Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 17.djvu/256

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les poëtes trouvoient là tous les jours un auditoire à leur gré, pour y débiter les fruits de leurs muses. La disposition même du lieu étoit favorable à la déclamation. Tout citoyen quel qu’il fût, manquoit rarement aux bains. On ne s’en abstenoit guere que par paresse & par nonchalance, si l’on n’étoit obligé de s’en abstenir par le deuil public ou particulier.

Horace qui fait une peinture si naive de la maniere libre dont il passoit sa journée, se donne à lui-même cet air d’homme dérangé qu’il blame dans les autres poëtes, & marque assez qu’il se soucioit peu du bain.

Secreta petit loca, balnea vitat.

La mode ni les bienséances ne me gênent point, dit-il, je vais tout seul où il me prend envie d’aller, je passe quelquefois par la halle, & je m’informe de ce que coutent le blé & les légumes. Je me promene vers le soir dans le cirque & dans la grande place, & je m’arrête a écouter un diseur de bonne avanture, qui débite ses visions aux curieux de l’avenir. De-là je viens chez moi, je fais un souper frugal, après lequel je me couche & dors sans aucune inquiétude du lendemain. Je demeure au lit jusqu’à la quatrieme heure du jour, c’est-à-dire jusqu’à dix heures, &c.

Vers les quatre heures après-midi que les Romains nommoient la dixieme heure du jour, on alloit souper. Ce repas laissoit du tems pour se promener & pour vaquer à des soins domestiques. Le maître passoit sa famille & ses affaires en revue, & finalement alloit se coucher. Ainsi finissoit la journée romaine. (D. J.)

Vies, (Histoire.) on appelle vies, des histoires qui se bornent à la vie d’un seul homme, & dans lesquelles on s’arrête autant sur les détails de sa conduite particuliere, que sur le maniement des affaires publiques, s’il s’agit d’un prince ou d’un homme d’état.

Les anciens avoient un goût particulier pour écrire des vies. Pleins de respect & de reconnoissance pour les hommes illustres, & considérant d’ailleurs que le souvenir honorable que les morts laissent après eux, est le seul bien qui leur reste sur la terre qu’ils ont quittée, ils se faisoient un plaisir & un devoir de leur assurer ce foible avantage. Je prendrois les armes, disoit Cicéron, pour défendre la gloire des morts illustres, comme ils les ont prises pour défendre la vie des citoyens. Ce sont des leçons immortelles, des exemples de vertu consacrés au genre humain. Les portraits & les statues qui représentent les traits corporels des grands hommes, sont renfermés dans les maisons de leurs enfans, & exposés aux yeux d’un petit nombre d’amis ; les éloges placés par des plumes habiles représentent l’ame même & les sentimens vertueux. Ils se multiplient sans peine ; ils passent dans toutes les langues, volent dans tous les lieux, & servent de maîtres dans tous les tems.

Cornelius Nepos, Suétone & Plutarque ont préféré ce genre de récit aux histoires de longue haleine. Ils peignent leurs héros dans tous les détails de la vie, & attachent surtout l’esprit de ceux qui cherchent à connoître l’homme. Plutarque en particulier a pris un plan également étendu & intéressant. Il met en parallele les hommes qui ont brillé dans le même genre. Chez lui Cicéron figure à côté de Démosthène, Annibal à côté de Scipion. Il me peint tour-à-tour les mortels les plus éminens de la Grece & de Rome ; il m’instruit par ses réflexions, m’étonne par son grand sens, m’enchante par sa philosophie vertueuse, & me charme par ses citations poétiques, qui, comme autant de fleurs, émaillent ses écrits d’une agréable variété.

« Il me fait converser délicieusement dans ma retraite gaie, saine & solitaire, avec ces morts illustres, ces sages de l’antiquité révérés comme des dieux, bienfaisans comme eux, héros donnés à

l’humanité pour le bonheur des arts, des armes & de la civilisation. Concentré dans ces pensées motrices de l’inspiration, le volume antique me tombe des mains ; & méditant profondément, je crois voir s’élever lentement, & passer devant mes yeux surpris ces ombres sacrées, objets de ma vénération.

« Socrate d’abord, demeure seul vertueux dans un état corrompu ; seul ferme & invincible, il brava la rage des tyrans, sans craindre pour la vie ni pour la mort, & ne connoissant d’autres maîtres que les saintes lois d’une raison calme, cette voix de Dieu qui retentit intérieurement à la conscience attentive.

« Solon, le grand oracle de la morale, établit sa république sur la vaste base de l’équité ; il sut par des lois douces réprimer un peuple fougueux, lui conserver tout son courage & ce feu vif par lequel il devint si supérieur dans le champ glorieux des lauriers, des beaux arts & de la noble liberté, & qui le rendit enfin l’admiration de la Grece & du genre humain.

« Lycurgue, cette espece de demi-dieu, sévérement sage, qui plia toutes les passions sous le joug de la discipline, ôta par son génie la pudeur à la chasteté, choqua tous les usages, confondit toutes les vertus, & mena Sparte au plus haut degré de grandeur & de gloire.

« Après lui s’offre à mon esprit Léonidas, ce chef intrépide, qui s’étant dévoué pour la patrie, tomba glorieusement aux Thermopiles, & pratiqua ce que l’autre n’avoit qu’enseigné.

« Aristide leve son front où brille la candeur, cœur vraiment pur, à qui la voix sincere de la liberté, donna le grand nom de juste : respecté dans sa pauvreté sainte & majestueuse, il soumit au bien de sa patrie, jusqu’à sa propre gloire, & accrut la réputation de Thémistocle, son rival orgueilleux.

« J’apperçois Cimon son disciple couronné d’un rayon plus doux ; son génie s’élevant avec force, repoussa au loin la molle volupté : au-dehors il fut le fléau de l’orgueil des Perses ; au-dedans il étoit l’ami du mérite & des arts ; modeste & simple au milieu de la pompe & de la richesse.

« Périclès, tyran désarmé, rival de Cimon, subjugua sa patrie par son éloquence, l’embellit de cent merveilles ; & après un gouvernement heureux, finit ses jours de triomphe, en se consolant de n’avoir fait prendre le manteau noir à aucun citoyen.

« Je vois ensuite paroître & marcher pensifs, les derniers hommes de la Grece sur son déclin, héros appellés trop tard à la gloire, & venus dans des tems malheureux : Timoléon, l’honneur de Corinthe, homme heureusement né, également doux & ferme, & dont la haute générosité pleure son frere dans le tyran qu’il immole.

« Pélopidas & Epaminondas, ces deux thébains égaux aux meilleurs, dont l’héroïsme combiné éleva leur pays à la liberté, à l’empire, & à la renommée.

« Le grand Phocion, dans le tombeau duquel l’honneur des Athéniens fut enseveli ; Severe comme l’homme public, inexorable au vice, inébranlable dans la vertu ; mais sous son toit illustre, quoique bas, la paix & la sagesse heureuse adoucissoient son front ; l’amitié ne pouvoit être plus douce, ni l’amour plus tendre.

« Agis le dernier des fils du vieux Lycurgue, fut la généreuse victime de l’entreprise, toujours vaine de sauver un état corrompu ; il vit Sparte même perdue dans l’avarice servile.

« Les deux freres achaiens fermerent la scène :