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les affaires publiques. Cette charge est différente de celle de trésorier du serrail ; car ce dernier ne pourvoit qu’à la dépense de la cour ; il reçoit les profits casuels, ainsi que les présens qu’on fait au grand seigneur, présens qui sont aussi nombreux que considérables.

La milice de l’empire turc est prodigieuse, & constitue toute sa force. Elle est composée de zaïms qui sont comme des barons en certains pays, & de timariots, qui peuvent être comparés à ceux que les Romains appellent decumani. Entre les gens qui composent toute la milice turque, les uns sont entretenus du revenu de certaines terres & de certaines fermes que le grand-seigneur leur donne ; les autres sont payés en argent, comme les spahis, les janissaires, les armuriers, les canonniers & les soldats de mer appellés léventis.

J’abrege toutes ces choses ; le lecteur peut consulter les mots Vizir, Bacha, Defterdar, Aga, Sangiac, Cadi, Reis-effendi, Liamet, Timar, &c.

Les lois civiles font partie de la religion chez les Turcs, & ne composent qu’un corps avec elle, parce que les Turcs se persuadent que les unes & les autres leur ont également été données par Mahomet. Les cérémonies, la doctrine & les lois de la religion turque sont renfermées dans trois livres qu’on peut appeller proprement le code & les pandectes de la religion des mahométans. Le premier est l’alcoran, le second l’assonah ou la tradition, avec les sentimens des sages ; le troisieme comprend les conséquences que l’on en tire. Mahomet a écrit l’alcoran, & a fait quelques lois pour le gouvernement civil ; le reste a été composé par ses quatre premiers successeurs, Abubeker, Omar, Osman & Aly. Les califes de Babylone & d’Egypte ont aussi été des interpretes de la loi de Mahomet, & leurs décisions étoient autrefois regardées comme d’autorité divine ; mais l’opinion que l’on avoit de leur autorité infaillible, s’étant perdue avec leur puissance temporelle, elle a été transportée au mufti.

Cependant quoiqu’il y ait une grande diversité entre les docteurs dans l’explication de leur loi, quiconque observe les cinq articles fondamentaux de leur religion, est reputé comme véritable fidele. Le premier de ces articles regarde la pureté extérieure de leurs corps & de leurs habits. Le second consiste à faire leurs prieres cinq fois le jour. Le troisieme oblige à jeûner le mois de Ramazan. Le quatrieme prescrit de donner la zécat, c’est-à-dire l’aumône. Le cinquieme recommande le voyage de la Meque quand la chose est possible ; mais ils n’ont qu’un seul article de foi, savoir, qu’il n’y a qu’un seul Dieu, & que Mahomet est son prophete. Les autres cérémonies, comme la circoncision, l’observation du vendredi pour un jour de dévotion, l’abstinence de la chair de pourceau & du sang des animaux n’ont été recommandées que pour marques de l’obéissance d’un musulman.

Le mufti, dont j’ai déja dit un mot, est le chef principal de la religion des Turcs, & l’oracle de toutes les difficultés qui peuvent naître sur l’explication de leur loi. Le grand-seigneur le nomme, & dans les causes civiles & criminelles, il donne, quand il est consulté, son avis par écrit du oui ou du non, à quoi il ajoute ces mots bien sages, Dieu sait ce qui est meilleur. Lorsque ce papier est porté au cadi ou juge, il y conforme toujours son jugement, & la sentence s’exécute sans délai & sans appel. Aujourd’hui, on ne consulte guere le mufti que pour la forme ; le grand-vizir décide par lui-même & exécute ce qu’il a résolu, après quoi il demande l’approbation du mufti & le sens de la loi ; alors le mufti a un vaste champ pour trouver des interprétations, d’autant

plus que c’est une maxime reçue, que la loi mahométane s’accommode aux tems & aux conjonctures.

Après la charge de mufti, celle de cadi-les-ker est la plus considérable. Le cadi-les-ker est non-seulement juge de la milice, mais il peut connoître de toutes sortes de causes & de procès entre toutes sortes de personnes.

Les mollas exercent la jurisdiction de juges, les uns sur une province entiere de beglerbegs, & les autres sur de petites provinces ; ces deux sortes de mollas commandent aux cadis de leur dépendance.

Les imams sont des prêtres de paroisses ; leur fonction consiste à appeller le peuple aux prieres, & à lui servir de guide dans les mosquées aux heures prescrites. Ils sont aussi obligés de lire tous les vendredis des sentences ou des versets de l’alcoran. Il y en a peu qui osent entreprendre de prêcher, à-moins qu’ils n’aient bien de la vanité, ou qu’ils ne croient avoir bien du talent ; ils laissent ce soin aux scheichs, & à ceux qui font profession de prêcher, & qui passent ordinairement leur vie dans les monasteres. Le mufti n’a point de jurisdiction sur les imans, pour ce qui regarde le gouvernement de leurs paroisses, car il n’y a à cet égard-là nulle supériorité, nulle hiérarchie entr’eux, chacun étant indépendant dans sa paroisse, mais ils sont sujets aux magistrats dans les causes civiles & criminelles.

On peut mettre les émirs au nombre des ecclésiastiques, parce qu’ils sont de la race de Mahomet. Pour marque de cette illustre origine, ils portent le turban verd, & jouissent de grands privileges. Ils ont deux officiers supérieurs, l’un se nomme nakth-escheref ; l’autre s’appelle alemdar, & porte l’enseigne verte de Mahomet, lorsque le grand-seigneur se montre en public. Voyez Mufti, Cadilesker, Molla, Imam, Scheich, Emir, &c.

Les Turcs ont dans leur religion un grand nombre de sectes particulieres, mais il y en a deux générales qui divisent les mahométans ; savoir, celle qui est suivie par les Turcs, & celle qui est reçue par les Persans. L’intérêt des princes qui gouvernent ces deux peuples, & leur différente éducation, contribuent beaucoup à entretenir la haine que la diversité de leurs opinions a fait naître. La secte des Turcs tient Mahomet pour le plus considérable des prophetes, & celle des Perses estime qu’Aly lui doit être préféré.

Les Turcs vivent en général fort sobrement, & divisent le peu de nourriture qu’ils prennent en plusieurs repas. Le mouton est leur viande ordinaire la plus exquise ; ils mangent beaucoup de fruits, de légumes, de riz, de froment mondé, de miel & de sucre. Leur riz & leur froment mondé, font une nourriture légere, facile à digérer, & fort aisée à apprêter. Leurs tables sont bientôt dressées, tout le monde sait qu’ils mangent à terre.

Ils usent de différentes boissons pour compenser le vin qui leur est défendu par l’alcoran. Ces boissons sont ou purement naturelles, comme l’eau de puits, de riviere & de fontaine ; ou artificielles, qui consistent dans le laitage de plusieurs animaux, & dans les liqueurs froides & chaudes ; les plus ordinaires de celles-ci, sont le caffé & le salep qu’ils font avec de la racine de satirion. Leur plus exquise boisson est le sorbet, composé du suc de cerises & d’autres fruits. Ils boivent toujours assis, à-moins que la nécessité ne les oblige à se tenir debout. Ils mettent en été l’eau commune à la glace, lorsqu’ils peuvent en avoir, ou en jettent dans les vases de verre & de porcelaine dans lesquels ils boivent.

Les Turcs sont dans le fond plus portés au repos qu’à l’activité ; cependant ce naturel fait plus ou moins d’impression sur eux à mesure qu’ils habitent sous différens climats. Les Turcs asiatiques aiment beaucoup