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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 15.djvu/889

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forme, s’étendent circulairement en façon de lobes, jusqu’à dix ou douze pouces de diametre ; mais si par hazard elle se trouve naître en un lieu exposé au midi (ce qui lui est favorable pour sa production, & non pour sa durée), les rayons du soleil la résolvent dès le second jour en une liqueur bleue jaunâtre, laquelle en peu de tems se condense, & se convertit entierement en une croute seche épaisse d’environ deux lignes.

La végétation ayant ainsi disparu, on trouve quelques jours après sous cette croute, une couche, ou lit de poussiere noire, très-fine, qui a assez de rapport à la poussiere qu’on découvre dans le lycoperdon, & qui ici pourroit être de la tannée dissoute, puis desséchée, & enfin convertie en une espece de terreau réduit en poudre impalpable.

La fleur de la tannée paroît tous les ans vers le commencement du mois de Juin, ou quelquefois plutôt, suivant la chaleur du printems. Il est donc assez vraissemblable que le tan qui a servi à tanner les cuirs, est la matrice de cette végétation. En effet la chaux qu’on emploie pour faire tomber le poil des cuirs, les sels, les huiles & les soufres contenus dans les cuirs, joints à l’acide du tan, macérés ensemble dans des fosses pendant plusieurs mois, & dont le tan a été parfaitement imbibé, contient des substances qui aidées de l’air, sont toujours prêtes à produire la végétation dont il s’agit.

Il semble que si l’on compare cette végétation à l’éponge reconnue pour plante, & dans laquelle on n’apperçoit presque ni racines, ni feuilles, ni fleurs, ni graines, on pourroit la ranger sous le genre des éponges, & la nommer, en attendant de plus amples découvertes, spongia fugax, mollis, flava, in pulvere coriario nascens. Mém. de l’acad. des Sciences, année 1727. (D. J.)

TANNER, v. act. (Gram. Arts & Métiers.) Maniere de tanner les cuirs. Les peaux, telles que sont celles de bœuf, de vache, de cheval, de mouton, bélier ou brebis, de sanglier, cochon ou truie, &c, peuvent être tannées, c’est-à-dire qu’on peut les rendre propres à différens usages, selon leur force & les différentes manieres de les apprêter, par le moyen du tan dont on les couvre dans une fosse destinée à cet effet, après qu’on en a fait préalablement tomber le poil, soit avec la chaux détrempée dans l’eau, & cela s’appelle plamer à la chaux, soit avec de la farine d’orge, & cela s’appelle plamer à l’orge, soit enfin par la seule action du feu & de la fumée, maniere que l’on pratique déja depuis long-tems à Saint-Germain-en-Laie, & que les tanneurs des autres endroits ignorent en partie, ceux de cette ville la regardant comme un secret ; ce dernier moyen ne pourroit cependant paroître surprenant qu’à ceux qui ignorent les effets les plus naturels & les plus à portée d’être remarqués ; tout le monde sait qu’une peau même vivante perd beau coup de son poil pendant les chaleurs de l’été, ce que nous appellons muer ; à plus forte raison le poil doit-il quitter une peau morte, lorsqu’elle est exposée à l’action d’un feu & d’une fumée dont la chaleur peut égaler, & même surpasser celle de l’été ; cette derniere façon s’appelle plamer à la gigée ou à la gigie, terme que nous n’avons trouvé employé nulle part, & dont nous ne connoissons ni l’étymologie, ni les rapports.

Nous allons exposer avec le plus d’ordre & de clarté qu’il nous sera possible, ces trois façons de traiter les cuirs. Quelques personnes que nous avons eu occasion de voir, & qui nous ont assuré avoir voyagé en Perse, nous ont rapporté qu’on s’y servoit dans quelques tanneries, de sel & de noix de galle pour dépouiller la peau de son poil ; nous le croyons assez volontiers, vû que les plus légers mordans peuvent à la longue occasionner cette dépilation ; on s’y

sert aussi, suivant leur rapport, de la chaux ; mais ce qui nous cause quelque surprise, c’est que la sécheresse qui regne dans ce pays, acheve, à ce que disent ces personnes, l’ouvrage, dans l’un & l’autre cas, les Persans ignorant absolument l’usage du tan. Peut-être que ces personnes douées d’une bonne mémoire se sont plûs à nous débiter ce qu’elles en avoient pu lire dans le dictionnaire du Commerce, dont nous aurons occasion de relever quelques erreurs, & réparer des omissions essentielles sur cet article.

