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mort. Caparonia se pendit, au rapport d’Eutrope ; Floronia se tua cruellement. Ce dernier parti fut pris par quelques-uns de ceux qui les avoient débauchées. L’amant d’Urbinia, selon Denis d’Halicarnasse, n’attendit pas les poursuites du pontife, il se hâta de s’ôter lui-même la vie.

Depuis l’établissement de l’ordre des vestales, jusqu’à sa décadence, c’est-à-dire depuis Numa Pompilius jusqu’à Théodose, il s’est passé au rapport des chronologistes environ mille ans. L’esprit embrasse facilement ce long espace de tems, & le même coup d’œil venant à se porter sur tous les supplices des vestales, & à les rapprocher en quelque sorte les uns des autres, on se forme une image effrayante de la sévérité des Romains à cet égard ; mais en examinant les faits plus exactement, & en les plaçant chacun dans leur tems, peut-être étoit-ce beaucoup si chaque siecle se trouvoit chargé d’un événement si terrible, dont l’exemple ne se renouvella vraissemblablement que pour sauver encore aux yeux du peuple, l’honneur des lois & de la religion.

L’ordre des vestales étoit monté du tems des empereurs au plus haut point de considération où il pût parvenir ; il n’y avoit plus pour elles qu’à en descendre par ce droit éternel des révolutions qui entraînent les empires & les religions.

Le christianisme qui avoit long-tems gémi sous les empereurs attachés au culte des dieux, devint triomphant à son tour. La religion monta pour ainsi dire sur le trône avec les souverains, & le zele qu’elle leur inspira, succéda à celui qui avoit animé contre elle leurs prédécesseurs : on se porta par degrés à la destruction de l’idolatrie : on ne renversa d’abord que certains temples : on interrompit ensuite les sacrifices, l’auguration, les dédicaces, & enfin on mutila les idoles qui avoient été les plus respectées.

L’honneur du paganisme n’étoit plus qu’entre les mains des vestales ; un préjugé antique fondé sur une infinité de circonstances singulieres, continuoit à imposer de leur part ; le respect des dieux s’affoiblissoit, & la vénération pour la personne des vestales, subsistoit encore : on n’osoit les attaquer dans l’exercice de leurs mysteres ; le sénat ne se fût pas rendu volontiers aux intentions du prince, il fallut le tâter long tems, & le préparer par quelque entreprise d’éclat.

Sous l’empire de Gratien, les vestales n’attendirent plus de ménagement de la part des chrétiens, quand elles virent que ce prince avoit démoli l’autel de la Victoire, qu’il se fut saisi des revenus destinés à l’entretien des sacrifices, & qu’il eut aboli les privileges & les immunités qui étoient attachés à cet autel, elles crurent bien qu’il n’en demeureroit pas là. L’événement justifia leur crainte, Gratien cassa leurs privileges ; il ordonna que le fisc se saisiroit des terres qui leur étoient léguées par les testamens des particuliers. La rigueur de ces ordonnances leur étoit commune avec tous les autres ministres de l’ancienne religion. Ceux des sénateurs qui étoient encore attachés au paganisme, en murmurerent publiquement ; ils voulurent porter leurs plaintes au nom du sénat : Symmaque fut député vers l’empereur, mais on lui refusa l’audience ; il fut obligé de s’en tenir à une requête très-bien dressée, dont saint Ambroise empêcha le succès.

A peine les ordonnances de Gratien contre les prêtresses de Vesta, avoient-elles été exécutées, que Rome se trouva affligée de la famine. On ne manqua pas de l’attribuer à l’abolition des privileges des vestales ; les peres s’appliquerent à combattre les raisonnemens qu’on fit à cet égard, & vinrent à bout d’éluder les remontrances de Symmaque. Il osa noblement représenter aux empereurs qu’il y auroit plus de décence pour eux à prendre sur le fisc, sur les dé-

pouilles des ennemis, que sur la subsistance des vestales ; mais toutes ses représentations ne servirent

qu’à montrer une fermeté dangereuse dans un homme tel que lui. Il sentoit bien qu’on vouloit perdre les vestales ; elles étoient prêtes à se réduire au titre seul de leurs privileges, & à accepter les plus dures conditions, pourvu qu’on les laissât libres dans leurs mysteres.

L’opposition des nouveaux établissemens qui paroissoient ne vouloir se maintenir que par la singularité des vertus, entraînoit insensiblement le goût du peuple, & le détachoit de toute autre considération. L’ambition, & peut-être encore auri sacra fames, acheverent les progrès de la religion chrétienne. Les dépouilles des ministres de l’ancienne religion étoient devenues des objets très-considérables, de sorte qu’au rapport d’Ammien Marcellin, le luxe des nouveaux pontifes égala bientôt l’opulence des rois.

Sous le regne de Théodose, & sous celui de ses enfans, on porta le dernier coup au sacerdoce payen par la confiscation des revenus. La disposition qui en fut faite, est clairement énoncée dans une des constitutions impériales, où Théodose & Honorius joignent à leur domaine tous les fonds destinés à l’entretien des sacrifices, confirment les particuliers dans les dons qui leur ont été faits, tant par eux-mêmes que par leurs prédécesseurs, & assurent à l’église chrétienne la possession des biens qui lui avoient été accordés par des arrêts.

Les vestales traînerent encore quelque tems dans l’indigence & dans la douleur, les débris de leur considération.

L’ordre s’en étoit établi dès la fondation de Rome ; l’accroissement de ses honneurs avoit suivi le progrès de la puissance romaine ; il s’étoit maintenu pendant long-tems avec dignité, sa chûte même eut quelque chose d’illustre. Elle fut le prélude de la ruine & de la dispersion de la plus célebre nation du monde, comme si les destinées eussent réglé le cours de l’un par la durée de l’autre, & que le feu sacré de Vesta eût dû être regardé comme l’ame de l’empire romain.

Il est vrai que nous avons dans le christianisme plusieurs filles vierges nommées religieuses, & qui sont consacrées au service de Dieu ; mais aucun de leurs ordres ne répond à celui des vestales : la différence à tous égards est bien démontrée.

Nos religieuses detenues dans des couvens, forment une classe de vierges des plus nombreuses ; elles sont pauvres, recluses, ne vont point dans le monde, ne sont point dotées, n’héritent, ne disposent d’aucun bien, ne jouissent d’aucune distinction personnelle, & ne peuvent enfin ni se marier, ni changer d’état.

L’ordre des vestales de tout l’empire romain n’étoit composé que de six vierges. Le souverain pontife se montroit fort difficile dans leur réception ; & comme il falloit qu’elles n’eussent point de défaut naturel, le choix tomboit conséquemment sur les jeunes filles douées de quelque beauté. Richement dotées des deniers publics, elles étoient encore majeures avant l’âge ordinaire, habiles à succéder, & pouvoient tester de la dot qu’elles avoient apportée à la maison.

Elles sortoient nécessairement de l’ordre avant l’âge de 40 ans, & avoient alors la liberté de se marier. Pendant leur état de vestale, elles n’avoient d’autres soins que de garder tour-à-tour le feu de Vesta ; & cette garde ne les gênoit guere. Leurs fêtes étoient autant de jours de triomphe. Elles vivoient d’ailleurs dans le grand monde avec magnificence. Elles étoient placées avec la premiere distinction, à toutes les especes de jeux publics ; & le sénat crut honorer Livie de lui donner rang dans le banc des vestales, toutes les fois qu’elle assisteroit aux spectacles.