Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 17.djvu/568

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sés ? Ces aveugles avoient toute leur vie tâté les objets, & jugé sûrement de leur situation ; leur ame pouvoit donc bien moins s’y méprendre qu’une autre. Au reste, peut-être que la sensation renversée aura fait une partie de l’étonnement dont ils furent saisis à l’aspect de la lumiere, & que dans la foule ils n’auront pas distingué cette singularité ; mais ce renversement n’aura rien renversé dans leurs idées bien établies par les longues leçons de leur vrai maître, le sentiment du toucher. L’aveugle accoutumé à se conduire avec ses deux bâtons, & à juger par eux de la situation des corps, ne s’y trompe point, il sait fort bien que son chien qu’il touche du bâton droit est à gauche, & que l’arbre qu’il touche du bâton gauche est à droite ; quand on lui donneroit dans l’instant deux bons yeux, au fonds desquels le chien seroit à droite, & l’arbre à gauche, il n’en croiroit rien, & s’en rapporteroit à la démonstration de ses bâtons qu’il sait être infaillible. L’ame en fait autant, au-moins pour tous les objets sur lesquels l’expérience du toucher a pu répandre ses lumieres, ou immédiatement, ou par comparaison.

3°. On demande, comment on voit un objet simple, quoique son image fasse impression sur les deux yeux, & pourquoi on le voit quelquefois double.

Un objet vû des deux yeux paroît simple, quand chaque image tombe directement sur le point de l’axe visuel, ou sur le pole de chaque œil ; mais il paroît double, toutes les fois que l’image tombe hors de ses points.

4°. Pourquoi voit-on distinctement, quand les objets sont à la distance que comporte la disposition de l’œil ?

Parce qu’alors l’angle optique n’est ni trop grand, ni trop petit. Il ne faut pas qu’il soit si grand que les rayons ne puissent se réunir, & peindre les objets sur la rétine ; mais il faut qu’il soit le plus grand qu’il est possible pour prendre un grand nombre de rayons.

5°. Pourquoi la vûe est-elle foiblement affectée, quand les objets sont dans un grand éloignement ?

Parce que les rayons plus paralleles, exigent une petite force refringente pour s’unir à l’axe optique ; au-lieu que les rayons divergens en requierent une plus considérable, & par conséquent s’écartent facilement, de façon qu’ils arrivent séparément à la rétine.

6°. Pourquoi les objets qui sont trop près, paroissent-ils confus ?

Parce que les rayons réfléchis par ces corps, sont si divergens, qu’ils se rassemblent par de-là la rétine : ils forment plusieurs points, plusieurs traits, mais non ce seul point qui représente, pour ainsi dire, la physionomie des corps. La petitesse de ce point, où les rayons s’unissent comme dans un foyer, dépend de la petitesse des fibres de la rétine. Elle a été soumise au calcul, par Hook, par Porterfields, & Montanarius, &c.

7°. Comment voit-on les objets distinctement ?

Une image est distincte, quand tous les points du cône lumineux qui la forment sont rassemblés dans la même proportion qu’ils ont sur l’objet même sans confusion, ni intervalle entr’eux, sans mêlange de rayons étrangers, & lorsque ce juste assemblage de rayons n’affecte point l’organe, ni trop vivement, ni trop foiblement ; c’est-à-dire qu’une image est distincte, quand tous les points de lumiere & les nuances d’ombre qui la forment, sont placées les uns auprès des autres, comme ils le sont sur l’original même ; ensorte que plusieurs de ses points ou de ces nuances d’ombre ne se réunissent pas en un seul, ou ne laissent pas entr’eux des intervalles qui ne sont pas dans l’original ; & qu’enfin leur impression n’est pas disproportionnée à la sensibilité de l’organe ; car l’un ou l’autre de ces défauts rendroit l’image confuse.

8°. Pourquoi les objets paroissent-ils obscurs, quand on va d’un lieu éclairé dans un lieu sombre ?

C’est que nous trouvant dans un lieu très éclairé, nous resserrons la prunelle, afin que la rétine ne soit pas offensée d’une si grande lumiere qui lui fait de la peine. Or, entrant alors dans un lieu obscur, les rayons de lumiere n’ébranlent presque pas la rétine, & notre ame qui vient d’être accoutumée à de plus fortes impressions ne voit rien dans ce moment.

9°. Pourquoi l’œil trompé, voit-il les objets plus grands dans les brouillards, & pareillement la lune à l’horison beaucoup plus grande que dans le reste du ciel ?

Le brouillard, les vapeurs de l’horison, dit M. le Cat, en couvrant les objets d’une couche vaporeuse, les font paroître plus éloignés qu’ils ne sont ; mais en même tems ils n’en diminuent pas le volume, & par-là, ils sont cause que nous les imaginons plus considérables. Quand on se promene par le brouillard, un homme qu’on rencontre paroît un géant, parce qu’on le voit confusément, & comme très-éloigné, & qu’étant néanmoins fort près, il renvoie une très-grande image dans notre œil : or, l’ame juge qu’un objet très-éloigné qui envoie une grande image dans l’œil est très-grand ; mais ici, on revient bien-tôt de son erreur, & l’on en découvre par-là l’origine, car on est surpris de se trouver en un instant tout près de cet homme qu’on croyoit si éloigné, & alors le géant disparoît.

C’est par le même enchantement que les vapeurs de l’horison nous faisant voir la lune aussi confusément, que si elle étoit une fois plus eloignée ; & ces mêmes vapeurs ne diminuant pas la grandeur de l’image de la lune, mon ame qui n’a point l’idée réelle de la grandeur de cette planete, la juge une fois plus grande ; parce que, quand elle voit un objet à 200 pas sous un angle aussi grand que celui d’un autre objet vu à 100 pas, elle juge l’objet distant de 200 pas une fois plus grand que l’autre, à-moins que la grandeur réelle de cet objet ne lui soit connue.

10°. Pourquoi un charbon ardent, une meche allumée, tournée rapidement en rond, nous fait elle voir un cercle de feu ?

C’est que l’impression de la lumiere sur la rétine subsiste encore un certain tems après son action : or si l’action d’un objet recommence sur un mamelon nerveux avant que sa premiere impression soit éteinte, les impressions seront continues, comme si l’objet n’avoit pas cessé d’agir. C’est par la même raison qu’une corde tendue sur quelque instrument de musique, & que l’on fait trémousser, nous paroît non seulement double, mais encore de la même épaisseur, & de la même figure, que l’espace qu’elle décrit en trémoussant.

11°. Pourquoi voit-on des étincelles sortir de l’œil, lorsqu’on le frotte avec force, qu’on le presse, ou qu’on le frappe ?

La lumiere, dit Musschenbroeck, tombant sur la rétine, émeut les filets nerveux de cette membrane ; lors donc que ces mêmes filets viennent à être comprimés de la même maniere par l’humeur vitrée, ils doivent faire la même impression sur l’ame, qui croira alors appercevoir de la lumiere, quoiqu’il n’y en ait point. Lorsqu’on frotte l’œil, on pousse l’humeur vitrée contre la rétine ; ce qui nous fait alors voir des étincelles. Si donc les filets nerveux reçoivent la même impression que produisoient auparavant quelques rayons colorés, notre ame devra revoir les mêmes couleurs. La même chose arrive aussi lorsque nous pressons l’angle de l’œil dans l’obscurité, en sorte qu’il s’écarte du doigt ; car on verra alors un cercle qui sera orné des mêmes couleurs que nous remarquons à la queue d’un paon ; mais dès qu’on