L’Encyclopédie/1re édition/MODES

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MODES, s. m. pl. (Philos. & Log.) ce sont les qualités qu’un être peut avoir & n’avoir pas, sans que pour cela son essence soit changée ou détruite. Ce sont des manieres d’être, des façons d’exister, qui changent, qui disparoissent, sans que pour cela le sujet cesse d’être ce qu’il est. Un corps peut être en repos ou en mouvement, sans cesser d’être corps ; le mouvement & le repos sont donc des modes de ce corps ; ce sont ses manieres d’être.

On donne quelquefois le nom d’accident à ce que nous appellons des modes ; mais cette expression n’est pas propre, en ce qu’elle donne l’idée de quelque chose qui survient à l’être & qui existe sans lui ; ou c’est cette maniere de considérer deux êtres ensemble, dont l’un est mode de l’autre. Voyez l’art. Accident, comme sur la distinction des attributs & des modes, voyez aussi l’article Attribut.

Tout ce qui existe a un principe ou une cause de son existence. Les qualités essentielles n’en reconnoissent point d’autre que la volonté du créateur. Les attributs découlent des qualités essentielles, & les modes ont leur cause dans quelque mode antécédent, ou dans quelque être différent de celui dans lequel ils existent, ou dans l’un & l’autre ensemble. Penser à une chose plutôt qu’à une autre, est une maniere d’être qui vient ou d’une pensée précédente, ou d’un objet extérieur, ou de tous les deux à la fois. La perception d’un objet se liant avec ce que nous avions dans l’esprit un moment auparavant, occasionne chez nous une troisieme idée.

Il ne faut pas confondre avec les modes leur possibilité, & ceci a besoin d’explication. Pour qu’un sujet soit susceptible d’un certain mode, il faut qu’il ait au préalable certaines qualités, sans lesquelles on ne sauroit comprendre qu’il puisse être revêtu de ce mode. Or ces qualités nécessaires au sujet pour recevoir le mode, sont ou essentielles, ou attributs, ou simples modes. Dans les deux premiers cas, le sujet ayant toujours ses qualités essentielles & ses attributs, est toujours susceptible & prêt à recevoir le mode ; & sa possibilité étant elle-même un attribut, est par cela même prochaine. Dans le troisieme cas, le sujet ne peut être revêtu du mode en question, sans avoir acquis auparavant les modes nécessaires à l’existence de celui-ci : la possibilité en est donc éloignée, & ne peut être regardée elle-même que comme un mode.

Il faut des exemples pour expliquer cette distinction. Un corps est mis en mouvement ; pour cela, il ne lui faut qu’une impulsion extérieure assez forte pour l’ébranler. Il a en lui-même & dans son essence tout ce qu’il faut pour être mu. Sa mobilité ou la possibilité du mouvement est donc prochaine, c’est un attribut.

Pour que ce corps roule en se mouvant, il ne suffit pas d’une action extérieure ; il faut encore qu’il ait de la rondeur ou une figure propre à rouler. Cette figure est un mode ; c’est une possibilité de mode éloignée. Elle est éloignée dans un bloc de marbre, & elle devient prochaine dans une boule, puisque la rondeur, simple mode dans le bloc de marbre, est attribut essentiel dans la boule.

Cette distinction fait voir que la possibilité de modes éloignés peut être attachée ou détachée du sujet sans qu’il périsse, puisque ce ne sont que des modes ; au-lieu que les possibilités prochaines étant des attributs, elles sont inséparablement annexées au sujet. On ne sauroit concevoir un corps sans mobilité ; mais on le conçoit si plat qu’il ne sauroit rouler. Modifier un être, c’est le revêtir de quelques modes qui sans en alterer l’essence, lui donnent pourtant de nouvelles qualités, ou lui en font perdre. Ces modifications peuvent arriver, sans que l’être pour cela soit changé ni détruit. Un corps peut recevoir diverses situations ; il peut garder la même place, ou passer sans cesse d’une place dans une autre ; il peut prendre successivement toutes sortes de figures, sans devenir différent de ce qu’il est, sans que son essence soit détruite. Ces modifications sont simplement des changemens de relation, soit externes, soit internes. Malgré ces variations, l’être subsiste ; & c’est en tant que subsistant, quoique sujet à mille & mille modifications, que nous le nommons substance. Voyez l’article Substance. Sur quoi nous nous contenterons de dire que l’idée de la substance peut servir à rendre plus nette & plus complette l’idée du mode qui la détermine à être d’une certaine maniere.

Mode, (Logique.) Des modes & des figures des syllogismes. On appelle mode en Logique la disposition de trois propositions, selon leur quantité & leur qualité.

Figure est la disposition du moyen terme avec les termes de la conclusion.

Or on peut compter combien il peut y avoir de modes concluans : car par la doctrine des combinaisons, 4 termes comme A, E, I, O, étant pris trois à trois, ne peuvent être différemment arrangés qu’en 64 manieres. Mais de ces 64 diverses manieres, ceux qui voudront prendre la peine de les considérer chacune à part, trouveront qu’il y en a

28 excluses par la troisieme & la sixieme regle, qu’on ne conclut rien de deux négatives & de deux particulieres :

18 par la cinquieme, que la conclusion suit la plus foible partie :

6 par la quatrieme, qu’on ne peut conclure négativement de deux affirmatives :

1, savoir I, E, O, par le troisieme corollaire des regles générales :

1, savoir A, E, O, par le sixieme corollaire des regles générales.

Ce qui fait en tout 54 ; & par conséquent il ne reste que dix modes concluans :

4 affirmatifs, A. A. A. 6 négatifs, E. A.
A. I. I. A. E. E.
A. A. I. E. A. O.
I. A. I. A. O. O.
O. A. O.
E. I. O.

Mais de-là il ne s’ensuit pas qu’il n’y ait que dix especes de syllogismes, parce qu’un seul de ces modes en peut faire diverses especes, selon l’autre maniere d’où se prend la diversité des syllogismes, qui est la différente disposition des trois termes que nous avons dit s’appeller figure.

Or cette disposition des trois termes ne peut regarder que les deux premieres propositions, parce que la conclusion est supposée avant qu’on fasse le syllogisme pour la prouver ; ainsi le moyen ne pouvant s’arranger qu’en quatre manieres différentes avec les deux termes de la conclusion, il n’y a aussi que quatre figures possibles.

Car ou le moyen est sujet dans la majeure & attribut dans la mineure ; ce qui fait la premiere figure.

Ou il est attribut dans la majeure & dans la mineure ; ce qui fait la seconde figure.

Ou il est sujet en l’une & en l’autre ; ce qui fait la troisieme figure.

Ou il est enfin attribut dans la majeure & sujet dans la mineure. Ce qui peut faire une quatrieme figure, que l’on nomme figure galénique.

Néanmoins parce qu’on ne peut conclure de cette quatrieme maniere que d’une façon qui n’est nullement naturelle, & où l’esprit ne se porte jamais, Aristote & ceux qui l’ont suivi, n’ont pas donné à cette maniere de raisonner le nom de figure. Galien a soutenu le contraire, & il est clair que ce n’est qu’une dispute de mots, qui se doit décider en leur faisant dire de part & d’autre ce qu’ils entendent par figure.

Il y a deux regles pour la premiere figure.

