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sous celui d’Udine, & qui est aussi appellée en latin Udinum, & en allemand Weyden, selon Lazius.

Son origine est fort obscure ; on sait seulement que ce n’est pas une ville nouvelle, & qu’elle ne paroît pas avoir été bâtie depuis le tems des Romains. Cluvier, Ital. ant. liv. I. c. xx. veut que les Nedinates de Pline soient les anciens habitans de cette ville. (D. J.)

UTINET, s. m. instrument de Tonnelier, c’est un petit maillet de bois, dont la masse est un cylindre de quatre doigts de longueur, & de deux bons doigts de diametre, traversé dans le milieu de sa longueur par un manche de bois fort menu, rond, & de deux piés de long. Les tonneliers se servent de cet instrument pour arranger & unir les fonds des futailles, quand ils sont placés dans le jable.

UTIQUE, (Géogr. anc.) ville de l’Afrique propre. Elle est nommée Ἰτύκη, Ityca, par les Grecs, quoique pourtant Dion Cassius, l. XLI. écrive Οὐτικὴ, Utica, à la maniere des Latins. Selon Pomponius Méla, Velléius Paterculus, Justin & Etienne le géographe, c’étoit une colonie des Tyriens. Elle fut bâtie 184 ans après la prise de Troie. C’est aujourd’hui Biserte, dans le royaume de Tunis, avec un grand port dans un petit golfe sur la côte de Barbarie, à l’opposite de l’île de Sardaigne. Les Romains en firent un entrepôt pour y établir un commerce réglé avec les Africains. Par sa grandeur & par sa dignité, dit Strabon, l. XVII. elle ne cédoit qu’à Carthage ; & après la ruine de celle-ci, elle devint la capitale de la province. Il ajoute qu’elle étoit située sur le même golfe que Carthage, près d’un des promontoires qui formoient ce golfe, dont celui qui étoit voisin d’Utique s’appelloit Apollonium, & l’autre Hermea.

Ses habitans sont appellés Ἰτυκαῖοι, par Polybe, l. I. c. lxxiij. Οὐτικήσιοι par Dion Cassius, l. XLIX. p. 401. & Uticenses par César, Bel. civ. l. II. c. xxxvj. Auguste leur donna le droit de citoyens romains : Uticenses cives romanos fecit, dit Dion Cassius, ce qui fait qu’on lit dans Pline, l. V. c. iv. Utica civium Romanorum.

On voit deux médailles de Tibere frappées dans cette ville. Sur l’une on lit : Mun. Ju ii. Uticen. D. D. P. c’est-à-dire, selon l’explication du p. Hardouin, Municipii Julii Uticensis Decuriones posuere. L’autre médaille porte : Immunis Uticen. D. D. ce que le même pere explique de la sorte : Immunis Uticensis (civitas) Decurionum Decreto. Dans la table de Peutinger, cette ville est appellée Utica colonia.

Elle est à jamais célebre par la mort de Caton, à qui l’on donna par cette raison le nom d’Utique. C’est dans ce lieu barbare que la liberté se retira, quittant Rome humiliée, & fuyant César coupable. Caton, pour la suivre à-travers les déserts de Numidie, dédaigna les belles plaines de la Campanie, & tous les délices que verse l’Ausonie. Il fallut bien, après sa mort, que cette fiere liberté pliât un genou servile devant ses tyrans, & qu’elle se soumît à accepter les graces humiliantes qu’ils voulurent lui accorder. Brutus ouvrit, pour ainsi dire, l’âge de la liberté romaine en chassant les rois, & Caton le ferma 473 ans après, en se donnant la mort, nobile lethum, pour ne pas survivre à cette même liberté qu’il voyoit sur le point d’expirer.

Ce grand homme mourut en tenant d’une main le livre de Platon de l’immortalité de l’ame, & de l’autre s’appuyant sur son épée : me voilà, dit-il, doublement armé !

