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poit sans cesse après les soufflets de sa forge, à mettre en pratique les idées que lui fournissoient sa science divine.

Un jour que le pere des dieux piqué contre Junon de ce qu’elle avoit excité une tempête pour faire périr Hercule, l’avoit suspendue au milieu des airs avec deux fortes enclumes aux piés. Vulcain, pour son malheur, s’avisa de quitter son palais, & de venir au secours de sa mere. Jupiter indigné de son audace, le prit par un pié, & le précipita dans l’île de Lemnos, où il tomba presque sans vie, après avoir roulé tout le jour dans la vaste étendue des airs. Les habitans de Lemnos le releverent, & l’emporterent ; mais il demeura toujours un peu boiteux de cette terrible chûte.

Cependant par le crédit de Bacchus, Vulcain fut rappellé dans le ciel, & rétabli dans les bonnes graces de Jupiter, qui lui fit épouser la mere de l’Amour. Elle regna souverainement sur son cœur, par l’empire des graces & de la beauté. On n’en peut pas douter, aprés les preuves convainquantes qu’en rapporte Virgile.

La déesse, dit-il, couchée dans un lit d’or avec son époux, se mit en tête d’avoir de sa main des armes divines pour son cher fils Enée. Rien au monde n’étoit plus difficile que d’obtenir cette grace ; mais elle l’entreprit ; & pour s’en assurer le succès, après lui avoir fait sa supplication d’une voix enchanteresse.

Niveis hinc atque kinc diva lacertis
Cunctantem amplexu molli fovet. Ille repente
Accepit solidam flammam ; notusque medullas
Intravit calor, & labefacta per ossa cucurrit.
Non secùs atque olim tonitru cum rupta corusco
Ignea rima micans percurrit lumine nimbos.
Sensit læta dolis & formâ conscia conjux.
Tunc pater æterno fatur devinctus amore
Quidquid in arte meâ possum promittere curæ.
Quod fieri ferro, liquido ve potest electro
Quantum ignes animæque valent. Absiste precando
Viribus indubitare tuis. En verba locutus
Optatos dedit amplexus, placidoque petivit
Conjugis infusus gremio, per membra soporem.

Ænéide, l. VIII. v. 387.

« Elle l’embrasse tendrement, & le serre amoureusement entre ses deux bras d’une couleur éclatante. Vulcain jusqu’alors insensible, sent renaître toute son ardeur pour sa divine épouse. Un feu qui ne lui est pas inconnu court dans ses veines, & se répand dans tous ses membres amollis. Ainsi l’éclair qui s’échappe de la nue enflammée, vole en un instant d’un pole à l’autre. Vénus voit avec une secrette joie, l’effet de ses caresses, & le triomphe de ses charmes, dont elle connoissoit le pouvoir. Le dieu qui n’avoit jamais cessé de l’aimer, lui répond ; je vous offre, déesse, toutes les ressources de mon art, tout ce que je puis opérer sur le fer & sur le métal de fonte composé d’or & d’argent. Cessez par vos prieres de douter de votre empire sur moi. En même tems, il lui donne les plus vifs & les plus délicieux embrassemens ; enfin il s’endort tranquillement sur son seien. »

Voilà pour la fable, passons à l’historique. Cicéron reconnoît quatre Vulcains ; le premier, fils du Ciel ; le second, du Nil ; le troisieme, de Jupiter & de Junon ; & le quatrieme, de Ménalius ; c’est ce dernier qui habitoit les îles Vulcanies.

Le Vulcain fils du Nil, avoit regné le premier en Egypte, selon la tradition des prêtres ; & ce fut l’invention même du feu qui lui procura la royauté ; ensuite cette invention jointe à sa sagesse, lui mérita après sa mort, d’être mis à la tête des divinités égyptiennes.

