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de chaque tribu, qui étoit obligé de faire cette dépense. A la création des archontes ou premiers magistrats, on donnoit au public cinq ou six différentes comédies, où l’émulation des concurrens pour le prix de la poésie & de la musique les transportoit de telle sorte, que les poëtes, Alexis & Cléodeme, moururent publiquement de joie sur la scene de ce théatre, au milieu des applaudissemens du prix qu’ils venoient de gagner. La brigue & la cabale déroboient quelquefois la victoire au mérite ; on sait le bon mot de Ménandre, qui voyant le poëte Philémon triompher à son préjudice par la corruption des suffrages, le vint trouver au milieu de la multitude, & lui dit froidement : N’as-tu pas honte de m’avoir vaincu ? Ménandre, en cinquante ans qu’il a vécu, a composé cent & cinq comédies, & n’en a eu que huit qui aient été favorisées du triomphe : pour Euripide, qui a fait autant de tragédies qu’il a vécu d’années, savoir soixante & quinze, il n’a remporté le prix que de cinq.

Voilà quel étoit le théatre de Bacchus, qui ne servoit pas seulement aux jeux publics & aux assemblées de l’état, puisque les philosophes les plus fameux y venoient encore expliquer leur doctrine à leurs écoliers ; & en général les théatres n’étoient pas si fort décriés parmi les premiers chrétiens, que l’on veut nous le faire croire ; les premieres prédications du christianisme y ont été prononcées ; Cujas & Aristarchus furent enlevés du théatre d’Ephese comme ils y expliquoient l’Evangile, & S. Paul fut prié par ses disciples de ne s’y pas présenter, de peur d’une pareille violence.

Mais avant que d’avoir examiné la construction de celui d’Athènes, M. de la Guilletiere n’auroit pas cru, que de tous les ouvrages de la belle & curieuse architecture, ce fut celui-là qui demanda les plus grands efforts de l’art. Ce n’avoit pas été assez à Phylon d’y employer en excellent architecte, une agréable symmétrie par le juste rapport des parties de main droite aux parties de main gauche, & par l’ingénieuse convenance des parties supérieures aux inférieures, il affecta d’y travailler en musicien & en médecin. Comme la voix se seroit perdue dans un lieu vaste & découvert, & que le bâtiment étant de marbre, il ne se faisoit point de repercussion pour la soutenir, Philon pratiqua des réduits ou cellules dans l’épaisseur des corridors, où il plaça les vaisseaux d’airain dont j’ai parlé, echœa ; ils étoient soutenus dans leurs petites cellules par des coins de fer, ne touchoient point à la muraille, & on les avoit disposés de sorte que la voix sortant de la bouche des acteurs comme d’un centre, se portoit circulairement vers les corridors ou paliers, & venoit frapper la concavité des vaisseaux, qui renvoyoient le son plus fort & plus clair. Mais les instrumens des musiciens qui étoient placés dans l’hyposcénion, y avoient encore de plus grands avantages ; car on avoit situé ces vaisseaux d’airain avec une telle proportion mathématique, que leur distance s’accordoit aux intervalles & à la modulation de la musique ; chaque ton différent étoit soutenu par la repercussion de quelqu’un de ces vaisseaux placé méthodiquement pour cela : il y en avoit vingt-huit.

C’est ici qu’il faut que je justifie ce que j’ai avancé ci-dessus, quand j’ai dit que Vitruve avoit mal déterminé le nombre des diazoma ou paliers : de prétendre qu’il ait justifié ce nombre, quand il a dit que les echœa étoient sur ces paliers, & qu’il y avoit trois rangs d’echœa dans les grands théatres, deux rangs dans les moyens, & un rang dans les petits, ce seroit trop prétendre. En effet, comment distinguerons-nous ce qui est grand, médiocre & petit, à-moins qu’on ne nous donne les mesures actuelles de l’un ou de l’autre ? Vitruve ne nous en a rien déter-

miné par des déterminations de l’usage, lui qui nous

a marqué en mesures romaines l’étendue de quelques-autres parties du théatre beaucoup moins importantes ; car pour les proportions fondées sur les parties du diametre de l’orchestre, elles sont semblables dans ces trois ordres de théatres, & ne distinguent pas le grand du petit : ainsi cette expression vague de Vitruve n’a pas déterminé véritablement le nombre des paliers.

À ces soins de l’harmonie du théatre grec on avoit ajouté les soins de la médecine. L’excellent architecte étant toujours garant de la santé de ceux qu’il loge & de ceux qu’il place, Philon n’avoit pas cru indigne de ses réflexions, de considérer que sans le secours de son art, la joie des spectacles agitant extraordinairement les corps, pouvoit causer de l’altération dans les esprits. Il y pourvut par la disposition du bâtiment, par la judicieuse ouverture des jours ou entre-colonnes, & par l’économie des vents salutaires & des rayons du soleil, dont il sut ménager le cours & le passage : sur-tout il eut égard au vent d’occident, parce qu’il a une force particuliere sur l’ouïe, & qu’il porte à l’oreille les sons de plus loin & plus distinctement que les autres ; & comme ce vent est ordinairement chargé de vapeurs, ce fut un chef d’œuvre de l’art, de tourner les jours des portiques avec tant de justesse, que l’intempérie de l’ouest ne causât point de rhumes en interceptant la transpiration ; ainsi dans son théatre la scene regardoit la montagne de la citadelle, & avoit à dos la colline de Cynosargue ; celle du Muséon étoit à main droite, & le chemin ou la rue du Pyrée étoit à gauche.

Il ne reste rien aujourd’hui du portique d’Eumenicus qui étoit derriere la scene ; mais c’étoit un double portique, composé de deux allées, divisées l’une de l’autre par des colonnes. Le plan du portique étoit élevé sur le rez-de-chaussée, de sorte que de la rue on n’y entroit pas de plain-pié, mais on y montoit par des perrons : il formoit un quarre long, & l’espace de terre qu’il renfermoit étoit embelli de palissades & de verdure, pour réjouir la vue de ceux qui se promenoient dans le portique ; on y faisoit les répétitions des ouvrages de théatre, comme les répétitions de la symphonie se faisoient dans l’odéon.

Il seroit à souhaiter qu’il y eût dans nos villes un portique d’Eumenicus, non pas pour regler l’économie des ouvrages de théatre, comme à Athenes, mais pour en réformer la morale, & condamner au silence les auteurs du bas ordre qui deshonorent la scene, en blessant la pudeur par de grossieres équivoques. (D. J.)

Théatre anatomique, (Architect.) c’est dans une école de médecine ou de chirurgie, une salle avec plusieurs siéges en amphithéatre circulaire, & une table posée sur un pivot, au milieu, pour la dissection & la démonstration des cadavres : tel est le théatre anatomique du Jardin-royal des plantes à Paris. (D. J.)

Théatre d’eau, (Archit. hydraul. Décorat.) c’est une disposition d’une ou plusieurs allées d’eau, ornées de rocailles, de figures, &c. pour former divers changemens dans une décoration perspective, & pour y représenter des spectacles : tel est le théatre d’eau de Versailles. (D. J.)

Théatre, (Marine) on appelle ainsi sur la Méditerranée un château d’avant. Voyez Chateau.

Tréatre de jardin, (Décorat. de Jardins.) espece de terrasse élevée sur laquelle est une décoration perspective d’allées d’arbres, ou de charmille, pour jouer des pastorales. L’amphithéatre qui lui est opposé, a plusieurs degrés de gazon ou de pierre ; & l’espace le plus bas entre le théatre & l’amphithéatre, tient lieu de parterre.