I. regle. Il faut que la mineure soit affirmative, car si elle étoit négative, la majeure seroit affirmative par la troisieme regle générale, & la conclusion négative par la cinquieme : donc le grand terme seroit pris universellement dans la conclusion, & particulierement dans la majeure, parce qu’il en est l’attribut dans cette figure ; ce qui seroit contre la seconde regle, qui défend de conclure du particulier au général. Cette raison a lieu aussi dans la troisieme figure, où le grand terme est aussi attribut dans la majeure.

II. regle. La majeure doit être universelle, car la mineure étant affirmative, le moyen qui en est l’attribut y est pris particulierement : donc il doit être universel dans la majeure où il est sujet, ce qui la rend universelle. Voyez la premiere regle générale.

On a fait voir qu’il ne peut y avoir que dix modes concluans ; mais de ces dix modes, A.E.E. & A.O.O. sont exclus par la premiere regle de cette figure. I.A.I. & O.A.O. sont exclus par la seconde.

A.A.I. & E.A.O. sont exclus par le quatrieme corollaire des regles générales ; car le petit terme étant sujet dans la mineure, elle ne peut être universelle que la conclusion ne le soit aussi.

Et par conséquent il ne reste que ces 4 modes,

2 affirmatifs, A. A. A. 2 négatifs, E. A. E.
A. I. I. E. I. O.

Ces 4 modes pour être plus facilement retenus, ont été réduits à des mots artificiels, dont les trois syllabes marquent les trois propositions, & la voyelle de chaque syllabe marque quelle doit être cette proposition.

Bar Tout être créé est dépendant ;
Ba Tout homme est créé :
Ra. Donc tout homme est dépendant.
 
Ce Nul qui désire plus qu’il n’a n’est content ;
La Tout avare désire plus qu’il n’a :
Rent. Donc nul avare n’est content.
 
Da Tout ce qui sert au salut est avantageux ;
Ri Il a des afflictions qui servent au salut :
I. Donc il y a des afflictions qui sont avantageuses.
 
Fe Rien de honteux n’est souhaitable ;
Ri Certains gains sont honteux :
O. Donc il y a certains gains qu’on ne doit pas souhaiter.

Il y a deux regles pour la seconde figure.

I. regle. Une des deux prémices doit être négative, car si elles étoient toutes deux affirmatives, le moyen qui y est toujours attribut seroit pris deux fois particulierement contre la premiere regle générale.

II. regle. La majeure doit être universelle, car la conclusion étant négative, le grand terme qui en est l’attribut, y est pris universellement ; or ce même terme est sujet de la majeure : donc il doit être universel, & par conséquent rendre la majeure universelle.

Des dix modes concluans, les quatre affirmatifs sont exclus par la premiere regle de cette figure.

O. A. O. est exclu par la seconde, qui est que la majeure doit être universelle.

E. A. O. est exclu pour la même raison qu’en la premiere figure, parce que le petit terme est aussi sujet dans la mineure.

Il ne reste donc de ces dix modes que ces quatre,

2 généraux, E. A. E.
2 particuliers, E. I. O.
A. E. E.
A. O. O.

On a compris ces quatre modes sous ces mots artificiels,

Ce Nulle figure n’est indivisible ;
Sa Toute pensée est indivisible :
Re. Donc nulle pensée n’est figure.
 
Ca Tout ce qui excite la malice des hommes est blâmable ;
Mes Aucune vertu n’est blâmable :
Tres. Donc aucune vertu n’excite la malice des hommes.
 
Fes Nulle vertu n’est contraire à l’amour de la vérité ;
Ti Il y a un amour de la paix qui est contraire à l’amour de la vérité :
No. Donc il y a un amour de la paix qui n’est pas une vertu.
Ba Toute vraie science est utile ;
Ro Plusieurs subtilités des philosophes ne sont pas utiles :
Co. Donc plusieurs subtilités des philosophes n’appartiennent pas à la vraie science.

Il y a encore deux regles pour la troisieme figure.

I. regle. La mineure doit être affirmative. On le démontre de la même maniere que dans la premiere figure.

II. regle. L’on n’y peut conclure que particulierement, car la mineure étant toujours affirmative, le petit terme qui en est l’attribut y est particulier : donc il ne peut être universel dans la conclusion où il est sujet, parce que ce seroit conclure le général du particulier contre la seconde regle générale.

Des dix modes concluans, A. E. E. & A. O. O. sont exclus par la premiere regle de cette figure.

A. A. A. & E. A. E. sont exclus par la seconde.

Il ne reste donc que ces six modes,

3 affirmatifs, A. A. I. 3 négatifs, E. A. O.
A. I. I. E. I. O.
I. A. I. O. A. O.

C’est ce qu’on a réduit à ces six mots artificiels :

Da La divisibilité de la matiere à l’infini est incompréhensible ;
Rap La divisibilité de la matiere à l’infini est très certaine :
Ti. Il y a donc des choses très-certaines qui sont incompréhensibles.
 
Fe Nul homme n’est un ange ;
Lap Tout homme pense :
Ton. Donc quelque chose qui pense n’est pas un ange.
 
Di Certains avares sont riches,
Sa Tous les avares ont des besoins :
Mis. Donc certains riches ont des besoins.
 
Da Tout serviteur de Dieu est roi ;
Ti Il y a des serviteurs de Dieu qui sont pauvres ;
Si. Il y a donc des pauvres qui sont rois.
 
Bo Il y a des coleres qui ne sont pas blamables ;
Car Toute colere est une passion :
Do. Donc il y a des passions qui ne sont pas blamables.
 
Fe Rien de ce qui est pénétrable n’est corps ;
Si Quelque chose de pénétrable est étendu :
Son. Donc quelque chose d’étendu n’est point corps.

La quatrieme figure est si peu naturelle, qu’il est assez inutile d’en donner les regles. Les voilà néanmoins, afin qu’il ne manque rien à la démonstration de toutes les manieres simples de raisonner.

Premiere regle. Quand la majeure est affirmative, la mineure est toûjours universelle ; car le moyen est pris particulierement dans la majeure affirmative. Il faudra donc qu’il soit pris généralement dans la mineure, & que par conséquent il la rende universelle, puisqu’il en est le sujet.

Seconde regle. Quand la mineure est affirmative, la conclusion est toûjours paticuliere ; car le petit terme est attribut dans la mineure, & par conséquent il y est pris particulierement quand elle est affirmative ; d’où il s’ensuit (par la seconde regle générale) qu’il doit être aussi particulier dans la conclusion dont il est le sujet ; ce qui la rend particuliere.

Troisieme regle. Dans les modes négatifs la majeure doit être générale ; car la conclusion étant négative, le grand terme y est pris généralement. Il faut donc (par la seconde regle générale) qu’il soit pris aussi généralement dans les prémices : or il est le sujet de la majeure ; il faut donc que la majeure soit générale.

Des dix modes concluans, A. I. I. & A. O. O. sont exclus par la premiere regle A. A. A. & E. A. E. sont exclus par la seconde ; O. A. O. par la troisieme. Il ne reste donc que ces 5, deux affirmatifs,

A.A.I. I.A.I. trois négatifs, A. E. E.
E. A. O.
E. I. O.

Ces cinq modes se peuvent renfermer dans ces mots artificiels, barbatipt ou calentes, dibatis, sespamo, fresisomorum, en ne prenant que les trois premieres syllabes de chaque mot. Voici un exemple d’un argument dans cette figure, pour faire voir combien peu la conclusion est naturelle.