The soul secur’d in her existence smiles
At the drawn dagger, and defies its point.
Let guilt or fear
Disturb man’s rest, Cato knows neither of’ em,
Indifferent in his choice to sleep, or die.

Il falloit bien alors que Caton eût un rang distingué dans les champs Elisées ; aussi Virgile nous assure que c’est là qu’il regne & qu’il donne des lois.

His dantem jura Catonem.

Tous les autres auteurs ont, à-l’envi, jetté des fleurs sur le tombeau ; mais voici l’éloge magnifique que fait de ce romain Velléius Paterculus lui-même, qui écrivoit sous le regne d’Auguste.

« Caton, dit cet historien, étoit le portrait de la vertu même, & d’un caractere plus approchant du dieu que de l’homme. En faisant le bien, il n’eut jamais en vue la gloire de le faire. Il le faisoit, parce qu’il étoit incapable d’agir autrement. Il ne trouva jamais rien de raisonnable qui ne fût juste. Exempt de tous les défauts attachés à notre condition, il fut toujours au-dessus de la fortune ».

Ses ennemis jaloux ne purent jamais lui reprocher d’autre foiblesse, que celle de se laisser quelquefois surprendre par le vin en soupant chez ses amis. Un jour que cet accident lui étoit arrivé, il rencontra dans les rues de Rome ces gens que différens devoirs réveillent de bon matin, & qui furent curieux de le connoître. On eût dit, rapporte Cesar, que c’étoit Caton qui venoit de les prendre sur le fait, & non pas ceux qui venoient d’y prendre Caton. Quelle plus haute idée peut-on donner de l’autorité que ce grand personnage avoit acquise, que de le représenter si respectable tout enseveli qu’il étoit dans le vin ? Nous ne sommes pas arrivés, écrit Pline à un de ses amis, à ce degré de réputation, ou la médisance dans la bouche même de nos ennemis soit notre éloge.

Caton, dans les commencemens, n’aimoit pas à tenir table long-temps ; mais dans la suite, il se le permit davantage, pour se distraire des grandes affaires qui l’empêchoient souvent pendant des semaines entieres de converser à souper avec ses amis, ensorte qu’insensiblement il s’y livroit assez volontiers. C’est là-dessus qu’un certain Memmius s’étant avisé de dire dans une compagnie que Caton ivrognoit toute la nuit, Cicéron lui répliqua plaisamment : « Mais tu ne dis pas qu’il joue aux dés tout le jour ».

Aussi jamais les débauches rares de Caton ne purent faire aucun tort à sa gloire. L’histoire nous apprend qu’un avocat plaidant devant un préteur de Rome, ne produisoit qu’un seul témoin dans un cas où la loi en exigeoit deux ; & comme cet avocat insistoit sur l’intégrité de son témoin, le préteur lui répondit avec vivacité : « Que là où la loi exigeoit deux témoins, il ne se borneroit pas à un seul, quand ce seroit Caton lui-même ». Ce propos montre bien quelle étoit la réputation de ce grand homme au milieu de ses contemporains. Il l’avoit déja acquise cette réputation parmi ses camarades dès l’âge de 15 ans. A la célébration des jeux troiens, ils allerent trouver Sylla, lui demanderent Caton pour capitaine, & qu’autrement ils ne courroient point sans lui.

Quoique, par la loi de Pompée, on pût recuser cinq de ses juges, c’étoit un opprobre d’oser recuser Caton. En un mot, sa passion pour la justice & la vertu étoit si respectée, qu’elle fit pendant sa vie & après sa mort, le proverbe du peuple, du sénat & de l’armée.

All what Plato thought, godlike Cato was.

Sa vie dans Plutarque éleve notre ame, la fortifie, nous remplit d’admiration pour ce grand personnage, qui puisa dans l’école d’Antipater les principes du Stoïcisme. Il endurcit son corps à la fatigue, & forma sa conduite sur le modele du sage.