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soldats de certains emplois desagréables, & conserver l’usage d’avoir ces troupes infideles hors de leur pays sous les yeux d’une armée, lorsque la Porte est en guerre avec les puissances chrétiennes.

La souveraineté du grand-seigneur est à la vérité despotique, & ce prince n’en est que plus malheureux ; car lorsque tout le corps de la milice de Constantinople se trouve réuni sous les ordres de l’ulama, ce monarque despotique passe du trône au fond d’un cachot, si on ne l’étrangle pas tout-de-suite lui & son vizir. Venons à d’autres détails.

L’exercice des lois & de la justice est confié dans ce grand empire à des juges de différens ordres. Les moins considérables de tous sont les cadis, ensuite les mollas, & puis les cadileskers, dont les sentences sont portées devant le mufti en derniere instance. Ces juges sont distribués dans tout l’empire par départemens ; & la dignité de cadilesker est partagée en deux : l’une pour l’Europe, & l’autre pour l’Asie. Ce corps de juges qui a le mufti pour président, est nommé ulama ; & les affaires considérables qui regardent la religion & l’état, sont de son ressort.

On parvient au grade de cadilesker après avoir passé par les offices subalternes de la judicature. Le mufti est choisi du nombre des cadileskers par la faveur du sultan, & encore plus par celle du vizir ; & lorsque ces deux grands officiers sont unis, ils peuvent faire la loi au grand-seigneur même.

L’ordre qui concerne le maniement des finances, est si bien établi dans cet empire, soit pour les charges, soit pour les registres, que quelque puissance chrétienne que ce soit trouveroit de quoi s’instruire, en retranchant quantité d’abus qui s’y glissent.

Le gouvernement militaire politique est divisé en deux parties principales, savoir l’Europe & l’Asie, sous le nom de Romélie & d’Anatolie. On a conservé dans chacune de ces deux parties du monde, les mêmes divisions qu’elles avoient lorsque la Porte les conquit. Ce qui étoit royaume, l’est encore ; ce qui n’étoit que province, ce qui n’étoit que département, est encore aujourd’hui sur le même pié. Ces grands gouvernemens ont le titre de bachalas, dont quelques-uns portent le caractere de vizir ; d’autres sont de simples bachas qui peuvent quelquefois être du rang des vizirs ou des beglerbegs ; & tant qu’ils sont en charge, ils prennent le nom de la capitale où est leur résidence.

Les provinces sont partagées en plusieurs départemens gouvernés par un officier qu’on nomme sangiac ; & ceux-ci ont sous eux un certain nombre de zaïms & de timariots. Ils sont tous également subordonnés au bacha de la province ou aux vizirs des royaumes, qui donnent audience publique une fois la semaine, accompagnés des premiers officiers de la judicature, des finances & de la milice, pour entendre les plaintes des zaïms & des timariots, des sujets chrétiens, qu’on nomme indifféremment raja, c’est-à-dire sujets, & des juifs qu’on appelle gisrit.

La sévérité des lois est une suite d’un gouvernement arbitraire, où tout dépend de la volonté de ceux qui commandent. De-là résulte en Turquie l’oppression des peuples & leur servitude. Tout dans ce royaume appartient en propre au grand-seigneur. Il est le maître absolu des terres, des maisons, des châteaux & des armes, de sorte qu’il en peut disposer comme il lui plait. Les terres appartenant ainsi de droit au sultan, il en fait le partage entre les soldats, pour les récompenser de leurs travaux ; ces récompenses s’appellent timars, & ceux qui les obtiennent, sont obligés à proportion du revenu, d’entretenir des hommes & des chevaux pour le service du grand-seigneur à la guerre. Il n’y a que les terres destinées à des usages religieux, qui n’appartiennent point au sultan ; ensorte qu’un bacha peut en mourant (mê-

me comme criminel de lése-majesté) donner valablement

ses biens à une mosquée.

Toutes les fois qu’il y a un nouvel empereur, on le conduit avec pompe dans un endroit des fauxbourgs de Constantinople, où le mufti lui donne sa bénédiction, & le grand-seigneur promet de défendre la religion musulmane & les lois de Mahomet. Aussitôt le premier vizir, les vizirs du banc & les bachas font une profonde inclination, baisent le bas de la veste de sa hautesse avec un respect extraordinaire, & le reconnoissent ainsi pour leur véritable empereur.

Les grands officiers de l’empire sont le premier vizir ou vizir-azem, entre les mains duquel est toute l’autorité ; les vizirs du banc au nombre de six, siegent avec le grand-vizir dans le divan, mais ils n’ont aucune voix délibérative ; aussi ne sont-ils pas sujets aux révolutions de la fortune, parce que leurs richesses sont médiocres, & que leurs charges ne les obligent point de se mêler des affaires dangereuses de l’état.

Les beglerbegs ou bachas ont sous leur jurisdiction divers gouvernemens, des agas & plusieurs autres officiers. Le sultan donne pour marque d’honneur à chacun de ces beglerbegs trois enseignes que les Turcs appellent tug ; ce sont des bâtons au haut desquels il y a une queue de cheval attachée, & un bouton d’or par-dessus. Cette marque les distingue d’avec les bachas qui n’ont que deux de ces enseignes, & d’avec les sangiacs qui portent aussi le nom de bachas, mais qui n’en ont qu’une. Les gouvernemens de beglerbegs, qui ont sous eux diverses provinces nommées sangiacs, sont de deux sortes ; les uns ont un revenu assigné sur leurs propres gouvernemens, & qui se leve par leurs propres officiers ; les autres sont payés du trésor du grand-seigneur. On compte vingt-deux beglerbegs de la premiere sorte, & six de la seconde.

Il y a cinq beglerbegs de la premiere sorte qui portent le titre de vizirs, c’est à-dire conseillers. Ce sont le bacha d’Anatolie, celui de Babylone, celui du Caire, celui de Romanie & celui de Bude, qui sont les gouvernemens les plus riches & les plus considérables de l’empire ; les autres ont leur rang selon la date de l’érection de leurs gouvernemens ; car la possession la plus ancienne constitue le plus honorable gouvernement.

Le capoutan est l’amiral de la flotte du grand-seigneur ; il commande par-tout où le pouvoir du turc s’étend par mer. Il réside à Gallipoli, & a sous lui treize sangiacs.

Le mufti ou grand pontife, le reis-effendi ou chef des dépêches, & le defterdar ou grand-trésorier sont trois autres grands officiers de l’empire ottoman. Le grand-seigneur consulte le mufti par forme & pour s’accommoder à la coutume ; mais lorsque les sentences de ce pontife ne s’accordent pas avec les dessein du prince, il le prive de son pontificat, & donne cette charge à un autre, qui sait mieux faire répondre ses oracles aux intentions de son maître.

Le reis-effendi est toujours auprès du premier vizir, pour expédier les ordres, les arrêts, les lettres patentes & les commissions dans tous les différens endroits de l’empire. On ne sauroit croire combien il se fait dans son bureau de dépêches chaque jour, parce que le gouvernement des Turcs étant arbitraire, chaque affaire demande un ordre exprès à part, & même la plûpart des cours de justice ne se conduisent que par des ordres qu’elles reçoivent d’en-haut. Cette multitude d’affaires oblige le reis-effendi d’employer un grand nombre d’écrivains, & elle remplit ses coffres d’or & d’argent.

Le defterdar reçoit le revenu du grand-seigneur, paie les soldats, & fournit l’argent nécessaire pour