Ca Tous les maux de la vie sont des maux passagers ;
len Tous les maux passagers ne sont point à craindre :
tes. Donc nul des maux qui sont à craindre, n’est un mal de cette vie.

Mode, anciennement Mœufs, s. m. (Grammaire.) Divers accidens modifient la signification & la forme des verbes, & il y en de deux sortes : les uns sont communs aux verbes & aux autres especes de mots déclinables ; tels sont les nombres, les cas, les genres & les personnes, qui varient selon la différence des mêmes accidens dans le nom ou le pronom qui exprime le sujet déterminé auquel on applique le verbe. Voyez Nombre, Cas, Genre, Personne, Concordance, Identité.

Il y a d’autres accidens qui sont propres au verbe, & dont aucune autre espece de mot n’est susceptible : ce sont les tems & les modes ; les tems sont les différentes formes qui expriment dans le verbe les différens rapports d’existence aux diverses époques que l’on peut envisager dans la durée. Ainsi le choix de ces formes accidentelles dépend de la vérité des positions du sujet, & non d’aucune loi de Grammaire ; & c’est pour cela que dans l’analyse d’une phrase le grammairien n’est point tenu de rendre compte pourquoi le verbe y est à tel ou tel tems. Voyez Tems.

Les modes semblent tenir de plus près aux vûes de la Grammaire, ou du-moins aux vûes de celui qui parle. Perizonius, not. l. sur le chap. xiij. du liv. I. de la Minerve de Sanctius, compare ainsi les modes des verbes aux cas des noms : Eodem planè modo se habent modi in vertis, quo casus in nominibus. Utrique consistunt in diversis terminationibus pro diversitate constructionis. Unique ab illa terminationum diversa forma nomem suum accepêre, ut illi dicantur terminationum varii casus, hi modi. Denique utrorumque terminationes singulares appellantur à potissimo earum usu, non unico. Il ne faut pourtant pas s’imaginer que l’on puisse établir entre les cas & les modes un parallele soutenu, & dire, par exemple, que l’indicatif dans les verbes répond au nominatif dans les noms, l’impératif au vocatif, le subjonctif à l’accusatif, &c. on trouveroit peut être entre quelques-uns des membres de ce parallele, quelque analogie éloignée ; mais la comparaison ne se soutiendroit pas jusqu’à la fin, & le succès d’ailleurs ne dédommageroit pas assez des attentions minutieuses d’un pareil détail. Il est bien plus simple de rechercher la nature des modes dans l’usage que l’on en fait dans les langues, que de s’amuser à des généralités vagues, incertaines & stériles. Or,

I. On remarque dans les langues deux especes générales de modes, les uns personnels & les autres impersonnels.

Les modes personnels sont ceux où le verbe reçoit des terminaisons par lesquelles il se met en concordance de personne avec le nom ou le pronom qui en exprime le sujet : facio, facis, facit, je fais, tu fais, il fait ; facimus, facitis, faciunt, nous faisons, vous faites, ils font, c’est du mode indicatif : faciam, facias, faciat, je fasse, tu fasses, il fasse ; faciamus, faciaris, faciant, nous fassions, vous fassiez, ils fassent, c’est du mode subjonctif ; & tout cela est personnel.

Les modes impersonnels sont ceux où le verbe ne reçoit aucune terminaison pour être en concordance de personne avec un sujet : facere, fecisse, faire, avoir fait, c’est du mode infinitif ; faciens, facturus, faisant, devant faire, c’est du mode participe ; & tout cela est impersonnel.

Cette premiere différence des modes porte sur celle de leur destination dans la phrase. Les personnes, en Grammaire, considérées d’une maniere abstraite & générale, sont les diverses relations que peut avoir à la production de la parole le sujet de la proposition, & dans les verbes ce sont les diverses terminaisons que le verbe reçoit selon la relation actuelle du sujet de ce verbe à la production de la parole. Voyez Personne. Les modes personnels sont donc ceux qui servent à énoncer des propositions, & qui en renferment ce que les Logiciens appellent la copule, puisque c’est seulement dans ces modes que le verbe s’identifie avec le sujet, par la concordance des personnes qui indiquent des relations exclusivement propres au sujet considéré comme sujet. Les modes impersonnels au contraire ne peuvent servir à énoncer des propositions, puisqu’ils n’ont pas la forme qui désigneroit leur identification avec leur sujet considéré comme tel. En effet, Dieu est éternel, sans que nous comprenions, vous auriez raison, retire-toi, sont des propositions, des énonciations complettes de jugemens. Mais en est-il de même quand on dit écouter, avoir compris, une chanson notée, Auguste ayant fait la paix, Catilina devant proscrire les plus riches citoyens ? non, sans doute, rien n’est affirmé ou nié d’aucun sujet, mais le sujet tout au plus est énoncé ; il faut y ajouter quelque chose pour avoir des propositions entieres, & spécialement un verbe qui soit à un mode personnel.

II. Entre les modes personnels, les uns sont directs, & les autres sont indirects ou obliques.

Les modes directs sont ceux dans lesquels seuls le verbe sert à constituer la proposition principale, c’est-à-dire l’expression immédiate de la pensée que l’on veut manifester.

Les modes indirects ou obliques sont ceux qui ne constituent qu’une proposition incidente subordonnée à un antécédent qui n’est qu’une partie de la proposition principale.

Ainsi, quand on dit je fais de mon mieux, je ferois mieux si je pouvois, faites mieux, les différens modes du verbe faire, je fais, je ferois, faites, sont directs, parce qu’ils servent immédiatement à l’expression du jugement principal que l’on veut manifester. Si l’on dit au contraire, il est nécessaire que je fasse mieux, le mode je fasse est indirect ou oblique, parce qu’il ne constitue qu’une énonciation subordonnée à l’antécédent il, qui est le sujet de la proposition principale ; c’est comme si l’on disoit il que je fasse mieux est nécessaire.

Remarquez que je dis des modes directs qu’ils sont les seuls dans lesquels le verbe sert à constituer la proposition principale ; ce qui ne veut pas dire que toute proposition dont le verbe est à un mode direct, soit principale, puisqu’il n’y a rien de plus commun que des propositions incidentes dont le verbe est à un mode direct : par exemple, la remarque que je fais est utile, les remarques que vous ferez seroient utiles, &c. Je ne prétends donc exprimer par-là qu’une propriété exclusive des modes directs, & faire entendre que les indirects n’énoncent jamais une proposition principale, comme je le dis ensuite dans la définition que j’en donne.

Si nous trouvons quelques locutions où le mode subjonctif, qui est oblique, semble être le verbe de la proposition principale, nous devons être assurés que la phrase est elliptique, que le principal verbe est supprimé, qu’il faut le suppléer dans l’analyse. & que la proposition exprimée n’est qu’incidente. Ainsi, quand on lit dans Tite-Live, VI. xjv. Tunc vero ego nequicquam capitolium arcemque servaverim, si, &c. il faut réduire la phrase à cette construction analytique : Tunc vero (res erit ita ut) ego servaverim nequicquam capitolium que arcem, si, &c. C’est la même chose quand on dit en françois, qu’on se taise ; il faut sous-entendre je veux, ou queiqu’autre equivalent. Voyez Subjonctif.

Nous avons en françois trois modes personnels directs, qui sont l’indicatif, l’impératif & le suppositif. Je sais est à l’indicatif, sais est à l’impératif, je ferais est au suppositif.

