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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 17.djvu/263

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On vit alors un de ces spectacles qui sont faits pour instruire les souverains & attendrir les peuples, lors même que les souverains n’ont pas mérité leur tendresse. Léopold, le plus puissant empereur depuis Charles-quint, fuyant de sa capitale avec l’impératrice sa belle-mere, l’impératrice sa femme, les archiducs, les archiduchesses, une moitié des habitans suivant la cour en désordre. La campagne n’offroit que des fugitifs, des équipages, des chariots chargés de meubles jusqu’à Lintz, capitale de la haute Autriche.

Cette ville où l’on portoit la frayeur, ne parut pas encore un asyle assuré ; il fallut se sauver à Passaw : on coucha la premiere nuit dans un bois où l’impératrice, dans une grossesse avancée, apprit qu’on pouvoit reposer sur de la paille à cause de la terreur. Dans les horreurs de cette nuit on appercevoit la flamme qui consumoit la basse-Hongrie, & s’avançoit vers l’Autriche.

L’empereur, dès les premiers excès de cette irruption, payoit bien cher ses violences contre la Hongrie, & le sang de ses seigneurs qu’il avoit répandu. Il n’avoit pu se persuader que Kara Mustapha laissant derriere lui plusieurs bonnes places, telles que Raab & Comore, se portât sur Vienne : Jean Sobieski mieux instruit, comme le sont toujours les princes qui font la guerre par eux-mêmes, l’en avoit inutilement averti.

Vienne étoit devenue sous dix empereurs consécutifs de la maison d’Autriche, la capitale de l’empire romain en occident ; mais bien différente de l’ancienne Rome pour la grandeur en tout genre, & pour le nombre des citoyens, elle n’en comptoit que cent mille, dont les deux tiers habitoient des fauxbourgs sans défense. Soliman avoit été le premier des empereurs turcs qu’on eut vu marcher à Vienne, en 1529, faisant trembler à-la-fois l’Europe & l’Asie ; mais il n’osa se commettre contre Charle-quint qui venoit au secours avec une armée de quatre-vingt mille hommes. Kara Mustapha qui ne voyoit qu’une poignée d’ennemis, se flattoit d’être plus heureux, & il commença sans crainte le siege de cette ville. Les Allemands sont braves sans doute, mais ils ne se sont jamais présentés aux portes de Constantinople, comme les Turcs à celles de Vienne.

Le comte de Staremberg, homme de tête & d’expérience, gouverneur de la ville, avoit mis le feu aux fauxbourgs : cruelle nécessité, quand il faut brûler les maisons des citoyens qu’on veut défendre ! Il n’avoit qu’une garnison de seize mille hommes. On arma les étudians, & ils eurent un médecin pour major.

Cependant le siege se poussoit avec vigueur. L’ennemi s’empara de la contrescarpe après vingt-trois jours de combat ; l’espérance de tenir encore longtems diminua. Les mines des Turcs, leurs attaques continuelles, la garnison qui se détruisoit, les vivres qui s’épuisoient, tout donnoit la plus vive inquiétude. On s’occupoit sans cesse à éteindre le feu que les bombes & les boulets rouges portoient dans la ville, tandis que les dehors tomboient en éclats.

Dans cette conjoncture désesperée Sobieski arrive avec son armée à cinq lieues au-dessus de Vienne. L’électeur de Baviere âgé de dix-huit ans, amenoit douze mille hommes. L’électeur de Saxe en conduisoit dix mille. Toute l’armée chrétienne composoit environ soixante & quatorze mille hommes ; Sobieski délivra l’ordre de bataille, & après avoir examiné les dispositions de Kara Mustapha, il dit aux généraux allemands : « cet homme est mal campé, c’est un ignorant dans le métier de la guerre ; nous le battrons certainement ». Il prophétisa juste ; la plaine qu’occupoient les Turcs, devint le théatre d’un triomphe que la postérité aura peine à croire.

