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si on juge que la cuve a encore besoin de chaux, on lui en donnera une quantité suffisante, selon qu’à l’odeur & au maniement on jugera qu’elle en a de besoin : cela fait, on la recouvrira, & une heure après, si elle est en bon état, on mettra les étoffes dedans, & on en fera l’ouverture.

La cuve étant préparée, & avant que d’en faire l’ouverture, on place dedans une champagne, qui sert à empêcher que les laines ou étoffes ne tombent dans le fond, & ne se mêlent avec la pâtée ou le marc qui y est : on la soutient pour cet effet, à la hauteur que l’on veut, par le moyen de trois ou quatre cordes que l’on attache aux bords de la cuve.

Ce n’est pas encore assez de savoir poser une cuve, il faut encore savoir bien la gouverner ; c’est pour cela qu’il est d’une conséquence extrême que les maîtres teinturiers aient des bons guesderons, afin de connoître lorsque la cuve est bien en œuvre, c’est à-dire, quand elle est en état de teindre en bleu, ce qui se connoît quand la pâtée, ou le marc qui se tient au fond est d’un verd brun ; quand il change étant tiré hors de la cuve ; quand la fleurée est d’un beau bleu turquin ou perse, & quand l’échantillon qui y a été tenu plongé pendant une heure, est d’un beau verd d’herbe foncé.

Lorsqu’elle est bien en œuvre, elle a aussi le brevet ouvert clair & rougeâtre, & les gouttes & rebords qui se font sous le rable, en levant le brevet, sont bruns.

Quand on manie le brevet, il ne doit être ni rude entre les doigts, ni trop gras ; & il ne doit avoir ni odeur de chaud, ni odeur de lessive : voila à-peu-près toutes les marques d’une cuve qui est en bon état.

Les deux extrémités auxquelles la cuve se trouve exposée, sont celles d’avoir trop ou trop peu de chaux ; les bons guesderons savent remédier à ces inconvéniens, en jettant dans la cuve ou du tartre, ou du son, ou de l’urine, quand elle est trop garnie de chaux ; & quand elle ne l’est pas assez, il faut en mettre, crainte que la cuve ne se perde ; ce qui arrive lorsque le pastel a usé toute sa chaux ; ayant soin de la pallier jusqu’à ce qu’elle soit portée au degré convenable pour être en état de travailler.

La quantité de pastel & d’indigo qui conviennent pour asseoir une cuve, doit être proportionnée à sa grandeur, observant néanmoins qu’une livre d’indigo de guatimalo, produit autant d’effet que seize de pastel, ce qui fait que la dose ordinaire d’indigo est de six livres pour une balle de pastel de cent cinquante livres environ.

Lorsque la cuve commence à s’affoiblir, & à se refroidir, il faut la rechauffer ; cette opération demande autant de soin que pour la poser ; pour y parvenir il faut pallier la cuve, après l’avoir remplie de l’eau chaude, & la laisser reposer deux jours au moins, après quoi on remet le brevet dans la chaudiere de cuivre, en le faisant passer de la cuve, par le moyen de la gouttiere, & lorsqu’il est bouillant on le fait repasser de nouveau dans la cuve, palliant la pâtée à mesure que le bain chaud y tombe par l’extrémité du canal : on peut y ajouter en même tems un plein chauderon d’indigo préparé, c’est-à-dire qui aura été broyé & fondu dans une quantité d’eau qui aura bouilli à gros bouillon pendant trois quarts-d’heures, ou environ, dans laquelle on aura ajouté sur quatre-vingt livres, douze ou treize livres de garence, & quarante livres de cendres gravelées ou environ, le tout sur vingt-cinq seaux environ d’eau claire : on peut y ajouter encore un chapeau plein de son de froment.

Lorsque la cuve a été réchauffée, il faut attendre qu’elle soit en œuvre pour la garnir. Si on le faisoit un peu trop tôt, elle se troubleroit ; il arriveroit la

même chose, si on avoit mis un peu de pâtée dans la chaudiere. Le remede en ce cas est de la laisser reposer avant que de la faire travailler, jusqu’à ce qu’elle soit remise, ce qui va quelquefois à un jour.