Ces trois modes également directs, different entr’eux par des idées accessoires ; l’indicatif exprime purement l’existence d’un sujet déterminé sous un attribut : c’est un mode pur ; les deux autres sont mixtes, parce qu’ils ajoutent à cette signification primitive d’autres idées accessoires accidentelles à cette signification. L’impératif y ajoute l’idée accessoire de la volonté de celui qui parle : le suppositif celle d’une hypothèse. Voyez Indicatif, Impératif, Suppositif.

Les Grecs ni les Latins n’avoient pas le suppositif ; ils en suppléoient la valeur par des circonlocutions que l’ellipse abrégeoit. Ainsi, dans cette phrase de Ciceron, de nat. dear II. xxxvij. Profectò & esse deos, & hæc tanta opera deorum esse arbitrarentur, le verbe arbitrarentur ne seroit pas rendu littéralement par ils croioient, ils se persuaderoient ; ce seroit ils crussent, ils se persuadassent, parce que la construction analitique est (res est ita ut) arbitrarentur, &c. Ce mode est usité dans la langue italienne, dans l’espagnole & dans l’allemande, quoiqu’il n’ait pas encore plu aux grammairiens de l’y distinguer, non plus que dans la nôtre, excepté l’abbé Girard. Voyez Suppositif.

IV. Nous n’avons en françois de mode oblique que le subjonctif, & c’est la même chose en-latin, en allemand, en italien, en espagnol. Les Grecs en avoient un autre, l’optatif, que les copistes de méthodes & de rudimens vouloient autrefois admettre dans le latin sans l’y voir, puisque le verbe n’y a de déterminaisons obliques que celles du subjonctif. Voyez Subjonctif, Optatif.

Ces modes different encore entr’eux comme les précédens : le subjonctif est mixte, puisqu’il ajoute à la signification directe de l’indicatif l’idée d’un point de vûe grammatical ; mais l’optatif est doublement mixte, parce qu’il ajoute à la signification totale du subjonctif l’idée accessoire d’un souhait, d’un desir.

V. Pour ce qui concerne les modes impersonnels, il n’y en a que deux dans toutes les langues qui conjuguent les verbes ; mais il y en a deux, l’infinitif & le participe.

L’infinitif est un mode qui exprime d’une maniere abstraite & générale l’existence d’un sujet totalement indéterminé sous un attribut. Ainsi, sans cesser d’être verbe, puisqu’il en garde la signification & qu’il est indéclinable par tems, il est effectivement nom, puisqu’il présente à l’esprit l’idée de l’existence sous un attribut, comme celle d’une nature commune à plusieurs individus. Mentir, c’est se déshonorer, comme on diroit, le mensonge est déshonorant : avoir fui l’occasion de pécher, c’est une victoire, comme si l’on disoit, la fuite de l’occasion de pécher est une victoire : devoir recueillir une riche succession, c’est quelquefois l’écueil des dispositions les plus heureuses, c’est-à-dire, une riche succession à venir est quelquefois l’écueil des dispositions les plus heureuses. Voyez Infinitif.

Le participe est un mode qui exprime l’existence sous un attribut, d’un sujet déterminé quant à sa nature, mais indéterminé quant à la relation personnelle. C’est pour cela qu’en grec, en latin, en allemand, le participe reçoit des terminaisons relatives aux genres, aux nombres & aux cas, au moyen desquelles il se met en concordance avec le sujet auquel on l’applique ; mais il ne reçoit nulle part aucune terminaison personnelle, parce qu’il ne constitue dans aucune langue la proposition que l’on veut exprimer : il est tout à-la-fois verbe & adjectif ; il est verbe, puisqu’il en a la signification, & qu’il reçoit les inflexions temporelles qui en sont la suite : precans, priant, precatus, ayant prié, precaturus devant prier. Il est adjectif, puisqu’il sert, comme les adjectifs, à déterminer l’idée du sujet par l’idée accidentelle de l’événement qu’il énonce, & qu’il prend en conséquence les terminaisons relatives aux accidens des noms & des pronoms. Si nos participes actifs ne se déclinent point communément, ils se déclinent quelquefois, ils se sont déclinés autrefois plus généralement ; & quand il ne se seroient jamais déclinés, ce seroit un effet de l’usage qui ne peut jamais leur ôter leur déclinabilité intrinseque. Voyez Participe.

Puisque l’infinitif figure dans la phrase comme un nom, & le participe comme un adjectif, comment concevoir que l’un appartienne à l’autre & en fasse partie ? Ce sont assurément deux modes différens, puisqu’ils présentent la signification du verbe sous différens aspects. Par une autre inconséquence des plus singulieres, tous les méthodistes qui dans la conjugaison joignoient le participe à l’infinitif, comme en étant une partie, disoient ailleurs que c’étoit une partie d’oraison différente de l’adjectif, du verbe, & même de toutes les autres ; & pourtant l’infinitif continuoit dans leur système d’appartenir au verbe. Scioppius, dans sa grammaire philosophique, de participio, pag. 17, suit le torrent des Grammairiens, en reconnoissant leur erreur dans une note.

Mais voici le système figuré des modes, tel qu’il résulte de l’exposition précédente.

Les modes
sont
Purs. Mixtes.
Personnels. Directs. Indicatif.
Impératif.
Suppositif.
Obliques Subjonctif.
Optatif.
Impersonnels Infinitif.
Participe.

Voilà donc trois modes purs, dont l’un est personnel & deux impersonnels, & qui paroissent fondamentaux, puisqu’on les trouve dans toutes les langues qui ont reçu la conjugaison des verbes. Il n’en est pas de même des quatre modes mixtes ; les Hébreux n’ont ni suppositif, ni subjonctif, ni optatif : le suppositif n’est point en grec ni en latin ; le latin ni les langues modernes ne connoissent point l’optatif ; l’impératif est tronqué par-tout, puisqu’il n’a pas de premiere personne en grec ni en latin, quoique nous ayons en françois celle du plurier, qu’au contraire il n’a point de troisieme personne chez nous, tandis qu’il en a dans ces deux autres langues ; qu’enfin il n’a point en latin de prétérit postérieur, quoiqu’il ait ce tems en grec & dans nos langues modernes. C’est que ces modes ne tiennent point à l’essence du verbe comme les quatre autres : leurs caracteres différenciels ne tiennent point à la nature du verbe ; ce sont des idées ajoutées accidentellement à la signification fondamentale ; & il auroit été possible d’introduire plusieurs autres modes de la même espece, par exemple, un mode interrogatif, un mode concessif, &c.

Sanctius, minerv. I. xiij. ne veut point reconnoître de modes dans les verbes, & je ne vois guere que trois raisons qu’il allegue pour justifier le parti qu’il prend à cet égard. La premiere, c’est que modus in verbis explicatur fréquentiùs per casum sextum, ut meâ sponte, tuo jussu feci ; non rarò per adverbia, ut malè currit, benè loquitur. La seconde, c’est que la nature des modes est si peu connue des Grammairiens, qu’ils ne s’accordent point sur le nombre de ceux qu’il faut reconnoître dans une langue, ce qui indique, au gré de ce grammairien, que la distinction des modes est chimérique, & uniquement propre à répandre des ténebres dans la Grammaire. La troisieme enfin, c’est que les différens tems d’un mode se prennent indistinctement pour ceux d’un autre, ce qui semble justifier ce qu’avoit dit Scaliger, de caus. L. L. liv. V. cap. cxxj. modus in verbis non fuit necessarius. L’auteur de la méthode latine de P. R. semble approuver ce système, principalement à cause de cette troisieme raison. Examinons-les l’une après l’autre.

