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Nous avons une ressource plus sûre, & dont il faut tâcher d’accompagner les autres, pour n’avoir pas de ces derniers nés trop tard ; ne gardons pas des vieilles brebis ; la nature en elles, quoique bien déchue de sa vigueur, ne leur ôte pas le penchant à la génération, elles le satisfont en même-tems que les autres, mais elles engendrent plus tard, quoiqu’on leur ait départi avec abondance pendant l’hiver & le printems précédent, de cette nourriture reservée pour toutes les brebis : on en perd beaucoup malgré ces graces particulieres.

Suivons maintenant les agneaux sevrés, jusqu’à ce que ceux de l’année suivante prennent leur place ; c’est une année bien dangereuse pour eux ; il en périt souvent, & la perte s’étend jusque aux vigoureux ; ce n’est que par des soins assidus & des secours de nourriture artificielle, & des pâturages choisis, que nous pouvons diminuer leurs dangers. Préservons les du froid & des pluies, ménageons leur, contre les tems rudes, des pâturages où ils soient abriés ; ne les fatiguons pas ; donnons leur quelque brebis vigoureuse pour leur servir de guide dans leur marche ; leur stupidité en a besoin pour aider la voix du berger qui les mene ; elle seule ne pouvant réussir, il y joint les mauvais traitemens toujours dangereux ; ayant ménagé ainsi leur foiblesse jusqu’à la saison prochaine des nouveaux agneaux qu’on va sevrer, on sépare alors les mâles des femelles, pour remetre celles-ci au berger des anciennes brebis, & les mâles en passant au troupeau des moutons, subissent bien tôt le même état de mouton ; on ne reserve pour rester belier pour toute leur vie, que quelques-uns des mieux faits & des plus vigoureux, de laine fine & blanche, ayant des oreilles longues, en vue d’en avoir des pareils pour y pouvoir avec un emporte-piece, y imprimer le sceau du maître. S’il en est parmi les uns & les autres, certains dont l’état soit valétudinaire, on les associe aux nouveaux venus ou aux brebis, pour vivre mieux à leur aise & se fortifier. Le tems de renouveller les galanteries de nos troupeaux étant arrivé, on voit quelquefois des jeunes brebis que nous avons incorporées avec les anciennes, certaines dont le tempérament vigoureux & comme anticipé leur permet d’accueillir les beliers ; la prudence & l’expérience condamnent cet usage, parce que devenant pleines, elles affoiblissent leur tempérament, & la plûpart durent peu. Il est des bergers qui par cette raison, séparent toutes les jeunes brebis d’avec les vieilles, lorsqu’on veut meler les beliers avec les anciennes, pour ne les livrer toutes ensemble que quand elles ont atteint l’âge de trois ans.

Toutes les brebis, même les jeunes, ne donnent pas des agneaux tous les ans ; certaines sont stériles pour une ou deux années, & d’autres pour toujours ; elles aideroient, restant mêlées avec les fécondes, à consommer les bonnes nourritures destinées à celles-ci : on les sépare chaque année, à mesure qu’on les reconnoît, pour les réunir au troupeau de moutons destinés à se nourrir des autres pâturages.

Les pâturages où se trouvent nos plus grands troupeaux sont dans les campagnes entremêlées de terres pour le labourage, de terres incultes, & de montagnes ; en celles-ci croissent des arbrisseaux, à l’ombre & autour desquels végetent des herbes douces, assez verdoyantes pendant l’hiver & une bonne partie du printems, se desséchant pendant le reste de l’année plus ou moins, selon la qualité du terroir & le degré de sécheresse.

Les champs, après la moisson, poussent aussi des herbes dès que la pluie y tombe ; ils peuvent quelquefois suffire à nourrir les troupeaux, avec le foible secours des arbustes qu’elle fait revivre, & que les chaleurs avoient épuisés. Quand ces pluies nous manquent avant ou peu après la recolte, il faut (on le

fait par précaution pendant les étés) faire transmigrer nos troupeaux dans les montagnes éloignées, où l’humidité & le tems frais entretiennent des pâturages toujours verdoyans, ou bien se contenter, sans les changer de climat, de les faire descendre dans les plaînes fertiles, pour les y nourrir pendant l’été : on conserve ainsi pour leur retour à la demeure ordinaire, des herbages propres à leur conserver l’embonpoint acquis dans ces plaines ; les pluies d’automne survenant, elles augmentent ces pâturages des champs & des montagnes, & faisant développer de nouvelles graines, nos guérets donnent ainsi des herbages pour l’hiver, servant comme de régal chaque jour, partie par partie pendant quelques heures, aux brebis & aux agneaux, tour-à-tour jusqu’à la fin du premier labour de ces guérets : on reserve pour une partie du printems quelque coin de terre le plus herbu, pour subvenir à l’entretien des meres & de leurs descendans, quand les fourrages ensemencés pour les nouveaux agneaux ou pour les bêtes malades, sont mangés. Les terres incultes & les montagnes suppléent à tout le reste pendant certaines années ; au-lieu qu’il se consume beaucoup de provisions quand elles sont rudes.

Nous avons des terres, des montagnes dont la qualité & l’exposition produisent des arbrisseaux & des aromates toujours verdoyans, faisant le fond principal de la nourriture des troupeaux ; tels sont le kermès, appellé vulgairement garrouille, dont ils mangent les feuilles quoique hérissées de pointes sur leur contour, & les glands qu’ils aiment beaucoup ; tels sont aussi les romarins, dont les feuilles & les fleurs leur sont si agréables, & dont la conservation contribue par leurs parties dont ils se dépouillent annuellement comme le kermès, à fortifier, en se réduisant en terreau, toutes les herbes qui les environnent. Il est d’un dommage infini pour nos troupeaux, que certains seigneurs de la montagne de la Clape, permettent à tous les habitans de plusieurs villages de détruire à grand force ces arbustes indispensables & presque l’unique ressource pendant l’hiver pour la nourriture de ces animaux ; l’objet de ces permissions est de retirer la plus foible des retributions des paysans qui transportent sans cesse a Narbonne ces plantes, pour entretenir le feu des pauvres familles ; feu qui aussi peu utile que celui de la paille, & aussi facile à s’enflammer, augmente leur pauvreté en la soulageant dans le moment par la modicité du prix : on travailleroit pour leur intérêt, & en même tems pour la conservation & l’augmentation des troupeaux, si l’on interdisoit ces permissions qu’un foible intérêt a introduites depuis peu, & qui frappe directement contre la partie la plus précieuse des manufactures de Languedoc, & en même tems contre l’agriculture. Il est aisé de voir que cela diminue les engrais nécessaires aux terres cultivées de ces montagnes qui, toutes légeres, ne donnent que des pauvres récoltes & peu d’herbes dans les guérets, si indispensables dans l’hiver pour fournir, comme nous venons de l’expliquer, des nourritures aux brebis & à leurs agneaux.

C’est ici le lieu de parler des abeilles. La fleur des romarins dure, en se renouvellant, pendant huit à neuf mois de l’année. C’est celle que les abeilles recherchent par préférence à toutes les autres ; c’est aussi celle qui donne le miel le plus parfait ; c’est perdre tous ces avantages en arrachant ces plantes, comme c’est détruire visiblement les troupeaux, au lieu de faire les derniers efforts pour les conserver. L’exposition des bergeries n’est pas indifférente pour y concourir ; on cherche pour leur emplacement des monticules qui ne soient pas dominées de trop près par d’autres hauteurs pour en détourner apparemment l’humidité qui y seroit produite par les trans-