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jusqu’ici avec assez de foin jusqu’où pouvoit s’étendre cette méthode de recomposition.

Procédé pour réduire les sucs des végétaux dans un état propre à fournir du vin. Passons à la méthode de réduire les sucs des végétaux dans un état propre à fournir du vin, du vinaigre, de l’eau-de-vie ; à faire du moût ou du vin doux, aussi bon que le naturel, capable de fermenter à volonté, de bouillir, & de se clarifier de maniere à pouvoir en faire du vin, du vinaigre & des esprits inflammables.

Prenez trois livres de sucre blanc en pain, bien épuré de son sirop ; faites-les fondre dans trois pintes d’eau pure ; ajoutez-y ensuite, lorsqu’elle bouillira, une demi once de bon tartre de vin du Rhin pulvérisé : il s’y dissoudra bientôt avec une effervescence marquée, & communiquera à la liqueur une acidité agréable : ôtez pour lors de dessus le feu le vaisseau qui la contiendra, & laissez-la refroidir. Vous aurez par ce procédé un moût qui à tous égards sera parfaitement semblable au suc naturel & doux d’un raisin blanc qui n’auroit point d’odeur. Après que ce suc a été bien purifié & soutiré plusieurs fois de son sédiment, si l’on falsifioit ce moût artificiel, c’est-à-dire qu’on le mutât, ou qu’on le fumât avec du sucre brûlant, il feroit un moût parfait auquel l’artiste pourroit donner l’odeur & le goût qu’il voudroit.

Cette expérience est si importante, qu’elle mériteroit presque un traité exprès pour expliquer les usages auxquels elle peut être propre. Elle fournit un grand nombre d’instructions pour perfectionner l’art de faire l’hydromel, le moût, le vin, le vinaigre & les esprits inflammables. Elle nous en donne aussi de très-utiles pour connoître la nature des sucs doux & aigres des végétaux, & la façon de les imiter par le moyen de l’art.

Cette expérience fut d’abord faite d’après l’analyse du suc du raisin avant qu’il eût fermenté. Ce suc ne paroît aux sens qu’une substance sucrée, dissoute dans l’eau avec l’addition d’un acide tartareux. Cette observation est pleinement confirmée par l’examen que la Chimie en a fait. Il étoit donc fort aisé de concevoir que si le tartre qui est le sel naturel du vin, ou de tout autre suc doux tiré des végétaux, après qu’ils ont subi la fermentation, pouvoit être dissout par le moyen de l’art dans un mélange convenable d’eau & de sucre, ce composé auroit une parfaite ressemblance avec le vin ordinaire. Dans l’essai qu’on en fit, on trouva que le tartre pouvoit se dissoudre, de maniere à communiquer au sucre une acidité agréable, & à imiter dans un grand degré de perfection le suc doux & naturel des végétaux, sans avoir à la vérité leur odeur particuliere. L’expérience qu’on en a faite sert par conséquent à nous faire découvrir en quoi consiste la nature, l’usage & la perfection de l’art de faire des liqueurs douces.

Par une liqueur douce nous entendons un sel végétal quelconque, soit qu’on l’ait obtenu par le moyen du sucre ou du raisin, soit qu’on l’ait retiré de quelqu’un de nos fruits, ou de quelque fruit étranger. On ajoute ce suc aux vins à dessein de les rendre meilleurs. Nous voyons par cette définition que l’art de faire ces liqueurs pourroit acquérir un grand degré de perfection en faisant usage de sucre bien épuré, parce que c’est une substance douce extrèmement saine. Cette méthode seroit préférable à ces mélanges sans nombre de miel, de raisin, de sirop, de cidre, &c. dont les distillateurs fournissent les marchands de vin pour augmenter ou perfectionner leurs vins. En effet, en mettant du sucre purifié dans du vin foible, il le fait fermenter de nouveau, le rend meilleur, & lui donne le degré convenable de forces & d’esprits ; si le vin qu’on veut perfectionner d’après cette méthode, est naturellement piquant, il ne faut point ajouter de tartre au sucre ; il n’est à propos de se servir de

tartre que lorsque le vin est trop doux ou trop fade.

