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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/15

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Du bleu. Le bleu se donne aux laines, ou étoffes de laine de toute espece, sans qu’il soit besoin de leur faire d’autre préparation que de les bien mouiller dans l’eau commune tiede, & de les exprimer ensuite, ou les laisser égoutter : cette précaution est nécessaire, afin que la couleur s’introduise plus facilement dans le corps de la laine, & qu’elle se trouve par-tout également foncée : & il est nécessaire de le faire pour toutes les couleurs, de quelque espece qu’elles soient, tant sur les laines filées, que sur les étoffes de laine.

A l’égard des laines en toison, qui servent à la fabrique des draps, tant de mélange que d’autre sorte, & que pour cette raison on est obligé de teindre avant qu’elles soient filées, il faut avoir soin qu’elles soient bien dégraissées. On a fait voir dans le traité de la draperie la façon de faire cette opération, ainsi on n’en parlera pas dans celui-ci ; il suffira d’observer que le dégrais est nécessaire pour toutes les laines qu’on veut teindre avant que d’être filées ; de même qu’il faut toujours mouiller celles qui le sont, & les étoffes de toute espece, afin qu’elles prennent la couleur plus également.

Des cinq couleurs matrices ou primitives dont il a été parlé au commencement de cet article, il y en a deux qui ont besoin d’une préparation que l’on donne avec des ingrédiens qui ne fournissent aucune couleur, mais qui par leur acidité, & par la finesse de leur terre, disposent les pores de la laine à recevoir la couleur ; cette préparation est appellée le bouillon ; il varie suivant la nature & la nuance des couleurs ; celles qui en ont besoin sont le rouge, le jaune, & les couleurs qui en dérivent ; le noir exige une préparation qui lui est particuliere ; le bleu & le fauve, ou couleur de racine, n’en demandent aucune, il suffit que la laine soit bien dégraissée & mouillée ; & même pour le bleu, il n’y a pas d’autre façon à y faire, que de la plonger dans la cuve, l’y bien remuer, & l’y laisser plus ou moins long-tems, suivant qu’on veut la couleur plus ou moins foncée. Cette raison, jointe à ce qu’il y a beaucoup de couleurs pour lesquelles il est nécessaire d’avoir précédemment donné à la laine une nuance de bleu, fait qu’on commencera par donner sur cette couleur les regles les plus précises qu’il sera possible : car s’il y a beaucoup de facilité à teindre la laine en bleu, lorsque la cuve de bleu est une fois préparée ; il n’en est pas de même de la préparation de cette cuve, qui est réellement l’opération la plus difficile de tout l’art de la teinture ; il ne s’agit dans toutes les autres que d’exécuter d’après des procedés simples, transmis des maîtres a leurs apprentifs.

Il y a trois ingrédiens qui servent à teindre en bleu ; savoir le pastel, le vouede, & l’indigo : on donnera les préparations de chacune de ces matieres, en commençant par le pastel.

De la cuve de pastel. Pour mettre en état le pastel de donner sa teinture bleue, on se sert de grandes cuves de bois de dix à douze piés de diametre, & de six à sept d’hauteur ; elles sont formées de douves ou pieces de bois de six pouces de largeur & de deux d’épaisseur, & bien cerclées de fer de trois piés en trois piés ; lorsqu’elles sont construites, on les enfonce dans la terre, ensorte qu’elles n’excédent que de trois piés & demi, ou quatre piés au plus, afin que l’ouvrier puisse manier plus commodément les laines ou les étoffes qui sont dedans ; ce qui se fait avec de petits crochets doubles, emmanchés de longueur convenable, selon le diametre de la cuve ; le fond de ces cuves n’est point de bois, mais pavé avec chaux & ciment ; ce qui cependant n’est pas essentiel, & ne se pratique qu’à cause de leur grandeur, & parce qu’il seroit difficile qu’un fond de bois d’une si grande étendue, pût soutenir tout le poids de ce

que la cuve doit contenir ; plus ces cuves sont grandes, mieux l’opération réussit. Ordinairement on prend trois ou quatre balles de pastel, & ayant bien nettoyé la cuve, on en fait l’assiette comme il suit.