I. Sanctius, & ceux qui l’ont suivi, comme Scioppius & M. Lancelot, ont été trompés par une équivoque, quand ils ont statu que le mode dans les verbes s’exprime ou par l’ablatif ou par un adverbe, comme dans meâ sponte feci, benè loquitur. Il faut distinguer dans tous les mots, & conséquemment dans les verbes, la signification objective & la signification formelle. La signification objective, c’est l’idée fondamentale qui est l’objet de la signification du mot, & qui peut être commune à des mots de différentes especes ; la signification formelle, c’est la maniere particuliere dont le mot présente à l’esprit l’objet dont il est le signe, laquelle est commune à tous les mots de la même espece, & ne peut convenir à ceux des autres especes. Ainsi le même objet pouvant être signifié par des mots de différentes especes, on peut dire que tous ces mots ont une même signification objective, parce qu’ils représentent tous la même idée fondamentale ; tels sont les mots aimer, ami, amical, amiablement, amicalement, amitié, qui signifient tous ce sentiment affectueux qui porte les hommes à se vouloir & à se faire du bien les uns aux autres. Mais chaque espece de mot & même chaque mot ayant sa maniere propre de présenter l’objet dont il est le signe, la signification formelle est nécessairement différente dans chacun de ces mots, quoique la signification objective soit la même : cela est sensible dans ceux que l’on vient d’alléguer, qui pourroient tous se prendre indistinctement les uns pour les autres sans ces différences individuelles qui naissent de la maniere de représenter. Voyez Mot.

Or il est vrai que les modes, c’est à dire les différentes modifications de la signification objective du verbe, s’expriment communément par des adverbes ou par des expressions adverbiales : par exemple, quand on dit aimer peu, aimer beaucoup, aimer tendrement, aimer sincérement, aimer depuis long-tems, aimer plus, aimer autant, &c. il est évident que c’est l’attribut individuel qui fait partie de la signification objective de ce verbe, en un mot, l’amitié qui est modifiée par tous ces adverbes, & que l’on pense alors à une amitié petite ou grande, tendre, sincere, ancienne, supérieure, égale, &c. Mais il est évident aussi que ce ne sont pas des modifications de cette espece qui caractérisent ce qu’on appelle les modes des verbes, autrement chaque verbe auroit ses modes propres, parce qu’un attribut n’est pas susceptible des mêmes modifications qui peuvent convenir à un autre : ce qui caractérise nos modes n’appartient nullement à l’objet de la signification du verbe, c’est à la forme, à la maniere dont tous les verbes signifient. Ce qui appartient à l’objet de la signification, se trouve sous toutes les formes du verbe ; & c’est pourquoi dans la langue hébraïque la frequence de l’action sert de fondement à une conjugaison entiere différente de la conjugaison primitive, la réciprocation de l’action sert de fondement à une autre, &c. Mais les mêmes modes se retrouvent dans chacune de ces conjugaisons, que j’appellerois plus volontiers des voix, voyez Voix. Ce qui constitue les modes, ce sont les divers aspects sous lesquels la signification formelle du verbe peut être envisagée dans la phrase ; & il faut bien que Sanctius & ses disciples reconnoissent que le même tems varie ses formes selon ces divers aspects, puisqu’ils rejetteroient, comme très-vicieuse, cette phrase latine, nescio utrùm cantabo, & cette phrase françoise, je crains qu’il ne vient ; il faut donc qu’ils admettent les modes, qui ne sont que ces differentes formes des mêmes tems.

II. Pour ce qui concerne les débats des Grammairiens sur le nombre des modes ; j’avoue que je ne conçois pas par quel principe de logique on en conclud qu’il n’en faut point admettre. L’obscurité qui naît de ces débats vient de la maniere de concevoir des Grammairiens qui entendent mal la doctrine des modes, & non pas du fonds même de cette doctrine ; & quand elle auroit par elle-même quelqu’obscurité pour la portée commune de notre intelligence, faudroit-il renoncer à ce que les usages constans des langues nous en indiquent clairement & de la maniere la plus positive ?

III. La troisieme considération sur laquelle on insiste principalement dans la méthode latine de P. R. n’est pas moins illusoire que les deux autres. Si l’on trouve des exemples où le subjonctif est mis au lieu de l’indicatif, de l’impératif & du suppositif, ce n’est pas une substitution indifférente qui donne une expression totalement synonyme, & dans ce cas là même le subjonctif est amené par les principes les plus rigoureux de la Grammaire. Ego nequicquam capito lium servaverim ; c’est, comme je l’ai déja dit, res erit ita ut servaverim, ce qui est équivalent à servavero & non pas à servavi ; & l’on voit que servaverim a une raison grammaticale. On me dira peut-être que de mon aveu le tout signifie servavero, & qu’il étoit plus naturel de l’employer que servaverim, qui jette de l’obscurité par l’ellipse, ou de la langueur par la périphrase : cela est vrai, sans doute, si on ne doit parler que pour exprimer didactiquement sa pensée ; mais s’il est permis de rechercher les graces de l’harmonie, qui nous dira que la terminaison rim ne faisoit pas un meilleur effet sur les oreilles romaines, que n’auroit pû faire la terminaison ro ? Et s’il est utile de rendre dans le besoin son style intéressant par quelque tour plus énergique ou plus pathétique, qui ne voit qu’un tour elliptique est bien plus propre à produire cet heureux effet qu’une construction pleine ? Un cœur échauffé préocupe l’esprit, & ne lui laisse ni tout voir ni tout dire. Voyez Subjonctif.

Si les considérations qui avoient déterminé Sanctius, Ramus, Scioppius & M. Lancelot à ne reconnoître aucun mode dans les verbes, sont fausses, ou inconséquentes, ou illusoires ; s’il est viai d’ailleurs que dans les verbes conjugués il y a diverses manieres de signifier l’existence d’un sujet sous un attribut, ici directement, là obliquement, quelquefois sous la forme personnelle, d’autres fois sous une forme impersonnelle, &c. enfin, si l’on retrouve dans toutes ces manieres différentes les variétés principales des tems qui sont fondées sur l’idée essentielle de l’existence : c’est donc une nécessité d’adopter, avec tous les autres Grammairiens, la distinction des modes, décidée d’ailleurs par l’usage universel de toutes les langues qui conjuguent leurs verbes. (B.E.R.M.)

Mode, s. m. en Musique, est la disposition réguliere de l’échelle, à l’égard des sons principaux sur lesquels une piece de musique doit être constituée, & ces sons s’appellent les cordes essentielles du mode.

Le mode differe du ton, en ce que celui-ci n’indique que la corde ou le lieu du système qui doit servir de fondement au chant, & le mode détermine la tierce & modifie toute l’échelle sur ce ton fondamental.

Le mode tire son fondement de l’harmonie : les cordes essentielles au mode sont au nombre de trois, qui forment ensemble un accord parfait ; 1°. la tonique, qui est le son fondamental du mode & du ton. Voyez Ton & Tonique ; 2°. la dominante qui est la quinte de la tonique. Voyez  ; 3°. la médiante, qui constitue proprement le mode, & qui est à la tierce de cette même tonique. Voyez Médiante. Comme cette tierce peut être de deux especes, il y a aussi deux modes différens. Quand la médiante fait tierce majeure sur la tonique, le mode est majeur ; mineur, si la tierce est mineure.

