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est Hugues de Sancto-Caro, qui de simple dominicain devint cardinal ; & qui ayant été le premier de cet ordre qui soit parvenu à cette dignité, porte communément le nom de cardinal Hugues. Voici l’occasion, l’histoire & le progrès de cette affaire.

Ce cardinal Hugues, qui vivoit environ l’an mil deux cent cinquante, & mourut en mil deux cent soixante-deux, avoit beaucoup étudié l’Ecriture-sainte. Il avoit même fait un commentaire sur toute la bible. Cet ouvrage l’avoit comme obligé d’en faire une concordance dont l’invention lui est dûe, car celle qu’il fit sur la vulgate, est la premiere qui ait paru. Il comprit, qu’un indice complet des mots & des phrases de l’Ecriture, seroit d’une très-grande utilité pour aider à la faire mieux entendre ; & aussi-tôt ayant formé son plan, il employa quantité de moines de son ordre, à ramasser les mots, & à les ranger dans leur ordre alphabétique ; & avec le secours de tant de personnes, son ouvrage fut bientôt achevé. Il a été retouché & perfectionné depuis, par plusieurs mains, & sur-tout par Arlot Thuscus, & par Conrard Halberstade. Le premier étoit un franciscain, & l’autre un dominicain, qui vivoient tous deux vers la fin du même siecle.

Mais comme le principal but de la concordance étoit de faire trouver le mot aisément ou le passage de l’Ecriture dont on a besoin ; le cardinal vit bien qu’il étoit nécessaire, premierement de partager les livres en sections, & ensuite ces sections en plus petites parties par des subdivisions ; afin de faire des renvois dans la concordance, qui indiquassent précisément l’endroit même, sans qu’il fût besoin de parcourir une page entiere ; comme jusqu’alors chaque livre de l’Ecriture étoit tout de suite dans les bibles latines, sans aucune division, il auroit fallu parcourir quelquefois tout un livre, avant de trouver ce qu’on vouloit ; si l’indice n’eût cité que le livre. Mais avec ces divisions & les subdivisions, on avoit d’abord l’endroit qu’on cherchoit. Les sections qu’il fit, sont nos chapitres, qu’on a trouvés si commodes, qu’on les a toujours conservés depuis. Dès que sa concordance parut, on en vit si bien l’utilité, que tout le monde voulut en avoir ; & pour en faire usage, il fallut mettre ses divisions à la bible qu’on avoit, autrement ses renvois si commodes n’auroient servi de rien. Voilà l’origine de nos chapitres, dont l’usage est universellement reçu par-tout où il y a des bibles dans l’Occident.

Il faut remarquer que la subdivision en versets, telle que nous l’avons aujourd’hui, n’étoit pas encore connue, car la subdivision de Hugues étoit d’une autre espece. Il partageoit sa section ou son chapitre en huit parties égales, quand il étoit long ; & quand il étoit court, en moins de parties ; & chacune de ces parties étoit marquée par les premieres lettres de l’alphabet en capitales à la marge ; A, B, C, D, E, F, G, à distance égale, l’une de l’autre. En un mot, la division de nos versets est une division plus moderne qui n’est venue parmi nous que quelques siécles après ; l’origine en est dûe aux juifs. Voici comment.

Vers l’an 1430, il y avoit parmi les juifs de l’Occident, un fameux rabbin, que les uns nomment rabbi Mardochée Nathan ; d’autres même lui donnent l’un & l’autre de ces noms, comme s’il avoit d’abord porté le premier, & ensuite l’autre. Ce rabbin ayant beaucoup de commerce avec les chrétiens, & entrant souvent en dispute avec leurs savans sur la religion, s’apperçut du grand service qu’ils tiroient de la concordance latine du cardinal Hugues, & avec quelle facilité, elle leur faisoit trouver les passages dont ils avoient besoin. Il goûta si fort cette invention, qu’il se mit aussi-tôt à en faire

une hébraïque, pour l’usage des juifs. Il commença cet ouvrage l’an 1438, & il fut achevé l’an 1445, de sorte qu’il y mit justement sept ans. Cet ouvrage ayant paru à-peu-près lorsque l’art d’imprimer fut trouvé, il s’en est fait depuis plusieurs impressions.