L’expérience présente n’est pas moins utile pour perfectionner l’art du moût. Nous desirerions donc que les commercans fissent réflexion que par-tout où l’on transporte du sucre, l’on y porte en même tems du moût, du vin, du vinaigre & de l’eau-de-vie sous une forme solide ; c’est-à-dire la matiere qui constitue ces substances, puisqu’en ajoutant simplement de l’eau au sucre, on peut préparer promptement ces différentes liqueurs. En effet, il n’est nullement nécessaire que le sucre soit transporté & vendu sous une forme liquide pour en faire du moût, du vin, &c. parce qu’il est très-aisé d’y ajouter du tartre & de l’eau dans quelque port que ce soit que l’on débarque.

Notre expérience nous enseigne aussi un moyen de perfectionner l’art de faire du vin en réduisant la substance qui le compose à un très-petit volume pour en faire du moût, en y joignant de l’eau à mesure qu’on en auroit besoin dans quelque climat que ce pût être ; on pourroit ensuite teindre ce moût ou l’impregner de la couleur & de l’odeur qu’on jugeroit à propos ; après quoi on le feroit fermenter pour en faire du vin de toutes les especes possibles. C’est ainsi qu’on peut mêler quelques gouttes d’huile essentielle de muscade ou de canelle avec du sucre de la maniere dont on fait l’oleo-saccharum ; si on jette ensuite ce mélange sur notre moût artificiel, le vin acquerra une odeur & un goût très-agréable. On peut encore retirer une huile essentielle de la lie de quelque vin en particulier & l’introduire dans notre moût artificiel de la même maniere qu’on vient de le décrire, alors le vin prendra l’odeur & le montant du vin naturel que cette lie aura fourni, sans les mauvaises qualités qu’elle peut avoir contractées dans le tonneau : en effet, le moût artificiel n’a point de montant, ni de couleur qui lui soit propre, mais il les acquiert promptement, & l’on peut lui communiquer l’un ou l’autre à volonté par le moyen de l’art.

Cette expérience peut encore nous conduire plus loin, & devenir très-utile en nous donnant une méthode pour faire du vin concentré, très-fort, capable de donner du corps en peu de tems à des vins foibles ; ou pour faire promptement du vin dans un besoin pressant où l’on en manqueroit, en le mêlant simplement avec de l’eau

De la clarification des vins. Il y a plusieurs moyens de clarifier les liqueurs vineuses qui ont subi la fermentation, afin de les rendre promptement limpides & propres aux différens usages de la vie.

Prenez une once de belle colle de poisson réduite en poudre grossiere ; faites-la dissoudre en la faisant bouillir dans une pinte d’eau ; lorsqu’elle sera dissoute, ôtez-la de dessus le feu ; laissez-la refroidir, & vous aurez une gelée épaisse : prenez pour lors un peu de cette gelée, fouettez-la avec des verges dans une petite portion du vin que vous avez dessein de clarifier, jusqu’à ce qu’elle soit toute en écume ; après quoi jettez cette mousse dans le tonneau, agitez-la pendant quelque tems afin qu’elle se mêle bien avec le vin ; ensuite bouchez bien le tonneau avec son bondon, & le laissez en repos. Par cette méthode le vin devient clair ordinairement en huit ou dix jours.

Ce procédé convient mieux aux vins blancs qu’aux vins rouges. Les marchands de vin emploient communément le blanc d’œuf fouetté, & le mêlent ensuite avec leurs vins de la même maniere qu’on a indiqué pour la colle de poisson. Telles sont les deux methodes ordinaires pour clarifier les vins.

La raison physique de cette clarification est que les substances qu’on emploie à cet usage font visqueuses ou gélatineuses ; par ce moyen elles se mêlent aisément avec la lie & les ordures légeres qui flottent dans le vin ; elles forment aussi une masse spécifiquement plus pesante que le vin ; cette masse traverse tout