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Pour que tout ne soit pas perdu dans un état despotique, il faut au-moins que l’avidité du prince soit modérée par quelque coutume. Ainsi, en Turquie, le prince se contente ordinairement de prendre trois pour cent sur les successions des gens du peuple. Mais comme le grand-seigneur donne la plûpart des terres à sa milice, & en dispose à sa fantaisie, comme il se saisit de toutes les successions des officiers de l’empire, comme lorsqu’un homme meurt sans enfans mâles, le grand-seigneur a la propriété, & que les filles n’ont que l’usufruit, il arrive que la plûpart des biens de l’état sont possédés d’une maniere précaire.

Comme en Turquie l’on fait très-peu d’attention à la fortune, à la vie, à l’honneur des sujets, on termine promptement d’une façon ou d’une autre toutes les disputes. La maniere de les finir est indifférente, pourvu qu’on finisse. Le bacha d’abord éclairci, fait distribuer, à sa fantaisie, des coups de bâton sur la plante des piés des plaideurs, & les renvoye chez eux. Ce n’est pas là la formalité de justice qui convient dans les états modérés, où l’on ne peut ôter l’honneur & les biens à aucun citoyen, qu’après l’examen le plus long & le plus réfléchi.

Un des fléaux de la Turquie qui dépend uniquement du climat, est la peste, dont le siege principal est en Egypte. On a imaginé dans les états de l’Europe un moyen admirable pour arrêter les progrès du mal ; on forme une ligne de troupes autour du pays infecté, pour empêcher toute communication ; on fait faire une quarantaine aux vaisseaux suspects ; on parfume les hardes, les papiers, les lettres qui viennent du lieu pestiferé. Les Turcs n’ont, à cet égard, aucune police ; ils voient les Chrétiens dans la même ville échapper au danger, dont ils sont eux seuls la victime. La doctrine d’un destin rigide qui regle tout, fait en Turquie du magistrat un spectateur tranquille : il pense mal-à-propos que Dieu a déja tout fait, & que lui n’a rien à faire.

Il faut lire sur l’empire ottoman l’histoire admirable qu’en a donné le chevalier anglois Paul Ricaut, & qui forme trois volumes in-folio. On peut y ajoûter pour les tems plus modernes l’histoire des Turcs, publiée par le prince Cantemire. (Le chevalier de Jaucourt.)

TURQUOISE, s. f. turcoides, turchesia, calaïs, jaspis aerizusa, (Hist. nat.) pierre précieuse bleue & opaque, ainsi nommée, parce qu’elle vient de Turquie.

Les Lapidaires distinguent les turquoises en orientales & en occidentales ; les premieres se trouvent, suivant Tavernier, en Perse près d’une ville appellée Necabour, à trois journées de Méched ; ce sont celles qu’on appelle turquoises de la vieille roche : il s’en trouve aussi, selon le même auteur, à cinq journées de chemin du premier endroit, elles ne sont point si estimées ; ce sont celles qu’on nomme turquoises de la nouvelle roche. Ainsi les orientales viennent de la Perse, des Indes & de la Turquie : les occidentales viennent de plusieurs endroits de l’Europe, d’Allemagne, de Bohème, d’Hongrie, de Silésie.

Les turquoises varient pour la couleur ; les plus belles & les plus estimées sont d’un bleu céleste, les autres sont d’un bleu plus clair, il y en a qui sont d’un bleu verdâtre ou tirant un peu sur le jaune.

M. de Réaumur, dans un mémoire inséré dans les mémoires de l’académie des Sciences de l’année 1715, a voulu prouver que les turquoises ne sont autre chose que des os d’animaux enfouis en terre, & qui ont été colorés par une dissolution de cuivre. Ce savant naturaliste appuie son sentiment par des os & des dents trouvés près de Simore, dans le bas Languedoc, qui n’ont point naturellement une couleur bleue, comme la turquoise, mais qui acquierent cette

couleur ; lorsqu’après les avoir fait sécher à l’air, on les met sous une moufle pour les chauffer dans un fourneau. Par ce moyen on développe la couleur de ces os, mais il faut les chauffer avec précaution, parce que sans cela un feu trop violent & trop subit les feroit exfolier.

