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matiere sur l’âtre de l’ouvreau, ratissez-la avec un instrument, (fig. 3. bas de la page 20) qu’on appelle graton. Il ressemble assez à un rable, dont la patte, qui est proprement le graton, est beaucoup plus mince, & a trois pouces, sur un pouce & demi. On y adapte un manche d’environ huit piés, pour donner à l’ouvrier la facilité de s’en servir, sans se brûler.

Pour ce qui regarde la promptitude de l’opération d’enfourner ; elle consiste à ne laisser jamais l’ouvreau vuide de pelle. On voit dans la vignette de la Planche XVIII. l’opération faite avec assez de vivacité ; l’ouvrier 1 remplit sa pelle à l’arche ; l’ouvrier 2 porte la sienne à l’ouvreau ; l’ouvrier 3 enfourne ; l’ouvrier 4 va à l’arche, chercher de la matiere ; & les ouvriers 5, 6, attendent que l’arche soit libre, pour remplir leurs pelles. On m’observera peut-être, que les ouvriers 1, 2, 3, 4, suffiroient pour enfourner ; car il pourroit y en avoir toujours un à l’arche, l’autre à l’ouvreau ; un troisieme en y allant, & le quatrieme en revenant, comme ils sont dans la vignette. Conséquemment 5, 6, seroient inutiles, & on pourroit se dispenser de les employer. Mais si l’on fait attention, que la moindre circonstance, en retardant le plus petit mouvement des ouvriers 1, 2, 3, 4, peut retarder l’opération ; que, d’ailleurs, ce danger est inévitable, par la nécessité de déboucher & reboucher, comme de gratoner l’ouvreau ; on conviendra que la présence des ouvriers 5, 6, n’est pas inutile. Il seroit possible, m’objectera-t-on, de diminuer le tems de l’opération, en faisant enfourner des deux côtés du four en même tems. On doit sentir, que les enfourneurs, vu leur grand nombre, seroient obligés d’attendre long-tems à l’arche ; ce qui nuiroit beaucoup à la diligence qu’on demande, & le four ouvert des deux côtés, ne pourroit qu’éprouver un refroidissement considérable.

Une observation essentielle lorsqu’on enfourne, c’est d’enfourner également, c’est-à-dire, de ne pas mettre plus de matiere dans un pot que dans l’autre.

Il ne suffit pas d’enfourner une fois pour remplir le pot ; les parties de la matiere qu’on a enfournées, se fondant, se rapprochent les unes des autres, & occupent moins d’espace : conséquemment le pot qui étoit à comble, quand on a fini d’enfourner, est fort éloigné d’être plein après quelques heures de chauffe. On fait tirer des larmes[1] ou essais de verre avec le crochet (Planche XXII. figure 1.) ; lorsqu’on connoît que le bain de verre ne baissera plus, on enfourne de nouveau. Avant que d’enfourner une seconde fois ; il faut laisser venir le verre au plus haut point de perfection qu’il est possible. On laisse évaporer tout le sel de verre, & on attend que les points qui paroissent dans le verre soient dissipés, du-moins en plus grande partie. Ces points ne sont autre chose, que l’air renfermé dans le verre, qui se dilate par l’action du feu. Dans les premieres larmes, ils sont imperceptibles ; ils deviennent plus gros, plus ouverts ; l’air qui les forme ayant reçu un plus grand degré de dilatation. Ils prennent alors le nom de bouillons : enfin, ils gagnent la surface du bain du verre & se dissipent : le verre est dit plus fin, à mesure qu’il renferme moins de ces points ou bouillons.

On sent combien il est intéressant que le verre soit fin, ou à-peu-près, avant d’enfourner une seconde

fois ; l’air renfermé dans le bas du bain de verre, a bien moins de peine à gagner le haut, que si le pot étoit plein : en agissant toujours de même, la totalité du verre contenu dans le pot, est bien plutôt affinée, & en état d’être travaillée, que si l’on se pressoit de renfourner, après avoir simplement fondu la matiere qui avoit été d’abord enfournée. Par la méthode que nous venons d’indiquer, lorsque la derniere fonte[2] est faite, on n’a plus à affiner que cette derniere fonte, qui ordinairement est peu considérable.