Le butin fut immense ; les Allemands & les Polonois s’enrichirent. On retourna contre les janissaires qui étoient restés dans les travaux du siege ; on ne les trouva plus, & Vienne fut libre.

Cette ville au reste n’est pas la ville d’Allemagne la plus féconde en hommes de lettres, & il ne seroit pas difficile d’en découvrir la raison. Cette ville a seulement produit quelques historiographes, & c’est à-peu-près tout.

Je mets Gualdo (Galéasso) au nombre des historiens originaires de Vienne. Il a décrit en seize livres les guerres des empereurs d’Allemagne, depuis 1630 jusqu’en 1640. Cet ouvrage parut à Boulogne en 1641, à Genève en 1643, & à Venise en 1644 ; mais depuis ce tems-là il est tombé dans l’oubli.

Inchofer (Melchior) né à Vienne l’an 1584, entra dans la société des jésuites en 1607, & mourut en 1648. Il a donné un volume des annales ecclésiastiques du royaume d’Hongrie, & publia en 1630 un livre dans lequel il soutint que la lettre de la bienheureuse vierge Marie au peuple de Messine est très authentique. On lui attribue un mémoire sur la réformation de son ordre. On le croit aussi généralement auteur d’un livre contre le gouvernement des jésuites, intitulé Monarchia solypsoram. Ce livre a été publié en Hollande en 1648 avec une clé des noms déguisés. On en a une traduction françoise imprimée en 1722 avec des notes & quelques pieces sur le même sujet. Ses autres ouvrages ont fait moins de rumeur. On trouve en général assez d’érudition dans ses écrits, mais beaucoup de crédulité, peu de choix & de critique.

L’empereur Léopold est mort à Vienne en 1705. « Ce prince né vertueux étoit sans talens ; l’ambition qui régla toutes ses démarches, étoit plutôt une passion du conseil de Vienne, qu’une passion qui lui fût propre. L’empereur son fils hérita de ses ministres, comme de ses domaines & de ses dignités ; & son conseil continua d’agir sous son nom, comme il avoit fait sous le nom de Léopold ». (Le Chevalier de Jaucourt.)

Vienne, (Géog. mod.) ville de France, dans le Dauphiné, sur le bord oriental du Rhône, à 5 lieues au midi & au dessous de Lyon, à 15 au nord-ouest de Grenoble, & à 108 au sud-est de Paris.

Cette ville est dans une vilaine situation, resserrée par des montagnes qui semblent la vouloir noyer dans le Rhône ; d’ailleurs il faut toujours monter ou descendre ; les rues sont étroites, mal percées, & les maisons mal bâties. La métropole est un ouvrage gothique. L’archevêché de Vienne est fort ancien ; car du tems d’Eusebe, Lyon & Vienne étoient les deux plus illustres métropoles des Gaules.

L’archevêque de cette ville prend conséquemment le titre de primat des Gaules, & a pour suffragans les évêques de Valence, de Die, de Grenoble, de Viviers, &c. Son revenu est d’environ vingt-quatre mille livres. Le chapitre est composé de vingt chanoines, au nombre desquels les dauphins se faisoient autrefois aggréger.

Outre le chapitre de l’église métropolitaine, il y en a trois autres à Vienne ; celui de S. Pierre est composé d’un abbé & de vingt-quatre chanoines, qui sont obligés de faire preuve de noblesse de trois quartiers. Vienne ne manque pas d’autres églises ni de couvens. Les peres de l’oratoire ont le séminaire.

Le quinzieme concile général s’est tenu dans cette ville l’an 1311, par ordre de Clément V. pour la suppression de l’ordre des Templiers. Philippe le bel qui poursuivoit cette suppression, se rendit à Vienne accompagné de son frere & de ses trois fils, dont l’ainé étoit roi de Navarre.

Le commerce de cette ville est peu de chose ; il consiste en vins & soies. Des ouvriers allemands y