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aux Arabes ; & en menaçant de punir l’archevêque, il engagea les Musulmans à lui demander eux-mêmes la grace du prélat chrétien, & ils furent contens & soumis. Je dois ce détail à M. de Voltaire.

Alphonse VIII. donna à Tolede, l’an 1135, les armes qu’elle porte encore aujourd’hui ; c’est un empereur assis sur son trône, l’épée à la main droite, & dans la gauche un globe avec la couronne impériale ; on voit bien que ce sont-là des armes espagnoles.

Dans la foule d’écrivains dont Tolede est la patrie, je ne connois guere depuis la renaissance des lettres, que le rabbin Abraham Ben Meir, le jésuite de la Cerda, le Jurisconsulte Covarruvias, & le poëte de la Vega, qui méritent d’être nommés dans cet ouvrage.

Le fameux rabbin Abraham Ben Meir, appellé communément Aben-Ezra, naquit à Tolede, selon Bartolocci, & fleurissoit dans le douzieme siecle ; c’étoit un homme de génie, & qui pour augmenter ses connoissances, voyagea dans plusieurs pays du monde : il entendoit aussi plusieurs langues, & particulierement l’arabe. Il cultiva la Grammaire, la Philosophie, la Médecine, & la Poësie ; mais il se distingua sur-tout en qualité de commentateur de l’Ecriture. Après avoir vû l’Angleterre, la France, l’Italie, la Grece, & diverses autres contrées, il mourut à Rhodes, dans sa soixante & quinzieme année, l’an de Jesus-Christ 1165, selon M. Simon, & 1174, selon M. Basnage.

Il a mis au jour un grand nombre de livres, entre lesquels on a raison d’estimer ses Commentaires sur l’Ecriture, qu’il explique d’une maniere fort littérale & très-judicieuse ; on peut seulement lui reprocher d’être quelquefois obscur, par un style trop concis : il n’osoit entierement rejetter la cabale, quoiqu’il sût très-bien le peu de fonds de cette méthode, qui ne consiste qu’en des jeux d’esprit sur les lettres de l’alphabet hébreu, sur les nombres, & sur les mots qu’on coupe d’une certaine façon, méthode aussi vaine que ridicule, & qui semble avoir passé de l’école des Platoniciens dans celle des Juifs. Aben-Ezra craignit de montrer tout le mépris qu’il en faisoit, de peur de s’attirer la haine de ses contemporains, & celle du peuple qui y étoit fort attaché ; il se contente de dire simplement, que cette maniere d’expliquer l’Ecriture n’étoit pas sure ; & que s’il falloit avoir égard à la cabale des peres juifs, il n’étoit pas convenable d’y ajouter de nouvelles explications, ni d’abandonner les saintes Ecritures aux caprices des hommes.

Ce beau génie examine aussi quelques autres manieres d’interpreter l’Ecriture. Il y a, dit-il, des auteurs qui s’étendent fort au long sur chaque mot, & qui font une infinité de digressions, employant dans leurs commentaires tout ce qu’ils savent d’arts & de sciences. Il rapporte pour exemple un certain rabbin, Isaac, qui avoit composé deux volumes sur le premier chapitre de la Genèse ; il en cite aussi d’autres, qui, à l’occasion d’un seul mot, ont fait des traités entiers de Physique, de Mathématiques, de Cabale, &c. Aben-Ezra déclare que cette méthode n’est que le fruit de la vanité ; qu’il faut s’attacher simplement à l’interprétation des paroles du texte, & que ce qui appartient aux arts & aux sciences, doit être traité dans des livres séparés.

Il rejette également la méthode des interpretes allégoristes, parce qu’il est difficile qu’en la suivant on ne s’éloigne entierement du sens littéral : il ne nie point cependant qu’il n’y ait des endroits dans l’Ecriture qui ont un sens plus sublime que le littéral, comme lorsqu’il est parlé de la circoncision du cœur ; mais alors ce sens plus sublime est littéral, & le véritable sens.