On assure qu’un chimiste, nommé Jean Cassianus, avoit le secret de colorer artificiellement les os de mammoth qui se trouvent en Russie, & le célebre Henckel paroît avoir possédé le même secret. L’on voit en effet que le tissu d’un grand nombre de prétendues turquoises est le même que celui d’un os ou d’une dent, étant composé, comme eux, de lames appliquées les unes sur les autres. M. Hill dit aussi avoir fait des turquoises artificielles, qui ont trompé les Lapidaires. Voyez ses notes sur Théophraste.

De toutes ces expériences, on en a conclu très précipitamment que toutes les turquoises n’étoient que des dents & des os d’animaux, mais il semble que l’on s’est trompé pour avoir voulu trop généraliser cette assertion, & nous allons faire voir que les vraies turquoises ne sont nullement des os, mais doivent être regardées comme de vraies pierres. En effet, M. Mortimer, secrétaire de la société royale de Londres, a fait voir à cette académie un morceau de turquoise, dans laquelle on ne remarquoit nullement le tissu osseux des prétendues turquoises de Languedoc ; c’étoit une vraie pierre, en forme de mamelon, semblable aux mamelons de l’espece d’hématite que l’on nomme pour cette raison hématite en grappe de raisin, hæmatites botryites ; M. Mortimer dit avec raison que c’est cette pierre qui mérite à juste titre d’être appellée la turquoise, & que l’on devroit la distinguer des os ou de l’ivoire coloré, qui ne peut être regardé que comme une turquoise bâtarde.

Le même auteur a trouvé que la vraie turquoise, dont il a montré un échantillon à la société royale, étoit très-chargée de cuivre ; cette pierre pulvérisée & trempée dans de l’esprit volatil de corne de cerf, a coloré cette liqueur d’un bleu foncé ; mise dans de l’eau-forte, ce dissolvant est devenu d’un beau verd, & en y trempant un fil de fer, ce fil devint de la couleur de cuivre. Quelques turquoises de cette nature mises dans un creuset, sont entrées en fusion sans qu’on leur eût joint d’addition, & se sont changées en une scorie vitreuse, tandis qu’à ce degré de chaleur les os ou l’ivoire eussent dû se calciner, vu que M. Mortimer avoit donné un feu très-violent. L’action du feu n’en rendoit pas la couleur plus belle ; & lorsqu’elle avoit été rougie, la pierre devenoit cassante.

L’échantillon que M. Mortimer montra à la société royale avoit 12 pouces de longueur, & 53 de largeur, & en quelques endroits 23 d’épaisseur ; cette pierre étoit inégale & rude par le côté par où elle avoit été attachée au rocher, mais la partie supérieure étoit remplie de mamelons lisses & unis.

Le chevalier Hans Sloane avoit dans sa collection différens morceaux semblables de turquoises, dont un entr’autres qui venoit de la Chine, avoit 3 pouces de long, 23 pouces de large, & près de 13 d’épaisseur. Il possédoit outre cela des prétendues turquoises, ou plutôt de l’ivoire coloré en bleu, qui venoient de Languedoc & d’Espagne. Voyez les Transactions philosophiques, n°. 482. art. 17.

Ces faits prouvent clairement qu’on risque toujours de se tromper en voulant trop généraliser les choses dans l’histoire naturelle ; il faut en conclure qu’il y a deux especes de turquoises, les véritables sont des pierres, de la nature d’un grand nombre d’agates, de jaspes & de cailloux, que l’on trouve souvent en mamelons ; celles-là ne sont point sujettes à perdre leur couleur ou en changer, ce qui arrive aux turquoises bâtardes, ou à celles qui sont des dents