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le liquide, va à fond, & emporte avec elle, comme une espece de filet, toutes les parties hétérogenes qu’elle a rencontrées dans son chemin. Mais quand le vin est extrèmement fort, de façon que sa gravité spécifique se trouve plus considérable que la masse formée par le blanc d’œuf, ou la colle de poisson jointe avec la lie, cette masse s’eleve à la surface & flotte sur le vin, ce qui produit le même effet.

Le principal inconvénient de cette méthode est sa lenteur ; car il lui faut une semaine au moins, pour avoir son effet, & quelquefois quinze jours, selon que le tems se trouve plus ou moins favorable, nébuleux, clair, venteux ou calme, ce qui pourroit être la matiere d’une observation suivie ; mais les marchands de vin auroient souvent besoin d’un procédé qui rendit leurs vins propres à être bûs en très-peu d’heures ; il y en a certainement un lequel n’est connu que d’un petit nombre de personnes qui en font un très-grand secret : peut-être ne dépend-il que de l’usage prudent d’un esprit-de-vin tartarisé joint aux substances ordinaires propres à la clarification. Ces substances n’y servent même que d’accessoire, & on leur ajoute du gypse ou de l’albâtre calciné, comme le principal agent : on remue bien le tout ensemble dans le vin pendant une demi-heure, après quoi on le laisse reposer.

On peut employer de même le lait écumé pour clarifier tous les vins blancs, les eaux-de-vie d’Arrack & les esprits-de-vin foibles ; mais on ne peut pas s’en servir pour les vins rouges, parce qu’il leur enleve leur couleur. Ainsi en mettant quelques pintes de lait bien écumé dans un muid de vin rouge, il précipitera aussi-tôt la plus grande partie de sa couleur, & la liqueur deviendra beaucoup plus pâle, ou même plus blanche. C’est par cette raison qu’on fait quelquefois usage de ce procédé pour convertir en vin blanc du vin rouge qui est trop piquant, parce que ce petit degré d’acidité ne s’y apperçoit pas tant. Cette propriété du lait sert encore pour les vins blancs, à qui le tonneau a communiqué une couleur brune, ou qu’on a fait bouillir promptement avant qu’ils eussent fermenté ; car dans ce cas, l’addition d’un peu de lait écumé, précipite aussi-tôt la couleur brune, & rend le vin presque limpide, on lui donne ce que les marchands de vin appellent une blancheur d’eau. Cette limpidité est ce qu’on desire le plus dans les pays étrangers, tant dans les vins blancs que dans les eaux-de-vie.

Il est à propos d’observer ici que tous les vins, les liqueurs maltées, & les vinaigres qui ont été faits avec soin, & dont la qualité est parfaite dans leur espece, se clarifient d’eux-mêmes en les laissant simplement en repos : s’ils ne s’éclaircissent pas dans une espace de tems raisonnable, c’est une marque qu’ils se gâtent, c’est-à-dire qu’ils sont trop aqueux, ou trop acides, ou trop alkalins, ou qu’ils tendent à la putréfaction, ou qu’ils ont quelqu’autre défaut semblable. Tous ces cas peuvent proprement s’appeller les maladies des vins, dont nous parlerons. Il y a des remedes convenables pour ces maladies, qu’il faut employer, afin qu’ils se clarifient ensuite naturellement.

Des moyens de colorer les vins en rouge. Voici la méthode de colorer, sans employer d’autres vins, les vins blancs en vins rouges, & de redonner de la couleur aux vins rouges qui l’ont perdue par la trop grande vieillesse.

Prenez quatre onces de ce qu’on appelle communément drapeau de tournesol ; mettez-les dans un vaisseau de terre, versez dessus une pinte d’eau bouillante, couvrez bien le vaisseau, & laissez-le refroidir : après cela passez la liqueur dans un filtre, vous la trouverez d’un rouge très-foncé, tirant un peu sur le pourpre ; en mêlant une petite portion de cette

liqueur dans un grande quantité de vin blanc, elle lui communiquera une belle couleur rouge brillante.

On peut mêler cette teinture avec de l’eau-de-vie ou avec du sucre, pour en faire un sirop propre à être conservé. Le procédé ordinaire des marchands de vin en gros & des cabaretiers est de faire infuser ces drapeaux à froid dans le vin qu’ils veulent colorer, pendant l’espace d’une nuit au plus : alors ils les tordent avec les mains. Mais l’inconvénient de cette méthode est qu’elle donne au vin un goût desagréable, ou ce qu’on appelle vulgairement le goût de drapeau. Par cette raison, les vins colorés passent ordinairement parmi les connoisseurs pour des vins pressés. En effet ils ont tous généralement le goût de drapeau.

La méthode de faire infuser les drapeaux dans de l’eau bouillante n’est pas sujette à cet inconvénient, parce que l’eau se charge de l’excès de la teinture qui pourroit préjudicier au vin. Si l’on en fait un sirop ou qu’on la mêle avec de l’eau-de-vie, il en résulte le même effet, parce que la couleur est délayée ou affoiblie ; par ce moyen il n’y a qu’une très-petite portion de cette couleur (la juste dose dont on a besoin) qui soit employée avec une très-grande quantité des autres substances qu’on y ajoute.

On voit partout ce que nous venons de dire, que la méthode de colorer les vins est sujette à de grands inconvéniens dans les climats qui ne fournissent point de ce raisin rouge, qui donne un jus couleur de sang, dont on se sert souvent pour teindre les vins de France. A son défaut, les marchands de vins font quelquefois usage du suc de baie de sureau ou de bois de campêche à Oporto, quand leurs vins ne sont pas naturellement assez rouges, car il semble qu’il faut qu’ils ayent cette couleur pour pouvoir les vendre.

La couleur qu’on obtient par le moyen de notre expérience n’est pas proprement celle du vin d’Oporto, mais celle des vins de Bordeaux : elle ne convient pas si bien aux vins de Portugal ; aussi les marchands de vins des pays étrangers sont-ils souvent fort embarrassés, faute de couleur qui soit propre à leurs vins rouges dans les mauvaises années. Nous leur conseillons dans ce cas de faire usage d’un extrait, en faisant bouillir un bâton de laque dans l’eau : il donne à l’eau une belle couleur rouge qui n’est pas fort chere, & qui peut être la véritable couleur du vin d’Oporto. Si cette méthode ne leur réussit pas, on pourroit essayer de faire une espece de laque avec des raisins de teinte. La cochenille pourroit encore être employée à cet usage, quoiqu’elle perde cependant un peu de sa couleur lorsqu’on la mêle avec des vins acides. Les baies de sureau donnent une couleur assez passable, mais elles communiquent aux vins une odeur desagréable.

Le procédé de cette expérience réussiroit toujours très-bien, si l’on pouvoit avoir la couleur pure, ou qu’on la mît dans les tonneaux sans le drapeau qui l’accompagne ; car il est très-aisé d’éteindre sa grande vivacité ou sa couleur pourpre par l’addition d’un peu de sucre brûlé, de rob de prunelle sauvage, de rob de chêne, de rob de vin, ou de quelqu’autre couleur approchante de celle du tan, pour imiter la vraie couleur du vin d’Oporto.

De la concentration des vins par la gelée. Un art moins connu & très-curieux est celui de concentrer par la gelée des vins, des vinaigres & des liqueurs fortes faites avec le malt ; & par cette concentration ou condensation on vient à bout de perfectionner ces sortes de liqueurs potables ; en voici la méthode selon quelques curieux.

Prenez une pinte de vin rouge ordinaire d’Oporto, mettez-la dans une bouteille plate bien bouchée, placez ensuite cette bouteille dans un mélange