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les médecins modernes l’employoient assez généralement & avec succès. Enfin, on doit remarquer que l’effet des émétiques donnés dans le commencement des maladies aiguës, est, par les considérations que nous venons de proposer, bien différent de l’effet de ce remede dans les indispositions dont nous avons parlé plus haut.

Quant à l’emploi des émétiques contre les maladies chroniques, il est très-rare ou presque nul dans la pratique moderne ; il a seulement lieu à titre de préservatif pour ceux qui sont sujets à quelques maladies à paroxisme, & principalement aux maladies convulsives & nerveuses, comme épilepsie, apoplexie, paralysie, &c. car quant à l’usage des émetiques dans le paroxisme même de plusieurs maladies chroniques, comme dans ceux de l’apoplexie & de l’asthme ; comme il est certain que ces paroxismes doivent être regardés en soi-même comme des affections aiguës, il s’en suit que cet usage doit être ramené à celui de ce remede dans les maladies aiguës. Et quant aux toux stomacales & aux coqueluches des enfans qui en sont des especes, les émétiques agissent dans ces cas & comme dans les maladies aigues, & comme dans les incommodités ; ils ébranlent utilement toute la machine, ils réveillent l’excrétion pectorale cutanée, & ils chassent de l’estomac des sucs viciés & ordinairement acides, qui sont vraissemblablement une des causes matérielles de ces maladies.

Le vomissement artificiel, excité dans la vue de procurer la sortie du fœtus mort ou de l’arriere-faix, qui est recommandé dans bien des livres, & par conséquent pratiqué par quelques médecins, est une ressource très-suspecte.

Il est peu de contrindications réelles des émétiques ; outre le cas d’inflammations réelles de l’estomac, des intestins & du foie, elles se bornent presque à ne pas exposer à leurs actions les sujets qui ont des hernies ou des obstructions au foie, & les femmes enceintes ; encore y a-t-il sur ces derniers cas une considération qui semble restraindre considérablement l’opinion trop légerement conçue du danger inévitable auquel on exposeroit les femmes enceintes en général, en les faisant vomir dans les cas les plus indiqués. Cette considération qu’Angetus Sala propose au commencement de son émétologie, est que rien n’est si commun que de voir des femmes vomir avec de grands efforts & très-souvent, pendant plusieurs mois de leur grossesse, & que rien n’est si rare que de les voir faire de fausses couches par l’effet de cet accident. Il n’est pas clair non plus que les émétiques soient contrindiqués par la délicatesse de la poitrine, & par la pente aux hémorrhagies de cette partie, ou aux hémorrhagies utérines. Hippocrate, comme nous l’avons rapporté plus haut, émétisoit fortement les phthisiques ; & quoique ce ne soit pas une pratique qu’on doive conseiller sans restriction, l’inutilité presque générale des remedes benins contre la phthitie peut être regardée comme un droit au moins à ne pas exclure certains remedes héroïques, quand même on ne pourroit dire en leur faveur, sinon qu’ils ne peuvent faire pis que les remedes ordinaires, à plus forte raison, lorsqu’on peut alléguer en leur faveur l’autorité d’Hippocrate.

Les contrindications tirées de l’âge, des sujets, des climats & des saisons, sont positivement démenties par l’expérience ; les émétiques peuvent être donnés utilement à tous les âges, depuis la vieillesse la plus décrépite, dans toutes les saisons, quoiqu’Hippocrate ait excepté l’hiver, quoiqu’Hippocrate ait exclus cette saison ; & dans tous les climats, quoique Baglivi ait écrit qu’on ne pouvoit pas les donner à Rome, in aere romano, qui étoit très chaud, encore qu’il les crût très-utiles dans les

pays plus tempérés ; & que des médecins de Paris eussent écrit auparavant que des émétiques pouvoient être très-convenables en Grece, où le climat étoit chaud, mais que pour des climats plus froids tel que celui de Paris, on devoit bien se donner de garde de risquer de tels remedes.

Au reste, ce préjugé contre le vomissement s’accrut considérablement dans plusieurs pays, & notamment à Paris, lorsqu’il se confondit avec un autre préjugé plus frivole encore, qui fit regarder vers le milieu du dernier siecle un remede dont les principales préparations étoient émétiques, comme un vrai poison. Je veux parler de cette singuliere époque de l’histoire de la faculté de médecine de Paris, rappellée dans la partie historique de l’article Chymie (Voy. cet article) où une guerre cruelle excitée dans son sein au sujet de l’antimoine, présenta l’événement singulier de la proscription de ce remede par un decret de la faculté, confirmé par arrêt du parlement, d’un docteur dégradé pour avoir persisté à employer ce remede ; & enfin l’antimoine triomphant bientôt après, & placé avec honneur dans l’antidotaire de la faculté. L’ouvrage plein de fanatisme & d’ignorance, qui a pour titre martyrologe de l’antimoine, & qui ne put manquer d’être accueilli avec fureur par les ennemis de l’antimoine dans ce tems orageux, est aujourd’hui presqu’absolument ignoré, & les médecins modernes qui font un usage si étendu des émétiques, n’emploient presque que des émétiques antimoniaux. Voyez Antimoine. Il est très-essentiel d’observer à ce sujet que ceux qui craignent encore aujourd’hui ces émétiques antimoniaux, se trompent évidemment sur l’objet de leur crainte ; ils s’occupent de l’instrument employé à procurer le vomissement, du tartre émétique, par exemple, qui est toujours innocent, tandis que c’est le vomissement lui-même, c’est-à-dire, la secousse, les efforts, la convulsion de l’estomac & son influence sur toute la machine, qui est le véritable objet de l’attention du médecin. Car quoique la plûpart des sujets veuillent être délicats, que le plus grand nombre de ceux à qui on propose des remedes un peu actifs se trouvent même offensés de ce que le médecin les croit capables d’en supporter l’action ; il n’en est cependant aucun qui ne se crût en état de vomir sans danger, si on ne lui annonçoit d’autre vomitif que de l’eau chaude. Or s’il vomissoit cinq ou six fois avec de l’eau chaude, & par le secours d’une plume ou du doigt qu’il introduiroit dans sa gorge, il essuieroit une opération médicamenteuse toute aussi violente, peut-être plus incommode à la machine, que s’il avoit vomi le même nombre de fois au moyen de trois grains de bon émétique. Au reste, ce préjugé populaire (où trop de médecins sont encore peuples à cet égard) contre les émétiques antimoniaux, commence heureusement à se dissiper, & on commence à l’employer même à Montpellier, où l’emploi presque exclusif des purgatifs regne souverainement.

Nous avons déja insinué que les émétiques des anciens qu’ils tiroient principalement du regne végétal, n’étoit plus en usage chez les modernes. Ils n’ont presque retenu que le cabaret ou oreille d’homme, & ils ne lui ont associé qu’une autre production du regne végétal ; savoir, l’ypecacuanha qui est une découverte moderne, voyez Cabaret & Ypecacuanha. Le tabac qui est une autre découverte moderne & qui est un émétique très-féroce, n’est employé que dans des cas rares. Voyez Tabac.

Le regne animal ne fournit aucun vomitif usuel, ce sont des sujets du regne minéral traités par la Chimie, qui ont fourni aux médecins modernes le plus grand nombre d’émétiques ; & ces principaux sujets sont les vitriols, le mercure & l’antimoine ; & prin-