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les sont dans l’analogie de notre langue. Si elles ne sont pas encore dans le langage écrit, elles méritent du moins de n’en être pas rejettées : tout les y réclame, les intérêts de cette précision philosophique, qui est un des caracteres de notre langue ; & ceux mêmes de la langue, qu’on ne sauroit trop enrichir dès qu’on peut le faire sans contredire les usages analogiques.

Mais, me dira-t-on, l’analogie même n’est pas trop observée ici : les verbes simples qui se conjuguent avec l’auxiliaire avoir, prennent un tems composé de cet auxiliaire, pour former leurs tems surcomposés ; j’ai eu chanté, j’aurois eu chanté, &c. les verbes simples qui se conjuguent avec l’auxiliaire être, prennent un tems composé de cet auxiliaire, pour former leurs tems surcomposés ; j’ai été arrivé, j’aurois été arrivé, &c. au contraire les tems surcomposés des verbes pronominaux prennent un tems simple du verbe être avec le supin du verbe avoir ; ce qui est ou paroît du-moins être une véritable anomalie.

Je réponds qu’il faut prendre garde de regarder comme anomalie, ce qui n’est en effet qu’une différence nécessaire dans l’analogie. Le verbe aimer fait j’ai aimé, j’ai eu aimé : s’il devient pronominal, il fera je me suis aimé ou aimée, au premier de ces deux tems où il n’est plus question du supin, mais du participe : mais quant au second, il faudra donc pareillement substituer le participe au supin, & pour ce qui est de l’auxiliaire avoir, il doit, à cause du double pronom personnel, se conjuguer lui-même par le secours de l’auxiliaire être ; je me suis eu, comme je me suis aimé ; mais ce supin du verbe avoir ne change point, & demeure indéclinable, parce que son véritable complément est le participe aimé dont il est suivi, voyez Participe. Ainsi aimer fera très-analogiquement je me suis ou aimé ou aimée.

Mais quelle est enfin la nature de ces tems, que nous ne connoissons que sous le nom de prétérits surcomposés ? L’un des deux auxiliaires y caractérise, comme dans les autres, l’antériorité ; le second, si nos procédés sont analogiques, doit désigner encore un autre rapport d’antériorité, dont l’idée est accessoire à l’égard de la premiere qui est fondamentale. L’antériorité fondamentale est relative à l’époque que l’on envisage primitivement ; & l’antériorité accessoire est relative à un autre événement mis en comparaison avec celui qui est directement exprimé par le verbe, sous la relation commune à la même époque primitive. Quand je dis, par exemple, dès que j’ai eu chanté, je suis parti pour vous voir ; l’existance de mon chant & celle de mon départ sont également présentées comme antérieures au moment où je parle ; voilà la relation commune à une même époque primitive, & c’est la relation de l’antériorité fondamentale : mais l’existence de mon chant est encore comparée à celle de mon départ, & le tour particulier j’ai eu chanté sert à marquer que l’existence de mon chant est encore antérieure à celle de mon départ, & c’est l’antériorité accessoire.

C’est donc cette antériorité accessoire, qui distingue des prétérits ordinaires ceux dont il est ici question ; & la dénomination qui leur convient doit indiquer, s’il est possible, ce caractere qui les différencie des autres. Mais comme l’antériorité fondamentale de l’existence est déjà exprimée par le nom de prétérit, & celle de l’époque par l’épithete d’antérieur ; il est difficile de marquer une troisieme fois la même idée, sans courir les risques de tomber dans une sorte de battologie : pour l’éviter, je donnerois à ces tems le nom de prétérits comparatifs, afin d’indiquer que l’antériorité fondamentale, qui constitue la nature commune de tous les prétérits, est mise en comparaison avec une autre antériorité accessoire ; car les choses composées doivent être ho-

mogènes. Or il y a quatre prétérits comparatifs.

1. Le prétérit indéfini comparatif, comme j’ai eu chanté.

2. Le prétérit antérieur simple comparatif, comme j’avois eu chanté.

3. Le prétérit antérieur périodique comparatif, comme j’eus eus chanté.

4. Le prétérit postérieur comparatif, comme j’aurai eu chanté.

Il me semble que les prétérits qui ne sont point comparatifs, sont suffisamment distingués de ceux qui le sont, par la suppression de l’épithete, même de comparatifs ; car c’est être en danger de se payer de paroles, que de multiplier les noms sans nécessité. Mais d’autre part, on court risque de n’adopter que des idées confuses, quand on n’en attache pas les caracteres distinctifs à un assez grand nombre de dénominations : & cette remarque me détermineroit assez à appeller positifs tous les prétérits qui ne sont pas comparatifs, sur-tout dans les occurrences où l’on parleroit des uns, relativement aux autres. Je vais me servir de cette distinction dans une derniere remarque sur l’usage des prétérits comparatifs.

Ils ne peuvent jamais entrer que dans une proposition qui est membre d’une période explicite ou implicite : explicite ; j’ai eu lu tout ce livre avant que vous en eussiez lu la moitié : implicite ; j’ai eu lu tout ce livre avant vous, c’est-à-dire, avant que vous l’eussiez lu. Or c’est une regle indubitable qu’on ne doit se servir d’un prétérit comparatif, que quand le verbe de l’autre membre de la comparaison est à un prétérit positif de même nom ; parce que les termes comparés, comme je l’ai dit cent fois, doivent être homogenes. Ainsi l’on dira ; quand j’ai eu chanté, je suis sorti ; si j’avois eu chanté, je serois sorti avec vous ; Quand nous aurons été sortis, ils auront renoué la partie, &c. Ce seroit une faute d’en user autrement, & de dire, par exemple, si j’avois eu chanté, je sortirois, &c.

Art. VI. Des tems considérés dans les modes. Les verbes se divisent en plusieurs modes qui répondent aux différens aspects sous lesquels on peut envisager la signification formelle des verbes, voyez Mode. On retrouve dans chaque mode la distinction des tems, parce qu’elle tient à la nature indestructible du verbe, (voyez Verbe.) Mais cette distinction reçoit d’un mode à l’autre des différences si marquées, que cela mérite une attention particuliere. Les observations que je vais faire à ce sujet, ne tomberont que sur nos verbes françois, afin d’éviter les embarras qui naîtroient d’une comparaison trop compliquée ; ceux qui m’auront entendu, & qui connoîtront d’autres langues, sauront bien y appliquer mon système, & reconnoître les parties qui en auront été adoptées ou rejettées par les différens usages de ces idiomes.

Nous avons six modes en françois : l’indicatif, l’impératif, le suppositif, le subjonctif, l’infinitif & le participe, (voyez ces mots)  : c’est l’ordre que je vais suivre dans cet article.

§. 1. Des tems de l’indicatif. Il semble que l’indicatif soit le mode le plus naturel & le plus nécessaire : lui seul exprime directement & purement la proposition principale ; & c’est pour cela que Scaliger le qualifie solus modus aptus scientiis, solus pater veritatis (de caus. L. L. cap. cxvj.) Aussi est-ce le seul mode qui admette toutes les especes de tems autorisées dans chaque langue. Ainsi il ne s’agit, pour faire connoître au lecteur le mode indicatif, que de mettre sous ses yeux le système figuré des tems que je viens d’analyser. Je mettrai en parallele trois verbes ; l’un simple, empruntant l’auxiliaire avoir ; le second également simple, mais se servant de l’auxiliaire naturel être ; enfin le troisieme prono-