Le mode une fois déterminé, tous les sons de la gamme prennent chacun un nom relatif au fondamental & conforme à la place qu’ils occupent dans ce mode là : voici les noms de toutes les notes relativement à leur mode, en prenant l’octave d’ut pour exemple du mode majeur, & celle de la pour exemple du mode mineur.

Mode majeur. ut re mi fa sol la si ut
Mode mineur. la si ut re mi fa sol la
Tonique. Seconde note. Médiane. Sous-dominante,
ou quatrième note.
Dominante. Sixième note. Septième note. Octave.

Il faut remarquer que quand la septieme note n’est qu’à un semi-ton de l’octave, c’est-à-dire quand elle fait la tierce majeure de la dominante, comme le si naturel dans le mode majeur d’ut, ou le sol dièse dans le mode mineur de la ; alors cette septieme note s’appelle note sensible, parce qu’elle annonce la tonique, & fait sentir le ton.

Non-seulement chaque degré prend le nom qui lui convient, mais chaque intervalle est déterminé relativement au mode : voici les regles établies pour cela.

1°. La seconde note, la quatrieme, & la dominante, doivent toujours faire sur la tonique une seconde majeure, une quarte & une quinte justes, & cela également dans les deux modes.

2°. Dans le mode majeur, la médiante ou tierce, la sixte & la septieme doivent toujours être majeures : c’est le caractere du mode. Par la même raison ces trois intervalles doivent être mineurs dans le mode mineur ; cependant, comme il faut aussi qu’on y apperçoive la note sensible, ce qui ne se peut faire tandis que la septieme reste mineure, cela cause des exceptions auxquelles on a égard dans l’harmonie & dans le cours du chant ; mais il faut toujours que la clef avec ses transpositions donne tous les intervalles déterminés par rapport à la tonique, selon le caractere du mode : on trouvera au mot Clef transposée une regle générale pour cela.

Comme toutes les cordes naturelles de l’octave d’ut donnent, relativement à cette tonique, tous les intervalles prescrits par le mode majeur, & qu’il en est de même de l’octave de la pour le mode mineur : l’exemple précédent, que nous n’avons proposé que pour les noms des notes, doit encore servir de formule pour la regle des intervalles dans chaque mode.

Cette regle n’est point, comme on pourroit le penser, établie sur des principes arbitraires, elle a son fondement dans la génération harmonique. Si vous donnez l’accord parfait majeur à la tonique, à la dominante, & à la sous-dominante, vous aurez tous les sons de l’échelle diatonique pour le mode majeur. Pour avoir celle du mode mineur, faites la tierce mineure dans les mêmes accords : telle est l’analogie & la génération du mode.

Il n’y a proprement que deux modes, comme on vient de le voir ; mais comme il y a douze sons fondamentaux, qui sont autant de tons, & que chacun de ces tons est susceptible du mode majeur ou du mode mineur, on peut composer en vingt-quatre manieres ou modes différens. Il y en a même trente-quatre possibles, mais dans la pratique on en exclut dix, qui ne sont au fond que la répétition des dix autres, considérés sous des relations beaucoup plus difficiles, où toutes les cordes changeroient de nom, & où l’on auroit mille peines à le reconnoître. Tels sont les modes majeurs sur les notes diésées, & les modes mineurs sur les bémols. Ainsi, au-lieu de composer en sol dièse, tierce majeure, vous composerez en la bémol qui donne les mêmes touches ; & au-lieu de composer en re bémol mineur, vous prendrez en ut dièse par la même raison : & cela, pour éviter d’avoir d’un côté un fa double dièse, qui deviendroit un sol naturel ; & de l’autre un si double bémol, qui deviendroit un la naturel.

On ne reste pas toujours dans le mode ni dans le ton par lequel on a commencé un air ; mais pour varier le chant, ou pour ajouter à l’expression, on change de ton & de mode, selon l’analogie harmonique, revenant pourtant toujours à celui qu’on a fait entendre le premier, ce qui s’appelle moduler. Voyez Modulation.

Les anciens different prodigieusement les uns des autres sur les définitions, les divisions, & les noms de leurs modes, ou tons comme ils les appelloient ; obscurs sur toutes les parties de la musique, ils sont presque inintelligibles sur celle-ci. Ils conviennent, à la vérité, qu’un mode est un certain système ou une constitution de sons, & que cette constitution n’est autre chose qu’une octave avec tous ses sons intermédiaires : mais quant à la différence spécifique des modes, il y en a qui semblent la faire consister dans les diverses affections de chaque son de l’octave, par rapport au son fondamental, c’est-à-dire dans la différente position des deux semi-tons plus ou moins éloignés de ce son fondamental, mais gardant toujours entre eux la distance prescrite. D’autres au contraire, & c’est l’opinion commune, mettent cette différence uniquement dans l’intensité du ton, c’est-à-dire en ce que la série totale des notes est plus aiguë ou plus grave, & prise en différens lieux du système ; toutes les cordes de cette série gardant toujours entre elles les mêmes rapports.

Selon le premier sens, il n’y auroit que sept modes possibles dans le système diatonique ; car il n’y a que sept manieres de combiner les deux semi-tons avec la loi prescrite, dans l’étendue d’une octave. Selon le second sens, il y auroit autant de modes possibles que de sons, c’est-à-dire une infinité ; mais si l’on se renferme de même dans le genre diatonique, on n’y en trouvera non plus que sept, à-moins qu’on ne veuille prendre pour de nouveaux modes, ceux qu’on établiroit à l’octave des premiers.

En combinant ensemble ces deux manieres, on n’a encore besoin que de sept modes, car si l’on prend ces modes en différens lieux du système, on trouve en même tems les sons fondamentaux distingués du grave à l’aigu, & les deux semi-tons différemment situés, relativement à chaque son fondamental.

Mais outre ces modes, on en peut former plusieurs autres, en prenant dans la même série & sur le même son fondamental, différens sons pour les cordes essentielles du mode ; par exemple, quand on prend pour dominante la quinte du son principal, le mode est authentique ; il est plagal, si l’on choisit la quarte, & ce sont proprement deux modes différens sur la même corde fondamentale. Or, comme pour constituer un mode agréable il faut, disent les Grecs, que la quarte ou la quinte soient justes, ou du-moins une des deux, il est évident que l’on a dans l’étendue de l’octave, cinq fondamentales sur chacune desquelles on peut établir un mode authentique, & un plagal. Outre ces dix modes, on en trouve encore deux, l’un authentique qui ne peut fournir de plagal, parce que sa quarte fait le triton, l’autre plagal, qui ne peut fournir d’authentique, parce que sa quinte est fausse. C’est sans doute ainsi qu’il faut entendre un passage de Plutarque, où la Musique se plaint que Phrynis l’a corrompue, en voulant tirer de cinq cordes, ou plutôt de sept, douze harmonies différentes.

