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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 15.djvu/929

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ment de l’opération : on fait écouler le reste de l’eau de la cuve en débouchant un trou dont elle est percée auprès du fond ; & comme l’on trouve ordinairement encore quelques quantités de pâtes ramassées au fond de la cuve, on les lave dans quatre ou cinq pots d’eau froide différente pour les mettre avec les autres.

» Toutes ces pâtes ayant été formées par le travail de toute la journée, elles sont mises en réserve dans un baquet pour être employées le lendemain, comme nous l’allons dire.

» A dix heures du matin, on remplit d’eau de fontaine les quatre chauderons de cuivre, qui sont placés sur une même ligne au fond de l’attelier sur des petits murs de la hauteur de deux piés, afin de pouvoir aisément faire du feu dessous, & le retirer ensuite quand il le faut. Cependant on a détrempé un peu auparavant dans une terrine avec quatre ou cinq pots d’eau, quatre ou cinq livres d’une terre qui se trouve à deux lieues de Montpellier auprès d’un village appellé Merviel. Cette terre est une sorte de craie blanche[1], composée d’une substance grasse, qui blanchit l’eau & la rend comme du lait épais, & d’une substance sablonneuse, dure, qui ne peut se dissoudre & qui reste au fond de la terrine. On verse doucement cette eau blanchie dans deux chauderons, on fait sur le champ une nouvelle détrempe de pareille quantité de cette terre blanche, & on l’emploie comme la premiere pour blanchir l’eau des deux autres chauderons, prenant garde en versant qu’il ne tombe rien de la partie sablonneuse qui doit rester toute entiere au fond de la terrine en petits morceaux ».

J’ai remarqué moi-même que ces petits morceaux indissolubles méchaniquement dans l’eau, & qui restent au fond du vaisseau, étant bien lavés faisoient le plus souvent effervescence avec les acides minéraux. Ce qui démontre ce que j’ai avancé dans la note précédente.

« L’eau des quatre chauderons étant ainsi blanchie, on allume le feu ; & lorsqu’elle est bouillante, on y jette les pâtes qu’on distribue également dans chacun ; on continue l’ébullition, & il se forme bientôt une écume blanchâtre & sale, que l’on retire par le moyen d’une sorte d’écumoire de toile grossiere : peu de tems après & la liqueur continuant à bouillir, il se forme sur la surface une crême ; & lorsqu’on a encore laissé bouillir un quart-d’heure, on retire entierement le feu de dessous les chauderons. La crême pour-lors durcit peu-à-peu, & paroît inégale, raboteuse & comme ondée. On laisse ces chauderons sans feu, & sans y toucher que le lendemain vers les trois ou quatre heures du matin, tems suffisant pour que l’opération soit achevée. Cette crême, de molle qu’elle étoit, est devenue une croute blanche & raboteuse, qui couvre entierement la surface de l’eau ; elle est épaisse d’une ligne & demie, & n’est pas

si dure que celle que l’on trouve attachée à toute la surface du fond & des côtés du chauderon, la premiere se nomme crême de tartre, & la seconde crystal de tartre ; celle-ci est épaisse d’environ trois lignes, & a ses crystaux plus distincts. Quoique je n’aye pu cependant y rien observer de régulier, on voit seulement d’un côté & d’autre qu’ils ont différentes facettes luisantes[2].

» Voici la maniere dont on retire toutes ces concrétions salines. On creve en différens endroits la croute de la surface, on jette par-dessus de l’eau avec la main ; & quoiqu’elle ne soit secouée qu’assez foiblement, on la voit précipiter sur le champ. On vuide ensuite l’eau des baquets, en faisant pancher le chauderon, elle sort rousse & assez claire jusque vers le fond où elle devient alors épaisse, trouble & plus foncée. Quand on est parvenu à la voir de cette couleur, on jette dans le chauderon cinq ou six pots d’eau de fontaine que l’on renverse d’abord ; & en frappant les bords de ce chauderon avec une piece de fer, on fait par cet ébranlement séparer & tomber par morceaux le crystal de tartre dans le fond du chauderon où il se mêle avec la crême de tartre qui y a déja été précipitée. On jette encore de l’eau de fontaine, & on remue le tout ensuite avec la main, ensorte que cette eau qui a servi à cette lotion, n’en sort que trouble, blanchâtre, & chargée de cette terre que l’on avoit employée ; on continue ces lotions jusqu’à ce que l’eau sorte claire. On ramasse ensuite le crystal de tartre mêlé avec la crême ; on l’étend sur des toiles pour le faire sécher, ou au soleil, ou à l’étuve, & on a pour-lors le crystal de tartre très-dépuré & bien blanc.

