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nier est l’ame & le véritable mobile des attaques.

L’application particuliere d’un lieutenant-général doit être de bien poster les troupes, regler les détachemens, faire servir les têtes de la tranchée, & fournir des travailleurs extraordinaires, quand on lui en demande.

Les maréchaux-de-camp font la même chose que le lieutenant-général, par subordination ; & ils doivent recevoir ses ordres, & les rendre aux brigadiers, & ceux-ci aux colonels qui les distribuent à leurs régimens, à qui ils ont soin de les faire exécuter.

Quand il y a quelques entreprises à faire, c’est le lieutenant général qui en doit ordonner l’exécution, par l’avis & sur l’exposé du directeur général.

Lorsqu’il y a peu de ces premiers officiers dans une armée, ce n’est pas une nécessité que le lieutenant général de jour couche à la tranchée, il suffit qu’il la visite pendant le jour, & qu’il y donne ses ordres.

Quatre lieutenans généraux suffisent pour une armée commandée par un maréchal de France, le double des maréchaux de camp, & le double de ceux-ci en brigadiers ; c’est-à-dire que s’il y a quatre lieutenans généraux, il doit y avoir huit maréchaux de camp, & seize brigadiers ; un plus grand nombre est inutile, & bien plus à charge que nécessaire dans les armées.

Des rois & des princes. Si des rois ou des princes dont la vie est précieuse aux peuples, étoient en personnes à l’armée, & qu’ils voulussent voir la tranchée, ce qu’on ne peut désapprouver, il faudroit prendre les précautions suivantes :

1°. Que cela n’arrive pas souvent ; mais seulement deux, trois, ou quatre fois tout au plus pendant un siege.

2°. Que ce ne soit qu’à des places considérables, & non à des bicoques.

3°. Que la tranchée soit bonne, & autant assurée qu’on le peut faire.

4°. Qu’ils voyent l’ouverture de la tranchée si bon leur semble ; mais qu’ils ne la visitent plus que lorsque le canon se sera rendu maître de celui de la place.

5°. Que la nuit qui précédera les visites qu’ils voudront faire, on envoie partie de leur garde à la tranchée, distribuée par petits pelotons en différens endroits, pour plus grandes sûretés de leurs personnes.

6°. Qu’ils y aillent fort peu accompagnés, & seulement d’un capitaine des gardes, de trois ou quatre de leurs officiers, & de cinq ou six seigneurs de leur cour, ou des officiers généraux, & du directeur de la tranchée, qui doit marcher immédiatement devant eux pour leur servir de guide, & leur rendre compte, en chemin faisant, de toutes choses.

7°. Qu’il ne se fasse aucun mouvement de troupes pendant qu’ils seront à la tranchée ; mais qu’elles se rangent toutes sur le revers, laissant le côté du parapet à sa marche.

8°. Qu’on fasse asseoir tous les soldats, leurs armes à la main ; les officiers se tenir de bout du même côté, le chapeau à la main, sans laisser paroître leur esponton par-dessus la tranchée.

9°. Qu’ils visitent tout, jusqu’à la troisieme place d’armes, même jusqu’à la queue des sapes, afin qu’ils en soient mieux instruits.

10°. Qu’ils montent de petits chevaux, bas de taille, doux, qui ne soient pas ombrageux, pour faire leur tournée, au-moins jusqu’à la seconde parallele ou place d’armes, n’étant pas possible qu’ils y puissent fournir à pié, quand les tranchées sont un peu avancées.

11°. Qu’on leur fasse un ou deux reposoirs dans les endroits de la tranchées les plus convenables ; ces

mêmes lieux pourront servir après de couverts aux officiers généraux de garde.

Après tout ce que nous avons dit sur la tranchée, il faut encore ajouter une vérité constante, c’est qu’il n’y a aucun lieu sûr dans la tranchée, quelque soin qu’on se puisse donner pour la bien faire, comme il n’y a rien qui puisse mettre à couvert des bombes & des pierres, quand on est sous leur portée, & que la place en tire ; il n’y a point non plus de parapet de tranchée qui ne puisse être percé par le canon, à huit piés au-dessous du sommet, & dans l’infinité de coups de mousquets qui se tirent, il y en a toujours quantité dont les balles rasant le haut des parapets, s’amortissent & plongent, la plûpart avec encore assez de force pour blesser & tuer ceux qui en sont atteints.

Il y a de plus des coups de biais ou d’écharpe, qui rasant ainsi le parapet de la tranchée, s’amortissent, & ne sont pas moins dangereux, & qu’on ne peut guere éviter.

Quand on est sous la portée des grenades, c’est encore pis ; les coups de feu sont là dans leur force, & bien plus certains, outre que les éclats des grenades & des bombes volent par-tout, & vont le plus souvent tomber où l’on ne les attend pas ; c’est pourquoi je crois qu’il est de la prudence que les grands princes, de la vie desquels dépend le sort des états, dans les visites qu’ils feront dans la tranchée, ne passent point au-delà de la troisieme place d’armes ; ils ne doivent pas même aller jusques là. Attaq. des places de Vauban.

La tranchée se monte de jour ou de nuit ; l’avantage qu’on trouve à la monter de jour, consiste en ce que les officiers & les soldats qui voient le terrein, s’instruisent mieux de ce qu’ils auront à faire, que quand l’obscurité sera venue ; mais il y a divers avantages à la monter de nuit.

1°. On perd moins de monde par le canon & les mortiers des assiégés, qui ne cessent de tirer depuis que les nouvelles troupes entrent à la queue de la tranchée, jusqu’à ce que celles qui sont relevées, soient entierement sorties ; sur-tout lorsqu’il se trouve quelque morceau de tranchée qui sera enfilé ou commandé ; ce que rarement on peut éviter dans toute cette longue étendue qu’a la tranchée ; comme les artilleurs de la place ne manquent jamais de l’observer, c’est principalement vers cet endroit qu’ils dirigent les batteries ; & les troupes qui entrent, s’embarrassant avec celles qui sortent, n’ont pas assez de terrein pour éviter les bombes, les pierres, & les bonds des boulets de canon.

2°. Si pour donner l’assaut, ou pour vous précautionner contre une sortie à laquelle vous sçavez que les ennemis se préparent, vous voulez conserver les troupes qui devoient être relevées, pour les joindre avec les nouvelles qui entrent ; ou si vous montez la tranchée avec plus de bataillons qu’à l’ordinaire, les ennemis l’observeront, lorsque cela se passera de jour, & ils prendront leurs mesures pour attendre l’assaut, ou pour ne point faire de sortie : au-contraire si après avoir monté la tranchée de jour, vous faites marcher de nuit de nouvelles troupes pour en renforcer la garde, il ne sera pas possible que ce mouvement ne s’entende de la place, sur-tout quand la tranchée est déja proche.

3°. Comme c’est la nuit qu’il y a plus à craindre des sorties, les troupes de la tranchée seront bien moins vigilantes & moins en état de combattre, lorsqu’ayant déja passé tout le jour, elles se trouveront harassées par le soleil & la poussiere. Il est vrai qu’on y peut rémédier, en ne montant pas la tranchée le matin, mais seulement le soir un peu auparavant la nuit.

Lors même qu’on monte la tranchée de nuit, les