Voilà donc douze modes possibles dans l’étendue d’une octave ou de deux tétracordes disjoints ; que si l’on vient à conjoindre les tétracordes, c’est-à-dire à donner un bémol à la septieme en retranchant l’octave, ou si l’on divise les tons entiers par des intervalles chromatiques, pour y introduire de nouveaux modes intermédiaires, ou si, ayant seulement égard aux différences du grave à l’aigu, on place d’autres mode ; à l’octave des précédens ; tout cela fournira divers moyens de multiplier le nombre des modes beaucoup au-delà de douze : & ce sont là les seules manieres selon lesquelles on peut expliquer les divers nombres de modes admis ou rejettés par les anciens en différens tems.

L’ancienne musique ayant d’abord été renfermée dans les bornes étroites du tétracorde, du pentacorde, de l’hexacorde, de l’eptacorde, & de l’octacorde, on n’y admit que trois modes, dont les fondamentales étoient à un ton de distance l’une de l’autre. Le plus grave des trois s’appelloit le dorien ; le phrygien tenoit le milieu ; le plus aigu étoit le lydien. En partageant chacun de ces tons en deux intervalles, on fit place à deux autres modes, l’ionien & l’éolien, dont le premier fut inséré entre le dorien & le phrygien ; & le second entre le phrygien & le lydien.

Dans la suite, le système s’étant étendu à l’aigu & au grave, les Musiciens établirent de part & d’autres de nouveaux modes, qui tiroient leur dénomination des cinq premiers, en y ajoûtant la préposition hyper, sur, pour ceux d’enhaut ; & la préposition hypo, sous, pour ceux d’enbas : ainsi le mode lydien étoit suivi de l’hyperdorien, de l’hyperionien, de l’hyperphrigien, de l’hyperéolien, & de l’hyperlydien en montant ; & après le mode dorien venoient l’hypolydien, l’hypoéolien, l’hypophrygien, & l’hypodorien, en descendant. On trouve le dénombrement de ces quinze modes dans Alypius, musicien grec : voici leur ordre & leurs intervalles exprimés par les noms des notes de notre musique.

1. si Hyperlydien.
2. si bémol Hyperéolien.
3. la Hyper-mixolydien.
Hyperphrygien.
4. la bémol Hyperiastien.
Hyperionien.
Mixolydien aigu.
5. sol Mixolydien.
Hyperdorien.
6. fa dièse Lydien.
7. fa Lydien grave.
Eolien.
mi Phrygien.
9. mi bémol Jastien.
Ionien.
Phrygien grave.
10. re Dorien.
Hypomixolydien.
11. ut dièse Hypolydien.
12. ut Hypolydien grave.
Hypoéolien.
13. si Hypophrygien.
14. si bémol Hypoiastien.
Hypoïonien.
Hypophrygien.
15. la Hypodorien.
Commun.
Locrien.

De tous ces modes, Platon en rejettoit plusieurs comme capables d’altérer les mœurs. Aristoxene, au rapport d’Euclide, n’en admettoit que treize, supprimant les deux plus élevés, savoir l’hyperéolien & l’hyperlydien.

Enfin Ptolomée les réduisoit à sept, disant que les modes n’étoient pas introduits dans le dessein de varier les chants selon le grave & l’aigu, car il étoit évident qu’on auroit pu les multiplier fort au-delà du nombre de quinze, mais plutôt afin de faciliter le passage d’un mode à l’autre par des intervalles consonnans & faciles à entonner. Il renfermoit donc tous les modes dans l’espace d’une octave, dont le mode dorien faisoit comme le centre, de sorte que le mixolydien étoit une quarte au-dessus de lui, & l’hypodorien une quarte au-dessous. Le phrygien une quinte au dessus de l’hypodorien, l’hypophrygien une quarte au-dessous du phrygien, & le lydien une quinte au-dessus de l’hypophrygien ; d’où il paroît qu’à compter de l’hypodorien qui est le mode le plus bas, il y avoit jusqu’à l’hypophrygien l’intervalle d’un ton ; de l’hypophrygien au dotien un semi-ton ; de ce dernier au phrygien un ton ; du phrygien au lydien encore un ton, & du lydien au mixolydien un semi-ton ; ce qui fait l’étendue d’une septieme en cet ordre.

1. sol Mixolydien.
2. fa dièse Lydien.
3. mi Phrygien.
4. re Dorien.
5. ut dièse Hypolydien.
6. si Hypophrygien.
7. la Hypodorien.

Ptolomée retranchoit donc tous les autres modes, prétendant qu’on n’en pouvoit placer un plus grand nombre dans le système d’une octave, toutes les cordes qui la composoient se trouvant employées. Ce sont ces sept modes de Ptolomée qui, en y joignant l’hypomixolydien ajouté, dit-on, par l’Aretin, font aujourd’hui les huit tons de notre plein-chant, Voyez Tons de l’Eglise.

Telle étoit la notion la plus ordinaire qu’on avoit des tons ou modes dans l’ancienne musique, entant qu’on les regardoit comme ne differant entr’eux que du grave à l’aigu ; mais ils avoient outre cela d’autres différences qui les caractérisoient encore plus particulierement. Elles se tiroient du genre de poésie qu’on mettoit en musique, de l’espece d’instrument qui devoit l’accompagner, du rhytme ou de la cadence qu’on y observoit, de l’usage où étoient de certains chants parmi certaines nations ; & c’est de cette derniere circonstance que sont venus originairement les noms des modes principaux, tels que le dorien, le phrygien, le lydien, l’ionien & l’éolien.

Il y avoit encore dans la musique greque d’autres sortes de modes, qu’on auroit pu mieux appeller styles ou manieres de composition. Tels étoient le mode tragique destiné pour le théâtre, le mode nomique consacré à Apollon, & le dithyrambique à Bacchus, &c. Voyez Style & Mélopée.

Dans notre ancienne musique, on appelloit aussi modes par rapport à la mesure ou au tems certaines manieres de déterminer la valeur des notes longues sur celle de la maxime, ou des brèves sur celle de la longue ; & le mode pris en ce sens se marquoit après la clé d’abord par des cercles ou demi-cercles ponctués ou sans points, suivis des chiffres 2 ou 3 différemment combinés, à quoi on substitua ensuite des lignes perpendiculaires, différentes, selon le mode, en nombre & en longueur.

Il y avoit deux sortes de modes ; le majeur, qui se rapportoit à la maxime ; & le mineur, qui étoit pour la longue : l’un & l’autre se divisoit en parfait & imparfait.

Le mode majeur parfait se marquoit avec trois lignes ou bâtons, qui remplissoient chacun trois espaces de la portée, & trois autres qui n’en remplissoient que deux ; cela marquoit que la maxime valoit trois longues. Voyez les Pl. de Musique.

Le mode majeur imparfait étoit marqué avec deux lignes qui remplissoient chacune trois espaces, & deux autres qui n’en emplissoient que deux ; cela marquoit que la maxime ne valoit que deux longues. Voyez les Pl.

Le mode mineur parfait étoit marqué par une ligne qui traversoit trois espaces, & cela montroit que la longue valoit trois brèves. Voyez les Pl.

Le mode mineur imparfait étoit marqué par une ligne qui ne traversoit que deux espaces, & la longue n’y valoit que deux brèves. Voyez les Pl.