Aben-Ezra s’est donc borné en interprétant l’Ecri-

ture à rechercher avec soin la signification propre

de chaque mot, & à expliquer les passages en conséquence. Au-lieu de suivre la route ordinaire de ceux qui l’avoient précédé, il étudia le sens grammatical des auteurs sacrés, & il le développa avec tant de pénétration & de jugement, que les Chrétiens même le préférent à la plûpart de leurs interpretes.

Au reste, c’est lui qui a montré le chemin aux critiques qui soutiennent aujourd’hui, que le peuple d’Israël ne passa point au-travers de la mer Rouge ; mais qu’il y fit un cercle pendant que l’eau étoit basse, afin d’engager Pharaon à les suivre, & que ce prince fut submergé par le montant.

Cerda (Jean-Louis de la), entra dans la société des jésuites en 1574. Il a publié des adversaria sacra, des commentaires sur une partie des livres de Tertullien, & en particulier sur le traité de pallio, du même pere de l’Eglise. Enfin, il a écrit trois volumes in-fol. de commentaires sur Virgile, imprimés à Paris en 1624, en 1630, & en 1641. Les ouvrages de ce jésuite n’ont pas fait fortune ; ils sont également longs & ennuyeux, parce qu’il explique les choses les plus claires pour étaler son érudition, & parce que d’ailleurs il s’écarte sans cesse de son sujet.

Covarruvias (Diego), l’un des plus savans hommes de son siecle, dans le droit civil & canon, naquit en 1512. Il joignit à la science du droit la connoissance des belles-lettres, des langues, & de la théologie. Philippe II. le nomma évêque de Ciudad-Rodrigo, & il assista en cette qualité au concile de Trente. A son retour il fut fait évêque de Ségovie, en 1564, président du conseil de Castille en 1572, & cinq ans après évêque de Cuença ; mais il mourut à Madrid en 1577, à 66 ans, avant que d’avoir pris possession de ce dernier évêché. Ses ouvrages ont été recueillis en deux volumes in-folio ; on en fait grand cas, & on les réimprime toujours à Lyon & à Genêve ; on estime sur-tout celui qui a pour titre, variarum resolutionum libri tres : Covarruvias est non seulement un jurisconsulte de grand jugement, mais il passe encore pour le plus subtil interprete du droit que l’Espagne ait produit.

Garcias-Lasso de la Vega, un des célebres poëtes espagnols, étoit de grande naissance, & fut élevé auprès de l’empereur Charles-Quint. Il suivit ce prince en Allemagne, en Afrique, & en Provence : il commandoit un bataillon dans cette derniere expédition, où il fut blessé ; on le transporta à Nice, & l’empereur qui le considéroit lui fit donner tous les soins possibles ; mais il mourut de ses blessures vingt jours après, en 1536, à la fleur de son âge, à 36 ans.

Ses poésies ont été souvent réimprimées avec des notes de divers auteurs ; il ne faut pas s’en étonner. Garcias est un de ceux à qui la poésie espagnole a le plus d’obligation, non-seulement parce qu’il l’a fait sortir de ses premieres bornes, mais encore pour lui avoir procuré diverses beautés empruntées des étrangers : il étoit le premier des poëtes espagnols de son tems, & il réussissoit même assez bien en vers latins.

Il employa l’art à cultiver le naturel qu’il avoit pour la poésie ; il s’appliqua à la lecture des meilleurs d’entre les poëtes latins & Italiens, & il se forma sur leur modele. Ayant remarqué que Jean Boscan avoit réussi à faire passer la mesure & la rime des Italiens dans les vers espagnols, il abandonna cette sorte de poésie qu’on appelle ancienne, & qui est propre à la nation espagnole, pour embrasser la nouvelle, qui est imitée des Italiens : il quitta donc les complets & les rondelets (complat y redondillas), qui répondent à nos stances françoises, sans vouloir même retenir les vers de douze syllabes, ou d’onze, quand l’accent est sur la derniere du vers.