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elle : on traita son invocation de sacrilege : on ne crut pas qu’une vestale punie pour le fait d’incontinence, pût nommer la déesse sans crime : on envisagea cette action comme un second inceste ; le feu sacré ne parut pas moins violé sur le rocher, qu’il l’avoit été entre les autels : on regarda comme un surcroit de punition qu’elle n’eût pu mourir ; la providence des dieux, en la sauvant, la réservoit à un supplice plus cruel ; c’est envain qu’elle s’écrie que puisque sa cause n’a pu la garantir du supplice, le supplice du-moins doit la défendre contre sa propre cause. Quelle apparence que le ciel l’eût secourue si tard, si elle eût été innocente ? on veut enfin qu’elle ait violé le sacerdoce, sans quoi il seroit permis de dire que les dieux auroient eux-mêmes violé leur prêtresse.

Parmi les différens avis que Séneque avoit ramassés à cette occasion, il n’y en eut que très-peu de favorables à la vestale. Mais si cet exemple de châtiment, dans la bouche d’un déclamateur, ne tire point à conséquence pour établir les especes de supplices qui servoient à la punition des vestales, du moins nous découvre t-il dans quel esprit, & avec quelle prévention les Romains regardoient en elles le crime d’incontinence, & jusqu’où ils poussoient la sévérité à cet égard. Domitien châtie diversement quelques-unes de ces malheureuses filles ; il laissa à deux sœurs de la maison des Ocellates, la liberté de choisir leur genre de mort.

C’est à Tarquin, qui avoit déja fait quelques changemens dans l’ordre des vestales, que l’on rapporte l’institution du supplice dont on les punissoit ordinairement, & qui consistoit à les enterrer vives. La Terre & Vesta n’étoient qu’une même divinité ; celle qui a violé la Terre, disoit-on, doit être enterrée toute vivante sous la terre.

Quam violavit, in illa
Conditur, & Tellus Vestaque numen idem est.

Le jour de l’exécution étant venu, toutes les affaires tant publiques que particulieres étoient interrompues, toute la ville étoit dans l’appréhension & dans le mouvement ; toutes les femmes étoient éperdues, le peuple s’amassoit, de tous côtés & se trouvoit entre la crainte & l’espérance sur le affaires de l’empire, dont il attachoit le bon & le mauvais succès au supplice de la vestale, selon qu’elle étoit bien ou mal jugée. Le grand prêtre, suivi des autres pontifes, se rendoit au temple de Vesta ; là, il dépouilloit la vestale coupable de ses ornemens sacrés, qu’il lui ôtoit l’un après l’autre sans cérémonie réligieuse, & il lui en présentoit quelques-uns qu’elle baisoit.

Ultima virgineis tum flens dedit oscula vittis.

C’est alors que sa douleur, ses larmes, souvent sa jeunesse & sa beauté, l’approche du supplice, l’espece du crime peut-être, excitoient des sentimens de compassion, qui pouvoient balancer dans quelques-uns les intérêts de l’état & de la religion. Quoi qu’il en soit, on l’étendoit dans une espece de biere, où elle étoit liée & enveloppée de façon que ses cris auroient eu de la peine à se faire entendre, & on la conduisoit dans cet état depuis la maison de Vesta, jusqu’à la porte Colline, auprès de laquelle, en dedans de la ville, étoit une bute ou éminence qui s’étendoit en long, & qui étoit destinée à ces sortes d’exécutions ; on l’appelloit à cet effet, le champ exécrable, agger & sceleratus campus : il faisoit partie de cette levée qui avoit été construite par Tarquin, & que Pline traite d’ouvrage merveilleux, mais dont le terrein, par une bisarrerie de la fortune, servoit à la plûpart des jeux & des spectacles populaires, aussi-bien qu’à la cruelle inhumation de ces vierges impures.

