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nement est vicieux, & contraire même au pacte fondamental d’une association légitime.

Que plus le mal qui en résulte est sensible, plus on a lieu de s’étonner, que les souverains qui sont encore plus intéressés que leurs sujets à en arrêter les progrès rapides, n’aient pas secoué il y a long-tems le joug de cette puissance sacerdotale qui tend sans cesse à tout envahir.

Que pour eux, sans cesse animés de l’amour de la vérité & du bien public, malgré les persécutions cruelles dont cet amour les a rendus si souvent les victimes, ils oseront établir sur cette matiere si importante pour tous les hommes en général, un petit nombre de principes, qui en affermissant les droits & le pouvoir trop long-tems divisés, & par conséquent affoiblis des souverains, de quelque maniere qu’ils soient représentés, serviront en même tems à donner aux différens corps politiques un fondement plus solide & plus durable. Après ce préambule singulier, nos sectaires entrent aussi-tôt en matiere, posent pour principe, qu’une regle sûre, invariable, & dont ceux qui, dans un gouvernement quelconque, sont revêtus légitimement de la souveraineté, ne doivent jamais s’écarter, sous quelque prétexte que ce soit ; c’est celle que tous les philosophes législateurs ont regardée avec raison, comme la loi fondamentale de toute bonne politie, & que Ciceron a exprimée en ces termes : Salus populi suprema lex est, le salut du peuple est la suprème loi.

Que de cette maxime incontestable, & sans l’observation de laquelle tout gouvernement est injuste, tyrannique, & par cela même, sujet à des révolutions ; il résulte :

1°. Qu’il n’y a de doctrine religieuse véritablement divine & obligatoire, & de morale réellement bonnes, que celles qui sont utiles à la société politique à laquelle on les destine ; & par conséquent que route religion & toute morale qui tendent chacune, suivant son esprit & sa nature, d’une maniere aussi directe qu’efficace, au but principal que doivent avoir tous les gouvernemens civils, légitimes, sont bonnes & révélées en ce sens, quels qu’en soient d’ailleurs les principes.

2°. Que ce qu’on appelle dans certains états la parole de Dieu, ne doit jamais être que la parole de la loi, ou si l’on veut l’expression formelle de la volonté générale statuant sur un objet quelconque.

3°. Qu’une religion qui prétend être la seule vraie, est par cela même, mauvaise pour tous les gouvernemens, puisqu’elle est nécessairement intolérante par principe.

4°. Que les disputes frivoles des Théologiens n’étant si souvent funestes aux états où elles s’élevent, que parce qu’on y attache trop d’importance, & qu’on s’imagine faussement que la cause de Dieu y est intéressée ; il est de la prudence & de la sagesse du corps législatif, de ne pas faire la moindre attention à ces querelles, & de laisser aux ecclésiastiques, ainsi qu’à tous les sujets, la liberté de servir Dieu, selon les lumieres de leur conscience.

De croire & d’écrire ce qu’ils voudront sur la religion, la politique & la morale.

D’attaquer même les opinions les plus anciennes.

De proposer au souverain l’abrogation d’une loi qui leur paroîtra injuste ou préjudiciable en quelque sorte au bien de la communauté.

De l’éclairer sur les moyens de perfectionner la législation, & de prévenir les usurpations du gouvernement.

De déterminer exactement la nature & les limites des droits & des devoirs réciproques du prince & des sujets.

De se plaindre hautement des malversations & de

la tyrannie des magistrats, & d’en demander la déposition ou la punition, selon l’exigence des cas.

En un mot, qu’il est de l’équité du souverain de ne gêner en rien la liberté des citoyens qui ne doivent être soumis qu’aux lois, & non au caprice aveugle d’une puissance exécutrice & tyrannique.

5°. Que pour ôter aux prêtres l’autorité qu’ils ont usurpée, & arracher pour jamais de leurs mains le glaive encore sanglant de la superstition & du fanatisme, le moyen le plus efficace est de bien persuader au peuple.

Qu’il n’y a aucune religion bonne exclusivement.

Que le culte le plus agréable à Dieu, si toutefois Dieu en peut exiger des hommes, est l’obéissance aux lois de l’état.

Que les véritables saints sont les bons citoyens, & que les gens sensés n’en reconnoîtront jamais d’autres.

Qu’il n’y a d’impies envers les dieux, que les infracteurs du contrat social.

En un mot, qu’il ne doit regarder, respecter & aimer la religion quelle qu’elle soit, que comme une pure institution de police relative, que le souverain peut modifier, changer, & même abolir d’un instant à l’autre, sans que le prétendu salut spirituel des sujets soit pour cela en danger. C’est bien ici qu’on doit dire que la fin est plus excellente que les moyens : mais suivons.

6°. Que les privileges & les immunités des ecclésiastiques étant un des abus les plus pernicieux qui puissent s’introduire dans un état ; il est de l’intérêt du souverain, d’ôter sans aucune restriction ni limitation ces distinctions choquantes, & ces exemptions accordées par la superstition dans des siecles de ténébres, & qui tendent directement à la division de l’empire. Voyez les lettres ne repugnate vestro bono.

7°. Enfin, que le célibat des prêtres, des moines, & des autres ministres de la religion, ayant causé depuis plusieurs siecles, & causant tous les jours des maux effroyables aux états, où il est regardé comme d’institution divine, & en tant que tel ordonné par le prince ; on ne peut trop se hâter d’abolir cette loi barbare & destructrice de toute société civile, visiblement contraire au but de la nature, puisqu’elle l’est à la propagation de l’espece, & qui prive injustement des êtres sensibles, du plaisir le plus doux de la vie, & dont tous leurs sens les avertissent à chaque instant qu’ils ont le droit, la force & le desir de jouir. Voyez Célibat & Population.

Que les avantages de ce plan de législation sont évidens pour ceux dont les vûes politiques vastes & profondes, ne se bornent pas à suivre servilement celles de ceux qui les gouvernent.

Qu’il seroit à souhaiter pour le bien de l’humanité, que les souverains s’empressassent de le suivre, & de prévenir par ce nouveau système d’administration les malheurs sans nombre & les crimes de toute espece, dont le pouvoir tyrannique des prêtres & les disputes de religion ont été si souvent la cause, principalement depuis l’établissement du christianisme, &c.

D’autres unitaires moins hardis à la tête desquels est Socin, ont sur la discipline & la morale des idées fort différentes : ceux-ci se contentent de dire avec leur chef :

Qu’il n’est pas permis à un chrétien de faire la guerre, ni même d’y aller sous l’autorité & le commandement d’un prince, ni d’employer l’assistance du magistrat pour tirer vengeance d’une injure qu’on a reçue.

Que faire la guerre, c’est toujours mal faire, & agir contre le précepte formel de J. C.

Que J. C. a défendu les sermens qui se font en particulier, quand même ce seroit pour assurer des cho-