» Il faut être attentif à séparer dans les tems marqués le crystal de tartre, parce que si on le laissoit quelques heures de plus dans le chauderon, les crystaux roussiroient.

» Lorsqu’on fait cette séparation, l’eau est encore un peu tiede & a un goût aigrelet ; si on la laissoit entierement refroidir, la crême de tartre ne se soutiendroit plus sur la surface, mais se précipiteroit d’elle-même.

» L’on retire de chaque chauderon vingt-deux à vingt-trois livres de crystal & de crême de tartre prises ensemble ; en sorte que cent cinquante li-

  1. Cette terre n’est pas une craie ; si elle l’étoit, elle feroit union avec l’acide du tartre, avec laquelle elle a plus de rapport qu’avec la partie grasse & colorante, & formeroit un sel neutre, & ne convertiroit point le tartre en crême. C’est une terre argilleuse d’un blanc sale, qui contient quelquefois un peu de sable ou de terre calcaire, mais en si petite quantité, que les trois acides primitifs versés sur cette glaise ne font point d’effervescence. J’ai cependant apperçu quelquefois sur certains morceaux de cette terre que l’acide nitreux donnoit quelques légeres marques d’effervescence. Ce qui prouve seulement que cette terre étoit mélangée de quelque peu de terre calcaire, mais le fond de la terre employée est une argille. Dans certaines fabriques nouvellement établies & qui sont éloignées de Merviel, on a trouvé d’autres mines de cette argille pour s’en servir aux mêmes usages que de la terre de Merviel, & toutes ces découvertes ont été faites par des simples ouvriers qui ignorent la Chimie.
  2. Voici ce que j’ai observé, tant sur la crystallisation du tartre crud, que du crystal de tartre. Le tartre, tel qu’on le retire des tonneaux de vin, a de très-petits crystaux, dont la plûpart sont terminés par des faces inclinées entr’elles sous un angle droit ; mais dès que ce sel est blanchi & purifié par la terre de Merviel, sa crystallisation est assez changée, & on n’y voit guere plus de parallellipipedes rectangles. Ce sel qui, à cause de son peu de dissolubilité, exige une grande quantité d’eau & même bouillante, se crystallise toujours avec précipitation lorsque la dissolution se refroidit ; aussi ne donne-t il que de très-petits crystaux, même dans le travail en grand, ces crystaux sont composés de grouppes, d’une grande quantité de prismes assez irréguliers, dont les faces brillantes sont toutes paralleles & rangées dans trois plans. On distingue très bien que ce ne sont ni des lames ni des aiguilles. Pour observer la forme la plus réguliere du crystal de tartre, il faut le faire dissoudre dans de l’eau bouillante : quand cette eau en est bien chargée, on en verse sept ou huit gouttes sur une glace de miroir non-étamée ; dès qu’on s’appercevoit qu’après le refroidissement il s’est formé sur la glace un nombre suffisant de crystaux pour l’observation, on incline la glace doucement pour faire écouler l’eau, qui autrement auroit continué de donner des crystaux, & le grand nombre de ces crystaux qui sont disposés à se groupper, auroit empêché qu’ils eussent été isolés ; ce qui est nécessaire pour l’observation. On a, par ce moyen, des crystaux assez régulierement terminés, mais fort petits, on se sert d’un microscope ou d’une lentille d’environ une demi-ligne de foyer pour les bien observer. Ce sont des prismes un peu applatis, dont la plus grande face est le plus souvent exagone, quelquefois octogone, & qui paroissent avoir six faces. Si l’eau est moins chargée & la crystallisation plus prompte, leur applatissement est un peu plus considérable.