Article I. Maniere de plamer à la chaux. Plamer un cuir à la chaux, c’est lui faire tomber le poil ou bourre, après l’avoir fait passer dans le plain pour le disposer à être tanné ensuite de la maniere que nous allons détailler.

Lorsque les Bouchers ont dépouillé les bœufs qu’ils ont tués, c’est-à dire, lorsqu’ils ont levé les cuirs de dessus, on les sale avec le sel marin & l’alun ou avec le natron, qui est une espece de soude blanche ou salpêtre, ce qu’il faut absolument faire, si on veut les garder quelque tems ou les envoyer au loin ; car dans le cas où le tanneur les apprêteroit aussitôt qu’ils auroient été abattus, il seroit inutile de les saler, cette opération n’étant nécessaire que pour en prévenir la corruption. Lorsque les cuirs auront été salés, & qu’ils seront parvenus entre les mains des Tanneurs, la premiere chose qu’il faudra faire pour les apprêter, sera d’en ôter les cornes, les oreilles & la queue, & c’est ce que les Tanneurs appellent l’émouchet ; on commencera aussi par cette même opération, quand même les cuirs n’auroient point été salés, après quoi on les jettera dans l’eau pour les dégorger du sang caillé, & en faire sortir les autres impuretés qui pourroient y être jointes ; on ne peut déterminer le tems fixe que les peaux doivent y rester, moins dans une eau vive comme celle de fontaine, plus dans celle de riviere, & plus encore dans une eau croupie & dormante ; ce tems doit aussi s’évaluer selon la fraîcheur des peaux, & du plus ou du moins de corps étrangers qui y sont joints, dont il faut qu’elles soient absolument purgées ; cependant un jour & demi doit ordinairement suffire, & pour peu que l’ouvrier soit intelligent, il augmente ou diminue ce terme, suivant les circonstances, après quoi on les retire ; on les pose sur le chevalet, & on y fait passer sur toutes leurs parties un couteau long à deux manches qui n’a point de tranchant, que l’on appelle couteau de riviere, dont l’action est de faire sortir l’eau qui entraîne avec elle le sang caillé en les pressant sur le chevalet ; quelques-uns n’en retirent les cornes, les oreilles & la queue, qu’après avoir été ainsi nettoyées ; mais c’est s’éloigner de l’ordre naturel. Cette opération finie, on doit les replonger dans la riviere, & les y laver jusqu’à ce que l’eau dont elles s’imbibent, en sorte nette & pure, ensuite on les met égoutter ; quoique le tanneur, pour s’épargner de la peine, puisse s’exempter de passer le couteau de riviere au tems que nous venons d’indiquer, peu cependant y manquent ; autrement les peaux n’auroient point la netteté recuise pour les opérations suivantes, & le dictionnaire du Commerce n’auroit pas dû passer cet article sous silence, vû que la bonté du cuir dépend en plus grande partie de la maniere dont il est apprêté.

Les peaux étant ainsi nettoyées & égouttées, on les met dans un plein, c’est-à-dire dans une grande cuve de bois ou de pierre, mastiquée en terre, remplie d’eau jusqu’à la moitié ou environ, & de chaux tout-à-fait usée, ce qui lui fait donner le nom de plain-vieux ou mort-plain ; c’est donc dans un mort-plain que les peaux doivent premierement entrer, autrement on courroit risque de les brûler, ce qui fait que les différens plains par où les peaux doivent successivement passer, doivent aller de degrés