On pourroit asseoir des cuves avec du pastel sans indigo, mais outre que le bleu ne seroit pas aussi beau, la quantité du pastel qui se consommeroit ne feroit pas revenir les frais de teinture à un meilleur prix ; au contraire, puisqu’il a été vérifié par des expériences répétées, que quatre livres de bel indigo de guatimalo rendent autant qu’une balle de pastel albigeois, & cinq livres autant qu’une balle de lauragais qui pese ordinairement deux cens dix livres : ainsi l’emploi de l’indigo, mêlé avec le pastel, est d’une grande épargne & évite beaucoup de frais ; puisque pour avoir autant d’étoffes teintes par une seule assiette avec de l’indigo, il en faudroit faire deux, si on le supprimoit ; encore n’auroit-on pas précisément autant de teinture.

L’indigo destiné à la cuve de pastel, a besoin d’être préparé dans une chaudiere particuliere, qui doit être dans l’atelier ou guesde, où il faut le faire dissoudre ou fondre. Quatre vingt ou cent livres d’indigo, demandent une chaudiere qui tienne trente à trente-cinq seaux d’eau.

On le fond dans une lessive ; & pour la faire, on charge la chaudiere d’environ vingt-cinq seaux d’eau claire, on y ajoute plein un chapeau de son de froment, avec douze ou treize livres de garence non robée, & quarante livres de cendre gravelée ; cette quantité d’ingrédiens est pour quatre-vingt livres d’indigo. Il faut faire bouillir le tout à gros bouillon pendant trois quarts-d’heure environ ; ensuite retirer le feu de dessous le fourneau, & laisser reposer cette lessive pendant demi-heure, afin que la lie se dépose au fond. Ensuite il faut survuider le clair dans des tonneaux nets, placés exprès auprès de la chaudiere. Oter le marc resté dedans la chaudiere, & la faire bien laver, y renverser la lessive claire qui avoit été vuidée dans des tonneaux ; allumer un petit feu dessous, & y mettre en même tems les quatre-vingt livres d’indigo réduits en poudre. Il faut entretenir le bain dans une chaleur forte, mais sans le faire bouillir, & faciliter la dissolution de cet ingrédient, en palliant avec un petit rable sans discontinuer, afin d’empêcher qu’il ne s’encroûte & ne se brûle au fond de la chaudiere. On entretient le bain dans une chaleur moyenne & la plus égale qu’il est possible, en y versant de tems-en-tems du lait de chaux qu’on aura préparé exprès dans un bacquet pour le refroidir. Lorsqu’on ne sent plus rien de grumeleux au fond de la chaudiere, & que l’indigo paroît bien délayé ou bien fondu ; on retire le feu du fourneau, & on n’y laisse que fort peu de braise pour entretenir seulement une chaleur tiede : il faut couvrir la chaudiere avec des planches & quelque couverture, & y mettre un échantillon d’étoffe pour voir s’il en sort verd, & si ce verd se change en bleu à l’air ; parce que si cela n’arrivoit pas, il faudroit ajouter à ce bain une nouvelle lessive préparée comme la précédente. C’est de cette dissolution d’indigo dont on prend un, deux ou plusieurs seaux pour les ajouter au pastel, lorsque la fermentation l’a assez ouvert pour qu’il commence à donner son bleu.

Ce détail de la préparation d’une cuve de pastel n’est pas exactement conforme à la méthode ordinaire des Teinturiers d’à présent, mais il est le plus sûr, suivant les expériences qui en ont été faites par un des plus habiles hommes de ce siecle dans le genre de la teinture.

Il faut bien prendre garde de ne jamais réchauffer la cuve de pastel, qu’elle ne soit en œuvre, c’est-à-dire qu’elle n’ait ni trop, ni trop peu de chaux ; ensorte que pour être en état de travailler, il ne lui