On charge une chaudiere de cuivre proche de la cuve, d’eau la plus croupie qu’on puisse avoir, ou si l’eau n’est pas corrompue ou croupie, on met dans la chaudiere une poignée de genestrolle ou de foin, c’est-à-dire environ trois livres, avec huit livres de garence bise, environ, ou le bain vieux d’un garençage, pour épargner la garence, qui même fera un meilleur effet. La chaudiere étant remplie, & ayant allumé le feu dessous, on la fait bouillir une heure & demie, deux heures, même jusqu’à trois, puis on la verse, au moyen de la gouttiere, dans la grande cuve de bois, bien nétoyée, & au fond de laquelle on doit mettre un chapeau plein de son de froment. En survuidant le bain bouillant de la chaudiere dans la cuve, & pendant qu’il coulera, on mettra dans cette cuve les balles de pastel, l’une après l’autre, afin de pouvoir mieux les rompre, pallier, & remuer avec les rables : on continuera d’agiter jusqu’à ce que tout le bain chaud soit survuidé dans la cuve, & lorsqu’elle sera remplie un peu plus qu’à moitié, on la couvrira avec des couvertures ou draps un peu plus grands que sa circonférence, & on la laissera reposer quatre bonnes heures.

Quatre heures après l’assiette, on lui donnera l’évent, & on y fera tomber pour chaque balle de pastel, un bon tranchoir de cendres ou de chaux vive : quand après l’éparpillement de cette chaux, la cuve aura été bien palliée, on la recouvrira de même qu’auparavant, excepté néanmoins un petit espace de quatre doigts, qu’on laissera découvert pour lui donner un peu d’évent.

Quatre heures après on la retranchera, puis on la recouvrira & la laissera reposer deux ou trois heures, y laissant, comme dessus, une petite communication avec l’air extérieur.

Au bout de ces trois heures on pourra la retrancher encore, en palliant bien, si elle n’est pas venue à doux ; il faut, après l’avoir bien palliée, la laisser reposer encore une heure & demie, prenant bien garde si elle ne s’apprête point, & si elle ne vient point à doux.

Alors on lui donnera l’eau, y mettant l’indigo dans la quantité qu’on jugera à propos : ordinairement on en emploie de délayé, plein un chaudron ordinaire d’attelier, pour chaque balle de pastel ; ayant rempli la cuve à six doigts près du bord, on la palliera bien, & on la couvrira comme auparavant.

Une heure après lui avoir donné l’eau, on lui donnera le pié, savoir deux tranchoirs de chaux pour chaque balle de pastel, plus ou moins, selon la qualité du pastel, & selon qu’on jugera qu’il use de chaux.

Ayant recouvert la cuve, on y mettra au bout de trois heures, un échantillon qu’on y laissera entierement submergé pendant une heure ; au bout de ce tems, vous le retirerez pour voir si la cuve est en état ; si elle y est, cet échantillon doit sortir verd, & prendre la couleur bleue, étant exposé une minute à l’air.

Trois heures après il faudra la pallier, & y repandre de la chaux ce dont elle aura besoin ; puis la recouvrir, & au bout d’une heure & demie, la cuve étant rassise, on y mettra un échantillon qui ne sera levé qu’au bout d’une heure & demie, pour voir l’effet du pastel ; & si l’échantillon est d’un beau verd, & qu’il prenne un bleu foncé à l’air, on y en remettra encore un autre pour être assuré de l’effet de la cuve ; si cet échantillon paroît assez monté en couleur, on achevera de remplir la cuve d’eau chaude, & s’il se peut d’un vieux bain de garençage, & on la palliera ;