Le troisieme Vulcain, fils de Jupiter & de Junon,

fut un des princes Titans qui se rendit illustre dans l’art de forger le fer. Diodore de Sicile dit, qu’il est le premier auteur des ouvrages de fer, d’airain, d’or, d’argent, en un mot, de toutes les matieres fusibles. Il enseigna tous les usages que les ouvriers & les autres hommes peuvent faire du feu. C’est pour cela que ceux qui travaillent en métaux, donnent au feu le nom de Vulcain, & offrent à ce dieu des sacrifices, en reconnoissance d’un présent si avantageux. Ce prince ayant été disgracié, se retira dans l’île de Lemnos, où il établit des forges ; & voilà l’origine de la fable de Vulcain précipité du ciel en terre.

Les Grecs mirent ensuite sur le compte de leur Vulcain, tous les ouvrages qui passoient pour des chefs-d’œuvre dans l’art de forger : comme le palais du Soleil, les armes d’Achille, celles d’Enée, le fameux sceptre d’Agamemnon, le collier d’Hermione, la couronne d’Ariadne, &c.

Les monumens représentent ce dieu d’une maniere assez uniforme ; il y paroît barbu, la chevelure un peu négligée, couvert à-demi d’un habit qui ne lui descend qu’au-dessus du genou ; portant un bonnet rond & pointu, tenant de la main droite un marteau, & de l’autre des tenailles.

Quoique tous les mythologues assûrent que Vulcain soit boiteux, ses statues ne le représentent pas tel. Les anciens peintres & sculpteurs, ou supprimoient ce défaut, ou l’exprimoient peu sensible. Nous admirons, dit Cicéron, ce Vulcain d’Athènes, fait par Alcamène : il est debout & vétu ; il paroît boiteux, mais sans aucune difformité.

Les Egyptiens peignoient Vulcain marmouzet. Cambise au rapport d’Hérodote étant entré dans le temple de Vulcain à Memphis, se moqua de sa figure, & fit des éclats de rire. Il ressembloit, dit-il, à ces dieux que les Phéniciens appelloient Pataïques, & qu’ils peignent sur la proue de leurs navires. Ceux qui n’en ont point vu, entendront ma comparaison, si je leur dis que ces dieux sont faits comme des pigmées.

Le temple de Vulcain à Memphis, devoit être de la derniere magnificence, à en juger par le récit d’Hérodote.

Les rois d’Egypte se firent gloire d’embellir, à l’envi les uns des autres, cet édifice commencé par Ménès, le premier des rois connu en Egypte.

Vulcain eut plusieurs temples à Rome, mais le plus ancien, bâti par Romulus, étoit hors de la ville ; les augures ayant jugé que le dieu du feu ne devoit pas être dans Rome. Tatius fit pourtant bâtir un temple à ce dieu dans l’enceinte de la ville ; c’étoit dans ce dernier temple que se tenoient assez souvent les assemblées du peuple, où l’on traitoit les affaires les plus graves de la république. Les Romains ne croyoient pas pouvoir invoquer rien de plus sacré pour assurer les décisions & les traités qui s’y faisoient, que le feu vengeur, dont ce dieu étoit le symbole.

On avoit coutume dans ses sacrifices, de faire consumer par le feu toute la victime, ne réservant rien pour le festin sacré ; ensorte que c’étoient de véritables holocaustes. Ainsi le vieux Tarquin, après la défaite des Sabins, fit brûler en l’honneur de ce dieu, leurs armes & leurs dépouilles.

Les chiens étoient destinés à la garde de ses temples ; & le lion qui dans ses rugissemens, semble jetter du feu par la gueule, lui étoit consacré. On avoit aussi établi des fêtes en son honneur ; dans la principale, on couroit avec des torches allumées, qu’il falloit porter sans les éteindre jusqu’au but marqué.

On regarda, comme fils de Vulcain, tous ceux qui se rendirent célebres dans l’art de forger les métaux ; Olénus, Albion & quelques autres ; Brontéus & Eric-