Le chemin du temple de Vesta à la porte Colline étoit assez long, la vestale devoit passer par plusieurs rues, & par la grande place. Le peuple, selon Plutarque, accouroit de tous côtés à ce triste spectacle, & cependant il en craignoit la rencontre & se détournoit du chemin ; les uns suivoient de loin, & tous gardoient un silence morne & profond. Denis d’Halycarnasse admet à ce convoi funeste les parens & les amis de la vestale ; ils la suivoient, dit-il, avec larmes, & lorsqu’elle étoit arrivée au lieu du supplice, l’exécuteur ouvroit la bierre, & délioit la vestale. Le pontife, selon Plutarque, levoit les mains vers le ciel, adressoit aux dieux une priere secrete, qui apparemment regardoit l’honneur de l’empire qui venoit d’être exposé par l’incontince de la vestale ; ensuite il la tiroit lui-même, cachée sous des voiles, & la menoit jusqu’à l’échelle qui descendoit dans la fosse où elle devoit être enterrée vive. Alors il la livroit à l’exécuteur, après quoi il lui tournoit le dos, & se retiroit brusquement avec les autres pontifes.

Cette fosse formoit une espece de caveau ou de chambre creusée assez avant dans la terre : on y mettoit du pain, de l’eau, du lait, & de l’huile : on y allumoit une lampe, on y dressoit une espece de lit au fond. Ces commodités & ces provisions étoient mystérieuses, on cherchoit à sauver l’honneur de la religion jusque dans la punition de la vestale, & on croyoit par-là se mettre à portée de pouvoir dire qu’elle se laissoit mourir elle-même. Sitôt qu’elle étoit descendue, on retiroit l’échelle, & alors avec précipitation, & à force de terre, on combloit l’ouverture de la fosse au niveau du reste de la levée.

Sanguine adhuc vivo terram subituræ sacerdos.

Etoit-elle de-bout, assise, ou couchée sur l’espece de lit dont nous venons de parler ; c’est ce qui ne se décide pas clairement. Juste Lipse, sur ces paroles, lectulo posito, semble décider pour cette derniere position.

Tel étoit le supplice des vestales. Leur mort devenoit un evénement considérable par toutes les circonstances dont elle étoit accompagnée ; elle se trouvoit liée par la superstition à une infinité de grands événemens, qui en étoient regardés comme la suite. Sous le consulat de Pinarius & de Furius, le peuple, dit Denis d’Halycarnasse, fut frappé d’une infinité de prodiges que les devins rejetterent sur les dispositions criminelles avec lesquelles s’exerçoit le ministere des autels. Les femmes se trouverent affligées d’une maladie contagieuse, & sur-tout les femmes grosses ; elles accouchoient d’enfants morts, & périssoient avec leur fruit ; les prieres, les sacrifices, les expiations, rien n’appaisoit la colere du ciel ; dans cette extrémité, un esclave accusa la vestale Urbinia de sacrifier aux dieux pour le peuple, avec un corps impur. On l’arracha des autels, & ayant été mise en jugement, elle fut convaincue & punie du dernier supplice.

Il paroît qu’en recueillant les noms de ces malheureuses filles, qui se trouvent répandus en differens auteurs, quelque modique que paroisse ce nombre, on peut s’y réduire avec confiance, & arrêter là ses recherches. Ce n’est pas qu’on veuille assurer que le nombre des libertines n’ait été plus grand, mais à quelques esclaves près, les délateurs étoient rares, & le caractere des vestales trouvoit de la protection.

Voici les noms des vestales qui furent condamnées, & que l’histoire nous a conservés. Pinaria, Popilia, Oppia, Minutia, Sextilia, Opimia, Floronia, Caparonia, Urbinia, Cornelia, Marcia, Licinia, Emilia, Mucia, Veronilla, & deux sœurs de la maison des Ocellates. Quelques-unes d’entre-elles eurent le choix de leur supplice, d’autres le prévinrent, & trouverent le moyen de s’évader ou de se donner la