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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 17.djvu/506

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I. Ischurie ou suppression d’urine. Elle est assez caractérisée par l’écoulement suspendu des urines. Il s’y joint quelquefois d’autres symptomes accidentels, comme douleur, tension à l’hypogastre ou aux reins, fievre, vomissement, délire, &c. L’ischurie peut être attribuée à un vice des reins, des ureteres, ou de la vessie, ce qui en constitue deux especes principales, qu’on ne doit point perdre de vue dans la pratique : dans la premiere espece, qu’on nomme fausse ou bâtarde, il ne descend point d’urine dans la vessie, soit qu’il ne s’en sépare point en effet dans les reins, soit que la sécrétion ayant lieu, elle ne puisse sortir des reins obstrués, ou qu’elle trouve un obstacle insurmontable dans les ureteres. Dans la seconde espece, l’urine se ramasse dans la vessie ; elle la distend, l’éleve en tumeur, dont la circonscription imite sa figure, & qui présente une fluctuation plus ou moins apparente à l’hypogastre, excite des envies inutiles de pisser, des picotemens dans la vessie ; ces signes distinguent l’ischurie vraie, légitime, de l’autre, dans laquelle on n’apperçoit aucun de ces symptomes, & au-contraire on sent un vuide à la région de la vessie, & on y fait entrer inutilement la sonde, &c.

La même variété que nous venons d’observer dans la maladie, doit nécessairement se rencontrer dans les causes qui lui donnent naissance ; l’ischurie vraie est produite ou par le défaut de la faculté expulsive de la vessie, pour nous servir du langage très-juste des anciens, ou par des obstacles qui s’opposent à son effet, quoique d’ailleurs suffisant, ou par le concours de ces deux causes : 1°. la faculté expulsive n’est autre chose que le muscle de la vessie qui s’étend en forme d’éventail, principalement sur ses parties postérieures & supérieures, & qu’on a appellé la tunique musculaire, dont Morgagni défend vivement, & prouve très-bien l’existence contre Bianchi. Epistol. anat. 1. n°. 62. Mais ce muscle ne jouit de cette propriété de pouvoir chasser l’urine hors de la vessie, qu’autant qu’il est susceptible d’irritation, & capable de contraction : il peut perdre son irritabilité & sa contractilité par la paralysie des nerfs qui vont se repandre dans son tissu, à la suite des attaques ordinaires d’apoplexie, de paralysie générale, & sur-tout par la luxation des vertebres inférieures du dos, comme Galien dit l’avoir vu arriver, lib. de loc. affect. VI. cap. iv. & comme je l’ai observé moi-même sur un jeune homme qui se luxa l’épine en tombant de fort haut, qui ne put uriner pendant très-long-tems qu’au moyen de la sonde, & qui cependant ne mourut pas, quoique tous les autres s’accordent à dire que la mort suit constamment ces sortes de luxations. La vessie peut aussi devenir insensible dans un âge très-avancé en se racornissant ; la contraction du muscle excréteur peut être empêchée par la distension trop grande de la vessie qu’occasionnera une quantité considérable d’urines retenues volontairement par paresse, par décence, par modestie, ou par quelqu’autre raison semblable, toujours au-moins déplacée, pour ne pas descendre de cheval, ou d’une voiture, par exemple, pour ne pas sortir d’une église ou d’une compagnie, pour ne pas interrompre une affaire pressante, ou faute de trouver un endroit propre écarté du monde pour satisfaire à ce besoin, qui, étant naturel, ne doit rien avoir de honteux ; dans tous ces cas le muscle distendu au-dela du ton convenable, ne peut pas réagir sur l’urine, & à chaque instant la cause augmente, & l’ischurie s’affermit. Il arrive aussi dans quelques cas de délire & de léthargie, que le malade oubliant d’uriner, donne lieu à une congestion d’urine, & par conséquent à l’ischurie.

