Or telles sont les raisons de ces prétendus départemens ; tels sont aussi les effets qu’il en faut attendre. » Hist. du ciel, tom. I. pag. 482 & 483.

Il étoit aussi aisé de faire ces raisonnemens, il y a deux mille ans, qu’aujourd’hui ; mais la coutume, le préjugé, l’exemple de quelques faux sages qui, soit persuasion, soit imposture, accréditoient les talismans, avoient entraîné tous les esprits dans ces superstitions. On attribuoit à la vertu & aux influences des talismans tous les prodiges qu’opéroit Apposignius de Tyane ; & quelques auteurs ont même avancé que ce magicien étoit l’inventeur des talismans ; mais leur origine remonte bien plus avant dans l’antiquité ; sans parler de l’opinion absurde de quelques rabbins qui soutiennent que le serpent d’airain que Moïse fit élever dans le désert pour la destruction des serpens qui tourmentoient & tuoient les Israëlites, n’étoit autre chose qu’un talisman. Quelques-uns en attribuent l’origine à un Jacchis qui fut l’inventeur des préservatifs que les Grecs appelloient περιαπτα, des remedes cachés contre les douleurs, des secrets contre les ardeurs du soleil & contre les influences de la canicule. Ce Jacchis vivoit, selon Suidas, sous Sennyés, roi d’Egypte. D’autres attribuent cette origine à Necepsos, roi d’Egypte, qui étoit postérieur à Jacchis, & qui vivoit cependant plus de 200 ans avant Salomon. Ausone, dans une lettre à S. Paulin, a dit :

Quique magos docuit mysteria vana Necepsos.

Le commerce de ces talismans étoit fort commun du tems d’Antiphanes, & ensuite du tems d’Aristophane ; ces deux auteurs font mention d’un Phertamus & d’un Eudamus, fabricateurs de préservatifs de ce genre. On voit dans Galien & dans Marcellus Empiricus, quelle confiance tout le monde avoit à leur vertu. Pline dit qu’on gravoit sur des émeraudes des figures d’aigle & de scarabées ; & Marcellus Empiricus attribue beaucoup de vertus à ces scarabées pour certaines maladies, & en particulier pour le mal des yeux. Ces pierres gravées ou constellées étoient autant de talismans où l’on faisoit entrer les observations de l’astrologie. Pline, en parlant du jaspe qui tire sur le verd, dit que tous les peuples d’Orient le portoient comme un talisman. L’opinion commune étoit, dit-il ailleurs, que Milon de Crotone ne devoit ses victoires qu’à ces sortes de pierres qu’il portoit dans les combats, & à son exemple ses athle-

tes avoient soin de s’en munir. Le même auteur ajoute qu’on se servoit de l’hématite contre les embuches des barbares, & qu’elle produisoit des effets salutaires dans les combats. Aussi les gens de guerre en Egypte, au rapport d’Elien, portoient des figures de scarabées pour fortifier leur courage, & la grande foi qu’ils y avoient, venoit de ce que ces peuples croyoient que le scarabée consacré au soleil étoit la figure animée de cet astre qu’ils regardoient comme le plus puissant des dieux, selon Porphyre. Trébellius Pollion rapporte que les Macriens révéroient Alexandre le grand d’une maniere si particuliere, que les hommes de cette famille portoient la figure de ce prince gravée en argent dans leurs bagues, & que les femmes la portoient dans leurs ornemens de tête, dans leurs bracelets, dans leurs anneaux & dans les autres pieces de leur ajustement ; jusque-là même que de son tems, ajoute-t-il, la plûpart des habillemens des dames de cette famille en étoient encore ornés, parce que l’on disoit que ceux qui portoient ainsi la tête d’Alexandre en or ou en argent, en recevoient du secours dans toutes leurs actions : quia dicuntur juvari in omni actu suo qui Alexandrum expressum, vel auro gestitant vel argento.

Cette coutume n’étoit pas nouvelle chez les Romains, puisque la bulle d’or que portoient au col les généraux ou consuls dans la cérémonie du triomphe, renfermoit des talismans. Bulla, dit Macrobe, gestamen erat triumphantium, quam in triumpho præ se gerebant, inclusis intrà eam remediis, quæ crederent adversus invidiam valentissima. On pendoit de pareilles bulles au col des enfans, pour les défendre des génies massaisans, ou les garantir d’autres périls, ne quid obsit, dit Varron ; & Asconjus Pedianus, sur un endroit de la premiere verrine de Cicéron où il est mention de ces bulles, dit qu’elles étoient sur l’estomach des enfans comme un rempart qui les défendoit, sinus communiens pectusque puerile, parce qu’on y renfermoit des talismans. Les gens de guerre portoient aussi des baudriers constellés. Voyez Baudriers & Constellés.

Les talismans les plus accrédités étoient ceux des Samothraciens, ou qui étoient fabriqués suivant les regles pratiquées dans les mysteres de Samothrace. C’étoient des morceaux de métal sur lesquels on avoit gravé certaines figures d’astres, & qu’on enchâssoit communément dans des bagues. Il s’en trouve pourtant beaucoup dont la forme & la grosseur font voir qu’on les portoit d’une autre maniere. Pétrone rapporte qu’une des bagues de Trimalcion étoit d’or & chargée d’étoiles de fer, totum auteum, sed planè serreis veluti stellis ferruminatum. Et M. Pithou convient que c’étoit un anneau ou un talisman fabriqué suivant les mysteres de l’île de Samothrace. Trallien, deux siècles après, en décrit de semblables, qu’il donne pour des remedes naturels & physiques, φυσικὰ, à l’exemple, dit-il, de Galien, qui en a recommandé de pareils. C’est au livre IX. de ses traités de médecine, ch. jv. à la fin, où il dit que l’on gravoit sur de l’airain de Chypre un lion, une lune & une étoile, & qu’il n’a rien vu de plus efficace pour certains maux. Le même Trallien cite un autre philactère contre la colique ; on gravoit sur un anneau de fer à huit angles ces mots, φεῦγε, φεῦγε, ἰοῦ, χολὴ, ὁ κορυδαλός σε ζητεῖ, c’est-à-dire, fuis, fuis, malheureuse bile, l’alouette te cherche. Et ce qui prouve que l’on fabriquoit ces sortes de préservatifs sous l’aspect de certains astres, c’est ce que ce médecin ajoute à la fin de l’article : il falloit, dit-il, travailler à la gravure de cette bague au 17 ou au 21 de la lune.

La fureur que l’on avoit pour les talismans se répandit parmi des sectes chrétiennes, comme on le voit dans Tertullien, qui la reproche aux Marcionites qui faisoient métier, dit il, de vivre des étoiles