L’édition qu’en a donné Buxtorf le fils à Bâle, l’an 1632, est la meilleure, car son pere avoit beaucoup travaillé à la corriger & la rendre complette ; & le fils y ayant encore ajouté ses soins pour la perfectionner, il la publia alors avec tout ce que son pere & lui y avoient fait ; de sorte que c’est à bon droit qu’elle passe pour le meilleur ouvrage de cette espece. En effet, c’est un livre si utile à ceux qui veulent bien entendre le vieux Testament dans l’original, qu’on ne sauroit s’en passer ; outre que c’est la meilleure concordance ; c’est aussi le meilleur dictionnaire qu’on ait pour cette langue.

Rabbi Nathan, en composant ce livre, trouva qu’il étoit nécessaire de suivre la division des chapitres que le cardinal avoit introduite ; & cela produisit le même effet dans les bibles hébraïques, que l’autre avoit produit dans les latines ; c’est-à-dire que tous les exemplaires écrits ou imprimés pour les particuliers, l’ont adopté. Car sa concordance ayant été trouvée très-utile par ceux à l’usage de qui il la destinoit, il falloit bien qu’ils accommodassent leur bible à sa division, pour pouvoir en tirer cette utilité ; puisque c’étoit sur cette division qu’étoient faits les renvois de sa concordance ; ainsi les bibles hébraiques prirent aussi la division en chapitres. Mais Nathan qui avoit jusque-là suivi la méthode du cardinal, ne jugea pas à propos de la suivre pour la subdivision par ces lettres A, B, C, &c. à la marge. Il enchérit sur l’inventeur, & en imagina une bien meilleure qu’il a introduite, & c’est celle des versets.

Quoique nous ayons justifié que la distinction des versets soit fort ancienne, on ne s’étoit pas avisé jusqu’à Nathan, de mettre des nombres à ces versets. Ce fut ce savant rabbin qui le pratiqua le premier pour sa concordance. En effet, comme ses renvois rouloient tous sur le livre, le chapitre, & le verset, il falloit bien que les versets fussent marqués par ces nombres, aussi bien que les chapitres ; puisque ce n’étoit qu’à l’aide de ces nombres, qu’on trouvoit le passage qu’il falloit, comme on le voit dans des concordances angloises, & particulierement dans celle de Newman, qui est je crois la meilleure de toutes.

C’est donc Nathan qui est l’inventeur de la méthode généralement reçue à présent, de mettre des nombres aux versets des chapitres, & de citer par versets ; au lieu qu’avant lui, on n’indiquoit l’endroit du chapitre que par les lettres mises à égale distance à la marge. En cela il est original : dans tout le reste il n’a fait que suivre le cardinal Hugues. Il faut seulement observer, que pour ne pas trop charger sa marge, il se contentoit de marquer ses versets de cinq en cinq ; & c’est ainsi que cela s’est toujours pratiqué depuis dans les bibles hébraïques, jusqu’à l’édition d’Athias juif d’Amsterdam, qui dans deux belles & correctes éditions qu’il a données de la bible hébraïques en 1661 & en 1667 a fait deux changemens à l’ancienne maniere.

Premierement, comme les versets n’étoient que de cinq en cinq ; de sorte que pour trouver un verset entre deux, il falloit avoir la peine de compter entre ces deux nombres ; Athias a marqué tous les versets. Secondement, il a introduit aux versets nouvellement marqués, l’usage de nos chiffres communs qui nous sont venus des Indes, & n’a laissé les lettres hébraïques qui servent de chiffre, qu’à chaque cinquieme verset, comme elles y étoient auparavant. Au reste, de toutes les bibles hébraïques, cette seconde édition d’Athias est la plus correcte qui ait jamais paru