On fait communément trois fontes ; j’en ai fait quelquefois quatre. Le nombre en est relatif à la qualité des matieres que l’on emploie : si elles contiennent beaucoup de sel de verre, il occupe une place qui se trouve vuide après sa dissipation, & il faut un plus grand nombre de fontes.

Le sel de verre est quelquefois si abondant, qu’il est nécessaire de l’ôter de dessus le pot avec des poches, pour ne pas perdre le tems à attendre sa parfaite dissipation. On se sert de poches de fer ; celles de cuivre seroient trop tôt déteriorées : on insinue les poches dans l’ouvreau à tréjetter ; on les plonge dans le pot d’où on les retire pleines de sel de verre. Il faut avoir attention de ne pas déposer ce sel dans un lieu mouillé ; l’humidité le fait élancer au loin, lorsqu’il est encore fluide ; & ceux qui sont auprès peuvent en être incommodés. On doit donc par la même raison, ne les toucher non plus qu’avec des poches seches.

La derniere fonte faite, il n’y a plus qu’à chauffer avec violence, pour affermir la masse entiere du verre, & en même tems pour dissiper la manganese superflue, & n’en laisser que ce qui est nécessaire à la bonne couleur du verre.

La manganese se manifeste ordinairement dès la premiere fonte ; elle diminue un peu dans l’intervalle de la premiere à la seconde ; elle redevient un peu plus forte lorsqu’on a fait la seconde ; elle diminue encore dans l’intervalle de la seconde à la troisieme ; elle se manifeste de nouveau après la troisieme ; & lorsque c’est la derniere, elle va en diminuant, jusqu’à ce que le verre soit bon à travailler. Au reste, la couleur de la manganese ne regle point du tout le tems des fontes : que le verre soit plus ou moins haut en couleur, on enfourne toujours, lorsque le verre est jugé assez fin, & que le sel est dissipé.

Lorsque le verre est fin, qu’il ne joue plus, c’est-à-dire, qu’il ne change pas d’état, & que la couleur n’est pas trop haute, il est tems de le travailler. Pour cet effet, il faut le faire passer dans les cuvettes pour pouvoir le transporter avec facilité ; mais il est nécessaire de nettoyer auparavant les vases dans lesquels on doit transvaser le verre ; d’autant plus que celui qui y est resté des opérations précédentes, a perdu la couleur qu’il avoit à force d’être chauffé, est différent en qualité du nouveau verre qu’on mettroit dans les cuvettes, & ne se mêleroit pas assez intimement à lui, pour ne pas causer des différences fâcheuses dans la couleur des diverses parties de glaces qui en seroient formées, & ne pas les parsemer de veines plus basses en couleur les unes que les autres. Les dégradations, les larmes, qui tombent quelquefois de la couronne dans les cuvettes, exigent aussi la précaution de les nettoyer. L’opération par laquelle on y parvient est connue sous le nom de curage.

Avant de procéder au curage, on nettoie la halle, & sur-tout les environs du four, où se doit faire l’opération. On a au coin de chaque arche du côté de

    d’être assez assuré de l’exactitude de son bras, pour entrer sans toucher l’ouvreau. Aussi met-on devant l’ouvreau un parallélépipede de fonte, auquel on donne le nom de barre, de quatre pouces sur six, pour qu’il domine un peu l’ouvreau. L’ouvrier y appuie un instant sa pelle avant de l’introduire, pour prendre ses dimensions avec sûreté ; & la même barre sert de point d’appui au manche de sa pelle, quand il la renverse.

  1. On tire des larmes en plongeant le bout du crochet dans le verre ; & lorsqu’on l’a retiré hors du four, on profite du tems où le verre qui est resté attaché au bout du crochet est encore chaud, pour en former une goutte par l’agitation qu’on donne au bout du crochet, & cette goutte est la larme.
  2. On appelle fonte la quantité de matiere qu’on enfourne à chaque fois ; ainsi faire la premiere fonte, c’est enfourner une premiere fois ; une seconde fonte, c’est enfourner une seconde fois, &c.