2°. Les obstacles qui peuvent empêcher l’effet de la contraction de la vessie ou l’excrétion de l’urine, doivent être placés au col de la vessie ou dans le ca-

nal de l’uretre ; le col ou l’orifice de la vessie peut

être resserré & bouché par la constriction, l’inflammation du sphincter, par toute sorte de tumeurs qui obstruent au-dedans ou compriment au-dehors, par l’amas de mucosité, de pus, par des grumeaux de sang, & plus fréquemment par des graviers ou un calcul ; les carnosités qui naissent dans l’intérieur de l’uretre à la suite des gonorrhées virulentes inhabilement traitées, & qui peuvent grossir au point de remplir la capacité du canal, sont le vice le plus ordinaire, par lequel ce canal contribue à l’ischurie ; on pourroit ajouter l’imperforation de l’uretre ; mais il n’est pas d’usage qu’on donne le nom d’ischurie à la suppression d’urine, que cette cause produit dans les enfans nouveau-nés.

L’ischurie fausse a lieu, ou lorsqu’il ne se fait point dans les reins de secrétion, ou lorsque l’urine séparée ne peut pas pénétrer des reins, dans les ureteres, ou de ces canaux dans la vessie ; les obstacles qui s’opposent à ce passage peuvent être des grumeaux de sang, de matieres purulentes, & plus souvent des graviers, ce qui cause alors la colique néphrétique ; ce passage peut aussi être empêché par l’inflammation & les diverses tumeurs, soit de ces parties, soit des parties environnantes ; mais il est à-propos de remarquer que pour que la suppression d’urine soit totale, il faut que les deux reins ou ureteres soient également affectés. La secrétion de l’urine est rarement suspendue par le vice des reins, ces organes sont presque passifs, ont peu d’action propre, ils ne font presque que l’effet d’un filtre ; ainsi à-moins qu’ils ne soient extrèmement resserrés par quelque passion subite, par une attaque de convulsion ou d’hystéricité, &c. ou qu’ils ne soient dans un relâchement total, ils n’empêchent pas la filtration de l’urine ; les causes les plus ordinaires sont les hydropisies où la sérosité est déterminée ailleurs, les fievres ardentes où elle est dissipée, les sueurs immoderées, les dévoiemens continuels qui la consomment, &c. cette secrétion est aussi empêchée quelquefois dans certaines fievres malignes, où il y a beaucoup de symptomes nerveux, &c. & dans tous ces cas l’ischurie est appellée symptomatique.

A quelle cause que doive être attribuée l’ischurie, elle est toujours accompagnée d’un danger plus ou moins pressant, (voyez Urine, séméiotiq.) elle est mortelle, si elle dure plus de sept jours ; le tenesme, le hoquet, les vomissemens urineux, une odeur urineuse qu’exhale le malade, sont les signes qui annoncent & préparent cette funeste terminaison ; il y a beaucoup plus à craindre de l’ischurie fausse, que de la vraie, elle est aussi plus rare ; celle qui vient par défaut de secrétion est encore plus fâcheuse. La matiere des urines reste dans le sang, donne lieu à des hydropisies, ou excite des maladies plus graves & moins longues ; j’ai vû survenir une fievre maligne que la mort termina en peu de jours à la suite d’une fausse ischurie ; lorsqu’elle doit son origine à des graviers arrêtés dans les ureteres ou dans le bassinet des reins, elle entraîne comme nous avons déja dit, les symptomes douloureux d’une colique néphrétique, double accident qui rend le danger beaucoup plus prochain ; l’ischurie vraie qui est produite par un calcul arrêté au col de la vessie peut se dissiper assez aisément, en faisant changer de place à la pierre ; celle qu’a occasionné la paralysie du muscle excréteur, quoique pour l’ordinaire incurable, n’est pas dangereuse, parce qu’on peut artificiellement vuider la vessie ; il n’en est pas de même de celle qui reconnoît pour cause l’inflammation du sphincter de la vessie, ou des parties voisines, des tumeurs nées dans ces parties ou dans le canal de l’uretre, parce qu’avant qu’on soit venu à-bout de faire cesser l’action de ces causes, l’ischurie a eu le tems de devenir incurable.