Tout cela n’est plus en usage depuis long-tems ; mais il faut nécessairement entendre ces signes pour savoir déchiffrer les anciennes musiques, en quoi les plus habiles Musiciens sont très-ignorans aujourd’hui. (S)

On peut voir aux mots Fondamental, Gamme & Echelle la maniere dont M. Rameau imagine la formation des deux modes, le majeur & le mineur. Dans la premiere édition de mes Elémens de Musique, j’avois adopté entierement tous les principes de cet habile artiste sur ce sujet. Mais dans la seconde édition que je prépare, & qui probablement aura vû le jour avant que cet article paroisse, j’ai cru devoir adopter une maniere plus simple de former le mode mineur ; la voici : mi étant, par exemple, la fondamentale, elle fait résonner sa quinte si ; or si entre la quinte si & la fondamentale mi on place une autre note sol, telle que cette note sol fasse aussi résonner si, on aura le mode mineur ; si la note étoit sol, on auroit le mode majeur. Ces deux modes different en ce que dans le majeur la fondamentale fait résonner sa tierce & sa quinte à-la-fois, & que dans le majeur la quinte résonne à-la-fois dans la fondamentale & dans sa tierce. Cette origine me paroît plus naturelle que celle du frémissement des multiples, imaginée par M. Rameau, & que j’avois d’abord suivie. Voyez Fondamental. Cette raison me dispense d’en dire ici davantage.

Quant au nombre de dièses & de bémols de chaque mode ou ton, soit en montant, soit en descendant, on peut voir là-dessus mes Elémens de musique, art. ccxxxiv. Et voici la regle pour trouver ce nombre ; le mode majeur, soit en montant, soit en descendant, est formé 1° de deux tons consécutifs, 2° d’un demi-ton, 3° de trois tons consécutifs, 4° d’un semi-ton ; le mode mineur en montant differe du mode majeur en montant en ce qu’il y a d’abord un ton, plus un demi-ton ; puis quatre tons consécutifs, puis un demi-ton. Ce même mode en descendant a d’abord deux tons, puis un demi-ton, puis deux tons, puis un demi-ton, puis un ton. Voyez Echelle & Gamme, voyez aussi Clé & Transposition. (O)

Mode, (Arts.) coutume, usage, maniere de s’habiller, de s’ajuster, en un mot, tout ce qui sert à la parure & au luxe ; ainsi la mode peut être considérée politiquement & philosophiquement.

Quoique l’envie de plaire plus que les autres ait établi les parures, & que l’envie de plaire plus que soi-même ait établi les modes, quoiqu’elles naissent encore de la frivolité de l’esprit, elles sont un objet important, dont un état de luxe peut augmenter sans cesse les branches de son commerce. Les François ont cet avantage sur plusieurs autres peuples. Dès le xvj. siecle, leurs modes commencerent à se communiquer aux cours d’Allemagne, à l’Angleterre & à la Lombardie. Les Historiens italiens se plaignent que depuis le passage de Charles VIII. on affectoit chez eux de s’habiller à la françoise, & de faire venir de France tout ce qui servoit à la parure. Mylord Bolinbroke rapporte que du tems de M. Colbert les colifichets, les folies & les frivolités du luxe françois coutoient à l’Angleterre 5 à 600000 livres sterlings par an, c’est-à-dire plus de 11 millions de notre monnoie actuelle, & aux autres nations à proportion.

Je loue l’industrie d’un peuple qui cherche à faire payer aux autres ses propres mœurs & ajustemens ; mais je le plains, dit Montagne, de se laisser lui-même si fort pipper & aveugler à l’autorité de l’usage présent, qu’il soit capable de changer d’opinion & d’avis tous les mois, s’il plaît à la coutume, & qu’il juge si diversement de soi même ; quand il portoit le busc de son pourpoint entre les mamelles, il maintenoit par vive raison qu’il étoit en son vrai lieu. Quelques années après le voilà ravalé jusqu’entre les cuisses, il se moque d’un autre usage, le trouve inepte & insupportable, La façon présente de se vêtir lui fait incontinent condamner l’ancienne d’une résolution si grande & d’un consentement si universel, que c’est quelque espece de manie qui lui tourneboule ainsi l’entendement.

On a tort cependant de se recrier contre telle ou telle mode qui, toute bisarre qu’elle est, pare & embellit pendant qu’elle dure, & dont l’on tire tout l’avantage qu’on en peut espérer qui est de plaire. On devroit seulement admirer l’inconstance de la légereté des hommes qui attachent successivement les agrémens & la bienséance à des choses tout opposées, qui emploient pour le comique & pour la mascarade ce qui leur a servi de parure grave & d’ornement très-sérieux. Mais une chose folle & qui découvre bien notre petitesse, c’est l’assujettissement aux modes quand on l’étend à ce qui concerne le goût, le vivre, la santé, la conscience, l’esprit & les connoissances. (D. J.)

Mode ; ce terme est pris généralement pour toute invention, tous usages introduits dans la société par la fantaisie des hommes. En ce sens, on dit l’amour entre les époux, le vrai génie, la solide éloquence parmi les savans ; cette gravité majestueuse qui, dans les magistrats, inspiroit tout-à-la-fois le respect & la confiance au bon droit, ne sont plus de mode. On a substitué à celui-là l’indifférence & la légereté, à ceux là le bel esprit & les phrases, à cette autre la mignardise & l’afféterie. Ce terme se prend le plus souvent en mauvaise part sans doute, parce que toute invention de cette nature est le fruit du rafinement & d’une présomption impuissante, qui, hors d’état de produire le grand & le beau, se tourne du côté du merveilleux & du colifichet.

Mode s’entend encore distributivement, pour me servir des termes de l’école, de certains ornemens, dont on enjolive les habits & les personnes de l’un & l’autre sexe. C’est ici le vrai domaine du changement & du caprice. Les modes se détruisent & se succedent continuellement quelquefois sans la moindre apparence de raison, le bizarre étant le plus souvent préferé aux plus belles choses, par cela seul qu’il est plus nouveau. Un animal monstrueux paroît-il parmi nous, les femmes le font passer de son étable sur leurs têtes. Toutes les parties de leur pature prennent son nom, & il n’y a point de femme comme il faut qui ne porte trois ou quatre rhinocéros ; une autre fois on court toutes les boutiques pour avoir un bonnet au lapin, aux zéphirs, aux amours, à la comete. Quoi qu’on dise du rapide changement des modes, cette derniere a presque duré pendant tout un printems ; & j’ai ouï dire à quelques-uns de ces gens qui font des réflexions sur tout, qu’il n’y avoit rien là de trop extraordinaire eu égard au goût dominant dont, continuent-ils, cette mode rappelle l’idée. Un dénombrement de toutes les modes passées & regnantes seulement en France, pourroit remplir, sans trop exagérer, la moitié des volumes que nous avons annoncés, ne remontât-t-on que de sept ou huit siecles chez nos ayeuls, gens néanmoins beaucoup plus sobres que nous à tous égards.

Mode, marchands & marchandes de, (Com.) les marchandes de modes sont du corps des Merciers, qui peuvent faire le même commerce qu’elles ; mais comme il est fort étendu, les marchands de modes se sont fixés à vendre seulement tout ce qui regarde les ajustemens & la parure des hommes & des femmes, & que l’on appelle ornemens & agrémens. Souvent ce sont eux qui les posent sur les habillemens, & qui inventent la façon de les poser. Ils font aussi des coëffures, & les montent comme les coëffeuses.

Ils tirent leurs noms de leur commerce, parce que ne vendant que choses à la mode, on les appelle marchands de modes.

Il y a fort peu de tems que ces marchands sont établis, & qu’ils portent ce nom ; c’est seulement depuis qu’ils ont quitté entierement le commerce de la mercerie pour prendre le commerce des modes.